Maurice Duverger (1917-)

Juriste, politologue, écrivain, journaliste français dit "progressiste" (après la deuxième guerre mondiale), magnifique illustration de l'intellectuel "parisien" des années soixante.
Maurice Duverger est né en 1917 à Angoulême et fait ses études de droit à Bordeaux. Agrégé de droit public à 25 ans. Professeur de droit public et de science politique à Poitiers, à Bordeaux puis à Paris.
Auteur prolifique de manuels constamment réédités.
Collaborateur des journaux Le Monde, El Païs, Corriere della Sera, notamment.
Il est, en 1989, en Italie, élu député européen communiste.
Auteur de très nombreux ouvrages engagés, notamment «Demain, la République», «La Démocratie sans le peuple», «La Monarchie républicaine», «Le Lièvre libéral et la tortue européenne», «Europe des hommes», etc, etc, etc ...
En sociologie politique son ouvrage le plus connu est Les partis politiques, Armand Colin, Paris, 1951. Il laisse une loi, la Duverger's law, selon laquelle il y aurait une corrélation entre le système électoral et la constitution du bipartisme.

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Depuis que les hommes réfléchissent à la politique, ils oscillent entre deux interprétations diamétralement opposés.
Pour les uns, la politique est essentiellement une lutte, un combat : le pouvoir permet aux individus et aux groupes qui le détiennent d'assurer leur domination sur la société, et d'en tirer profit ; les autres groupes et les autres individus se dressent contre cette domination et cette exploitation, en s'efforçant d'y résister et de les détruire.
Pour les autres, la politique est un effort pour faire régner l'ordre et la justice : le pouvoir assure l'intérêt général et le bien commun contre la pression des revendications particulières.
Pour les premiers, la politique sert à maintenir les privilèges d'une minorité sur la majorité. Pour les seconds, elle est un moyen de réaliser l'intégration de tous les individus dans la communauté et de créer ainsi la Cité juste dont parlait Aristote.

... Bien entendu, ces deux attitudes n'expriment l'une et l'autre qu'une partie de la réalité. Les conservateurs les plus optimistes ne peuvent pas nier que, même si la politique a pour but de réaliser l'intégration sociale, elle l'atteint rarement d'une façon très satisfaisante.
Ces cornéliens décrivent la politique telle qu'elle devrait être : plus raciniens leurs adversaires la décrivent telle qu'elle est.
Mais eux-mêmes peuvent difficilement contester que leur peinture soit trop noire. Les gouvernements les plus oppresseurs, les plus injustes, remplissent quelques fonctions d'intérêt général, au moins dans des domaines techniques : ne serait-ce qu'en réglant la circulation automobile, en distribuant le courrier, en assurant l'évacuation des ordures ménagères.
Institutions politiques et droit constitutionnel, PUF, Paris 1970, p. 21-22.

2
En définitive, l'essence même de la politique, sa nature propre, sa véritable signification, c'est qu'elle est toujours et partout ambivalente. L'image de Janus, le dieu à double face, est la véritable représentation du pouvoir : elle exprime la réalité politique la plus profonde.
L'Etat - et d'une façon plus générale le pouvoir institué dans une société - est toujours et partout, à la fois, l'instrument de la domination de certaines classes sur d'autres, utilisé par les premières à leur profit et au désavantage des secondes, et un moyen d'assurer un certain ordre social, une certaine intégration de tous dans la collectivité pour le bien commun.
Le proportion de l'un et de l'autre élément est très variable, suivant les époques, les circonstances et les pays ; mais les deux coexistent toujours.
Ibidem, p. 22.

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