Des guerriers scandinaves conquièrent l'ouest de la France à la pointe de l'épée, puis en repartent pour se tailler un royaume méditerranéen. Ces hommes du Nord vivent comme des princes d'Orient. Leurs palais s'agrémentent de jardins où l'eau abonde, où croît une végétation luxuriante. Grands bâtisseurs, ils couvrirent la Sicile de bâtiments religieux et profanes où les splendeurs de l'art byzantin se mêlent à celle de l'art arabe.
Quelle n'est pas la surprise du touriste français qui, abordant aux rivages siciliens, y découvre les vestiges d'une civilisation normande aux origines profondément ancrées dans le terroir français ? Même si l'on sait que les Normands ont participé aux croisades et firent souche en Orient, l'on reste incrédule sur les raisons qui ont poussé ces hommes à s'installer sur cette terre italienne, si étrangère à l'histoire française. Après que de terribles hommes du Nord eurent envahi la province que l'on appelle depuis lors la Normandie, après qu'ils s'y furent taillé des fiefs et qu'ils y eurent fait souche, une part nombreuse de leur abondante progéniture, affamée d'aventures, poussée par la recherche de la gloire et de la fortune que leurs familles trop démunies ne pouvaient leur offrir, s'en fut par le monde en quête de destinées nouvelles. C'est à ce moment que des princes de Lombardie, de Capoue, de Salerne, de Spolète, maîtres de l'Italie méridionale, en pleine anarchie et en conflit permanent avec l'autorité byzantine partout présente au sud de la botte, se mirent à engager des mercenaires dont ils avaient besoin pour asseoir leurs prétentions : les Normands constituèrent bien vite la majorité de ceux-ci. Très vite, se louant à l'un puis à l'autre, servant tout à tour Byzantins et Lombards, ces Normands aux qualités éminentes de soldats et peu embarrassés de scrupules, profitèrent du chaos et devinrent maîtres de la ville d'Aversa, près de Naples.
Cette possession devait être le point de départ de la prodigieuse extension de la puissance normande en Italie. Venus d'Hauteville, Guillaume, Dreux et plus tard Robert que sa ruse fera surnommer « Guiscard », partirent à la conquête de toute l'Italie du sud. La papauté en péril, plutôt que de continuer à les traiter en ennemis, en fit ses soutiens, les chargeant de servir l'Église « avec le concours de Dieu et de saint Pierre », contre l'empire germanique, la Byzance schismatique et les états musulmans, en échange d'une reconnaissance officielle et d'un titre de « duc de la Pouille, de la Calabre et de la Sicile à conquérir… ». Lorsqu'en 1057, Roger, douzième fils de Tancrède, arriva à son tour en Italie, aurait-on pu croire que le moment avait sonné de chasser les musulmans qui depuis bientôt trois siècles régissaient la Sicile ? Et aurait-on pu croire encore que de cette troupe de soudards incultes naîtrait bientôt une société qui ferait exemple dans tout le monde méditerranéen, et qui fut la plus heureuse de toute l'histoire de la Sicile depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours ?
Lorsqu'en 831 Palerme tomba aux mains des Arabes, elle ne comptait pas plus de trois mille habitants, mais, en devenant la capitale des émirs musulmans, elle entra dans l'histoire et atteignit pour plusieurs siècles un degré de prospérité inouïe. Un siècle plus tard, en 972, lorsque le voyageur arabe Ibn Okal la visita, elle avait grandi devenant l'une des cités les plus riches et les plus belles de tout le monde musulman. Par la beauté des jardins qui l'entouraient, par l'abondance des eaux qui arrosaient ses alentours, Palerme lui parut une ville incomparable. Il n'y a pas compté moins de 300 mosquées, « nombre que je n'ai jamais vu, dit-il, même dans les villes d'une dimension double et que je n'ai jamais entendu citer même pour