Marie de Médicis, un gouvernement par les arts.

   Longtemps victime de l’opinion défavorable de Sully, de Richelieu et de Michelet, la fortune de Marie de Médicis connaît depuis quelques années une véritable réhabilitation dont témoignait déjà l’exposition Marie de Médicis et le Luxembourg en 19911, et plus récemment un colloque organisée en 20002. Le château de Blois qui avait accueilli précédemment une exposition sur les trésors des Médicis coopère à nouveau avec les musées florentins pour démontrer que Marie fut pleinement digne de son nom illustre, mécène complet, considérant qu’encourager tant la grande peinture que les arts décoratifs faisait pleinement partie de l’exercice du pouvoir, sachant choisir les meilleurs artistes, quelles que soient leurs origines géographiques, et n’oubliant pas de faire justifier sa politique par une fine propagande3.

   Situé dans l’aile François Mansart, le parcours débute avec des portraits de la jeune princesse florentine et des scènes du mariage de ses parents par Santi di Tito, Jacopo Empoli ou Filippo Tarchiani. Les décors commandés par la reine pour ses palais français (Louvre, Luxembourg, Fontainebleau) sont ensuite évoqués. L'un des points forts de l’exposition est constitué par le prêt de sept scènes historiques, conservées dans une collection américaine, représentant des épisodes de la vie des Médicis par divers artistes toscans (Giovanni Biliverti, Anastasio Fontebuoni - ill. 1, Domenico Passignano,...) et provenant du Cabinet doré au Luxembourg4. Les salles suivantes présentent des œuvres d'Ambroise Dubois, de Jacob Bunel, de Guido Reni, de Giovanni Baglione et des gravures d’après le cycle de Rubens pour la galerie de ce même palais. L’avant-dernière salle tente de montrer que ces exemples étrangers formèrent la jeune génération qui s'épanouit pleinement sous le règne de Louis XIII.

L'historique du n° 31, Le Christ devant
Pilate
, attribué à Nicolas Bollery, pose problème.
Il était conservé dans l'église de Charly-sur-Marne
qui fut détruite pendant la première guerre mondiale.
Déposée pendant 65 ans dans des locaux 
communaux, la toile a été vendue en 1981.
Il est extrêmement regrettable qu'une œuvre
provenant d'une église puisse, sous prétexte que
l'édifice est détruit, être vendue par la mairie et
se retrouver dans une collection particulière.
Bien que légale, une telle vente est, pour le moins,
peu acceptable.

   Parler du mécénat sous la régence, c’est évidemment se pencher sur la peinture française entre 1600 et 1627, un domaine longtemps méprisé et dont la connaissance s'est notoirement améliorée depuis quinze ans5. Il y avait des peintres à Paris avant le retour de Vouet, et cet art n'était pas si médiocre que le disait Louis Dimier. 
   Outre ce que l'on appelle la Seconde Ecole de Fontainebleau (Dubreuil, Dubois et Fréminet principalement) dont le rôle est connu depuis longtemps et dont plusieurs tableaux sont présentés, l'importance de la figure de Jacob Bunel pour la peinture française du tout début du XVIIe siècle est affirmée dans l'exposition par l'attribution à ce peintre du superbe Henri IV en Mars (ill. 2, cat. 13) acquis en 1981 par le musée du château de Pau. D'autres artistes contemporains sont moins heureux, comme François Quesnel ou Nicolas Bollery.

 

Anastasio Fonebuoni - Troilo Orsini venant en aide à Catherine de Médicis - Huile sur toile - 188 x 233 cm - The Mari-Cha Collection Ltd - Photo service de presse                                        Attribué à Jacob Bunel - Portrait d'Henri IV en Mars - Huile sur toile - 186 x 135 cm - Pau, Musée national du Château - Photo service de presse

