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La céramique

 

Du IVe au VIIe siècle, les potiers en activité dans l’Orient chrétien sont les héritiers de leurs collègues romains. Ils fabriquent de la vaisselle de table, surtout des sigillées, des céramiques culinaires et des amphores selon des techniques et des modèles empruntés au monde romain.

À partir du VIIe siècle, les artisans constantinopolitains appliquent une glaçure au plomb sur la vaisselle à pâte blanche qu’ils produisent. Peu à peu, ils s’affranchissent de la tradition romaine pour réaliser, du IXe au milieu du XVe siècle, des céramiques de transport, de stockage, de cuisine et de table, à pâte rouge de types différents. Dans les domaines technique, stylistique et iconographique, les potiers byzantins empruntent peu à leurs confrères étrangers, ils utilisent des procédés de fabrication et de décoration simples qui perdurent sans changement ni innovation majeure durant ces neuf siècles. Les apports extérieurs, venus du monde islamique et de l’Occident chrétien, sont très limités.

 

À la fin du XIIe siècle, un nouvel outil apparaît dans les ateliers byzantins, la pernette ou trépied, un petit support à arêtes vives, modelé à la main ou moulé qui, intercalé entre les formes ouvertes, facilite leur empilement lors de l'enfournement. Des tessons de pièces manquées disposés entre les objets contiguës et de petits cylindres d'argile grossière permettaient d'éviter les collages inopinés ; ils sont en partie remplacés par les pernettes dont l'utilisation à Byzance se généralise sans toutefois devenir systématique. L'emploi de cette cale tripode est très antérieur en Extrême-Orient puisque des productions chinoises en possèdent déjà les marques vers 220 de notre ère. C'est vraisemblablement par l'intermédiaire de marchands musulmans que cet outil est introduit au Moyen-Orient. Au IXe siècle, les poteries iraniennes dites « trois couleurs » affichent les trois marques d'arrachement caractéristiques et leur usage est attesté, au Xe siècle, à Suse en Mésopotamie ainsi qu'en Asie Centrale dans les ateliers de la forteresse de Samarcande. Dans le Levant, les potiers recourent à cette cale au XIIIe siècle et, en Egypte, seulement au XIVe.  Les barres d’enfournement, trouvées à Serres en Macédoine, indiquent pour leur part qu’un four de type islamique est en usage dans le monde byzantin à la fin du XIIIe - début du XIVe siècle alors que la céramique réalisée dans cet atelier reste une production de tradition byzantine.

 

Au milieu du XIIIe siècle, l’engobe blanc, l’incision et la glaçure plombifère passent des ateliers byzantins aux officines italiennes de Ligurie et de Vénétie - régions qui entretiennent des contacts étroits avec Byzance à cette époque - dans lesquels sont fabriquées les Graffite arcaiche tirreniche de Savone et la vaisselle de types San Bartolo et Spirale cerchio de Venise. Les potiers à Byzance ne sont pas restés hermétiques aux influences stylistiques venues du monde  musulman.

La première manifestation d'une inspiration orientale dans la poterie byzantine remonte aux Xe - XIe siècles, les Polychrome Painted Ware sont en effet ornées d’éléments décoratifs d’inspiration sassanide qui apparaissent sur la poterie par l'entremise des soies de luxe byzantines dont l'iconographie, à cette époque, est très marquée par le répertoire iranien contemporain qui prolonge une tradition sassanide. À la fin du XIe siècle, à Corinthe, des céramiques peintes à l’engobe rouge, fabriquées localement, semblent être des copies de faïences islamiques peintes au lustre métallique même si les techniques employées ne sont pas les mêmes.

Une influence des productions de la Perse occidentale des Xe - XIe siècles est perceptible dans la production de vaisselle byzantine au XIIe siècle au travers de la composition des décors et de l’iconographie des céramiques de type sgraffito. L’absence de modèles perses sur le sol byzantin pose le problème du mode de transmission des décors et/ou du savoir-faire qui s’est opéré à travers d'autres intermédiaires que la poterie ou qui résulte du transfert d'artisans. Les importations de vaisselle d’origines étrangères sont souvent une source d’inspiration pour les potiers mais, s’il existe effectivement un commerce de céramiques dans l’Empire byzantin, il ne semble guère avoir influencé les artisans peu enclins à modifier ou adapter leur production.

