Crise du canal de Suez

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Crise du canal de Suez
Chars britanniques à Port Saïd, novembre 1956.
Chars britanniques à Port Saïd, novembre 1956.
Informations générales
Date Octobre 1956 - Mars 1957
Lieu Égypte,
(Bande de Gaza, Sinaï et Canal de Suez)
Issue Victoire militaire des coalisés
Victoire politique de l'Égypte et reprise du contrôle de canal de Suez par l'Égypte
Belligérants
Drapeau d’Israël Israël
Drapeau : Royaume-Uni Royaume-Uni
Drapeau de la France France
Drapeau de l'Égypte Égypte
Commandants
Flag of the United Kingdom.svg Anthony Eden
Flag of the United Kingdom.svg Charles Keightley
Flag of France.svg Guy Mollet
Flag of France.svg Pierre Barjot
Flag of Israel.svg Moshe Dayan
Flag of Israel.svg Ariel Sharon
Flag of Israel.svg Avraham Yoffe
Flag of Egypt (1952-1958).svg Gamal Abdel Nasser
Flag of Egypt (1952-1958).svg Abdel Hakim Amer
Flag of Egypt (1952-1958).svg Abdel Latif Boghdadi
Flag of Egypt (1952-1958).svg Salah Salem
Forces en présence
Flag of Israel.svg
175 000 hommes

Flag of the United Kingdom.svg
45 000 hommes

Flag of France.svg
34 000 hommes
Flag of Egypt (1952-1958).svg
70 000 hommes
Pertes
Flag of Israel.svg
186 morts
899 blessés

Flag of the United Kingdom.svg
16 morts
96 blessés

Flag of France.svg
10 morts
33 blessés
Flag of Egypt (1952-1958).svg
1 650 morts
4 900 blessés
6 185 prisonniers
Conflit israélo-arabe

La crise du canal de Suez, parfois appelée expédition de Suez, guerre de Suez, campagne de Suez ou opération Kadesh, est une guerre qui éclata en 1956 en territoire égyptien. Le conflit opposa l'Égypte et une alliance secrète, le protocole de Sèvres, formée par l'État d'Israël, la France et le Royaume-Uni, à la suite de la nationalisation du canal de Suez par l'Égypte.

Cette alliance entre deux États européens et Israël répondait à des intérêts communs : les nations européennes avaient des intérêts politiques, économiques et commerciaux dans le canal de Suez, et Israël avait besoin de l'ouverture du canal pour assurer son transport maritime (ce dernier justifiait toutefois son intervention militaire contre l'Égypte comme étant une réponse aux attaques de fedayins qu'il subissait de plus en plus régulièrement sur son territoire).

Finalement, alors que les Égyptiens étaient battus militairement, les envahisseurs sont obligés de battre en retraite sous la pression des États-Unis et de l'Union des républiques socialistes soviétiques.

La crise est principalement retenue pour les leçons qu'elle apporte sur le nouvel équilibre des forces à l'aube de la guerre froide. Les USA et l'URSS sont les principales puissances des deux blocs en opposition, mais quand ils font cause commune, même d'anciennes puissances comme la France et le Royaume-Uni ne peuvent s'y opposer.

Origines du conflit[modifier | modifier le code]

Le canal de Suez, qui forme un raccourci entre la mer Rouge et la mer Méditerranée, est ouvert en 1869. Il a été financé par la France et le gouvernement égyptien. Le Royaume-Uni racheta ensuite la part de l'Égypte dans le canal. À l'indépendance de l'Inde, le poids stratégique du canal change : il n'est plus le point de passage capital entre le Royaume-Uni et son Empire. En revanche, le canal devient un point de passage stratégique pour le pétrole.

