Dossier :
De Gaulle
sur le Québec et sur le Canada français
(de 1961 à 1969)



Introduction

L'intérêt de Charles de Gaulle pour le Québec ou le Canada français, et plus largement pour la Nouvelle-France, ne s'est pas manifesté soudainement en 1967 et ne s'est pas limité à la période contemporaine de notre histoire. Son intérêt s'est révélé bien plus tôt, a porté sur l'ensemble de l'aventure française en Amérique du Nord et a persisté jusqu'à la fin de ses jours.

Il suffit de rappeler que, déjà en 1913, le jeune sous-lieutenant Charles de Gaulle, affecté au 33e régiment d'infanterie cantonné à Arras, avait choisi de traiter devant ses camarades (chaque officier devait présenter un exposé sur un thème de caractère historique) de trois héros de l'histoire de France parmi lesquels il avait retenu Montcalm. Plus près de nous, en août 1940, dans une allocution radiodiffusée depuis Londres, il s'était adressé particulièrement aux Canadiens français: «L'âme de la France cherche et appelle votre secours, parce qu'elle trouve dans votre exemple de quoi ranimer son espérance en l'avenir».

Le retentissement du voyage de 1967 a été tel qu'il a éclipsé dans la mémoire de la plupart de nos compatriotes les trois précédents. En juillet 1944, c'est le chef de la France libre (dont le nom deviendra «la France combattante») mais aussi déjà le représentant de la France en voie de libération. Le Québec et Montréal lui font un accueil enthousiaste. Fin août 1945, de Gaulle, chef du gouvernement français, et sa suite, venant de Washington, passent une journée à Ottawa: il s'agit d'une visite de caractère principalement économique. Du 18 au 21 avril 1960, de Gaulle, Président de la République Française, se rend tour à tour à Ottawa, à Québec et à Montréal. L'accueil officiel est chaleureux mais curieusement le public est partout tiède et clairsemé, y compris à Montréal.

En venant au Québec et au Canada en juillet 1967, le général de Gaulle se trouve à répondre à deux invitations, situation unique, celle du Gouvernement du Québec et celle du Gouvernement du Canada, à l'occasion de l'Exposition universelle. De Gaulle avait clairement marqué que sa visite n'avait aucun rapport avec le centenaire de la Fédération canadienne: «Il n'est pas question que j'adresse un message au Canada pour célébrer son centenaire», disait-il en décembre 1966 (annotation en marge d'un télégramme de l'ambassade de France au Canada). Finalement, le Général n'est point allé du tout à Ottawa (il n'y tenait d'ailleurs pas particulièrement) à la suite de l'incident que l'on sait mais a rempli intégralement le programme prévu à Québec et à Montréal du 23 matin au 26 après-midi, y compris le parcours du Chemin du Roy le lundi 24, avec étapes et discours dans six agglomérations.

Il nous a semblé utile de présenter, à titre documentaire, toutes les allocutions du général de Gaulle pendant sa visite au Québec, la partie de sa conférence de presse du 27 novembre 1967 consacrée au Québec, d'autres allocutions et les annotations portées par de Gaulle sur certaines dépêches diplomatiques, en rapport avec les affaires du Québec.

Les allocutions du général de Gaulle, lors de son passage au Québec, ont fait l'objet de publications diverses, dont certaines dans les mois qui ont suivi la visite. Pour l'édition des textes des discours majeurs du Général, nous nous sommes référés aux Discours et Messages de De Gaulle publiés chez Plon. Certaines interventions de moindre importance, captées par la radio-télévision canadienne, ont fait l'objet de transcriptions. Nous nous sommes appuyés principalement sur les versions de celles-ci proposées par Renée Lescop, dans son ouvrage Le Pari québécois du général de Gaulle (Montréal, Boréal, 1981), afin d'établir les présents textes. Quelques autres documents, dont la lettre de De Gaulle à Daniel Johnson, ont également été tirés de l'ouvrage de madame Lescop. Nous avons enfin complété ce dossier par quelques «annotations révélatrices» reproduites par Pierre-Louis Mallen, dans son ouvrage Vive le Québec libre. Nous avons apporté, le cas échéant, des corrections mineures aux fins de l'uniformisation.

    1. Avant le voyage de juillet 1967

  1. Toast adressé à Jean Lesage, premier ministre du Québec,
    lors de la réception offerte en son honneur au palais de l'Élysée, 5 octobre 1961

    Monsieur le premier ministre,

    Votre visite à Paris, celle des ministres vos collègues, celle des personnalités qui vous accompagnent, nous remplissent de satisfaction. Mais nous ne voulons cacher, ni à vous, ni à nous-mêmes, que nous en éprouvons aussi une particulière émotion.

