Mohamed Bouazizi

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Mohamed Bouazizi
Nom de naissance Tarek Bouazizi
Alias
Basboussa[1]
Naissance
Sidi Bouzid, Tunisie
Décès (à 26 ans)
Ben Arous, Tunisie
Nationalité tunisienne
Pays de résidence Drapeau de la Tunisie Tunisie
Diplôme
Terminale[2],[3]
Profession
Vendeur de fruits et légumes ambulant

Mohamed Bouazizi (محمد البوعزيزي), de son vrai nom[4] Tarek Bouazizi (طارق البوعزيزي), né le à Sidi Bouzid et mort le à Ben Arous[5], est un vendeur ambulant[6] tunisien dont la tentative de suicide par immolation le , qui conduit à son décès deux semaines plus tard, est à l'origine des émeutes qui concourent au déclenchement de la révolution tunisienne évinçant le président Zine el-Abidine Ben Ali du pouvoir, et sans doute par extension aux protestations et révolutions dans d'autres pays arabes connues sous le nom de Printemps arabe.

Parcours[modifier | modifier le code]

Tarek Bouazizi est rapidement appelé Mohamed, pour le distinguer d'un homonyme, puis porte jusqu'à l'âge adulte le surnom de Basboussa[1],[nb 1] donné par sa mère Manoubia.

Manoubia Bouazizi, la mère de Mohamed.

Son père, Taïeb, est ouvrier agricole. Mohamed a un frère, Salem, et une sœur, Leïla. Il a trois ans lorsque son père meurt ; sa mère se remarie avec son beau-frère, avec lequel elle a quatre enfants. La famille Bouazizi connaît un revers de fortune après la perte de terres hypothéquées[7].

À six ans, le jeune Bouazizi participe aux travaux des champs ; à 14 ans, tout en suivant des études au lycée, il est occasionnellement maçon. Assumant le rôle de soutien de famille qui lui est confié, Mohamed Bouazizi reste à Sidi Bouzid, ville agricole de 40 000 habitants, malgré la découverte et l'attrait de Sfax, ville maritime économiquement développée. Abandonnant le lycée au niveau de la terminale, il s'inscrit dans une association de jeunes chômeurs[7].

Faute de mieux, à 19 ans, il devient marchand ambulant de fruits et légumes, cette activité constituant le seul revenu de la famille de sept enfants. Son rêve est de pouvoir s'acheter une camionnette pour ne plus avoir à pousser sa charrette[8].

Ne possédant pas d'autorisation officielle, il subit une administration à laquelle il ne peut verser de pots-de-vin et qui, pendant sept ans, se sert dans sa caisse, lui applique des amendes ou lui confisque sa marchandise, voire sa balance. À sa sœur Leïla, il déclare : « Ici, le pauvre n'a pas le droit de vivre »[7].

Suicide[modifier | modifier le code]

Le , on lui confisque encore une fois son outil de travail (une charrette et une balance). Essayant de plaider sa cause et d'obtenir une autorisation et la restitution de son stock auprès de la municipalité et du gouvernorat provincial, il y est bousculé et se fait expulser des bureaux où il est venu se plaindre[8],[9]. Sa sœur Leïla explique : « Ce jour-là, les agents municipaux lui avaient confisqué son outil de travail et l'un d'eux l'avait giflé. Il s'est alors rendu à la municipalité, puis au gouvernorat pour se plaindre, mais ici, à Sidi Bouzid, il n'y a personne pour nous écouter. Ils marchent à la corruption et ne travaillent que pour leurs intérêts[10]. »

Humilié publiquement, désespéré, Mohamed Bouazizi s'immole par le feu devant le siège du gouvernorat[11]. Il est transporté à l'hôpital local, puis à Sfax, et enfin au Centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous, près de Tunis[3].

Le décès de Mohamed Bouazizi est annoncé le à Ben Arous où il était hospitalisé[12],[13].