Cordoue ». Rien de surprenant à cela si, comme Renan, l'on considère que les musulmans trouvaient ici ce qu'ils avaient dû quitter ailleurs : « des hauteurs de Montréal on dirait la Ghouta de Damas ». Cette civilisation arabe avait atteint un tel éclat que partout dans l'île, les témoignages de son génie étaient présents et même si aujourd'hui il ne subsiste en Sicile aucun édifice intact de cette époque, l'on sait que ceux-ci avaient été nombreux. Tout cela ne périt point lorsque de nouveaux maîtres succédèrent aux princes musulmans. Les monuments de l'époque arabe servirent de modèles aux architectes et ceux qui avaient travaillé pour les émirs portèrent au service des rois normands leur science et l'héritage de leurs traditions. Au XIe siècle la Sicile était divisée entre ses émirs arabes, mais habitée par une population en majorité chrétienne, de culture et de religion grecque. Elle était, comme la définissait un chroniqueur du temps, comme « un corps sans âme ». En mai 1061, Roger passait le détroit et délogeait les musulmans de Messine ; dix ans plus tard, le 10 janvier 1072, il entrait en vainqueur dans Palerme. Dans la cathédrale transformée en mosquée, qui venait d'être restituée au culte chrétien, l'archevêque grec le reçut avec honneur et, raconte un chroniqueur, « beaucoup de bons chrétiens crurent entendre la voix des anges qui doucement célébraient la gloire de Dieu ». Sans doute fallut-il encore dix-neuf ans à Roger pour achever sa conquête. La chute de Palerme n'en marquait pas moins la fin de la domination arabe de l'île ainsi que de l'archipel maltais qu'il libéra du même coup. Voilà comment Roger, « le grand comte de Sicile », titre qu'il s'attribua, installa sa dynastie. Quelques années plus tard, en 1127, son fils Roger II réunissait entre ses mains toute l'Italie méridionale et en 1130 posait sur sa tête la couronne royale, mettant en place une entité politique qui plus tard, sous le nom de royaume des Deux-Siciles, survécut malgré les vicissitudes des temps jusqu'au moment de l'unité italienne.
L'Orient, modèle artistique
De ces rudes conquérants, il n'était pas certain que l'on pût attendre grandeur et tolérance et pourtant la Sicile vit pendant un siècle, le plus beau assurément de son histoire, s'épanouir la civilisation la plus originale, la plus raffinée peut-être qu'ait produite le Moyen Age tout entier. De ces condottieres vainqueurs, avides de gains, tout était à craindre. L'islam avait beaucoup à redouter et l'église grecque peu à espérer de ces princes catholiques, vassaux du Saint Siège. Ce fut la grande gloire des Normands d'apaiser par leur modération les craintes qui existaient. Miracle inouï si l'on pense qu'à la même époque d'autres Normands, ceux d'Angleterre, n'avaient su qu'écraser les Saxons vaincus ! Tout en restant Normands, ils surent se faire byzantins et arabes et donner ici, en plein XIe siècle, un bel et rare exemple de tolérance politique et religieuse. C'est par goût autant que par politique que les vainqueurs se laissèrent séduire par le charme tout puissant de l'Orient byzantin et de l'Orient arabe que la Sicile leur révélait. Bientôt leurs costumes, leurs palais, leurs mœurs et leurs goûts furent ceux des califes de Bagdad, du Caire ou des empereurs de Byzance. Ainsi, dans la mosaïque de la Martorana, Roger II apparaît habillé de pourpre et d'or, comme un empereur byzantin. Dès les premiers jours, Roger, comme les musulmans, fixa sa capitale à Palerme. Le vieux chroniqueur normand Hughes Falcand décrivant la plaine de Palerme était stupéfait d'admiration à la vue de cette végétation exotique et inconnue – grenadiers et citronniers, orangers, palmiers, cannes à sucre… – qui couvrait ce pays béni et dont l'aspect ravissait ses yeux d'homme du nord.
