Les cerveaux piratés du livre numérique

Le 9 novembre 2012

Aux assises du livre numérique, il était question de livres indisponibles, de prêts de livres numériques en bibliothèque, mais aussi de piratage et moyens de protection. Avec une grosse impression d'obsession latente et d'impression de déjà-vu. Récit.

Vincent Montagne, président du Syndicat national de l'édition - Photo par Claire Berthelemy (cc)

Hier avaient lieu les 9e assises du livre numérique, organisées par le Syndicat national de l’édition (SNE) à l’Institut Océanographique de Paris. La salle – pleine – a donc eu le privilège d’assister à trois conférences : le livre numérique en bibliothèque, les livres indisponibles, et les DRM/MTP1. Avec, en bonus, les résultats du sondage SNE/SGDL2/SOFIA et OpinionWay sur les usages du numérique.

Le piratage comme baseline

Les DRM et MTP et leurs enjeux, la dernière conférence de la journée, tombait à point nommé alors que le Syndicat national de l’édition et 6 éditeurs dont Albin Michel, Hachette et Editis entre autres portent plainte contre la TeamAlexandriz, site de mise en ligne de livres numériques, pour l’amour de l’art et des livres gratuits et “bien numérisés”.

Livraison de trouille chez les éditeurs numériques

Livraison de trouille chez les éditeurs numériques

Le marché du livre numérique n'en finit pas de promettre mille merveilles. Les éditeurs (petits, moyens ou gros) observent ...

“Quels enjeux pour la protection ?” (vaste question), laissait en réalité apparaître en filigrane de toute la journée la crainte – qui a secoué en amont l’industrie du disque et touche l’industrie de l’édition, sans possibilité de quantifier – celle du piratage. Tout au long de la journée, a été évoquée cette peur latente pour les éditeurs de voir les oeuvres spoliées et distribuées gratuitement, courant à leur perte. Comme le numérique aurait tué l’industrie du disque, le piratage en premier responsable, tuerait celle du livre.

Vincent Montagne, président du SNE entamait la journée par une courte introduction en apostrophant les géants du Net – qui n’étaient pas présents – et déclarait surtout l’ouverture des hostilités contre les pirates-pilleurs :

Face à la gratuité, le droit d’auteur n’est pas un obstacle à la diffusion des connaissances mais la juste rémunération de la propriété intellectuelle. Pourquoi le travail de l’esprit aurait moins de valeur que la production de matériel ?

Le bouquin livré à son destin

Le bouquin livré à son destin

Le marché de l'édition numérique balbutie en France mais certains semblent se placer petit à petit sur l'échiquier. ...

On vous offre ici la métaphore de l’éditeur et du jardinier, le “métier est complexe et aux multiples facettes, il s’efface devant ce qu’il promeut comme un jardinier qui planterait une graine qu’il aiderait à grandir, jusqu’à devenir un arbre magnifique et solide”. De rien c’est cadeau et c’est joliment dit.

Mais très vite, la baseline de la journée s’est surtout reposée sur cette assertion du président du SNE : “nous défendons le droit d’auteur contre le piratage et le mythe de la gratuité”. On l’aura compris le mal est un pirate. Même si se remettre en question comme peuvent l’expliquer certains éditeurs à Owni est en cours d’élaboration, la prégnance de la peur du piratage, qu’on pourrait voir comme sporadique est bien là. Et bien ancrée. Comme l’industrie musicale, qui a déclaré la guerre à toute une génération de jeunes, les éditeurs se tournent à présent vers la répression. Et ont fini par récemment attaquer la TeamAlexandriz, dont la manifestation sauvage sur Twitter a rassemblé (au départ) des comptes majoritairement inactifs ou presque, un ou deux abonnés, un ou deux tweets à leur actif3.

Des comptes “plus sérieux” se sont ensuite joints au hashtag #aln et ils ont dénoncé l’inaction des éditeurs, la pauvreté du catalogue légal et la qualité des ouvrages. En y ajoutant #alexandriz.