Entre le XIIIe et le XVe siècle, les proto-majoliques de Campanie et des Pouilles, les Ramina Manganese Rosso, les Roulette Ware, Spirale-cerchio et Metallic Ware puis les Graffita, fabriquées dans les ateliers de Venise et sa région, sont commercialisées sur les sites de Grèce passés sous contrôle franc ou qui entretiennent d'étroites relations politiques ou économiques avec l’Italie. Ces vases sont transportés par les flottes qui appareillent des ports de Venise, de Brindisi et d'Otrante, des têtes de pont vers l'Orient mais aussi des centres de fabrication de vaisselle. Les faïences peintes au lustre métallique et au bleu de cobalt, produites dans les ateliers de la région de Valence en Espagne, aux XIVe et XVe siècles, largement distribués en Méditerranée orientale, apparaissent en faible quantité à Byzance et sont principalement attestés en Grèce sur des sites qui sont en contact avec les Catalans au XIVe siècle. Très rares en Grèce et à peine plus nombreuses en Anatolie, les découvertes de poterie orientale apparaissent en faible quantité dans la capitale de l'Empire. Les productions de l'Egypte fatimide puis mamluke sont tout à fait exceptionnelles alors que les céramiques fabriquées en Syrie du Nord à l'époque ayyubide, majoritairement représentées par les productions de Raqqa, sont plus nombreuses. Les céramiques perses seldjukides constituent l'essentiel du matériel islamique importé. Ce sont des coupes et des carafes au décor en relief moulé, découpé ou incisé sous une glaçure alcaline opaque, blanche ou turquoise, de quelques coupelles de type minaï originaires des ateliers de Rey et Kâshân et de plats de type lakâbi. L'importation de cette vaisselle à Byzance trouve vraisemblablement son origine dans l'installation en Anatolie des Turcs seldjukides, ces derniers étant de grands amateurs de vaisselle décorée.

Certaines catégories de céramique de table byzantine sont aussi l’objet d’un commerce à destination de l’Italie et des Etats francs du Levant. Les découvertes de vaisselle byzantine sont principalement localisées dans les grandes villes marchandes, en particulier à Venise. Au XIIe siècle, elles remplacent les productions islamiques du Maghreb, de Sicile et d'Egypte qui furent à cette époque fort prisées dans la péninsule. Au Proche-Orient, ce sont aussi des céramiques byzantines des XIIe et XIIIe siècles qui sont commercialisées dans les Etats francs en faible volume. Leur distribution est essentiellement côtière.

V. F.

 

Techniques de la céramique

La céramique est l’un des arts majeurs de la civilisation islamique, et c’est de loin le matériel le plus représenté sur les divers sites archéologiques. Si les objets usuels non glacés, souvent non décorés, sont les plus fréquents, bien d’autres sont aussi exhumés : objets d’utilité courante mais glacés, productions plus luxueuses ornées selon des méthodes parfois très sophistiquées et même éléments de revêtements muraux.

Les formes et les techniques traditionnelles ayant tendance à se perpétuer, il est souvent impossible de distinguer la céramique des tout premiers temps de l’hégire de celle des périodes précédentes. Très vite cependant, les potiers musulmans tirèrent des effets nouveaux de techniques déjà connues dans le monde romain, l’Iran sassanide et l’Égypte. Ils furent à l’origine de plusieurs procédés décoratifs et d’un répertoire qui, même influencé par les productions locales et celles apportées par les voies commerciales comme la Route de la Soie, devint rapidement emblématique d’un style considéré comme « islamique ». Style et techniques jouèrent un rôle important d’intermédiaires entre la céramique d’Extrême-Orient et celle de l’Europe où se développa même, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, un style orientalisant inspiré de modèles divers – céramiques, verres, textiles – originaires des terres d’Islam.