Les origines de ce conflit remontent à 1952, lors du renversement de la monarchie de Farouk Ier par les officiers libres de l'armée égyptienne. Cette « révolution » à la fois sociale et nationale abolit la monarchie en Égypte, d'abord sous la conduite du général Neguib puis du lieutenant-colonel Nasser, et s'efforce de lutter contre l'impérialisme étranger. Le nouveau gouvernement abandonne les clauses de coopération avec les forces européennes et adopte une tendance nationaliste et autoritaire. Ce changement de position entraîne un conflit avec la France et le Royaume-Uni à propos du canal de Suez, jusqu'alors aux mains de capitaux franco-britanniques. D'ailleurs des troupes britanniques demeurent stationnées dans la zone du canal jusqu'en février 1956 alors que le protectorat britannique sur l'Égypte est fini depuis son indépendance acquise en 1936.

Durant l'année 1956, la tension s'accroît entre Israël et l'Égypte avec les raids menés par les combattants palestiniens (fedayin) sur le territoire israélien. L'Égypte, dirigée par Gamal Abdel Nasser, bloque le golfe d'Aqaba et ferme le canal de Suez aux navires israéliens. Lorsque Nasser décide de reconnaître la Chine communiste, les États-Unis se retirent, le 19 juillet[1], du financement du Haut barrage d'Assouan. En réponse à ce retrait, l'Égypte, unilatéralement, décide de nationaliser le canal de Suez, voie commerciale vitale alors détenue à 44 % par l'économie franco-britannique. La compagnie riposte par le retrait de ses techniciens britanniques et français. Ils sont remplacés par d'autres, fournis par les pays non-alignés, l'Inde en particulier.

Le Premier ministre britannique, Anthony Eden, convaincu par ses services du MI6 que Nasser veut se rapprocher de Moscou, tente alors de convaincre l'opinion publique de la nécessité d'une guerre contre l'Égypte. Il fait pour cela appel au patriotisme hérité de la Seconde Guerre mondiale en comparant la nationalisation du canal par Nasser au nationalisme de Mussolini et d'Hitler vingt ans auparavant. Eden déclare qu'une démonstration de force est nécessaire afin de dissuader Nasser de faire de l'Égypte une nouvelle menace militaire et le fait passer pour le « Mussolini du Nil ».

Vue de France, la ligne anticolonialiste, anti-impérialiste, tiers-mondiste, socialiste, nationaliste et arabiste (panarabe) de Nasser apparaît comme une menace. Le FLN algérien, en lutte armée contre la France, a son siège au Caire et reçoit de l'Égypte une aide matérielle (notamment des armes) et morale (les leaders du FLN peuvent par exemple s'exprimer à la radio égyptienne) importante. Guy Mollet, chef du gouvernement français, est acquis à la cause de l'Algérie française et du soutien à Israël. Les agents du SDECE tentent de manipuler les Frères musulmans pour éliminer Nasser ou le faire empoisonner par un officier égyptien et informateur du SDECE. Des projets d'assassinat sont également élaborés du côté britannique mais tous échouent, notamment à cause de l'aide du KGB aux services de renseignement égyptiens lorsque Nasser se rapproche des Russes[2].

Le 26 juillet 1956, Nasser opère la nationalisation du canal et la mise sous séquestre des biens de la compagnie universelle du canal de Suez, lors d'un discours radiodiffusé à Alexandrie[3] :

« La pauvreté n'est pas une honte, mais c'est l'exploitation des peuples qui l'est. Nous reprendrons tous nos droits, car tous ces fonds sont les nôtres, et ce canal est la propriété de l'Égypte (...) J'assigne aujourd'hui l'accord du gouvernement sur l'établissement de la Compagnie du Canal. »

De plus, depuis plusieurs années il est question pour l'Égypte de se doter d'un barrage à Assouan, afin de protéger les terres agricoles des crues du Nil et de produire de l'électricité. Or des fonds ont d'abord été demandés à la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, puis à l'Union soviétique et aux États occidentaux, mais ces derniers ont suspendu leurs fonds pour plusieurs raisons, notamment la réception d'armes par l'Égypte en provenance du bloc de l'Est.