Alors que les réactions à cet acte sont d'abord ignorées par le gouvernement tunisien, sa mère et sa sœur sont reçues le 28 décembre par le président Zine el-Abidine Ben Ali, qui limoge le gouverneur de Sidi Bouzid et les agents municipaux concernés[14]. Une auxiliaire municipale accusée d'avoir giflé Bouazizi est mise en détention provisoire sur ordre de Ben Ali[15] ; la gifle est contestée par des témoins et la policière bénéficie d'un non-lieu le [16] après plusieurs mois de détention provisoire[17]. Six mois après la mort de Bouazizi, sa famille a dû quitter Sidi Bouzid pour La Marsa, accusée de s'être enrichie, et le portrait de Mohamed Bouazizi a été décroché[18] à Sidi Bouzid.

Plusieurs mois après les faits, le récit du suicide fait l'objet de versions divergentes, et la réalité de la gifle reçue par Bouazizi est contestée. Ainsi, Lamine al-Bouazizi, responsable syndical de Sidi Bouzid et anthropologue, raconte: « En fait, on a tout inventé moins d'une heure après sa mort. On a dit qu'il était diplômé chômeur pour toucher ce public, alors qu'il n'avait que le niveau bac et travaillait comme marchand des quatre-saisons. Pour faire bouger ceux qui ne sont pas éduqués, on a inventé la claque de Fayda Hamdi. Ici, c'est une région rurale et traditionnelle, ça choque les gens. Et de toute façon, la police, c'est comme les États-Unis avec le monde arabe : elle s'attaque aux plus faibles »[19] ; il ajoute : « Il a suffi de quelques coups de fil pour répandre la rumeur. De toute façon, pour nous, c'était un détail, cette claque. Si Bouazizi s'est immolé, c'est parce qu'on ne voulait pas le recevoir, ni à la mairie ni au gouvernorat ».

Le , un an après le suicide de Mohamed Bouazizi, une cérémonie de commémoration rassemble plusieurs milliers de Tunisiens à Sidi Bouzid, dont le nouveau président Moncef Marzouki[20].

Conséquences[modifier | modifier le code]

Manifestation le 20 janvier 2011 à Tunis devant le siège du parti au pouvoir qui sera dissous deux mois plus tard.

L'acte désespéré de Bouazizi, qui « préfère mourir plutôt que de vivre dans la misère », provoque la colère parmi les habitants de Sidi Bouzid : des dizaines manifestent devant le siège du gouvernorat. Le mouvement social s'étend spontanément à d'autres municipalités du pays, malgré la répression[14]. À l'appel de militants syndicaux, la révolte atteint Tunis, la capitale, le , avec environ mille citoyens exprimant leur solidarité avec Bouazizi et les manifestants de Sidi Bouzid[21]. Le 28 décembre, le président Ben Ali, qui s'est rendu au chevet du jeune homme, déclare à la télévision nationale : « J'ai suivi, avec inquiétude et préoccupation, les événements survenus ces derniers jours à Sidi Bouzid »[14]. D'autres suicides ont suivi ainsi que des manifestations de grande ampleur réprimées dans le sang, dans le centre et le sud-ouest du pays.

Les manifestations insurrectionnelles vont néanmoins continuer, engendrant une révolution qui conduit au départ de Ben Ali en Arabie saoudite le 14 janvier 2011 et à la désignation d'un nouveau président.

Kamel Morjane, ministre des Affaires étrangères du nouveau gouvernement Ghannouchi, affirme fin janvier dans Le Figaro : « Ça faisait un moment que les Tunisiens contenaient leur colère et avec l'immolation du jeune Bouazizi, tout a fini par lâcher, comme un élastique ! »[22]

Selon le psychanalyste Fethi Benslama, « Bouazizi est devenu un exemple, et non un mythe, celui de chaque homme réduit par le qahr — un mot que l'on peut traduire par « impuissance totale »[nb 2] — et qui préfère l'anéantissement total plutôt que de vivre comme un rien »[23].

Postérité[modifier | modifier le code]

Centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous où est mort Bouazizi et renommé en son honneur par le gouvernement de transition.
Plaque commémorative sur la place Mohamed-Bouazizi à Paris.

La municipalité de Tunis annonce, le , vouloir rebaptiser l'une des avenues les plus importantes de la capitale tunisienne, l'avenue du 7-Novembre — ainsi nommée en référence à la date symbole de la prise du pouvoir par Ben Ali — pour lui donner le nom de Mohamed Bouazizi[24]. Le 25 mars, la Poste tunisienne émet un timbre-poste à son effigie[25].

Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, indique vouloir donner à un lieu parisien le nom de Mohamed Bouazizi, « figure emblématique qui, par son acte de résistance, symbolise le combat des Tunisiens pour la démocratie, la justice et la liberté »[26]. Par dérogation à une règle qui interdit que le nom d'une personne soit donnée à une voie publique de Paris si elle est morte depuis moins de cinq ans, il est décidé qu'une place du 14e arrondissement de Paris portera le nom de « place Mohamed-Bouazizi en hommage au peuple tunisien et à sa révolution de janvier 2011 », une stèle commémorative devant y être apposée[27]. Cette place, située près du parc Montsouris, est inaugurée le par le maire de Paris, en présence de Mokhtar Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme[28].

Le Centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous où il est mort doit être renommé « Hôpital Mohamed Bouazizi »[29].

Le Parlement européen lui décerne le prix Sakharov pour la liberté de l'esprit en 2011, un prix partagé la même année par quatre autres personnalités en relation avec le printemps arabe[30].

Le romancier marocain Tahar Ben Jelloun publie en 2011 chez Gallimard Par le Feu, court récit de fiction qui reconstitue les dernières semaines de Bouazizi et qui se termine sur un hommage à « un homme simple, comme il y en a des millions, qui, à force d'être écrasé, humilié, nié dans sa vie, a fini par devenir l'étincelle qui embrase le monde »[31].

Le , un monument commémoratif représentant le chariot de Bouazizi, entouré de chaises vides en symbole des « dictateurs » arabes déchus, est dévoilé, à Sidi Bouzid, « sous les applaudissements de la foule »[32]. Le quotidien The Times désigne Mohamed Bouazizi « personnalité de l'année 2011 » le 28 décembre, attribuant à son immolation le rôle de catalyseur du « Printemps arabe »[33],[34].

Les éditions Cérès publient le une biographie de Mohamed Bouazizi signée par Lydia Chabert-Dalix, journaliste et écrivaine qui s'est rendue, dès janvier 2011, à Sidi Bouzid et a été reçue par la famille de Bouazizi ; l'ouvrage relate l'enfance, l'adolescence et les grands moments qui ont marqué sa vie.

Le , deux jours avant la sortie de son quatrième album, l'artiste Kenza Farah publie un clip dédié à Mohamed Bouazizi[35].

Le , un jeune marchand ambulant de cigarettes originaire de Jendouba décède après s'être immolé par le feu, la veille, sur l'avenue Habib-Bourguiba à Tunis[36].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Basboussa signifie « celui qui est à croquer de baisers ».
  2. Au sens propre et ancien « contusion, abcès », au sens figuré et actuel « domination, assujettissement, oppression » selon Béchir Tlili, « Note sur la notion d'État dans la pensée de Ah'mad Ibn Abi Ad'-d'Iyaf, réformateur tunisien du XIXe siècle (1804/5-1874) », Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°8, 1970, p. 159 et Hamadi Redissi, « Autoritarisme et constitution », Colloque pour le quarantième anniversaire de la constitution du 1er juin 1959 à la faculté de droit de Tunis les 26 et 28 mai 1999, Tunezine, Tunis, 14 juillet 2002

Références[modifier | modifier le code]