En paix à l'extérieur et à l'intérieur, la Sicile devait dès ce moment connaître un siècle de prospérité prodigieuse. Une industrie active et prospère se développa, industrie de luxe surtout, s'inspirant des leçons de Byzance et des traditions arabes. Les merveilleux bâtiments qu'ils trouvèrent partout firent sur les nouveaux maîtres du pays une grande impression et leur évidente ambition, vu les moyens importants dont ils disposaient, fut d'en imiter les splendeurs, prenant à leurs services les artistes qui travaillaient jadis pour les émirs musulmans. Les rois normands furent de grands bâtisseurs : aux jours mêmes de la conquête, le souvenir de leurs fondations se mêla au fracas des batailles. Dans le royaume pacifié, l'ardeur de leur foi, s'unissant à leurs goûts de luxe et de splendeur, fit sortir de terre les édifices comme par enchantement. Roger II bâtit la cathédrale de Cefalù et la chapelle palatine de Palerme. Il édifia Saint Jean des Ermites et Saint Jacques à Palerme. Il acheva la cathédrale de Messine commencée par son père. Guillaume II fit construire l'admirable Duomo de Monreale et le cloître qui l'avoisine. Les grands dignitaires du royaume ont rivalisé avec leurs maîtres. L'amiral Georges d'Antioche construisit à Palerme l'église Sainte Marie de l'Amiral, le chancelier d'Ajello fonda pour les cisterciens le couvent de la Magione, Majone de Bari construisit san Cataldo à Palerme, l'archevêque Walter of the Mill élève Santo Spirito entreprit l'édification de la cathédrale de Palerme. « Des églises romanes, étincelantes de mosaïques et traitées dans le détail suivant les habitudes arabes ou byzantines, des cathédrales historiées de bas en haut comme les pages d'une Bible resplendissante, des basiliques latines couronnées de coupoles orientales, des chapelles chrétiennes bâties sur des plans de mosquées, Sainte Sophie et la mosquée d'Omar s'associant à Saint Étienne de Caen, voilà ce que la Sicile du XIIe siècle a rêvé et réalisé » (Charles Diehl). Aux édifices religieux se mêlent les constructions profanes. Sur l'emplacement de la résidence des émirs musulmans, Roger II bâtit le palais royal de Palerme et autour de la ville, dans les parcs immenses, des villas charmantes comme la Zisa et la Cuba où parmi les élégances de l'architecture arabe, les rois latins de Sicile vivaient comme des princes d'Orient. Aujourd'hui encore, c'est dans leurs œuvres architecturales et artistiques que survit la splendeur du royaume normand de Sicile.
Les mosaïques, héritage byzantin
L'amiral Georges d'Antioche, émir des émirs, c'est-à-dire premier ministre de Roger II était, bien que syrien et orthodoxe, le commandant de la flotte sicilienne. C'est lui qui, en 1147, ravagea cruellement pour son seigneur les rivages byzantins. Il fonda pour ses coreligionnaires l'église Sainte Marie de l'Amiral. Ibn Djobair qui la visita à la fin du XIe siècle la décrit en ses termes : « Une des œuvres les plus remarquables des chrétiens que nous ayons vues à Palerme, c'est l'église qu'ils appellent de l'Antiochéen. Entre les différentes parties de ce bâtiment, nous avons distingué une très remarquable façade, qui est le plus beau travail du monde. Les murailles intérieures du temple sont dorées, ou pour mieux dire, elles sont toute une pièce d'or. On y remarque des tables de marbre de couleur dont on n'a jamais vu les pareilles, qui sont relevées par des cubes de mosaïque en or et couronnées de branches d'arbre en mosaïque verte. Cette église a aussi un beffroi soutenu par des colonnes en marbre et surmonté par un dôme qui repose sur d'autres colonnes. C'est une des plus merveilleuses constructions qu'on puisse voir. Que Dieu, dans sa grâce et sa générosité, honore bientôt cet édifice par les prières des croyants ». L'église actuelle a perdu un peu de sa splendeur. Attribuée en 1433 à un couvent voisin fondé par Geoffroy de Martorano, elle est connue désormais pour cela sous le nom de « Martorana ». Réparée et souvent restaurée, elle conserve son antique splendeur malgré les pompeuses incrustations de marbre qui furent ajoutées au XVIIe siècle, créant comme dit Renan « des enfantillages du rococo des plus effrénés ». Le pavement de mosaïques et de marbre aux dessins élégants et compliqués permet de déterminer exactement l'étendue et le plan primitif du monument. C'était une pure église byzantine en forme de croix grecque inscrite dans un carré avec une coupole centrale : le fondateur l'avait destinée au culte orthodoxe, auquel elle appartient d'ailleurs jusqu'en 1221. La décoration y était toute byzantine, que ce fût le Pantocrator au sommet de la coupole ou les deux tableaux qui décoraient peut-être la façade primitive où l'on voit, pour l'un, Roger II en costume de Basileus couronné par le Christ et dans l'autre, Georges d'Antioche prosterné aux pieds de la Vierge qui intercède auprès du Christ en ces termes : « Mon Fils, garde toujours de tout malheur Georges, le premier entre tous les grands, qui m'a élevé ce temple depuis ses fondements. Accorde-lui la rémission de ses péchés car seul, ô Dieu, tu en as le pouvoir ».