Procédés de fabrication de la céramique

La pâte

Fabriquée à partir d’un mélange de divers matériaux, sa couleur varie. Elle subit plusieurs opérations, nécessaires à faciliter la mise en forme et la cuisson. Il existe deux types principaux de pâtes, qui, dans les périodes de transition, subirent des variations : la pâte argileuse et la pâte siliceuse.

La pâte argileuse est constituée en majorité d’argile et de 45 à 50 % de silice (sous forme de silicates). Selon les impuretés qu’elle contient, sa couleur varie du blanc-gris au jaune pâle et même au rouge foncé. Le plus souvent, afin de faciliter le malaxage, le séchage et de diminuer le retrait à la cuisson, il est nécessaire d’ajouter un dégraissant (sable, calcaire). Les blocs d’argile, concassés et humidifiés, subissent des malaxages successifs jusqu’à l’obtention de la consistance désirée et sont ensuite divisés en grosses galettes. Vient alors la phase du « pourrissage », dans un local clos et humide, qui peut durer plusieurs semaines ou même quelques années. Avant usage, intervient un dernier malaxage.

La pâte argileuse fut constamment utilisée au cours des siècles.

La pâte siliceuse est constituée de 80 à 95  % de silice et sa couleur varie du blanc au blanc grisâtre ou au rose très pâle. Peu plastique, il est nécessaire d’y ajouter un liant organique (argile plastique, gomme) pour procéder à la mise en forme, souvent par moulage. Dans son traité de 1301, Abû’l Qasim, descendant d’une longue lignée de potiers de Kâshan, en donne la recette confirmée par des analyses de laboratoire : dix parts de galets de quartz finement broyés et pulvérisés, une part de fritte (galets de quartz et soude extraite de cendres végétales), une part d’argile blanche plastique. C’est au XIIe siècle que les potiers musulmans redécouvrirent et généralisèrent l’emploi de cette pâte, très répandue dans l’Antiquité, en Égypte et en Mésopotamie, mais qui connut une éclipse de plusieurs siècles. En Iran, selon la quantité de fritte ajoutée à la pâte, on pouvait obtenir des objets très durs et translucides qui préfigurent la porcelaine tendre mise au point en Europe au XVIIIe siècle.

La mise en forme de l’objet

Elle peut se faire de plusieurs façons, selon l’usage de la pièce et la pâte.

La technique la plus primitive est le modelage à la main, pour des objets très simples ou des accessoires de pièces moulées ou tournées (anses, becs…). Le tournage, procédé inventé probablement au IVe millénaire av. J.-C., se fait au tour ; il se compose d’une roue inférieure actionnée au pied et d’une roue supérieure portant le plateau sur lequel est posée la terre. Le potier agit par un mouvement de rotation régulier. Selon la forme de l’objet ou la pâte utilisée (siliceuse), l’objet est fabriqué au moule. La pâte est pressée dans un moule en une ou plusieurs parties, raccordées ensuite par de l’argile décantée, la barbotine. La pièce, encore humide, subit un polissage, avec la main mouillée ou un instrument lisse (galet).

Le traitement de la surface de la céramique glacée

Pour donner à la surface de l’objet une couleur différente de celle de la pâte ou l’unifier, le potier le plonge, avant cuisson, dans un bain d’argile dilué, l’engobe. À partir du XIVe siècle, certaines productions à pâte siliceuse furent recouvertes d’un engobe siliceux.

Afin de rendre l’objet, engobé ou non, imperméable, le décorer et lui donner un aspect brillant, il est ensuite recouvert d’une glaçure, dont on distingue, selon le fondant employé, deux types principaux, déjà utilisés avant l’Islam. La glaçure alcaline, qui s’altère facilement, contient des oxydes alcalins et alcalino-terreux. La glaçure plombeuse, à base d’oxydes de plomb, s’altère beaucoup moins. L’une et l’autre furent employés en fonction des effets recherchés, ainsi que des formules intermédiaires.