L’illicite minoritaire

Mais Geoffroy Pelletier, intervenant au cours du bonus-sondage “les usages du numérique”, et par ailleurs délégué général de la Société des gens de lettres (SGDL), l’exprimera pourtant assez rapidement :

L’illicite minoritaire, c’est 4% seulement de peer-to-peer pour l’acquisition de livres numériques et 1% en streaming, contre 41% d’achats sur Amazon, Apple et Google (28% pour la Fnac, Cultura et autres). Dans le même sondage, 17% des lecteurs de livres numériques ont déjà eu recours à une offre illégale de livre numérique. Parce que l’offre légale est trop chère (pour 69%) et que l’offre numérique légale n’était pas disponible (40%). De façon minoritaire, le piratage concerne les lecteurs ayant un problème d’usage lié aux DRM (14%).

L’empire contre attaque avec des DRM

Dans cette conférence pour le moins attendue et “alléchante” est intervenu pour les problématiques techniques des DRM, Bill Rosenblatt de GiantSteps. Qui a passé quelque temps sur le côté technique des moyens de protéger les oeuvres immatérielles contre les pirates. Jean Martin, avocat conseil pour le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) – celui qui s’est étouffé au moment où le SNE a déclaré qu’il portait plainte contre la Team AlexandriZ – s’est quant à lui exprimé sur les enjeux juridiques de ce type de protection.

“Aujourd’hui la définition est plus succinte : c’est une technologie [les DRM] qui utilise le cryptage pour protéger du contenu numérique d’utilisation non autorisée”, a attaqué Bill Rosenblatt avant de passer à l’histoire des DRM, les technologies découlant aujourd’hui de celles qui étaient en cours dans les années 90. Un petit décalage pour Le Labo de l’édition :

Le système n’a pas changé donc. Rien de rassurant, mais d’un point de vue marketing, les ouvrages sans-DRM peuvent aussi être un argument de vente. Et si à l’origine les watermarks (filigrane) ou empreintes sont deux procédés techniques différents, pour Bill Rosenblatt, le système de surveillance (utilisé notamment par Hadopi permet de vérifier les contenus non autorisés) ne sont pas des systèmes de protection et sont “easy to circumvent”, autrement dit facilement hackable, en général, quel que soit le média. Et il précise même :

Les filigranes pour les ebooks sont faciles à hacker.

En attendant, qu’ils soient facilement hackable ou pas, les DRM, qualifiées de “ralentisseurs de rues pour les hackers” par Rosenblatt, provoquent un certain nombre de difficulté d’interopérabilité notamment. Et de conclure :

Les éditeurs qui croient dans les DRM présupposent que ça ait une utilité même si elle est difficile à mesurer.


Photo par Claire Berthelemy pour Owni (cc)

  1. moyens techniques de protection []
  2. Société des gens de lettres []
  3. de vrais comptes []

Laisser un commentaire

  • Nicolas le 9 novembre 2012 - 17:12 Signaler un abus - Permalink

    J’espère que les éditeurs se rendent compte qu’un livre sous DRM est “moins bien” qu’un livre simple (problème d’interopérabilité, d’intervention à la “1984″ d’amazon). Donc, ils cherchent non seulement à faire payer, mais aussi à vendre un truc un peu pourris. Le seul pigeon est donc le gars qui paye.

    Or celui qui paye devrait être mieux traiter que le receleur, avec un prix correct, pas supérieur à ce qui se fait sur papier, sans DRM et un catalogue exhaustif.

    • Vous aimez
    • Vous n'aimez pas
    • 0
    Lui répondre
    • corrector le 11 novembre 2012 - 10:50 Signaler un abus - Permalink

      En effet : pour booster les ventes d’un produit, en principe on l’améliore. Dans ce monde très spécial, on le rend moins bon.

      Et ça prétend faire parti des “intellectuels”… pauvre de nous.

      Il faut admettre que les éditeurs ne sont pas plus intellectuels que des financiers et ils n’ont pas d’autre but que les financiers : gagner de l’argent (ce qui en soi n’est pas condamnable).

      Mais il ne faut pas la ramener avec la culture dont ils se moquent éperdument.

      • Vous aimez
      • Vous n'aimez pas
      • 0
      Lui répondre
      • farfadet le 14 novembre 2012 - 16:13 Signaler un abus - Permalink

        Attaque facile et assez loin de la réalité, de nombreux éditeurs font cela par passion. Évidemment dès qu’un éditeur a la taille d’une multinationale, il n’a plus la même approche du marché qu’une TPE.

        • Vous aimez
        • Vous n'aimez pas
        • 0
        Lui répondre
        • corrector le 14 novembre 2012 - 16:21 Signaler un abus - Permalink

          Désolé pour les petits qui font ça avec passion.