    Vous êtes le Québec! Vous êtes les Canadiens français! Il n'y a pas de temps écoulé qui ait pu effacer de l'esprit et du coeur de la France la pensée et la nostalgie de ceux de ses enfants qu'elle avait laissés là-bas voici tantôt deux cents ans. Il n'y a pas d'événements survenus depuis - et Dieu sait s'il en survint et de quelle dimension! - qui aient détourné notre peuple de suivre, d'admirer, d'aimer l'incroyable effort de ce rameau sorti de notre souche et qui, passé au travers de tant d'obstacles et d'épreuves, apparaît maintenant comme un arbre vigoureux. De votre côté, vous savez que la France a, dans le même temps, beaucoup vécu, c'est-à-dire beaucoup lutté, et qu'elle est aujourd'hui en pleine rénovation. «Je me souviens!», c'est la devise de la province de Québec. En la voyant en votre personne, la France vous en dit autant.

    Or, voici que l'évolution, si elle a pu longtemps nous séparer, nous rapproche directement. Il s'agit, cette fois, non point seulement de sentiments à partager, mais bien de choses à faire ensemble. Vous et nous constatons que, plus que jamais, notre langue et notre culture, pour nous être à nous-mêmes essentielles, constituent pour un grand nombre d'hommes, hors de France et hors du Canada, un foyer capital de valeur, de progrès, de contact, et que c'est, tout à la fois, notre avantage et notre devoir de les pratiquer et de les répandre. Combien peut y aider notre coopération!

    A cet égard, rien n'est plus heureux que les initiatives que vous venez de prendre en instituant à Paris, pour servir à nos rapports directs, une Délégation générale de la province de Québec et en fondant à Montréal une Association des universités de langue française. Tout ce qui, dans l'avenir, parle ou veut parler français, afin de s'ouvrir, par là, à des sources merveilleuses, va bénéficier du fait que notre effort est désormais commun.

    Mais, si c'est la pensée, exprimée par la langue, qui mène le monde, ce sont, en notre siècle, la science, la technique, l'économie, qui le façonnent. Dans ces domaines aussi, votre province, pourvue de ressources multiples que vous entendez faire valoir vous-mêmes, peut et doit trouver des concours venant de France. Sachez bien, en effet, que nous, Français, comprenons mieux que personne votre souci de prendre à votre propre compte la conduite de vos affaires économiques, comme vous l'avez fait déjà fort heureusement à beaucoup d'égards.

    D'autant mieux, qu'en affirmant et en développant votre personnalité, nous croyons que vous rendez service au Canada tout entier, dont vous êtes les citoyens, qui a maintes raisons de voir grandir ses propres éléments et que nous saluons ce soir de tout notre amitié profonde en priant son éminent ambassadeur d'en transmettre le témoignage à sa gracieuse souveraine et à son gouvernement. Nous croyons aussi que l'équilibre général du monde ne peut que gagner à la présence et à l'expansion, sur le sol du Nouveau Continent, d'une entité française, de souche, de culture et d'activité. Là, en effet, que de peuples, cherchant leur lumière dans le tumulte de ce temps, souhaitent la trouver dans la source latine et française de l'intelligence, de la morale et de l'action, grâce à laquelle vous et nous sommes ensemble ce que nous sommes! [...]

    Deux annotations révélatrices

  2. Note sur le projet de visite officielle en France
    du premier ministre du Canada, Lester B. Pearson, 4 septembre 1963

    Nous recevrons M. Pearson. Nous pouvons développer nos rapports avec le Canada tel qu'il est encore. Mais nous devons avant tout établir une coopération particulière avec le Canada français et ne pas laisser noyer ce que nous faisons pour lui et avec lui dans une affaire concernant l'ensemble des deux Canada.

    D'ailleurs le Canada français deviendra nécessairement un État et c'est dans cette perspective que nous devons agir.

  3. Annotation en marge d'un télégramme
    de l'ambasssadeur de France au Canada
    sur le centenaire de la Confédération, 9 décembre 1966

    Il n'est pas question que j'adresse un message au Canada pour célébrer son «Centenaire». Nous pouvons avoir de bonnes relations avec l'ensemble de l'actuel Canada. Nous devons en avoir d'excellentes avec le Canada français. Mais nous n'avons à féliciter ni les Canadiens ni nous-mêmes de la création d'un «État» fondé sur notre défaite d'autrefois et sur l'intégration d'une partie du peuple français dans un ensemble britannique. Au demeurant, cet ensemble est devenu bien précaire.

    Un témoignage, 20 avril 1967

    En avril 1967, le professeur Vincent Monteil, universitaire français, spécialiste de l'Islam, ancien administrateur au Maroc, écrivait à Jean-Marc Léger, alors rédacteur au Devoir et chargé des informations étrangères, une lettre dont nous détachons un passage significatif. Monteil, qui avait été notamment l'une des figures principales du courant dit des «gaullistes de gauche», avec Léo Hamon, Gilbert Grandval et autre, avait ses entrées à l'Élysée. C'est ainsi que, revenant d'une mission d'enseignement au Québec, il avait été reçu longuement par le général de Gaulle. La lettre qui suit, datée du 20 avril, fut rédigée peu après cet entretien.