Les premières rétorsions de la Grande-Bretagne, réticente d'abord au conflit militaire pour ne pas compromettre leurs liens privilégiés avec le monde arabe, sont le gel de certains avoirs égyptiens à l'étranger puis le départ des pilotes européens expérimentés du canal. Par ailleurs, dès le 28 juillet, une radio clandestine se met à émettre en arabe sur une fréquence très proche de la Voix des Arabes et produit une critique en règle de Nasser présenté comme une marionnette des Soviétiques trahissant la nation arabe et faisant le jeu du sionisme. Le repérage goniométrique montrera qu'elle émet depuis la région parisienne[1].

Accords de Sèvres[modifier | modifier le code]

Article détaillé : Protocoles de Sèvres.

Au cours des mois suivant la nationalisation du canal, un accord secret est signé entre la France (Christian Pineau), le Royaume-Uni (Patrick Dean (en)) et Israël (David Ben Gourion) à Sèvres. Leur objectif est alors de renverser Nasser et de récupérer le canal. Les Protocoles de Sèvres stipulent :

« L'État hébreu attaquera l'Égypte le 29 octobre 1956 dans la soirée et foncera vers le canal de Suez. Profitant de cette agression « surprise », Londres et Paris lanceront le lendemain un ultimatum aux deux belligérants pour qu'ils se retirent de la zone du canal. Si l'Égypte ne se plie pas aux injonctions, les troupes franco-britanniques entreront en action le 31 octobre. »

Cet accord, qui devait rester secret, établit le rôle de chaque partie. Les alliés s'accordent pour qu'Israël s'engage militairement contre l'Égypte, laissant le soin à la France et au Royaume-Uni d'intervenir ensuite, en demandant aux deux belligérants de retirer leurs troupes des rives du canal, puis en menant une intervention militaire franco-britannique sur Port-Saïd, connue depuis sous le nom d' « Opération Mousquetaire » [4].

Déroulement du conflit[modifier | modifier le code]

Préparatifs[modifier | modifier le code]

Parmi les plans élaborés par les Britanniques, l'un d'entre eux consistait à couper le flux des eaux du Nil vers l'Égypte, depuis le barrage des Chutes Owen en Ouganda, de manière à endommager le secteur agricole et couper les communications[5]. Les militaires exposèrent ce plan au Premier ministre Anthony Eden six semaines avant l'invasion. Il fut abandonné par crainte qu'il ne provoque de violentes émeutes parmi la population égyptienne, parce qu'il aurait pris des mois à mettre en place et qu'il aurait aussi mis à mal d'autres pays comme le Kenya et l'Ouganda.

Il fut décidé dans un premier temps par le général Hugh Stockwell de débarquer à Alexandrie et prendre le Caire le plus rapidement possible afin de renverser Nasser ; mettant ainsi l'opinion internationale devant le fait accompli. Mais ce fut finalement le projet de débarquement à Port-Saïd - Port-Fouad qui fut arrêté, notamment pour des raisons politiques : le but était avant tout de reprendre le contrôle du canal[6].

Au niveau des forces alliées, 155 bâtiments de guerre dont 5 porte-avions sont engagés : 103 de la Royal Navy, 52 de la Marine nationale française, auxquels s’ajoutent une centaine de bâtiments réquisitionnés, dont 53 français[7].

Invasion[modifier | modifier le code]

Conquête du Sinaï en 1956

Le 29 octobre, Israël envahit la bande de Gaza et le Sinaï et atteint rapidement la zone du canal. Comme convenu lors de l'accord de Sèvres, le Royaume-Uni et la France lancent un ultimatum aux belligérants leur enjoignant de se retirer chacun à plus de 15 km du canal. Nasser, dont la décision de nationalisation du canal avait été accueillie avec enthousiasme par la population égyptienne, rejette l'ultimatum et donne ainsi un prétexte aux forces européennes de s'allier à Israël pour reprendre le contrôle du canal et renverser le régime en place. Le 31 octobre, la France et le Royaume-Uni entament une vague de bombardements sur l'Égypte afin de forcer la réouverture du canal. Bombardant les aérodromes militaires, ils détruisent notamment au sol plus de 260 avions égyptiens. La Jordanie, qui a un accord avec la Grande-Bretagne, interdit d'ailleurs le 1er novembre l'utilisation de son sol pour les avions de la Royal Air Force[8].

