Ochlocratie

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L'ochlocratie (du grec ancien ὀχλοκρατία / okhlokratía, via le latin : ochlocratia) est une forme de gouvernement dans lequel la foule (okhlos) a le pouvoir d'imposer sa volonté.

Si le terme « ochlocratie » est tombé en désuétude, la réalité qu'il recouvre a toujours été débattue dans les ouvrages de philosophie politique. On peut se référer à la définition qu'en donne Le Robert :

« Ochlocratie : 1568. Emprunté au grec okhlocratia, de okhlos, « foule » et –cratia, « pouvoir ». Inusité. Gouvernement par la foule, la multitude, la populace ».

Ochlocratie n'est pas un synonyme de démocratie au sens de gouvernement par le peuple. Implicitement, si le terme foule et non peuple est employé, et évidemment dans un sens péjoratif, c'est pour suggérer la foule en tant que masse manipulable ou passionnelle, les phénomènes de foule, justement, souvent provoqués par la démagogie ou le populisme. Ceci en l'opposant à des formes de gouvernement politique supposées plus rationnelles ou du moins raisonnables, qu'elles soient démocratiques ou non, et pour cela considérées plus souhaitables par principe.

Histoire du concept d'ochlocratie[modifier | modifier le code]

Okhlos et demos[modifier | modifier le code]

Ce gouvernement par la foule a pour connotation péjorative le règne de la vulgarité, de la médiocrité. En 1584, l'écrivain anglais John Stockwood décrit l'ochlocratie comme un État dans lequel les personnes grossières décident de toute chose d'après leur propre intérêt. Pour les Grecs, l'okhlos, c'est ce qui est inférieur au demos. L'ochlocratie se caractérise par une décomposition de la loi et des mœurs. C'est lorsque la démocratie dégénère en chaos politique, lutte quotidienne entre les individus et règne de la force. Elle relève d'une configuration historique que l'on pourrait appeler le « prépolitique », par opposition au « politique » qui se caractérise soit par l'existence de l'État et de la loi soit par l'existence d'une conscience collective et d'une auto-organisation de la Cité (la polis) sans État, favorisant la responsabilisation, la coopération et la cohabitation des Hommes.

Polybe[modifier | modifier le code]

L'ochlocratie est, dans la théorie de l'anacyclose – théorie cyclique de la succession des régimes politiques – formulée par l'historien grec Polybe (admise par Cicéron dans le De Republica, et reprise par Machiavel), le pire de tous les régimes politiques. C'est le stade ultime de la dégénérescence du pouvoir. Polybe décrit un cycle en six phases qui fait basculer la monarchie dans la tyrannie, à laquelle fait suite l'aristocratie qui se dégrade en oligarchie, puis de nouveau la démocratie entend remédier à l'oligarchie, mais sombre, dans une sixième phase, dans le pire des régimes qui est l'ochlocratie, où il ne reste plus qu'à attendre l'homme providentiel qui reconduira à la monarchie.

Rousseau[modifier | modifier le code]

Dans le Contrat social, Jean-Jacques Rousseau définit l'ochlocratie comme la dégénérescence de la démocratie : « En distinguant, la démocratie dégénère en Ochlocratie » (livre III, chapitre 10, p. 423 du tome III dans l'édition de la Pléiade). L'origine de cette dégénérescence est une dénaturation de la « volonté générale », qui cesse d'être générale dès qu'elle commence à incarner les intérêts de certains, d'une partie de la population, et non de la population tout entière (cf. II, 3) ; il peut s'agir, à la limite, d'une « volonté de tous », non d'une « volonté générale ».

James Mackintosh[modifier | modifier le code]

En 1791, le philosophe écossais James Mackintosh (1765-1832) considère, dans son Vindiciae Gallicae, que « l'autorité d'une populace corrompue et tumultueuse doit plutôt être considérée comme une ochlocratie qu'une démocratie, comme le despotisme de la cohue, et non le gouvernement du peuple ».