    «Je ne peux malheureusement vous écrire tout ce qui m'a été dit au cours de mon entretien "à l'échelon le plus élevé". Je crois trop risqué de le confier à la poste. Sachez seulement que vos voeux les plus ardents sont parfaitement compris et que l'on souhaite avec impatience de les voir se réaliser de la façon la plus rapide et, surtout, la plus complète, c'est-à-dire avec tous les attributs de la souveraineté».

  4. Allocution prononcée au palais de l'Élysée,
    lors de la réception offerte en l'honneur de Daniel Johnson,
    premier ministre du Québec. 18 mai 1967

    Monsieur le premier ministre,

    Si nous sommes heureux et honorés de vous recevoir, c'est d'abord, tout naturellement, parce qu'en votre personne nous saluons le chef du gouvernement du Québec. Du Québec, c'est-à-dire d'un peuple exemplaire et très cher, en lequel, sur la terre où il vit et dont, avec courage, il développe toutes les ressources, nous voyons un rameau du nôtre.

    Notre satisfaction vient aussi du fait que ce chef de gouvernement c'est vous-même, autrement dit une personnalité pour laquelle nous avons la plus haute et la plus amicale estime et dont nous mesurons fort bien à quel point sa tâche est, à la fois, difficile et pleine d'espérances.

    Enfin, nous nous félicitons d'avoir ainsi l'occasion de nous entretenir directement avec vous de cet ensemble de rapports et de liens, ensemble grandissant qu'on est convenu d'appeler la coopération du Québec et de la France. Car malgré le temps passé, les événements subis voici deux siècles, l'étendue de la distance et les obstacles de la politique, qu'est donc cette coopération, sinon, à une époque nouvelle et sous des formes modernes, la preuve que tous les Français d'où qu'ils viennent et où qu'ils soient, sont profondément convaincus maintenant du grand destin qui leur est commun.

    Je lève mon verre en l'honneur de M. le président Daniel Johnson, premier ministre du Québec, en l'honneur de chacun de ceux qui l'accompagnent, en l'honneur des Canadiens français.

    II. Pendant le voyage

  5. Allocution prononcée à l'Anse-au-Foulon
    lors de son arrivée à Québec, 23 juillet 1967

    Voici la quatrième fois en l'espace de 23 années que j'ai l'honneur de me trouver ici. Je dois dire, monsieur le gouverneur général, que l'accueil que vous venez de me faire me touche aujourd'hui comme de tous temps. Entre le Canada dans son ensemble et la France, il n'y a en effet, il n'y eut, il n'y aura jamais, qu'estime et amitié. Je me félicite d'avance d'aller prochainement à Ottawa vous saluer, saluer le Gouvernement canadien et l'entretenir au nom de mon pays des rapports qui concernent le vôtre et le nôtre.

    Monsieur le premier ministre, c'est avec une immense joie que je suis chez vous au Québec, au milieu des Canadiens français, pour toutes sortes de raisons qui s'appellent le passé que nous n'oublions et n'oublierons jamais, qui s'appellent le présent où le Québec, nous le savons, a pris un grand essor moderne, et pour des raisons qui s'appellent l'avenir, parce que ce que vous faites, comme vous dites, en français de ce côté de l'Atlantique et ce que fait en français le vieux pays de l'autre côté, c'est en somme une même oeuvre humaine et cela tous, autant que nous sommes, qui pensons, voulons, parlons français, nous le sentons jusqu'au fond de notre âme. Voilà les sentiments qui m'animent en venant à votre aimable invitation visiter une fois de plus le Québec, mais cette fois je le sais, je le vois, je le sens, au milieu de la grande évolution qui entraîne ce pays.

    De la part de la France je n'ai rien d'autre à dire que l'affection, le souvenir et l'espérance. Vive le Canada, vivent les Canadiens français, vive le Québec, vive la Nouvelle-France, vive la France!

  6. Allocution prononcée à
    l'hôtel de ville de Québec, 23 juillet 1967

    Monsieur le maire,

    Vous venez de parler très noblement et d'une manière très émouvante. Voyez comme tout se simplifie dès lors que nous sommes ensemble à Québec. Tout se simplifie parce que vous êtes resté constant, fidèle depuis longtemps mais sans défaillance. Cette fidélité, cette constance, aujourd'hui, elles refleurissent! Elles refleurissent ici, dans cette capitale du Canada français. Elle refleurit parmi les Français canadiens. Elle refleurit à tous égards, de toutes façons. Et je dois dire très simplement que personne ne l'exprime mieux que ne l'a fait à Paris l'autre jour, que ne le fait ici aujourd'hui, monsieur le premier ministre du Québec, monsieur Johnson.

    Je dois ajouter avant de m'adresser à la population réunie combien je suis honoré de prendre contact avec les personnalités ici réunies. Vous êtes l'élite, je le sais bien et il se forme, il s'est formée, il s'affirme une élite française-canadienne de jour en jour plus active, plus efficace, mieux connue! C'est la base de tout, c'est l'essentiel! Tout le reste suivra! Vive Québec!