Les avions de la base 102 de Dijon depuis la base aérienne de Ramat-David près de Haifa ont participé sous déguisement de l'étoile de David surchargeant la cocarde française à des raids sur l'Égypte. Les Mystère IV étaient assistés par une trentaine de soldats français (arrivés par avions Nord Atlas après escale à Brindisi en Italie et à Chypre), dont la majorité de maintenus sous les drapeaux; ils étaient aussi à Ramat-David et logés sous des tentes près des pistes sous les ordres du capitaine Julien. Après la guerre 18 militaires restent jusqu'en décembre ; ils reviennent par le cargo L'Aquitaine ( Roger ANA ). Le soir du 5 novembre, une partie du 2e RPC français appuyé par des commandos de la 11e DBP de Choc saute près de la ligne de chemin de fer bordant le canal au sud de Port-Saïd, est envoyé sur l'aéroport Al-Gamil, prend le contrôle de la zone et établit un point sécurisé afin d'assurer l'arrivée des renforts aériens. Au matin du 6 novembre, les 40e et 42e bataillons de commandos des Royal Marines britanniques investissent les plages en utilisant les barges de débarquement de la Seconde Guerre mondiale. Leur assaut est soutenu par les salves des navires de la Royal Navy et de la Marine nationale française postés au large et causant d'énormes dommages aux batteries de défenses égyptiennes. La ville de Port-Saïd est touchée par de nombreux incendies et connaît à cette occasion d'importants dégâts mais surtout matériels. Le bombardement d'une raffinerie à Port-Fouad cause un incendie important, et un nuage noir qui recouvre en partie la ville pendant plusieurs jours.

Un Sea Venom de la Royal Navy touché par la DCA après son appontage.

Le 45e commando progresse dans les terres et marque une innovation dans le domaine militaire en faisant usage d'hélicoptères lors des assauts. Cependant, une partie d'entre eux est abattue par les batteries égyptiennes. D'autre part, le commando ainsi que les quartiers généraux subissent des pertes dues à un "tir ami" de la Royal Air Force. Les combats urbains menés lors de cette opération voient les forces alliées freinées par des tireurs embusqués égyptiens.

Les habitants égyptiens, équipés d'armes automatiques et convaincus de l'arrivée de renforts russes, opposent une résistance aux forces européennes. Cependant, devant la rapidité de l'invasion et la suprématie aérienne des commandos, l'armée égyptienne est forcée de capituler. Les commandos prennent alors le contrôle du canal et se dirigent au sud vers Le Caire.

L'action des armées françaises et anglaises[modifier | modifier le code]

Contre l’avis de l’opinion internationale, la France et la Grande-Bretagne préparent une opération militaire d’envergure, baptisée « Musketeer » (Mousquetaire), pour les Anglais et « opération 700 » pour les Français. La mission est de reprendre le contrôle du canal. Le plan (nom de code « Terrapin ») prévoit également une offensive israélienne contre l’Égypte qui débute le 29 octobre. Les États-Unis, en période électorale ne tiennent pas à voir éclater un nouveau conflit. Ils hésitent à respecter un de leur traité du Pacte Atlantique. Le commandement de l’opération est britannique, les Français ne conservant que le commandement de leurs unités, sans pouvoir de décision. Le général Keightley, secondé par l’amiral Barjot, en est le commandant en chef. Le 26 août, une force navale d’intervention est mise en œuvre. La force terrestre est forte de 60 000 hommes, mais seulement 15 000 sont employés. Les Français, commandés par le général de corps d'armée André Beaufre, forment la force « A ».

