Datant de près de 10 ans, Interrogatoire de Thomas H. Cook, initialement paru à l’Archipel en 2003, présente une facette plus classique, dans le genre noir, de l’écrivain étatsunien puisqu’ici on a affaire à un roman plus nerveux et, surtout, plus relié à l’investigation policière que dans ses dernières productions.
Dans une ville anonyme au début des années 50, les policiers sont face à un cas horrible. Une petite fille a été assassinée et Albert Jay Smalls, le suspect, malgré plusieurs jours de détention, n’a rien lâché. Il ne reste qu’une demi-journée aux enquêteurs pour faire avouer cet individu dont la culpabilité ne fait aucun doute à leurs yeux. Si à l’issue de cette ultime nuit Smalls ne reconnaît pas son crime, ils seront obligés, conformément à la loi, de lui rendre sa liberté. On fait donc appel à Jack Pierce et Norman Cohen, deux inspecteurs encore assez jeunes mais expérimentés, afin de faire craquer l’infanticide.
Commence alors une sorte de voyage au bout de la nuit et du crime au cours duquel Pierce et Cohen devront déployer tout leur art de l’interrogatoire, endossant le rôle du méchant ou du gentil, jouant de la persuasion ou de la fermeté, passant d’une attitude compréhensive à des menaces claires. Reprenant les événements à leur source, les deux policiers vont se heurter à un mur de mutisme tant Smalls affiche un caractère renfermé et à la limite de l’autisme. Petit à petit, ce dernier va cependant s’ouvrir mais aucunement sur l’essentiel aux yeux des forces de l’ordre. Il est, effectivement, ferme sur un point: il n’a pas tué la petite Cathy Lake…
Cook aborde donc comme on le disait plus haut l’investigation pure dans ce roman. Pour ce faire, il va à l’essentiel lors des chapitres consacrés à l’interrogatoire proprement dit, élaguant sa prose, ne délivrant que les paroles des enquêteurs et du suspect.
Mais, comme le romancier est aussi un excellent bâtisseur d’histoire, il adopte une narration non-linéaire en introduisant des flash-back permettant de revivre en direct les faits, leurs circonstances et les premières hypothèses des policiers lors de la découverte du corps de la fillette.
De plus, Cook n’étant pas un adepte du « whodunit » n’oublie pas de s’intéresser aux personnages, à leur psychologie ou à leur fonctionnement. A commencer par les principaux de cet Interrogatoire : Pierce, Cohen mais aussi Smalls. Si le premier prend les choses de manière personnelle -sa propre fille a été assassinée par un individu qu’on a été obligé également de relâcher-, le deuxième vit dans une solitude qui lui pèse à un point tel qu’il se coupe, petit à petit, de toute vie sociale, et le dernier ne semble avoir ni passé, ni avenir. D’ailleurs, clochard et marginal, Smalls, dont on ne sait d’ailleurs pas si c’est son vrai nom, est le coupable idéal. Il ne vient de nulle part, vit dans un tunnel du parc municipal et, pour couronner le tout, ne révèle que peu de signes pendant ses conversations avec les policiers et se montre, paradoxalement, résigné tout en réaffirmant son innocence.
A ce ballet à trois qui prend comme lieu d’action une de ces salles hermétiques des commissariats que le lecteur de polar connaît bien, Cook adjoint d’autres lieux, d’autres personnages, étranges ou émouvants, révoltés ou fatigués. Ici, une femme drapée dans une dignité qui pourrait passer pour de la froideur alors qu’elle ne masque que la douleur inextinguible d’une mère qui ne se remettra jamais vraiment de la perte de son enfant; là, un père, vieux flic bourru, qui ne peut que s’avouer qu’il n’a pas réellement aimé un fils qui a mal tourné.
C’est donc, encore une fois, à une véritable mise à jour des sentiments, des réactions ou des motivations de ses personnages que Cook se livre. Avec retenue, patience, élégance. Comme d’habitude.
Interrogatoire est finalement encore un bel exemple de construction romanesque, d’approche du vivant qui se révèle à la lumière d’événements extrêmes, de fausses pistes ou de faux-fuyants, de fils qui se nouent au mauvais endroit, de réponses qui posent plus de questions.
C’est moins puissant que les Ombres du passé, moins émouvant que les Feuilles mortes, moins dérangeant et protéiforme que Les leçons du Mal mais cela reste beaucoup plus prenant qu’un thriller formaté et plus intelligent que nombre de romans de procédure. A lire donc. Evidemment, plutôt…
Interrogatoire (The interrogation, 2002) de Thomas H.Cook (trad. Cécile Leclère), Le livre de poche (2006), 317 pages
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Publié dans Noir étatsunien
Mots-clefs: Interrogatoire, Thomas H Cook
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