1. Anastasio Fontebuoni
Troilo Orsini venant en aide à Catherine de Médicis
The Mari-Cha Collection Ltd

2. Attribué à Jacob Bunel
Portrait d'Henri IV en Mars
Pau, Musée National du Château

   Mais c'est surtout sur les deux générations suivantes, celle née vers 1580 et celle née vers 1600 que l'exposition apporte de nombreuses découvertes6 qui ne décevront pas même les visiteurs les plus blasés.
   On peut y voir en effet un Christ en croix (cat. 70) conservé dans l'église Saint-Etienne-du-Mont à Paris, rendu de manière très convaincante à Georges Lallemant par Paola Bassani et un second Christ en croix attribué par Sylvain Kerspern et Guillaume Kazerouni à Quentin Varin (cat. 71 ; Paris, église Saint-Gervais-Saint-Protais). On doit aussi à Paola Bassani la proposition de donner à Ferdinand Elle l’Ancien le Bon Samaritain de Nancy7 (cat. 68), jusqu’ici conservé sous le nom de Lallemant. Cette attribution affirme encore un peu plus la place et l’originalité de cet artiste dans le milieu parisien après 1600. Deux scènes mythologiques inédites du jeune Philippe de Champaigne8 provenant d'une collection particulière parisienne constituent également deux nouveautés importantes.
   Deux propositions semblent plus hasardeuses : l'attribution à Juste d’Egmont de l'Allégorie du Bon Gouvernement (cat. 63 ; musée de Blois, provenant du Luxembourg) est basée sur celle de l'esquisse de ce tableau, qui aurait le style des grisailles connus de cet artiste. Il est dommage que cette dernière ne soit pas reproduite, ce qui empêche d'adhérer vraiment à cette idée. Surtout, l'attribution à Philippe de Champaigne d'une Allégorie (ill. 3, cat.64),  récemment acquise par Blois comme Jean Mosnier semble problématique et peu étayée9. La notice de ce tableau est d'ailleurs bâclée, ne mentionnant dans la bibliographie ni l'article paru dans les Acquisitions du musées des beaux-arts de Blois10, ni le livre récent de Lorenzo Pericolo11, certes discutable, mais qui s'attarde longuement sur cette composition et arrive pourtant aux mêmes conclusions.

Jean Mosnier (ou Philippe de Champaigne ?) - Allégorie - Huile sur bois - 60,5 x 46,6 cm - Musée des Beaux-Arts du château de Blois - Photo service de presse                                        Barthélémy Prieur - Marie de Médicis en Junon - Bronze - 43,5 cm - Paris, Musée du Louvre, département des Objets d'Art - Photo service de presse

3. Jean Mosnier (ou Philippe de Champaigne ?)
Allégorie
Blois, Musée des Beaux-Arts du château

4. Barthélémy Prieur
Marie de Médicis en Junon
Paris, Musée du Louvre

   Le catalogue est inégal. Certaines notices sont très développées, d'autres rapidement évacuées. Certaines œuvres, parfois inédites sont citées mais non reproduites ni référencées (même un lecteur averti peut se demander ce que sont les « deux beaux dessins Coatalem » de Ferdinand Elle ou la localisation de la « célèbre » Transverbération de sainte Thérèse d'Horace le Blanc12...). On y trouve des essais passionnants sur la disposition de l’appartement de Marie au Luxembourg, sur les relations Rubens-Marie de Médicis qui dépassèrent largement le cadre de la commande de la galerie ou sur l'iconographie du Palais du Luxembourg. En revanche, la traduction des textes de Roberto Contini, l'un des meilleurs historiens actuels de l'art italien, est déplorable. Son essai sur la peinture à Florence autour de 1600 devient totalement incompréhensible, semblant directement issu d'un logiciel de traduction, et on peut mettre quiconque au défi de comprendre l'historique des sept tableaux italiens du cabinet doré (quel est le tableau conservé à la National Gallery of Scotland d'Edimbourg ?). 

   L'exposition ne se limite pas à la peinture. On y voit aussi des faïences, émaux, des médailles et plusieurs sculptures, notamment des bronzes. Cette technique, sous l'influence de l'Italie, donna naissance à des effigies royales qui sont autant de chefs-d'œuvre comme les Henri IV et Marie de Médicis en pied, dont deux modèles de Barthélémy Prieur et de son atelier sont présentés (ill. 4 ; cat. 8-9 et 33-34). Le Louvre a aussi prêté deux des Captifs enchaînés de Pierre Franqueville et Francesco Bordoni (cat. 48-49), exécutés pour le décor du piédestal de la statue d'Henri IV. Une réduction par Antonio Susini de cette effigie équestre due à Jean Bologne, érigée sur le Pont-Neuf et détruite à la Révolution, est également exposée (cat. 10).