  7. Allocution à la foule réunie
    devant l'hôtel de ville de Québec, 23 juillet 1967

    Je remercie [...] de son accueil magnifique, de son accueil français. J'apporte à votre ville, le salut, la confiance, l'affection de la France.

    Nous sommes liés de part et d'autre de l'Atlantique par un passé aussi grand que possible et que nous n'oublierons jamais. Nous sommes liés par le présent parce qu'ici comme dans le vieux pays, nous nous sommes réveillés, nous avons épousé notre siècle. Nous sommes en plein développement moderne et ainsi nous acquérons toujours plus fort les moyens d'être nous-mêmes. Nous sommes liés par notre avenir - mais on est chez soi ici, après tout - par notre avenir, parce que ce que nous faisons ici et là-bas, tous les jours un peu plus, nous le faisons ensemble.

    Et nous en avons des choses à faire dans ce monde très difficile et très dangereux où ce qui est français a son rôle à jouer comme toujours.

    J'emporterai de cette extraordinaire réunion de Québec un souvenir magnifique. Toute la France en ce moment, regarde ici, elle vous voit, elle vous entend, elle vous aime.

    Vive le Québec! Vive le Canada français! Vive la Nouvelle-France! Vive la France!

  8. Discours prononcé lors du déjeuner champêtre offert en son honneur
    par les autorités du Séminaire de Québec
    et de l'Université Laval, 23 juillet 1967

    Éminence,

    Laissez-moi vous dire qu'il n'y a rien qui peut être plus émouvant pour celui qui vous parle, que le rapprochement que vous venez de faire entre cette volonté française qui a été manifestée ici d'une manière si pénible et en même temps si magnifique pendant tant de temps, au milieu de tant de difficultés, au prix de tant de mérites et grâce à tant d'effort: entre cette oeuvre française-là et celle qui a consisté à rassembler les premiers éléments de la résistance aux pires moments de la vie de notre patrie.

    Il n'y a rien aussi qui soit plus réconfortant, car cela indique que pour nous Français, où que nous soyons, à quelque époque que nous soyons, pour peu que nous le voulions, nous pouvons survivre, nous pouvons même donner l'exemple et rien ne le montre mieux que ce que je vois et ce que je sais du Québec. Ici, en effet, entre Français que vous êtes et voulant le rester, comme vous le dites si bien, Éminence, ici vous donnez l'exemple - vous donnez l'exemple d'abord d'une personnalité bien affirmée, d'une cohésion certaine, d'une grande capacité populaire, car c'est cela qui frappe chez vous. Ce que vous valez vous vient de la base et c'est sur cette base sur laquelle vous vous êtes construits, que s'élève maintenant votre Église. Et de même que l'Église a été essentielle dans le maintien de cette personnalité dont je vous parle, de même joue-t-elle un rôle capital aujourd'hui pour former l'élite dont vous avez besoin et qui se crée.

    Où est-ce que je pourrais le dire d'une manière plus évidente qu'ici? Vous avez si bien rappelé, Éminence, que c'est du Séminaire de Québec qu'est sortie l'Université Laval, que c'est de l'Université Laval qu'est sortie l'Université de Montréal et que c'est de ces universités-là que sort, année après année, la phalange de vos professeurs, de vos ingénieurs, de vos techniciens, de vos savants d'aujourd'hui et de demain.

    Vous donnez l'exemple. Vous le donnez à la France car il est important pour le vieux pays de voir un morceau de son peuple réussir aussi bien et dans de telles conditions. Vous donnez l'exemple aussi à l'Amérique, vous le donnez au Canada et aux voisins du Canada, vous le donnez et il porte, nous le savons.

    L'essentiel pour vous, c'est de rester vous-mêmes, de ne pas vous dissoudre car dans l'hypothèse où vous vous laisseriez faire, cette valeur que vous avez, cet exemple que vous donnez auraient tôt fait de se diluer et de disparaître. Vous avez une tâche à remplir, demain, comme vous l'avez eue hier, comme vous l'avez aujourd'hui, une tâche qui est la vôtre, qui est à vous.

    C'est avec une émotion profonde que je salue ces lieux qui sont si pleins de souvenirs et d'où sont parties tant de choses. Et je suis très honoré, croyez-le bien, d'avoir été reçu aujourd'hui avec ceux qui m'accompagnent. Je n'aurais garde de méconnaître de vous remercier, Monseigneur, de votre accueil et par-dessus tout, si vous le voulez bien, nous portons nos pensées sur ce qui nous est commun là où nous sommes, dans ce que nous faisons, dans ce que nous parlons, dans ce que nous voulons, ce qui nous est commun, je veux dire ce qui est français.