Les opérations[modifier | modifier le code]

La 1e phase commence le 31 octobre ; par des bombardements d’aviation à partir de Malte et de Chypre puis des forces navales en Méditerranéenne. Le 1er novembre, les alliés repoussent la résolution de l’ONU. Malgré la mise en garde de l’ONU, des États-Unis et de l’URSS, la 2e phase suit à partir du 5 novembre, par une opération aéroportée, baptisée « Amilcar » pour les Français ou « Hamilcar », pour les Anglais. Cette opération aéroportée est composée de 4 bataillons britanniques, qui sautent sur le terrain de Gamil, à 10 km à l’ouest de Port Saïd ; du 2e régiment de parachutistes coloniaux (2e RPC) commandé par le colonel Chateau-Jobert, dit Conan, largué avec une section de la 60e compagnie du génie aéroporté (60e CGAP) sur l’usine des eaux à l’entrée de Port-Saïd et au sud de Port Fouad. La 3e phase termine le dispositif par les principaux débarquements qui ont lieu les 6 et 7 novembre. Le Royaume-Uni est fort de la 3e brigade de commandos des « Royal Marines », d’un régiment de blindé, d’un escadron du génie, de 2 bataillons de la 16e brigade parachutiste. La France aligne le 1er REP, 3 commandos de marine, 2 escadrons de chars AMX, un escadron de chars Patton et trois sections de la 60e compagnie du génie aéroporté. La progression des troupes est freinée par les « magouilles politiques » qui se passent à l’insu des Français, qui fournissent le plus gros de l’effort.

Sous la pression du monde entier, le Royaume-Uni puis la France sont contraints d’accepter un cessez-le-feu. Les troupes de l’ONU débarquent le 27 novembre. Le 22 décembre la force d’intervention quitte l’Égypte. Elle déplore 11 tués et 43 blessés. La Légion étrangère est au sein du dispositif : un escadron du 2e REC, commandé par le capitaine Abraham avec l’adjudant Degueldre comme adjudant d’unité, est intégré au 1er REP à Zeralda, avant de rejoindre la base de départ à Chypre. Avec les autres unités françaises, il a pour mission de s’emparer dans la zone de Port Fouad des points sensibles et de faire la liaison avec les éléments du 2e RPC parachutés au Sud. Le groupement est commandé par le lieutenant-colonel Brothier, chef de corps du 1er REP. Tous les objectifs sont atteints par les compagnies. Le 7 novembre à 8 h, toutes les unités se ressemblent prêtes à marcher vers El Qantara. Une demi-heure plus tard, le cessez-le-feu est ordonné et les troupes doivent rester sur leurs positions et n’ouvrir le feu que si elles sont attaquées. La section du lieutenant Ysquierdo du 1er REP, représente l’avant-garde française d’El Qantara et maintient jour et nuit un poste de surveillance, au PK 37,5, à 800 m des lignes égyptiennes. Fin décembre, les troupes rembarquent à destination de l’Algérie.

Finalement, 11 Français et 22 Britanniques sont tués[9], 130 soldats sont blessés dont 33 Français. On estime que les pertes égyptiennes, essentiellement civiles, s’établissent entre 750 et 1 000 morts dans la zone du canal. Les israéliens de leur côté ont eu 176 tués et un prisonnier[9].

Réactions politiques au conflit[modifier | modifier le code]

En France, le gouvernement Mollet obtient un vote de confiance quasi unanime le 30 octobre, moins l'abstention des communistes et des poujadistes. En revanche, le synchronisme de cette crise avec l’écrasement de l'insurrection de Budapest débouche sur la création d'une nouvelle gauche, qui s'incarne dans le Parti socialiste unifié, rejetant à la fois le communisme et le socialisme dans sa version SFIO[9].

En Grande-Bretagne, au contraire, l'opposition se déchaîne. Les travaillistes, et même une partie des conservateurs, dénoncent le caractère anachronique de cette politique coloniale, et le risque de rupture avec les pays du Commonwealth. Eden est hué à la Chambre des Communes, où les députés lui reprochent de les mettre devant le fait accompli, sans avoir consulté, comme le voulait la coutume, le chef de l'opposition. Les manifestations Law not war (le droit et non la guerre) se multiplient, la plus importante ayant lieu le 4 novembre, juste avant le débarquement. L'inquiétude grandit quand l'interruption du trafic du canal menace les approvisionnements pétroliers.

