Pour une poignée de circonflexes

Pardonnez-moi, mais quand je vois le mot-clic #JeSuisCirconflexe, je lis plutôt #JeVeuxQueToutResteToujoursPareilCommeCétaitDansMonTempsParceQueDansMonTempsCétaitMeilleur.

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Photo: storkman/Pixabay

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Je me suis levé ce matin avec l’envie de soulever la controverse. Pour le plaisir, comme ça, parce que rien ne divertit plus les chroniqueurs que de voir le lectorat se déchirer autour de leurs écrits. On regarde ça aller avec un sourire machiavélique, en flattant un chat blanc.

J’ai donc jonglé avec quelques sujets (le blackface, l’Islam radical, la vraie ville d’origine de la poutine), avant de trouver LA polémique. Êtes-vous prêt à être fâchés fâchés fâchés? Attachez vos tuques, je fesse fort et en majuscules:

J’AIME LA RÉFORME DU FRANÇAIS ET ÇA NE ME DÉRANGE PAS QUE DES ACCENTS CIRCONFLEXES DISPARAISSENT.

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Non, non. Je suis sérieux: je l’aime bien, moi, la nouvelle orthographe. Amenez-en des ognons, des iles et des nénufars!

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Allons! Vous tenez vraiment à garder à tout prix les accents circonflexes sur ile, hopital, flute et fraiche? Honnêtement (<– ce mot conserve son ^, ça vous rend heureux?), je ne vous comprends pas.

Pardonnez-moi, mais quand je vois le mot-clic #JeSuisCirconflexe, je lis plutôt #JeVeuxQueToutResteToujoursPareilCommeCétaitDansMonTempsParceQueDansMonTempsCétaitMeilleur.

Vous les avez toujours vus écrits ainsi, mais savez-vous pourquoi ces mots ont droit à un petit chapeau pointu, comme si c’était leur fête? Après tout, on ne le prononce pas cet accent… et c’est justement parce qu’il n’est pas là pour ça.

Voyez-vous, avant d’écrire île, on écrivait isle. Avant hôpital, hospital. Avant flûte, fluste. Et avant fraîche, il y avait le mot fraische (même qu’avant fraische, il y avait fresche!). L’accent circonflexe est là pour nous rappeler qu’il y a déjà eu un s. Avant. Un moment donné. Il y a longtemps. Tellement longtemps qu’on ne peut même plus nous le rappeler parce qu’on ne l’a jamais su en premier lieu.

Une partie des accents circonflexes de la langue française sont aujourd’hui aussi utiles qu’une collection de cassettes Beta. Il est temps d’en faire notre deuil. Autrement, on va commencer à ressembler à des accumulateurs compulsifs de la langue, incapables de se séparer d’une vieille boîte d’accents et d’une pile de journaux d’il y a 23 ans, sous prétexte que «ça peut encore servir».

Si ça vous dérange tant de devoir jeter des ^, vous pouvez les recycler en les mettant sur le côté pour en faire en des « ». Sauvons la planète, un circonflexe à la fois.

Dans la besace à arguments des opposants, j’entends aussi souvent celui voulant que «ognon-pas-de-i ou nénufar-avec-un-f, ce n’est pas beau. Ça fait mal aux yeux.»

Si on veut vraiment parler d’esthétisme orthographique, peut-on commencer avec le mot «bru»? C’est clair que ce mot a été conçu par quelqu’un qui n’aimait vraiment pas l’épouse de son fils. Bru. Beurk. Ça n’a même pas besoin de réforme pour être laid.

Pour ma part, j’ai toujours pensé que c’est ce qu’on faisait avec les mots, plutôt que les mots eux-mêmes qui faisaient la beauté de la langue. Et tant pis pour les cruciverbistes enragés convaincus que la langue doit être compliquée pour être valable.