   L'ambition avouée de Thierry Crépin-Leblond, conservateur du château et commissaire de l'exposition, est d'attirer des visiteurs pendant les mois d'hiver, époque à laquelle Blois est désertée par les touristes. Compte-tenu de l'exigence de cette exposition, de son intérêt et, il faut le souligner, de la qualité de sa mise en scène, on ne peut que lui souhaiter de réussir son pari.

Didier Rykner
(mis en ligne le 3 janvier 2004)

1. Marie de Médicis et le Palais du Luxembourg, catalogue sous la direction de Marie-Noëlle Matuszek-Baudouin, Délégation à l'action artistique de la Ville de Paris, 1991 (époque où la programmation courageuse du musée du Luxembourg était en accord avec les prérogatives du Sénat et se souciait peu de son audimat !)
2. Actes du Séminaire de la Chaire Rhétorique et société en Europe (XVIe-XVIIe siècles) du Collège de France, Le siècle de Marie de Médicis, sous la direction de Marc Fumaroli, Françoise Graziani et Francesco Solinas, Alessandria, Edizioni dell'Orso, 2003
3. Même si on ne doit pas oublier que financièrement ces constructions prestigieuses se firent au dépend de l’aménagement du territoire qu’avait défendu Sully sous Henri IV.
4. La Réunion des Musée Nationaux, lors de la vente publique à Londres en avril 1993, envisagea de les acheter, mais le prix de l’ensemble dépassait leur budget. On peut rêver qu'un jour, la nouvelle possibilité donnée aux entreprises par la loi sur le mécénat d'acquérir des œuvres importantes à l'étranger pour les musées français permette de les faire revenir.
5. Soulignons le rôle pionnier de l'exposition de Meaux en 1988 : De Nicolò dell'Abate à Nicolas Poussin : aux sources du Classicisme 1550-1650, sous la direction de Jean-Pierre Changeux.
6. L’esquisse de Passignano pour le décor du Luxembourg acquise récemment par le musées de Blois (cf. Nouvelle brève du 27/6/03) est également une belle découverte. On peut regretter l’absence de l’esquisse en grisaille du Théagène reçoit le flambeau des mains de Chariclée d'Ambrois Dubois, retrouvée en 2002 et donnée par les Amis du Louvre, ainsi que celle des modelli de Rubens.
7. Et donc aussi le Saint Sébastien du musée de Ponce si proche.
8. Céphale et Procris et Céphale reçu par Diane et ses compagnes, cat. 74 et 75.
9. Rien dans la provenance de ce panneau (un fragment d'une plus grande composition) n'atteste qu'il s'agit d'un élément du décor du palais du Luxembourg. Ce n'était, au moment de son acquisition, qu'une hypothèse. On ne peut donc en déduire une attribution, qu'elle soit à Mosnier ou à Champaigne. Seul le style devrait permettre de donner un nom, et celui de Champaigne ne nous paraît pas si évident. Le côté gentileschien correspond au peu que l'on connaît de Mosnier, et ce tableau est extrêmement proche du plafond de cet artiste Le Temps foulant aux pieds la Fortune provenant de Cheverny et conservé à Blois, 
10. Château de Blois, Sept ans d'acquisition, 1992-1999, Bulletin Les Amis du Château et du Musée de Blois, n°31, décembre 2000.
11.
Lorenzo Pericolo. Philippe de Champaigne, Tournai, 2002. Nous avons parlé de ce livre ici-même.
12. Musée de Lyon. Cf catalogue de l'exposition de Meaux citée note 5, cat. 36.


Blois, Château. Exposition terminée le 28 mars 2004

Commissariat : Thierry Crépin-Leblond assisté de Hélène Lebedel.
Catalogue
Marie de Médicis, un gouvernement par les arts, collectif, sous la direction de Paola Bassani Pacht, Thierry Crépin-Leblond, Nicolas Sainte Fare Garnot, Francesco Solinas. Somogy, éditions d'art, 264 p., 39 €. ISBN : 2-85056-710- 8

Retour vers Expositions

Retour vers l'accueil

Nouveautés en ligne | Index | Plan du site | Qu'est-ce que La Tribune de l'Art ? | Ecrivez-nous
©La Tribune de l'Art