  9. Discours prononcé à Québec, lors du dîner
    offert en son honneur par le premier ministre Johnson, 23 juillet 1967

    M. le premier ministre,

    Pour nous Français, que nous soyons du Canada ou bien de la France, rien ne peut être plus émouvant quant aux sentiments que nous nous portons, ni plus important pour ce qui est de nos rapports présents et à venir, que la magnifique réception faite ici en ma personne à notre commune patrie d'origine. Rien, non plus, ne saurait expliquer mieux que les nobles paroles que vous venez de m'adresser pourquoi et comment il est de notre devoir d'agir ensemble de telle sorte que ce que nous faisons de part et d'autre de l'Atlantique soit, en somme, une oeuvre française.

    Car, à la base de l'évolution qui est en train de s'accomplir en ce qui concerne à la fois le destin des Français canadiens et leurs liens avec la France se trouvent trois faits essentiels et que rend aujourd'hui éclatants l'occasion de ma visite.

    Le premier, c'est qu'en dépit du temps, des distances, des vicissitudes de l'histoire, un morceau de notre peuple est installé, enraciné, rassemblé ici. Oui, un morceau de notre peuple, par le sang qui coule dans ses veines, par la langue qui est la sienne, par la religion qu'il pratique, par l'esprit, les mots, les gestes, les noms, les coutumes, le comportement de ses familles, de ses hommes, de ses femmes, de ses enfants, enfin par la conscience profonde qu'il a de sa propre communauté. Après qu'eut été arrachée de ce sol, voici 204 années, la souveraineté inconsolable de la France, soixante mille Français y restèrent. Ils sont maintenant plus de 6 millions. Ce fut, sur place, un miracle de fécondité, de volonté et de fidélité. C'est, pour tous les Français où qu'ils soient, une preuve exemplaire de ce dont peut être capable leur puissante vitalité.

    Une autre donnée de la situation où vous, Français canadiens, vous trouvez par rapport à vous-mêmes et par rapport aux autres tient à ceci que votre résolution de survivre en tant qu'inébranlable et compacte collectivité, après avoir longtemps revêtu le caractère d'une sorte de résistance passive opposée à tout ce qui risquait de compromettre votre cohésion, a pris maintenant une vigueur active en devenant l'ambition de vous saisir de tous les moyens d'affranchissement et de développement que l'époque moderne offre à un peuple fort et entreprenant.

    Ce que l'on voit apparaître au Québec, ce n'est pas seulement une entité populaire et politique de plus en plus affirmée, mais c'est aussi une réalité économique particulière et qui va grandissant. N'acceptant plus de subir, dans l'ordre de la pensée, de la culture et de la science, la prépondérance d'influences qui vous sont étrangères, il vous faut des élites, des universités, des laboratoires à vous. Bien loin de n'assumer, comme autrefois, que des rôles auxiliaires dans votre propre progrès, vous voulez en être les créateurs et les dirigeants et vous doter, en conséquence, des enseignants, administrateurs, ingénieurs, techniciens nécessaires.

    Au lieu de laisser mettre en oeuvre par des entreprises extérieures les vastes ressources de votre territoire, vous entendez les découvrir, les organiser, les exploiter vous-mêmes. En somme, compte tenu des difficultés inévitables d'un tel changement, moyennant les accords et arrangements que peuvent raisonnablement comporter les circonstances vous environnant et sans empêcher aucunement votre coopération avec des éléments voisins et différents, on assiste ici, comme en maintes régions du monde, à l'avènement d'un peuple qui, dans tous les domaines, veut disposer de lui-même et prendre en mains ses destinées. Qui donc pourrait s'étonner ou s'alarmer d'un tel mouvement aussi conforme aux conditions modernes de l'équilibre de notre univers et à l'esprit de notre temps?

    En tout cas, cet avènement, c'est de toute son âme que la France le salue. D'autant mieux - et c'est là le troisième fait dominant de ce qui se passe pour vous - qu'à mesure que se révèle et s'élève le Québec, les liens vont en se resserrant et en se multipliant entre Français des rives du Saint-Laurent et Français des bassins de la Seine, de la Loire, de la Garonne, du Rhône ou du Rhin. Que le pays d'où vos pères sont venus et qui lui-même, après d'immenses épreuves, se trouve en plein essor de renouvellement fournisse son concours à ce que vous entreprenez, rien, aujourd'hui, n'est plus naturel. Inversement, rien ne le sera davantage demain que la part que les savants, les artistes, les cadres, que vous êtes en train de former, prendront à la marche en avant d'une France qui se rajeunit. N'est-il pas, par exemple, aussi encourageant que possible que les universités de Québec, de Montréal, Sherbrooke, et les universités de France soient en relations régulières et que nous échangions en nombre croissant des professeurs, des ingénieurs, des techniciens, des étudiants? N'est-il pas caractéristique que l'Hydro-Québec, votre puissante entreprise nationale, collabore directement avec l'Électricité de France, qu'il s'agisse de recherches, ou bien de l'utilisation des hautes tensions où vous êtes passés maîtres, ou bien de l'emploi de l'énergie atomique pour produire l'électricité, ou bien de la construction du gigantesque barrage de la Manicouagan? N'est-il pas significatif que nous ayons décidé d'établir bientôt entre nous par le moyen d'un satellite spatial, un réseau français de communications, de radio et de télévision? Dans les domaines culturel, économique, technique, scientifique, comme dans l'ordre politique, l'action menée en France par la Délégation générale du Québec, les contacts fréquents entre les gouvernants, mes entretiens avec vous-même, M. le premier ministre, hier à Paris, aujourd'hui ici, organisent notre effort commun d'une manière chaque jour plus étroite et plus fraternelle.