Vous trouvez ça ridicule, nénufar? Pourtant, la graphie ph n’est utilisée que depuis 1932. Ça veut dire que vos arrières-grands-parents ont sans doute été complètement outrés (comme vous!) que leurs enfants apprennent ce ridicule nénuphar-avec-un-ph. Ils ont probablement (eux aussi!) vu ça comme un indice de la fin de la civilisation, le début d’une déchéance certaine. Pourtant, on est encore là.

D’ailleurs, ce n’est pas pour écrire «au son» qu’on ramène le f. C’est pour respecter l’origine persane du mot. Le ph est arrivé dans le portrait parce qu’on a pensé pendant un temps que c’était un mot d’origine grecque. Ce n’est pas le cas.

C’est fou quand même, hein? On dirait que des gens ont pensé à tout ça…

«Personne ne va me forcer à écrire comme ça!», se sont écriés plusieurs, comme s’ils craignaient que la branche armée de l’Académie française débarque chez eux pour les obliger à couper des ognons plutôt que des oignons. N’ayez crainte: vous pouvez encore écrire nénuphar si ça vous branche. Bernard Pivot ne vous enverra pas de lettres de menaces et le fantôme de Maurice Druon ne viendra pas hanter vos nuits.

Tout ça, ce sont des suggestions.

Dans les années 1970, un linguiste sur le LSD (on présume, puisque c’était les années 1970) a proposé le mot gaminet, pour remplacer tee-shirt. Depuis, personne n’a réussi à le placer dans une phrase sans s’écrouler de rire et la dernière fois qu’on a aperçu le mot, il quêtait sur le coin de rue, amer de n’avoir jamais connu le succès.

La même chose pourrait arriver à ognon, nénufar, ile et les autres. Seul le temps nous le dira.

En attendant, pourquoi s’opposer à cette réforme? Ou, plutôt: pourquoi SEULEMENT à cette réforme? Pourquoi ne pas aussi rejeter les précédentes?

Allez jusqu’au bout de vos opinions! Retournez au vieux français! «L’empereur avoit failly sur l’isle, de quoy le roy ne pouvoit avoir la raison.» C’est si beau, c’est si pur. Ça, c’était du vrai français.

Pour ma part, je ne suis pas inquiet. Si la langue française a pu résister à Marie-Chantal Toupin, ce n’est pas une petite réforme qui va la mettre au plancher.

4 commentaires à propos de “Pour une poignée de circonflexes

  1. Excellent article, j’ai bien ri!

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  2. Moi je veux surtout que les amants de la langue française choisissent. Vous voulez que qu’on conserve le français tel qu’il est ou vous voulez que les gens fassent moins de fautes? Parce que, franchement, on ne peut pas avoir trois façons différentes d’écrire le son o (ou le son f) et espérer que les gens ne fassent pas de fautes…

    Votre choix sera le mien.

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  3. Moi, je trouve difficile toutes ces réformes, surtout pour les enseignants(es) car ils devront connaîtres toutes les anciennes et nouvelles façons d’écrire, car dans les 2 cas, ils ne pourront pas donner de fautes. Donc, c’est pour simplifier la langue française, mais pas pour tout le monde!

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  4. Et j’espère que cette réforme va se poursuivre. Regardez l’espagnol qui a su évoluer et faciliter l’apprentissage de cette belle langue. Pourtant c’est une langue latine au même titre que le français.
    Il y a tellement d’aberrations dans notre grammaire que c’en devient frustrant. Pourquoi on n’utilise pas le subjonctif après la locution « après que »? Ça sonnerait vraiment mieux à l’oreille. Pourquoi pas de S au subjonctif de la 2e personne des verbes du 1er groupe? Tous les autres en ont !!!! Et le ridicule c’est que l’on doit en ajouter un pour que ça sonne bien dans « manges-en! ». Malheureusement le ridicule n’a pas tué les fofolles qui se sont amusés à créer ces règles farfelues.
    Vivement une grande réforme à l’espagnol!

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