Usages contemporains[modifier | modifier le code]

Le terme « ochlocratie » est aujourd'hui peu utilisé ; il l'est essentiellement par les libertariens[réf. nécessaire].

Ochlocratie et démocratie[modifier | modifier le code]

En philosophie politique, ce concept peut désigner une limite permettant de penser la démocratie. L'ochlocratie, négatif de la démocratie, permet de la penser et de la définir positivement.

1. La démocratie est-elle absolument exempte d'ochlocratie, ou bien l'ochlos est-il la manifestation extrême de l'une des dimensions, inévitable, de la démocratie ? Quand des grèves ou des manifestations font revenir un gouvernement élu sur l'une de ses décisions, certains accusent la foule (ochlos), d'autres y voient un progrès démocratique (demos).

Par exemple, en France, les manifestations contre le Contrat première embauche ont eu pour effet que Jacques Chirac demande à ce qu'il ne soit pas utilisé. Selon le point de vue politique, on y a vu une expression de la démocratie ou de l'ochlocratie :

  • la majorité des partis de la gauche, opposée au CPE, a vu dans ces manifestations une expression démocratique à part entière : le peuple s'est exprimé sur une loi sur laquelle il n'a pas été consulté, et manifeste ainsi sa souveraineté contre ceux qui la lui alièneraient ;
  • Philippe de Villiers, favorable au CPE, a vu dans ces manifestations et dans leurs conséquences une tyrannie de la rue sur le Parlement, « la victoire de la violence, le gouvernement de l'émeute et le mépris du suffrage universel ».

Un même mouvement populaire peut donc être interprété, selon le point de vue politique, comme demos, et par conséquent moyen d'expression démocratique, ou bien comme ochlos, et par conséquent négation de la démocratie. Il est donc difficile de décider objectivement, pour des événements déterminés, de quel principe ils relèvent.

2. Comment préserver la démocratie de l'ochlocratie ? Un renforcement du pouvoir politique, par exemple de celui du gouvernement, pose certes une limite à l'ochlocratie ; mais dans quelle mesure ne s'écarte-t-on pas aussi de la démocratie, si le pouvoir peut imposer n'importe quelle décision à la population ? Quelle est la limite entre le raisonnable et l'arbitraire ? Quelles sont les limites de ce renforcement de l'autorité ? C'est l'un des principes fondamentaux de la démocratie que d'avoir un pouvoir capable de résister à la foule ; mais la question est de savoir dans quelles limites cela est possible sans passer à une forme de tyrannie.

Par exemple, si le gouvernement fait passer la loi sur le CPE malgré l'importance des manifestations qui s'y opposent, on peut considérer cette intransigeance sous deux points de vue radicalement opposés :

  • ou bien c'est la preuve de la résistance du gouvernement à la pression de la foule, donc de la force de la démocratie contre les pressions populaires ;
  • ou bien c'est une aliénation de la souveraineté populaire et un mépris du gouvernement à l'égard du peuple.

3. Comment passe-t-on de la démocratie à l'ochlocratie ? Selon Rousseau, la démocratie dégénère en ochlocratie quand la volonté générale cède devant des volontés particulières, par exemple celles de « brigues », d'« associations partielles » (Contrat social, II, 3). Mais dans les faits, il est souvent difficile de déterminer quand on passe de l'une aux autres. Peut-être même que la volonté générale est impossible à réaliser, et ne peut représenter qu'un idéal (cf. la notion de voile d'ignorance chez Rawls).

Il est très difficile de présenter des cas historiques d'ochlocratie ; mais ce concept n'en est pas stérile pour autant. Il permet en effet de penser la démocratie, en la confrontant avec l'une de ses évolutions ou tendances possibles ; et ainsi, de déterminer plus précisément la spécificité de la démocratie.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Oscar FERREIRA, "La démocratie dans toute sa pureté". Une longue histoire de la sortie en politique du concept d'ochlocratie (1780-1880)", dans Revue de la Recherche Juridique. Droit prospectif, 2013-2 (lire en ligne)

Articles connexes[modifier | modifier le code]