  1. a et b (en) « Tunisia events turning point in Arab world », Gulf News, 16 janvier 2011
  2. « Tunisie-Sidi Bouzid : Mohamed Bouazizi serait mort et enterré », Espace Manager, 5 janvier 2011
  3. a et b (ar) Assabah, 27 décembre 2010[réf. incomplète]
  4. « Sidi Bouzid : Décès de Mohamed El Bouazizi des suites de ses brûlures », Express FM, 5 janvier 2011
  5. [PDF] Causes et objectifs de la révolution tunisienne (Falbert's Blog)
  6. « Tunisie : Mohamed Bouazizi, celui par qui tout a commencé », Le Journal du dimanche, 15 janvier 2011
  7. a, b et c Frida Dahmani, « Sidi Bouazizi », dans Jeune Afrique no 2315, 20 février 2011, p. 40-43
  8. a et b Moniquet 2012, p. 52-53
  9. Christophe Ayad, « Face au gâchis social, la Tunisie ose s'insurger », Libération,‎ (lire en ligne)
  10. Abdelaziz Barrouhi, « Cinq questions pour comprendre », Jeune Afrique, no 2609,‎ , p. 42
  11. (en) Mustafa Al-Arab et Nick Hunt, « How a fruit seller caused revolution in Tunisia », CNN, 16 janvier 2011
  12. « Tunisie : décès de Mohamed Bouazizi », Euronews, 5 janvier 2011
  13. Audrey Pelé, « Tunisie : décès du jeune homme immolé par le feu », Le Figaro,‎ (lire en ligne)
  14. a, b et c Abdelaziz Barrouhi, « Cinq questions pour comprendre », dans Jeune Afrique, no 2609, 9 janvier 2011, p. 42-45
  15. « Je n'ai pas giflé » Bouazizi, affirme Fédia Hamdi, libérée par la justice tunisienne, Jeune Afrique,‎ (consulté le 22 avril 2011)
  16. « Tunisie : non-lieu pour la policière accusée d'avoir giflé Bouazizi », Euronews,‎ (consulté le 22 avril 2011)
  17. « Tunisie : Affaire Fédia Hamdi-Bouazizi, le tribunal prononce le non-lieu », Webmanagercenter, 19 avril 2011
  18. Supplément Le Printemps arabe du journal Le Monde, 15 juin 2011, p. 2
  19. Christophe Ayad, « La révolution de la gifle », Libération,‎ (lire en ligne)
  20. « À Sidi Bouzid, les Tunisiens fêtent le 1er anniversaire de la révolution », Le Nouvel Observateur, 17 décembre 2011
  21. (en) « Job protests escalate in Tunisia », Al Jazeera,‎ (lire en ligne)
  22. Delphine Minoui, « Que la révolution tunisienne porte ses fruits », Le Figaro, 23 janvier 2011
  23. Renaud de Rochebrune, « Ce geste a changé le modèle du martyr » (interview de Fethi Benslama), dans Jeune Afrique, no 2615, 20 février 2011, p. 44
  24. « La place et l'Avenue 7 novembre de Tunis rebaptisées place 14 janvier 2011 et avenue Mohamed Bouazizi », Tunis Afrique Presse, 17 février 2011
  25. Timbre no 1894 dessiné par Leila Allagui et émis le 25 mars 2011 (Poste tunisienne)
  26. « Une place portera le nom du Tunisien immolé », Agence France-Presse, 4 février 2011
  27. [PDF] Attribution de la dénomination « place Mohamed Bouazizi en hommage au peuple tunisien et à sa révolution de janvier 2011 », à la voie identifiée par l'indicatif BO/14, dans la ZAC Alésia-Montsouris (Mairie de Paris)
  28. « Une place Mohamed-Bouazizi inaugurée à Paris », Libération, 30 juin 2011
  29. « Le Centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous baptisé », Le Temps, 15 février 2011
  30. « Le Prix Sakharov décerné à cinq activistes du Printemps arabe », Libération, 27 octobre 2011
  31. Tahar Ben Jelloun, Par le Feu, éd. Gallimard, Paris, 2011, p. 50
  32. « La Tunisie fête le premier anniversaire de la révolution », Le Figaro, 17 décembre 2011
  33. « Mohamed Bouazizi, personnalité de l'année pour le Times », Le Point,‎ (lire en ligne)
  34. (en) Mohammed Abbas, « UK's Times newspaper names Bouazizi person of 2011 », Reuters,‎ (lire en ligne)
  35. « Le réalisateur Beat Bounce a mis en images le titre "Mohamed" de Kenza Farah, ce titre est un hommage à Mohamed Bouazizi », sur chartsinfrance.net,‎ (consulté le 2 septembre 2012)
  36. Martine Gozlan, « Tunisie : un nouveau Mohamed Bouazizi s'immole avenue Bourguiba », Marianne, 13 mars 2013

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Lydia Chabert-Dalix, Bouazizi. Une vie, une enquête, Tunis, Cérès,‎ (ISBN 9973197607)
  • Claude Moniquet, Printemps arabe, printemps pourri, Paris, Encre d'Orient,‎ , 296 p. (ISBN 2362430537)

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

Sur les autres projets Wikimedia :

  • Marie Kostrz, « Manifs en Tunisie : « On ira très loin pour défendre nos droits » », Rue89,‎ (lire en ligne)