MONDE //

L'Express du 09/04/1998

Sur la piste des derniers nazispar Michel Faure

Les Argentins ont ouvert leurs archives. Elles révèlent l'étonnant laxisme des autorités péronistes envers les criminels de guerre et leurs complices

ui était donc Fridolin Guth? Un criminel de guerre, un salaud ordinaire ou un simple soldat du IIIe Reich fuyant, après la guerre, une Allemagne vaincue et dévastée pour une nouvelle vie en Amérique du Sud? Tout ce que l'on sait de lui, aujourd'hui, c'est qu'il vécut bien tranquille, pendant plus de trente ans, dans la petite ville d'Agua de Oro, près de Cordoba, dans le nord de l'Argentine, où il mourut, en 1989, âgé de près de 90 ans. Il y tenait une pâtisserie, La Confiteria Tirol, sur la route menant à Ascochinga, décorée comme un salon de thé bavarois, où il vendait de délicieuses forêts-noires. Ses voisins se souviennent de lui comme d'un vieillard élégant et aimable, vivant avec sa femme, Maria, décédée il y a trois ans, et recevant des visites régulières de ses trois enfants. Interrogée par un quotidien local, La Voz del interior, l'une de ses proches, d'origine yougoslave et ancienne élève du collège allemand de la province, raconte que tout le monde, à Agua de Oro, appelait avec respect le vieil Allemand «don Guth». «Quand je lui rendais visite, dit-elle, il voulait que je lui parle allemand. C'était un homme joyeux, mais affaibli, vers la fin de sa vie, par l'opération d'un ulcère.» Jamais, durant son exil, il ne fut inquiété, alors que les chasseurs de nazis, sous l'impulsion de Simon Wiesenthal, parcouraient le continent sud-américain, des hauts plateaux boliviens aux confins de la Patagonie, en passant par le Paraguay, le Brésil ou le Chili, à la recherche d'anciens criminels de guerre. Et puis, soudain, le 9 mars dernier, le nom de Fridolin Guth, «ancien membre de la police politique allemande en France», est apparu au sein d'une liste de 19 personnes qui avaient obtenu des documents d'identité argentins sous leur véritable nom, alors que pesaient sur elles des accusations pour leurs actions durant la guerre.

historienne argentine, Carlota Jackisch, de la fondation Konrad-Adenauer, à Buenos Aires, auteur d'un ouvrage intitulé El Nazismo y los refugiados alemanes en la Argentina (éd. Belgrano). Elle a effectué cette recherche dans le cadre de la Commission pour l'éclaircissement des activités des nazis en (Ceana), créée par le président Carlos Menem en 1997 et présidée par le ministre argentin des Affaires étrangères, Guido di Tella. Cette commission comprend des historiens de renommée internationale appartenant à de nombreux pays. En prétendant faire toute la lumière sur la présence des nazis dans le pays et sur les biens qu'ils auraient pu voler à leurs victimes, elle répond à une volonté officielle de solder un passé entaché d'embarrassantes connivences et de coupables complicités. Jorge Raventos, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, admet qu'elle peut avoir également pour objet accessoire de redorer l'image du péronisme, parti du président Menem, dont la «légende noire», basée sur les liens de l'ancien chef de l'Etat Juan Peron avec le fascisme européen, est «fondée, dit-il, sur des faits avérés, mais aussi sur des exagérations». Il s'agit également de confirmer, selon Raventos, «le changement de positionnement international de l'Argentine, sortie du bloc des pays non alignés pour resserrer ses liens avec l'alliance occidentale et les Etats-Unis». Enfin, même si la communauté juive argentine est l'une des plus importantes du monde et si certains de ses membres ont participé à plusieurs gouvernements péronistes, il existe dans ce pays, selon Sergio Widder, représentant du centre Simon-Wiesenthal à Buenos Aires, une «forte tradition d'antisémitisme et d'impunité». L'incapacité des autorités - voire la mauvaise volonté de certains policiers - à trouver les coupables de deux attentats, l'un contre l'ambassade d'Israël à Buenos Aires en 1992, qui fit 29 morts, et l'autre contre un centre communautaire juif de la capitale, qui tua 86 personnes en 1994, n'a pas amélioré l'image du pays à cet égard. La volonté de transparence du président Menem s'inscrit donc dans ce contexte, à la fois politique et diplomatique.



 

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