Au cœur du palais royal, se trouve ce chef-d'œuvre que l'on doit compter parmi les merveilles du monde, la chapelle palatine. Selon Maupassant, elle est « le plus surprenant bijou religieux rêvé par la pensée humaine ». Fondée par Roger II en l'honneur de l'apôtre Pierre, elle fut achevée dès 1132. Elle constitue la synthèse des plus brillantes civilisations méditerranéennes. D'une part, elle emprunte à l'Occident son plan basilical à trois nefs séparées de colonnes antiques réemployées dont la teinte sombre s'éclaire des ors de leur chapiteau. D'une autre part, elle appartient à l'Orient. Byzance a inspiré le haut de ses parois et ses voûtes ; un autre or, celui des mosaïques, apporte aux histoires saintes la dimension de l'infini. Plus haut encore, un extraordinaire plafond de bois peint retombe en fines stalactites, provenant de l'art arabe qui s'exprime également dans les entrelacs de marbre polychrome et les pierres précieuses utilisées à profusion. Comme dans les églises orientales, son chœur surélevé est séparé de la nef par un chancel de marbre décoré ; pour le couronner, une coupole posée sur quatre trompes d'angles représente symboliquement le ciel qui se serait posé sur la terre des hommes. La pure exécution des mosaïques de la Martorana et de la chapelle palatine, les fait attribuer aux maîtres grecs qui travaillèrent pour Roger II. « Ces deux églises, outre l'intérêt qu'elles offrent par elles-mêmes, ont le mérite de faire connaître par l'incomparable série de mosaïques qui les décorent un des plus brillants chapitres de l'histoire de l'art byzantin. Avec les mosaïques de Saint Marc de Venise, les mosaïques siciliennes sont en effet l'œuvre la plus étendue que cet art nous ait laissé, et nulle part on ne peut mieux se rendre compte de ce qu'étaient au XIIe siècle encore à l'époque des Comnène son éclat et sa puissance créatrice » (Charles Diehl).
Comme la chapelle palatine, les jardins frais, riants et magnifiques qui entouraient les résidences royales faisaient l'émerveillement des contemporains. « Je voudrais savoir, dit une chanson populaire de Sicile, où habite l'hiver avant d'apporter sa fraîcheur dans les états. C'est dans les jardins de Palerme, dans le palais de Sa Majesté. » Leur renommée en avait été portée au loin par les voyageurs et les marins. Ces jardins ont disparu, la villa de Cuba a perdu sa coupole et a été bien défigurée par le temps. La résidence de la Ziza demeure, mais les portes et fenêtres percées dans ses arcades l'enlaidissent. Pourtant à l'intérieur se conserve une salle fraîche aux murs tapissés de marbres et de mosaïques aux couleurs éclatantes où se mêlent les figures byzantines et les ornements arabes. C'est là que l'on peut essayer d'imaginer ce que devait être, au milieu des vastes jardins et des eaux courantes, cette magnifique demeure, où l'on lit encore, dans une inscription en caractères khoufiques « c'est ici le paradis terrestre qui s'ouvre à tes yeux. Ici règne le roi qui aspire à la gloire et ce château s'appelle le glorieux. » Le glorieux, qui se dit en arabe el Azie, est à l'origine de l'appellation de Ziza donnée encore à cette villa normande que beaucoup ont comparée pour ses jardins, ses plans d'eau et le caractère fastueux de sa décoration à l'Alhambra de Grenade. Le règne de Roger II avait marqué l'apogée de cette politique tolérante dont l'art était l'une des plus brillantes manifestations. Lorsqu'en 1189, le dernier roi normand descendit dans la tombe, la politique de conciliation qui avait fait du XIIe siècle la grandeur de la Sicile disparut sans retour.
L'art normand s'occidentalise
San Cataldo, bâti en 1161, est le dernier monument où se reconnaisse la main d'architectes arabes. Par la suite, les créations nouvelles sortiront des mains et du génie d'artistes et artisans français et italiens. Cette nouveauté était cependant à l'œuvre depuis longtemps. Une légende raconte qu'en 1129, Roger II, revenant de Naples en Sicile, fut assailli par une tempête et fit vœu, s'il échappait à la mort, de bâtir une église à l'endroit où il toucherait terre. Bien que l'on n'ait pas de trace historique de la véracité de cette légende, l'on sait que c'est en 1145 que fut entamée la construction de la cathédrale de Cefalù. Tandis que dans la plupart des édifices religieux de Palerme, les influences occidentales ne se manifestaient guère que d'une manière assez discrète, la cathédrale de Cefalù au contraire exprime dans ses traits essentiels l'œuvre d'architectes purement normands. Sa décoration de mosaïques compte néanmoins parmi les plus anciennes de l'île. Ce n'est pas le moindre intérêt qu'offre cette cathédrale de nous montrer dans un monument français, bâti par les ouvriers français, une décoration byzantine qui, à cette époque dans toute la Méditerranée et l'Europe occidentale, était partout imitée.
