Isabelle Attané répond à nos questions sur les conséquences de la crise de la démographie chinoise :

Décoration
Isabelle Attané est démographe et sinologue à l'Ined. Ses travaux portent sur les évolutions sociales en lien avec les changements démographiques en Chine et occasionnellement dans d'autres pays d'Asie, avec une approche démographique, sociologique et culturelle. Elle s'intéresse en particulier aux relations de genre et aux discriminations envers les filles et les femmes dans la société chinoise en transition, de même qu'à la question du déséquilibre numérique entre les sexes (surmasculinité démographique) et à ses conséquences sur les individus et la société.

Pouvons-nous parler d’une seule Chine ou de plusieurs Chines d’un point de vue démographique ?

Du point de vue démographique, tout comme d'ailleurs du point de vue du développement socioéconomique, la Chine reste un pays extrêmement hétérogène. Notamment, des écarts considérables existent dans les niveaux d'espérance de vie à la naissance qui, en 2010, atteint 82 ans à Shanghai, la ville la plus développée du pays - soit un niveau comparable à celui des pays les plus développés de la planète - mais qui n'est encore que de 69 ans dans la province pauvre du Guizhou, un niveau comparable à celui du Bangladesh.

Dans votre livre « Aux pays des enfants rares » vous parlez de catastrophe démographique. Pourquoi ?

Plus que de catastrophe, on peut parler de véritable crise démographique qui menace la Chine au cours des prochaines décennies. Cette crise résultera des bouleversements majeurs de la structure par âge.
Selon la révision de 2010 des perspectives démographiques mondiales des Nations unies, 19% des Chinois ont moins de 15 ans et 12,3% ont 60 ans ou plus. Mais au cours des 40 prochaines années, ces proportions passeront à 13,5% et 33,9% respectivement. On assistera alors à une reconfiguration importante de la population de la Chine avec diverses conséquences sur les individus, les familles et la société.

Quelles sont ces conséquences ?

En premier lieu, la réduction de 25% de la population d'âge actif (dont l'effectif tombera de 915 millions de personnes en 2010 à 682 millions en 2050) associée à la hausse significative de la part des personnes âgées (qui passera de 165 à 439 millions sur la période, soit un accroissement de 166%) entraineront une réduction de près de moitié du rapport de dépendance : il passera de 2,15 personnes d'âge actif par personne dépendante (moins de 15 ans et 60 ans ou plus) en 2010 à 1,11 en 2050.
Au milieu du siècle, la Chine figurera au rang des pays au monde où le vieillissement démographique sera le plus avancé, avec un âge médian de 48,7 ans, soit un niveau alors comparable à celui de l'Italie (49,6 ans en 2050), de l'Allemagne (49,2) et de l'Espagne (48,9), et qui se rapprochera de celui de la République de Corée (51,8) et du Japon (52,3) où, à l'instar de la Chine, la baisse de la fécondité a, par le passé, été à la fois extrêmement rapide et prononcée.
Cette évolution sera problématique car aucun système de retraite généralisé et viable n'a encore été mis en place en Chine, posant ainsi le problème de la prise en charge des personnes âgées, alors même que le nombre d'adultes sur lesquels reposera cette charge sera restreint. Il s'agira, de plus, de faire perdurer le dynamisme de l'économie chinoise, tandis que sa main-d'œuvre sera non seulement moins nombreuse, mais encore de plus en plus qualifiée et donc de moins en moins en mesure de répondre aux besoins de son économie sous sa forme actuelle (c'est-à-dire reposant essentiellement sur le secteur secondaire).
Mise à jour : 04 juin 2014