          Mais tout ce que j’entends, c’est le discours d’épiciers aigris, de jaloux, anti-Google, anti-net, anti-prêt, anti-interopérabilité, anti-tout … des gros. D’où mon commentaire peut-être caricatural, mais pas moins que certains discours des gros éditeurs.

          Il faut que les autres se fassent entendre!

          • Vous aimez
          • Vous n'aimez pas
          • 0
          Lui répondre
    • farfadet le 14 novembre 2012 - 16:24 Signaler un abus - Permalink

      Quand un ouvrage a été prévu dès le départ pour être vendu au format numérique, il est de meilleure qualité que la version papier : navigation dans la table des matières, l’index, etc… plus toutes les options des logiciels de lecture : annotation, lecture vocale, etc…

      Attention ne vous attendez pas à des miracles : avec le passage à la TVA unique, pour la loi française (le code des impôts en tout cas), un eBook n’est pas un livre enrichi avec du contenu multimédia (par ex.) mais bien la version numérique de ce qui existe en version papier.
      Typiquement une appli mobile tiré d’un ouvrage (un dictionnaire par ex.) n’est pas un eBook.

      Mais si on parle d’ouvrages plus anciens (chez certains éditeurs, c’est l’année dernière), effectivement il y a de la perte quand on passe au numérique.

      Une petite anecdote (c’est du vécu) : certains eBooks ont des figures de mauvaises qualités car c’est le cas de l’original papier, à une époque (pas si lointaine) où les imprimeurs n’étaient encore entièrement numérisés.

      • Vous aimez
      • Vous n'aimez pas
      • 0
      Lui répondre
  • Jean-François Declercq le 9 novembre 2012 - 19:05 Signaler un abus - Permalink

    Je ne suis pas d’accord sur l’affirmation “les filigranes sont facile à enlever”. J’ai discuté avec le développeur de booxstream qui marque les ebooks de pottermore, et je peux vous dire qu’il y a plus d’un filigrane. Même avec les explications je ne suis pas certain que je pourrais les enlever tous…

    • Vous aimez
    • Vous n'aimez pas
    • 0
    Lui répondre
    • farfadet le 14 novembre 2012 - 15:34 Signaler un abus - Permalink

      Le tatouage sur ePub est très simple à enlever, comme c’est du html compressé, il suffit de virer tous les commentaires.
      Et pour le pdf, il suffit de faire une double conversion postscript puis pdf.
      Évidemment, ça ne marche que s’il n’y a que du texte. Sur des images, c’est une autre paire de manche.

      • Vous aimez
      • Vous n'aimez pas
      • 0
      Lui répondre
      • corrector le 14 novembre 2012 - 15:37 Signaler un abus - Permalink

        Tu es sûr pour le PDF? Comment est stocké l’identifiant?

        C’est un très mauvais tatouage s’il suffit de convertir le fichier pour s’en débarrasser!

        • Vous aimez
        • Vous n'aimez pas
        • 0
        Lui répondre
        • farfadet le 14 novembre 2012 - 15:56 Signaler un abus - Permalink

          Remarque purement théorique de ma part, mais facile à vérifier si on dispose d’un logiciel qui “watermarke”.

          Toutefois pour le pdf, il est facile de mettre des images “invisibles” mais tatouée (qui peuvent même être récupérée telle quelle par capture d’écran, tj en théorie).

          Par ailleurs, le marquage social (le livre est annoté avec une mention du type “ce livre appartient à …) est aussi une méthode de tatouage intéressante : Responsabilisation de l’acheteur sans les contraintes des DRM (totalement inutile avec tous les logiciels du type DRM removal). Personnellement, j’ai déjà prêté des eBooks marqués comme je prêterais un ouvrage papier. Mais je n’irais pas le donner à toute la planète.

          Enfin, un eBook avec DRM peut très bien être tatoué en sus. C’est logique : les éditeurs confient les titres sans DRM au distributeur numérique qui dispose d’un logiciel du type Adobe Content Server. Même s’il s’agit d’une relation de confiance entre l’éditeur et le distributeur, le premier préfère prendre des précautions.

          • Vous aimez
          • Vous n'aimez pas
          • 0
          Lui répondre
  • Didier le 10 novembre 2012 - 9:16 Signaler un abus - Permalink

    Discussion intéressante qui ignore le client, celui veut bien payer à sa valeur un bien qu’il peut ensuite utiliser comme il l’entend (déjà, avec cette phrase, il y a deux obstacles de la part des éditeurs).