Cessez-le-feu et retrait des armées[modifier | modifier le code]

Au moment où l'armée israélienne s'empare de la presqu'île du Sinaï et atteint le canal de Suez, une mise en garde très ferme de l'Union soviétique stoppe l'offensive ; Israël doit se replier sur ses frontières de 1949. L'URSS menace la France, le Royaume-Uni et Israël d'une riposte nucléaire[10]. L'OTAN rappelle à l'URSS qu'elle riposterait en ce cas. Les États-Unis, passifs jusque-là, exigent le retrait des forces occidentales pour désamorcer la crise, font monter la pression contre le gouvernement britannique en lançant une attaque monétaire contre la livre sterling et envoient leurs forces navales et aériennes interférer dans le dispositif franco-britannique.

L'Assemblée générale des Nations unies, réunie en session extraordinaire d'urgence du 2 au 10 novembre 1956, adopte des résolutions[11] prévoyant l'intervention de la FUNU (Force d’urgence des Nations unies) dont le but est de remplacer les forces franco-britanniques à partir du afin de restaurer la paix ; ce fut la première opération multilatérale des Nations unies, qualifiée de « première génération ». Dès lors, les « Casques Bleus » étaient nés. Le ministre canadien des Affaires extérieures de l'époque, Lester B. Pearson, a d'ailleurs reçu le prix Nobel de la paix en 1957 pour le rôle qu'il a joué dans l'apaisement de la crise de Suez ainsi que pour son initiative de déployer une force onusienne neutre entre les parties belligérantes.

Conséquences[modifier | modifier le code]

Exil Juif[modifier | modifier le code]

Après la guerre, la communauté juive d'Égypte (soit environ 75 000 personnes) présente depuis plus de vingt-cinq siècles doit quitter ce pays. En effet, le 23 novembre 1956, une proclamation du ministère des affaires religieuses lue dans toutes les mosquées affirme : « Tous les Juifs sont des sionistes et des ennemis de l'État » et promet leur expulsion prochaine[12]. Des milliers de Juifs se voient forcés à quitter le pays avec une seule valise après avoir « fait don » de leurs biens au gouvernement égyptien. Ces Juifs se réfugient en Israël (35 000) ou en France (10 000), une grande partie d’entre eux étant francophones, au Brésil (15 000), aux États-Unis (9 000) ou en Argentine (9 000)[13].

Pénuries d'essence[modifier | modifier le code]

Bon d'essence

À la suite du blocage du canal de Suez par les Égyptiens et de la coupure de l'oléoduc de l'Iraq Petroleum Company par les Syriens, l'essentiel de l'approvisionnement en pétrole de l'Europe est coupé[9]. La France n'est plus ravitaillée en carburants et met en place le 29 novembre un système de rationnement. On ne pouvait obtenir du carburant qu'en présentant des bons d'essence. Ces restrictions se terminent en juillet 1957.

Conséquences géopolitiques[modifier | modifier le code]

L'URSS gagne en prestige au Moyen-Orient et resserre beaucoup son alliance avec l'Égypte. Pour les Soviétiques, la crise de Suez a aussi fait diversion aux évènements de Hongrie où les chars russes écrasent l'insurrection de Budapest le 4 novembre.

Le régime égyptien, malgré la défaite militaire, ressort triomphant de cette crise. La défaite politique de la France malgré la victoire militaire et le triomphe de l'Égypte renforcent le FLN dans sa guerre de libération. Le Soudan, condominium égypto-britannique, accède à l'indépendance. En 1958, l'Irak hachémite et vassal de l'Occident, par une révolution, passe aux pro-nassériens (amis de l'URSS). Le Liban, en 1958, est secoué par une « mini-guerre » civile entre les chrétiens tournés vers l'Occident et les musulmans tournés vers le reste du monde arabe.

La preuve est faite que les pays d'Europe ne sont plus les puissances dominantes dans cette région. Les États-Unis et l'URSS ont tenu à montrer que l'ère coloniale était finie et qu'aucune politique au Proche-Orient ne pouvait se faire sans eux. C’est la fin de la politique de la canonnière.

De plus, en agissant de manière isolée, des pays comme la France et la Grande-Bretagne peuvent être mis en échec par des représailles purement économiques, comme l'a montré l'attaque sur la livre sterling.