    En vérité, ce que le peuple français a commencé de faire au Canada quand, il y a quatre siècles et demi, Jacques Cartier y abordait au nom du roi François 1er, ce que ce peuple y a poursuivi sous l'impulsion de Champlain, gouverneur nommé par Henri IV, et de ceux qui vinrent après lui, ce qui y fut maintenu depuis lors avec une persévérance inouïe par une fraction française grandissante. Ce que celle-ci entend désormais devenir et accomplir de son propre chef et sur son propre sol, en liant l'effort qu'elle mène dans le nouveau monde avec celui que déploie dans l'ancien sa patrie originelle. Ce que les Français d'ici, une fois devenus maîtres d'eux-mêmes, auront à faire pour organiser en conjonction avec les autres Canadiens les moyens de sauvegarder leur substance et leur indépendance au contact de l'État colossal qu'est leur voisin, ce sont des mérites, des progrès, des espoirs, qui ne peuvent, en fin de compte, que servir à tous les hommes. Mais n'est-ce pas dans l'ordre des choses, puisque ce sont des mérites, des progrès, des espoirs français?

    En saluant M. le lieutenant gouverneur et madame Lapointe, qui sont aimablement des nôtres, en redisant à son Éminence le cardinal Roy notre profonde gratitude, je lève mon verre en l'honneur de M. Daniel Johnson, premier ministre du Québec, en l'honneur de son gouvernement, en l'honneur de madame Johnson, que nous remercions vivement de ses gracieuses attentions, en l'honneur du Canada français, auquel la France tout entière exprime par ma voix son ardente confiance et sa profonde affection.

  10. Allocution à Donnacona, sur le Chemin du Roy,
    24 juillet 1967

    De tout mon coeur je remercie monsieur le maire, le conseil municipal, monsieur le député, toute la population de Donnacona, de leur émouvant accueil et je remercie monsieur le premier ministre qui m'a amené dans votre ville.

    Monsieur le maire a évoqué magnifiquement tous les souvenirs de l'histoire française qui sont ici et aux environs et j'en ai été très touché. Et puis maintenant je vois le présent, le présent du Canada français c'est-à-dire un pays vivant au possible, un pays qui est en train de devenir maître de lui-même... un pays qui prend en mains ses destinées. Cela est indispensable aujourd'hui. Un peuple, et vous êtes un morceau du peuple français, votre peuple canadien-français, français-canadien, ne doit dépendre que de lui-même... et c'est ce qui se passe, je le vois, je le sens.

    Dans l'effort que vous faites à cet égard et dans le développement d'ailleurs magnifique de tout le Québec, vous pouvez être sûrs que le vieux pays, que la vieille France apporte et apportera à la nouvelle France tout son concours fraternel.

    J'emporterai de mon passage ici un souvenir inoubliable. Je vous en remercie toutes et tous et mes voeux les plus profondément sincères sont avec chacun de vous et avec votre ville.

    Vive Donnacona, vive le Canada français, vive la Nouvelle-France et vive la France!

    Comme j'ai déjà chanté moi aussi avec vous La Marseillaise, nous ne recommençons pas, et je vous en remercie.

  11. Allocution à Saint-Anne de la Pérade,
    sur le Chemin du Roy, 24 juillet 1967

    C'est une grande émotion pour moi que d'être aussi magnifiquement accueilli par toute la population de Sainte-Anne de la Pérade où m'a conduit monsieur le premier ministre et je le remercie vivement, et où monsieur le maire et ensuite monsieur le ministre-député viennent de prononcer de si émouvantes paroles.

    Ils ont parlé de l'histoire, ils ont parlé de votre histoire et votre histoire c'est la nôtre, en réalité, c'est l'histoire de France.

    Et puis voilà le présent, c'est-à-dire une localité pleine de vie, pleine de jeunesse, pleine de confiance en elle-même où je reconnais là tout ce qui est l'esprit, l'âme du Canada français, l'âme du Québec c'est-à-dire d'un pays, d'un peuple, d'un morceau de peuple français qui veut être lui-même, disposer de son destin, et qui le marque de toutes les manières. Eh bien! vous pouvez être sûrs que vous saurez, vous-mêmes, exaucer votre voeu, vous serez ce que vous voulez être, c'est-à-dire maîtres de vous.