    Puisque les éditeurs veulent s’ériger en obstacle vis-à-vis de leurs clients (!), ces derniers ne vont-ils pas réagir en allant chercher les livres dans DRM, les ouvrages piratés ou pire, ignorer les éditeurs dont la valeur ajoutée est de plus en plus remise en cause.

    Les combats sont bons, mais les champs de bataille ne sont pas appropriés.

    • Vous aimez
    • Vous n'aimez pas
    • 0
    Lui répondre
  • Hirlimann Charles le 11 novembre 2012 - 21:45 Signaler un abus - Permalink

    Tout cela n’est qu’agitation qui masque la sordide réalité de la cupidité des éditeurs.
    Comment se fait-il qu’une version électronique d’un bouquin puisse couter plus cher que sa version papier ? Le prix de l’électronique serait-il grevé par toutes ces mesures anti piratage ?
    Attendons l’avènement de l’éditeur en ligne qui s’adressant directement aux auteurs boulversera ce marché aux pesanteurs dinosauriennes, comme Apple en son temps l’a fait avec la musique.

    • Vous aimez
    • Vous n'aimez pas
    • 0
    Lui répondre
    • farfadet le 14 novembre 2012 - 15:39 Signaler un abus - Permalink

      Parce que les logiciels DRM coûtent une fortune, le support client quand ça ne marche pas prend un temps fou.
      Ou bien parce que l’on considère que c’est l’oeuvre de l’esprit que l’on vend et qu’il n’y a pas de raison qu’il y ait plusieurs prix pour un même contenu. C’est par ce raisonnement que la TVA du livre numérique a été alignée sur celle du papier.
      Signé un éditeur qui a abandonné les DRM (sauf lorsqu’elle imposée avec des droits de traduction par ex.).

      • Vous aimez
      • Vous n'aimez pas
      • 0
      Lui répondre
  • Ladioss le 12 novembre 2012 - 11:59 Signaler un abus - Permalink

    Quelqu’un a parlé du succès de l’Humble Bundle spécial ebooks à ces gens-là comme démonstration qu’un autre modèle est possible, ou bien c’est définitivement en dehors de leurs facultés de compréhension ?

    • Vous aimez
    • Vous n'aimez pas
    • 0
    Lui répondre
  • farfadet le 14 novembre 2012 - 16:03 Signaler un abus - Permalink

    Merci à Owni pour ce compte-rendu. Effectivement, les éditeurs sont inquiets. Pour avoir vu des piratages de livres imprimés absolument bluffant (ou pas), je comprend cette inquiétude. L’industrie de la contrefaçon existe et elle n’a pas attendu l’eBook pour s’attaquer à ce marché.

    Enfin une petite suggestion : À quand une enquête sur la gestion territoriale des eBooks (vous savez comme les zones des DVD) ?

    • Vous aimez
    • Vous n'aimez pas
    • 0
    Lui répondre
  • anonymous le 18 novembre 2012 - 0:20 Signaler un abus - Permalink

    Les préjugés ont la vie dure quand même…

    Les DRMs ca marche pas et ca marchera jamais. Pour la simple raison qu’on ne peut pas lire d’une part et interdire de lire d’autre part, c’est technologiquement impossible (et logiquement ça pose des problèmes aussi).

    C’est aussi pour ça aussi qu’aucun système de DRM ne marche depuis 10ans.

    C’est aussi pour ça qu’à part faire chier les clients légitime, les systèmes de DRMs ne servent à rien.

    Je me demande combien de temps encore il va falloir aux gens pour comprendre…

    • Vous aimez
    • Vous n'aimez pas
    • 0
    Lui répondre
    • farfadet le 19 novembre 2012 - 9:40 Signaler un abus - Permalink

      Les DRM marchent très bien dans un cas bien précis : les “écosystèmes” totalement fermés comme le Kindle d’Amazon.
      Dans ce cas le client n’est pas emm… par les DRM tant qu’il achète toujours chez le même. Par contre, le jour où il veut aller voir ailleurs.
      Mais d’une manière générale, nous sommes tous d’accord ici, emm… le client n’a jamais fait tourner le bizness.

      • Vous aimez
      • Vous n'aimez pas
      • 0
      Lui répondre
3 pings

Derniers articles publiés