À quelques kilomètres de Palerme, sur les hauteurs qui surplombent la ville dans un lieu où jadis les rois normands avaient un parc de chasse et qui fut pour cela nommé le « mont royal » (Monreale), la légende raconte que le roi Guillaume II s'étant un jour endormi vit la Vierge lui apparaître en songe. Après l'avoir exhorté à travailler à la gloire de Dieu, elle lui révéla un endroit où il trouverait un trésor autrefois caché par son père, mais en échange, elle lui faisait promettre de consacrer cet argent à une pieuse fondation. Le trésor découvert, le souverain s'employa à construire l'abbaye bénédictine et l'église de Monreale. Elle fut de suite considérée par les contemporains comme une des merveilles du monde. Le pape Lucius déclara dans une bulle que depuis l'Antiquité il ne s'était rien fait d'aussi admirable et les chansons populaires de Sicile se font encore l'écho de cette admiration, puisque, dans celles-ci, quand un amoureux imagine un palais merveilleux pour sa belle, c'est à un édifice comme Monreale qu'il songe « je voudrais faire un palais de marbre, d'or, d'argent et de pierres précieuses comme celui que l'on a fait à Monreale ». Le grand incendie de 1811 qui détruisit en partie l'édifice, ne permet plus de constater parfaitement ce qu'il était lors de sa construction. Cependant, la plus grande part fut accordée aux influences occidentale et latine. Malgré la présence dans l'ornementation de mosaïques polychromes, l'édifice fait penser surtout à l'art roman du nord de l'Europe. L'essentiel de l'influence arabe a disparu et l'apport byzantin, strictement limité à la décoration intérieure, a dû être réalisé par des artistes locaux ; peut-être devons nous reconnaître ici la part prépondérante que le clergé latin prenait dans la vie du royaume et y voir la fin de cet éclectisme artistique qui avait fait la grandeur du règne de Roger. À côté de la cathédrale se trouve le beau cloître que Guillaume fit construire pour les moines bénédictins de son abbaye. 216 colonnettes géminées soutiennent les arcades ogivales aux courbes décorées d'incrustations de mosaïques. Chacune de ces colonnettes est une pure merveille. Nulle ne ressemble à sa voisine. Ici d'élégants rinceaux s'enroulent sur la surface du marbre. Là des mosaïques s'incrustent en entrelacs et en spirales. Sur les chapiteaux se développe pareillement une floraison merveilleuse où l'imagination des artistes s'est donné toute liberté dans la poésie et la fantaisie de l'époque. Ce sont tantôt des épisodes de l'Ancien Testament ou bien des scènes de la vie du Christ, des images de saints, de prophètes ou d'évangélistes, des figures allégoriques ou symboliques, ou bien encore des représentations profanes des scènes de chasse ou de guerre. Nous avons ici une œuvre qui n'a plus rien de sicilien, c'est le talent créateur des sculpteurs du midi de la France qui s'exprime comme à Saint-Trophime d'Arles où à Saint-Pierre de Moissac. Sur l'un de ces chapiteaux, le roi Guillaume est représenté, offrant l'abbaye à la Vierge et au Christ. Au-dessus de cette scène est gravée la dédicace : « Ô roi qui gouverne toute chose, reçois les dons du roi de Sicile ». Bientôt ces rois normands de Sicile avec leur caractère si original allaient disparaître. Ils seront remplacés sur leurs terres par des princes allemands, les Hohenstaufen, et si même avec Frédéric, « ce César de Sicile et ce sultan des Pouilles », comme l'appela Charles Maurras, l'esprit des souverains normands survécut encore quelque temps, une page d'histoire était tournée, une nouvelle culture, une nouvelle civilisation s'enracineront.
Palerme et Syracuse Charles Diehl Les villes d'art célèbres H.Laurens, Paris, 1907 |