La glaçure est naturellement transparente et incolore. Selon les besoins, elle peut être colorée par adjonction en petites quantités d’oxydes métalliques, qui résultent du broyage et de la pulvérisation de certains minerais, du grillage d’autres dans des fours spéciaux. La couleur obtenue et son intensité varient en fonction de la glaçure et de la quantité d’oxydes, dont les plus courants sont : le cuivre (qui donne du bleu avec une glaçure alcaline et du vert avec une glaçure plombeuse), le cobalt (bleu soutenu), le manganèse (aubergine, clair ou foncé), le fer (différentes couleurs, vert, jaune, rouge), l’étain (blanc, mais jaune en présence de plomb). Selon les époques et les régions, d’autres oxydes furent utilisés, tel l’antimoine en Tunisie au XVIIIe siècle.

Dès la fin du VIIIe siècle, pour imiter sans doute les productions chinoises qui provenaient par les voies terrestres et maritimes surtout, dans l’empire abbasside et jusqu’en Arabie, les potiers cherchèrent à opacifier la glaçure. L’analyse des objets du IXe siècle témoigne des tâtonnements des artisans mésopotamiens. Dans certains cas, l’opacification n’est qu’apparente, due à la fusion incomplète de la glaçure alcaline. Dans d’autres, une belle couleur blanche est obtenue par l’adjonction d’étain (2%), mais la glaçure adhère mal au support, « s’écaille ». Finalement, un résultat satisfaisant provient de la rencontre de la glaçure plombeuse et de l’oxyde d’étain. La pâte étant argileuse, l’objet est alors une véritable faïence. Très rapidement, avec plusieurs siècles d’avance sur l’Europe, cette technique se répandit de l’Iran à l’Espagne, avec toutefois des variantes dans la mesure où l’étain n’est pas présent partout.

La glaçure, dont la couleur se révèle à la cuisson, est alors appliquée sur l’objet, de différentes manières : sous forme du mélange des composants qui, en fondant, forment une couche vitreuse ; sous forme de verre pulvérisé qui fond une seconde fois lors de la cuisson et forme un revêtement plus homogène ; enfin sous forme de suspension aqueuse, au pinceau, par aspersion ou par immersion.

Après séchage, l’objet est prêt à être enfourné pour la cuisson.

La cuisson

Les fours découverts sur plusieurs sites sont en général circulaires et à flammes directes. Les parois sont très épaisses et la construction s’enfonce profondément dans le sol. Dans certains cas, ils sont à flammes renversées, comme à Bâlis-Meskeneh, en Syrie du Nord. Le même site a livré de rares fours plus petits, aux parois en terre réfractaire, destinés à la cuisson des objets souvent appelés éolipiles, mais dont on sait qu’ils eurent diverses fonctions. Les textes mentionnent des fours spéciaux, plus petits, destinés aux objets nécessitant une deuxième cuisson, à l’abri des flammes directes. S’agissait-il de fours à moufle (double paroi) ou de fours avec un aménagement particulier ?

L’enfournement nécessite beaucoup de soins. Afin de séparer les pièces les unes des autres et de favoriser une bonne répartition de la chaleur, plusieurs solutions sont utilisées, nécessitant la fabrication préalable d’instruments spécifiques, dont on retrouve les vestiges dans les zones de potiers fouillées : bâtons d’enfournement, fichés dans les parois, trépieds et disques, pernettes (qui laissent parfois des arrachements dans la glaçure), cazettes pour les pièces délicates. Selon les possibilités locales et les nécessités techniques, le combustible utilisé diffère.

La cuisson demande une grande surveillance et comporte plusieurs phases. D’abord lente, elle est ensuite poussée, selon la nature de la pâte, jusqu’à 900-1100°C (pas plus de 600°C pour une seconde cuisson). Plusieurs jours sont nécessaires au refroidissement de la charge, avant d’ouvrir le four. Les résultats escomptés ne sont pas toujours satisfaisants. Un mauvais enfournement ou une cuisson mal conduite ont pour conséquence l’affaissement, la déformation, l’éclatement des pièces et aussi leur adhérence les unes aux autres en raison de la couleur de la glaçure.

Ces ratés de cuisson, laissés sur place, sont particulièrement intéressants pour les archéologues, car ils permettent d’attribuer une production à un atelier. 

M. B. -T.


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