    Et je suis sûr que votre avenir sera beau comme il doit l'être pour un avenir français.

    Encore une fois j'emporterai de mon passage parmi vous une émotion profonde dont je remercie toutes celles et tous ceux qui sont venus apporter ici leur témoignage. En échange, moi, je vous apporte le salut de la France, du vieux pays qui vous aime, et qui ne vous oublie pas et qui demain et déjà aujourd'hui est avec vous dans votre progrès c'est-à-dire dans votre avenir!

    Vive Sainte-Anne de la Pérade! Vive le Québec! le Canada français, vive la Nouvelle-France! Vive la France!

  12. Allocution à Trois-Rivières,
    24 juillet 1967

    De tout mon coeur, je remercie Trois-Rivières, sa population si émouvante, son maire si noblement éloquent et son ministre qui se trouve à mes côtés. Je remercie monsieur le premier ministre de m'y avoir conduit parce que voilà un témoignage vraiment magnifique de ce que nous voulons, et pour cause, appeler le fait français.

    Quoi qu'il ait pu arriver, nous sommes maintenant à l'époque où le Québec, le Canada français, devient maître de lui-même.

    Il le devient d'ailleurs pacifiquement, il le devient pour son propre bien, il le devient aussi je le crois, pour le bien des communautés voisines, du Canada tout entier. Il le devient pour l'honneur et par conséquent pour l'avantage de tous les hommes. C'est le génie de notre temps, c'est l'esprit de notre temps que chaque peuple où qu'il soit et quel qu'il soit, doit disposer de lui-même.

    Je suis tout à fait convaincu, et notamment en vous voyant et en vous entendant à Trois-Rivières, que c'est ce qui est en train de se passer ici.

    Mais le fait que le morceau de peuple français qui est installé ici dans cette province, dans le Canada, le fait que ce morceau de notre peuple redevient maître de son destin implique pour lui, sans aucun doute, mais aussi pour la France, le vieux pays, de grandes responsabilités.

    L'époque actuelle est difficile. C'est une époque de travail, c'est une époque de développement, une époque de progrès qui implique un grand effort de haut en bas.

    Et on ne peut justifier quand naît un peuple, son existence et son droit, comme vous chantiez tout à l'heure en chantant «Canada», on ne peut justifier son existence et son droit que si on est en progrès. Or c'est ce que vous êtes, je le vois d'un bout à l'autre du Québec. Vous êtes en train d'accomplir un développement économique, technique magnifique!

    De tout mon coeur, je vous en fais mon compliment, je vous en fais mon compliment pour vous-mêmes et aussi, je vous le répète, pour la France, laquelle a le devoir et est résolue à le remplir, a le devoir d'aider le Canada français dans son développement. Elle a déjà commencé à le faire grâce à des accords qui ont été conclus entre gouvernements, celui de monsieur Daniel Johnson et le gouvernement de la République française, c'est-à-dire le mien. Cela ira en se poursuivant, la France en prend l'engagement devant vous tous.

    Et inversement, vous les Français canadiens, au fur et à mesure de votre avènement à tous les égards et sur tous les plans, vous aurez à concourir et en particulier avec vos élites, vos savants, vos ingénieurs, vos cadres, vos artistes, vos techniciens, vous aurez à concourir au progrès du vieux pays, au progrès de la France. Et la France l'attend de vous pour demain!

    J'emporte de mon voyage dans votre belle ville de Trois-Rivières un souvenir inoubliable et croyez bien que partout on l'a vu, on l'a entendu et on l'a compris ce qui se passe ici en ce moment. Encore une fois de tout mon coeur, à toutes celles, à tous ceux qui sont venus apporter leur témoignage, merci au nom de la France.

    Vive Trois-Rivières! Vive le Québec! Vive le Canada français! Vive la Nouvelle-France et vive la France!

  13. Allocution à Louiseville,
    24 juillet 1967

    Vous pensez bien que la première chose que je veux vous dire de tout mon coeur, c'est merci! Merci à Louiseville, merci aussi à vous, monsieur le maire, qui avez si noblement et si éloquemment exprimé les sentiments de tous. Merci à toutes celles, à tous ceux qui sont venus ici apporter leur témoignage, leur témoignage à la France.

    Monsieur le maire a parlé d'abord de l'histoire et nous savons tous que notre histoire c'est l'histoire de France. D'autre part, je vois, je sens, je sais qu'à Louiseville en particulier comme dans tout le Québec, dans tout le Canada français, une vague s'élève. Cette vague, c'est une vague de renouveau, c'est une vague de volonté, pour que le peuple français du Québec prenne en main ses destinées!

    Il le sait et il le fait par des moyens modernes, c'est-à-dire par le développement industriel qui aujourd'hui commande toute l'activité des hommes. Il le fait en se créant des élites, des élites de la pensée, des élites d'ingénieurs, des élites de techniciens, des élites d'ouvriers, comme il avait déjà des élites de cultivateurs. Et de cette manière, je le répète, le Québec est un peuple qui monte et qui est maintenant lui-même.

