Le jour où la démocratie américaine a tremblé : récit d’une soirée de chaos à Washington

Scènes de chaos. Des manifestants pro-Trump se sont introduits au sein du congrès américain à Washington. Une personne a été mortellement blessée par balle dans l’enceinte du Capitole, trois autres sont mortes à l’extérieur. Récit d’une journée ahurissante.

Personne à Washington n'était prêt à de telles images. Le Capitole, siège du Congrès et symbole ultime de la démocratie américaine, assiégé par des manifestants aux couleurs MAGA. Des élus, démocrates comme républicains, contraints de se calfeutrer, certains accroupis sous leurs bureaux, et de porter des masques à gaz pour se protéger des lacrymogènes. Des policiers brandissant leur revolver dans l'enceinte de la Chambre des représentants. Une femme, venue protester avec les autres, décédée après avoir été touchée par balle dans un couloir du Congrès. Trois autres personnes mortes lors des violences. Et un président, refusant encore et toujours la défaite électorale, qui appelle timidement les protestataires à rentrer chez eux sans pour autant condamner leurs actes. Et ce après les avoir enjoint à marcher vers le Capitole.

VIDÉO. Etats-Unis : des manifestants pro-Trump investissent le Capitole

Des images sur lesquelles les observateurs peinent à trouver les mots. « Assiste-t-on à une tentative de coup d'Etat », se demande, impressionné par son propre langage, un présentateur de MSNBC, peu après que les barrières du Capitole ont été forcées. S'agissait-il simplement d'une police en sous-effectifs face à une poignée d'extrémistes, eux-mêmes étonnés de pouvoir entrer si facilement dans le temple du pouvoir américain ? Reste que pour la première puissance mondiale, l'exemple fera date. Mike Gallagher, un représentant républicain du Wisconsin, choqué par les événements, se lâche dans une vidéo tournée depuis son bureau du Capitole : « Ce sont des conneries de république bananière que nous voyons se produire en ce moment ».

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La journée avait pourtant démarré dans le calme. Même si quelques indices - les mêmes, en fait, depuis quelques années - pouvaient laisser entrevoir la suite. « Trump est le roi », s'époumonait ainsi un homme, tournant en rond avec son drapeau « Trump 2020 » à la main. « Ecartez l'usurpateur Biden », réclamait une pancarte non loin de la Maison Blanche. « Si la victoire de Biden est confirmée, je pense qu'il y aura une guerre civile », nous expliquait une sexagénaire, tout sourire. Des mots tellement entendus pendant la campagne présidentielle que leur force en semblait atténuée.

«Une grande honte pour notre nation»

Dans la soirée, l'ex-président démocrate Barack Obama a pris la plume pour résumer la situation : les violences au Capitole sont « une grande honte pour notre nation », a-t-il dénoncé, avant d'ajouter : « Mais nous ferions fausse route en estimant qu'il s'agit d'une surprise totale. »

Tous les doigts sont pointés vers le patron : Donald Trump. Dans la journée, le président sortant, se disant une nouvelle fois, et toujours à tort, victime d'une fraude électorale massive, a électrisé la foule rassemblée devant la Maison Blanche. « Nous n'abandonnerons jamais. Nous ne concéderons jamais » la défaite, a-t-il promis. Le milliardaire a ensuite invité ses partisans à se rendre au Capitole pour faire entendre leur voix de façon « pacifique » et « patriotique ».

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Une heure plus tard, le Congrès démarrait la séance de certification du vote du collège électoral. Un processus qui d'ordinaire n'est qu'une formalité. Cette fois, plusieurs élus républicains, relayant les accusations de fraude électorale de Donald Trump, avaient promis de contester le vote des grands électeurs dans plusieurs Etats. Une initiative vouée à l'échec faute de voix suffisantes mais qui leur permettait d'afficher leur loyauté envers le leader. A peine ont-ils eu abordé le cas de l'Arizona que la séance a dû être interrompue et le bâtiment bouclé. On connaît la suite.

Après le couvre-feu tombé à 18 heures à Washington, les assaillants ont fini par être évacués, et le Capitole « sécurisé ». Nancy Pelosi, la patronne démocrate de la Chambre des représentants, a annoncé que les élus devaient reprendre leur travail le soir même. Les événements de l'après-midi ont visiblement secoué quelques élus républicains, qui ont décidé de renoncer à leurs objections. C'est le cas de Kelly Loeffler, sénatrice de Géorgie qui a échoué à être réélue la veille. Le vice-président Mike Pence, qui présidait les débats comme le veut la loi, a adopté un ton solennel : « Même après une violence et un vandalisme sans précédent dans ce Capitole, les représentants élus du peuple des Etats-Unis sont à nouveau réunis, ce même jour, pour défendre la Constitution », a-t-il souligné. Donald Trump comptait sur son fidèle lieutenant pour le soutenir jusqu'à la dernière minute, en vain.

Des proches de Trump l'appellent à concéder sa défaite

Si les Etats-Unis ont vécu mercredi l'une des journées les plus sombres de leur histoire, le milliardaire aussi. Il a passé le reste de la soirée privé de Twitter et de Facebook, les deux plateformes ayant décidé de suspendre son compte temporairement afin d'éviter les encouragements à l'insurrection et la propagation de davantage de fausses informations. Revenus en séance au Congrès, certains de ses proches, comme Lindsey Graham, l'ont appelé à concéder sa défaite.

« Cela suffit », a répété le sénateur de Caroline du Sud. Au cours de la soirée, deux figures de la Maison Blanche - la cheffe de cabinet de Melania Trump et la vice-porte parole du président - ont présenté leur démission. Et il se murmurait à Washington que des membres du gouvernement avaient soulevé la possibilité d'invoquer le 25e amendement de la Constitution. Celui-ci autorise le vice-président et une majorité du cabinet à déclarer le président « inapte » à exercer ses fonctions.

La goutte d'eau ne devait pas tarder à arriver : les élus du Congrès ont accéléré la certification des votes des grands électeurs. La confirmation de la victoire de Joe Biden et de Kamala Harris devrait intervenir bientôt, par la voix de Mike Pence. De quoi attiser encore un peu plus la colère de Donald Trump.