La France tire une rancune du retrait des Britanniques — à la suite des pressions américaines — sans avoir averti ses alliés, et du refus des États-Unis d'utiliser son droit de véto pour les défendre.

Nouvelles alliances après la crise[modifier | modifier le code]

La France et la Grande-Bretagne tirent des conclusions opposées. La Grande-Bretagne s'aligne sur la Politique étrangère des États-Unis, devenant son plus proche allié en Europe.

Au contraire, la France conclut qu'elle doit se donner plus de moyens pour pouvoir si nécessaire contrer les USA. D'où la mise au point de la force de dissuasion nucléaire française, dont De Gaulle indique qu'elle est faite pour s'opposer à toutes menaces potentielles (« dissuasion tous azimuts »), sans adversaire désigné, ce qui n'en excluait aucun y compris les États-Unis[14].

De plus, l'alliance entre la France et Israël sort renforcée de cette crise. Cette alliance sera plus tard brisée par la politique arabe de Charles de Gaulle et la guerre des Six Jours.

Israël se conforte comme puissance militaire, l'opération a détruit une partie du potentiel militaire égyptien et la France a renforcé sa coopération militaire avec l'État hébreu avec entre autres la livraison des premiers avions à réaction de l'aviation israélienne (Ouragan, Mystère IV, Vautour,Mirage III), de chars AMX-13 et une coopération nucléaire — don d'un réacteur — conformément au protocole de Sèvres.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Henry Laurens, La question de la Palestine, cours au Collège de France, 29 novembre 2006
  2. Denis Lefebvre, Les secrets de l'expédition de Suez.1956, éd. Perrin, 2010
  3. L'opération est déclenchée lorsqu'il prononce le mot clé Lesseps.
  4. voir plan sur le Site du monde diplomatique
  5. Les Britanniques avaient planifié de couper le Nil: source de la BBC sur base de documents déclassifiés par les archives nationales britanniques
  6. L'expédition de Suez, Général Beauffre, 1967
  7. [PDF] Vision d’ensemble du dispositif militaire franco-britannique.
  8. http://www.persee.fr/web/revues/.../afdi_0066-3085_1956_num_2_1_129...
  9. a, b, c et d Henry Laurens, Cours au Collège de France, La question de la Palestine à partir de 1949, 6 décembre 2006, Consultable en ligne
  10. http://www.cesa.air.defense.gouv.fr/IMG/pdf/La_crise_de_Suez-2.pdf
  11. http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/NR0/752/20/IMG/NR075220.pdf?OpenElement Résolutions 996 à 1003 des Nations unies concernant le cessez-le-feu et l'envoi de Casques bleus
  12. (en) « The Jews of Egypt », Jewish Virtual Library
  13. (en)Dr. Victor Sanua, « The Vanished World of Egyptian Jewry », sur Foundation for the Advancement of Sephardic Studies and Culture,‎ (consulté en 8 novembre2012)
  14. Affaire de Suez, Le Pacte Secret, Peter Hercombe et Arnaud Hamelin, France 5/Sunset Presse/Transparence, 2006

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Paul Gaujac, Suez 1956, Édition Lavauzelle, 1986, (ISBN 2-7025-0156-7)
  • Marc Ferro,1956, Suez. Naissance d'un tiers-monde, Complexe, 2006
  • Air actualité n°596 novembre 2006 p. 57
  • Henri Azeau, Le Piège de Suez, Laffont 1964
  • Général André Beaufre, L'Expédition de Suez, Bernard Grasset, Paris, 1967
  • Denis Lefebvre, Les Secrets de l'expédition de Suez. 1956, Perrin, 2010
  • Louise Richardson, When Allies Differ: Anglo-American Relations in the Suez and Falkland Crises, 1996
  • Robert Henriques. A Hundred Hours To Suez, New York, The Viking Press, 1957
  • Victor Teboul, La Lente Découverte de l'étrangeté, les Intouchables, Montréal : roman sur l'expulsion des Juifs d'Égypte lors de la crise de Suez.