LE CONDITIONNEMENT DU SOLDAT DANS LES GUERRES MODERNES 

ET SES RISQUES 

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1999 / Réflexions qui me sont venues après avoir lu Paroles de Poilus (lettres et carnets du front,1914 - 1918 (sous la direction de J.P. Guéno et Yves Laplume) in "Librio", Paris 1998  ainsi que l' essai d'analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928 de Jean Norton CRU ; Nancy : Presses universitaires de Nancy, 1993. 

 

Intro : La guerre de 1870 est la 1ère dans notre histoire à avoir fait appel aux conscrits. La mobilisation de masse est une donnée importante du conflit. Mais, pour être efficace, l'appel sous les drapeaux du soldat-citoyen non professionnel ni aguerri suppose qu'il ait été préparé. C'est la fonction du "service militaire" ; mais le conditionnement de son esprit est tout aussi important. Qu'en a-t-il été en 1870 ? Les Français avaient-ils été bien préparés ? 

Les appelés ont répondu "présent". Ils étaient "prêts". Mais ils l'étaient mal. Les sentiments qui les ont successivement habités font apparaître des esprits survoltés, prêts à tout, sauf à la réalité de la guerre et à la possibilité d'un revers. L'effet d'un tel défaut de préparation psychologique a précipité une démoralisation fatale aux armées. 4 temps marquent cette dégradation des esprits : 

1°) celui de la confiance au moment de la déclaration de guerre (fin juillet) ; les appelés ont la certitude de vaincre. Le moral élevé qui en découle est un atout ; à condition que tout aille bien car 

2°) les premiers combats (début août) provoquent la stupeur ; les soldats découvrent une réalité que la confiance antérieure et le manque d'instruction militaire avait masquée. Cette stupeur est normale, mais devient dangereuse pour peu que l'issue du combat ne soit pas conforme à ce qui avait été promis. 

3°) On entre alors dans la phase (mi août) de la colère ; les soldats ont soudain le sentiment d'avoir été trompés. Nous sommes trahis s'écrient-ils sans hésiter. Une colère porteuse de démoralisation et de désertions. 

4°) Le temps du ressentiment qui se met en place plus tard, dans le cadre des "souvenirs". 

Il apparaît ainsi qu'en 1870, l'esprit des soldats n'a pas été bien préparé. Si un conditionnement existait, il n'était pas maîtrisé et, à la première contrariété, l'enthousiasme initial s'est brutalement transformé en débandade

La leçon semble avoir été entendue ; la Revanche a été préparée, les instituteurs de la République ont reçu mission d'en instruire les nouvelles générations. Les anciens combattants publient leurs souvenirs et participent ainsi activement au conditionnement de la génération appelée à se battre en 1914. Jean Norton Cru rappelle (p.47) l'abondance de ces publications (une petite moitié des 7500 titres recensés en 1896 par le commandant Palat auxquels il faut ajouter ceux parus entre cette date et 1914). "Il est certain que nous demeurons dans l'ignorance la plus absolue sur leur quantité, leur qualité, leur valeur documentaire" écrit encore Jean Norton Cru qui n'a pas eu le loisir d'analyser cette abondante bibliographie. "Nous pouvons seulement supposer, ajoute-t-il, que s'ils n'étaient inférieurs aux souvenirs personnels de 1914-1918, ils ne seraient pas restés inconnus comme ils le sont". Cru connaît son sujet et suppose bien. L'écrasante majorité des "souvenirs" de 1870 sont des textes qui disent plus la guerre comme les anciens-combattants veulent l'avoir vécu que comme ils l'ont effectivement vécue. L'effacement des souffrances et le décalage qui apparaît lors de la confrontation de ces souvenirs et les textes écrits à chaud comme les lettres aux familles ou journaux intimes le montrent. Toutefois, cette oeuvre collective a joué la fonction qui lui était dévolue et dont ne se cachaient pas les "écrivants" (cf. les préfaces) : le conditionnement partiel d'une génération ; mais un conditionnement aux conséquences délicates.

En 1914, en effet (comme en 1940 pour des raisons différentes), on observe les mêmes processus qu'en 1870, les mêmes séquences : 

1°) le conditionnement provoque un certain enthousiasme (fleur au fusil), une confiance (A Berlin !) qui s'affirment dans les 1ers jours ; 

2°) mais la réalité du combat stupéfie les soldats surpris par les conditions toujours inédites (armes nouvelles, Blitzkrieg) de la guerre, stupéfaction qui peut être fatale si aucun succès ne vient empêcher l'expression de la colère et la débandade. 

3°) En 1914, la bataille de la Marne sauve la France ; la colère est repoussée à 1917 ; en 1940, au contraire, le scénario de 1870 se répète et le ressentiment se traduit par 

4°) le ralliement des Français derrière Pétain et la revitalisation de l'anglophobie. 

Question : avec une armée de métier ou de professionnels, observerait-on les mêmes phases de sentiments excessifs ?

 

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