    A cet immense changement, à cette immense transformation qui s'accomplit ici, matériellement et moralement, la France de tout son coeur est résolue à y contribuer par les moyens qu'elle a, en étant sûre que ce qu'elle fait ici déjà, en vertu d'accords qui ont été signés entre votre gouvernement, celui de monsieur Daniel Johnson et le gouvernement de la France, c'est-à-dire le mien, ce qu'elle fait en vertu de ces accords c'est ce qu'il y a de plus utile s'il est possible...

    Cet effort, elle veut le développer et vous pourrez compter sur elle, car ce que nous faisons tous ensemble, nous Français de part [et] d'autre de l'Atlantique, c'est ce qu'on peut faire de mieux pour l'humanité toute entière.

    C'est notre mission, c'est notre vocation d'être exemplaires parmi les hommes. Vous l'êtes, nous le sommes ensemble, la main dans la main. En avant!

    Vive Louiseville! Vive le Québec! Vive le Canada français et la Nouvelle-France! Vive la France!

    S'il vous plaît, nous allons chanter La Marseillaise!

  14. Allocution à Berthier,
    24 juillet 1967

    J'ai plusieurs mercis à dire. D'abord à toute la population de Berthier qui est venue ici, ce soir, à toutes celles, à tous ceux qui m'apportent leur témoignage à travers moi, à notre patrie d'origine, à la France.

    Merci à monsieur le maire qui vient d'exprimer de manière si [...] les sentiments de tout le monde.

    Ici, à Berthier, je constate, comme partout dans le Québec, d'abord la fidélité, fidélité inébranlable qui fait que malgré tout ce qui s'est passé, on est ici aussi français que jamais. Je constate ici comme ailleurs, un grand essor du Québec, un grand essor moderne pour le progrès. Je le vois, dans tout ce que j'aperçois de vos bâtiments, de vos constructions, de vos usines, de vos cultures, je le vois dans votre jeunesse, dans tous les yeux ici. Vous êtes en train de monter. Vous êtes un morceau du peuple français qui s'élève. Vous êtes un morceau du peuple français qui prend en mains ses destinées.

    Cela se fait comme il faut, pacifiquement, et par les moyens modernes. La France a le devoir de vous aider. Il y a longtemps qu'elle vous doit quelque chose. Eh bien! la France veut vous le rendre ce qu'elle vous doit. Elle veut vous le rendre par le concours qu'elle entend apporter à votre développement. C'est pourquoi, mon ami monsieur Johnson et moi-même, entre nos deux gouvernements, nous avons conclu des accords de coopération particulière entre la France et le Québec et nous avons commencé de les appliquer. Nous allons poursuivre et cela ira sur une échelle de plus en plus grande. Je vous préviens que plus les jours passeront et plus vous sentirez le vieux pays parmi vous. Et plus les jours passeront, vous-mêmes, je le crois, apporterez au vieux pays votre propre concours, le concours de vos capacités, de votre ardeur.

    Nous mettons tout cela ensemble. Qu'est-ce que c'est? C'est ce que vaut le peuple français, soit en Amérique, soit en Europe, un peuple qui se doit à lui-même de donner partout l'exemple. Vous donnez de ce côté-ci de l'Atlantique l'exemple de l'essor, l'exemple de l'activité, l'exemple de la confiance en vous-mêmes. Eh bien! la France pour sa part, après d'immenses épreuves, est en plein essor de renouvellement et donne elle aussi, vous le voyez, le sentez tous, l'exemple au monde, l'exemple du progrès certes mais aussi l'exemple du service des hommes quels qu'ils soient et où qu'ils soient!

    Sur cet idéal, Français du Canada et Français de France, nous nous rencontrons tout naturellement ici. C'est ce que nos pères avaient fait jadis et c'est ce que maintenant nous faisons ensemble. J'ai entière confiance, je le dis au nom de la France, dans l'avenir du Canada français, dans l'avenir du Québec et je vous demande, Français du Canada, d'avoir la même confiance dans l'avenir de notre France!

    Vive Berthier! Vive le Québec! Vive la Nouvelle-France! Vive la France.

  15. Allocution à Repentigny,
    24 juillet 1967

    Je tâcherai que vous m'entendiez. De tout mon coeur je remercie Repentigny de son accueil magnifique! Tout au long de ma route dans le Québec, j'ai senti votre affection pour notre commune patrie d'origine. Et moi, tout le long de ma route, je vous ai apporté et je vous apporte ce soir l'affection profonde de la France.

    J'ai pu voir aussi dans tout le Québec un essor moderne magnifique par lequel vous êtes en train de prendre en mains, en tant que peuple, vos destinées.

    A votre essor, à votre effort, la France est résolue à contribuer. Elle a commencé de le faire. Elle va poursuivre. Tous les jours, vous sentirez un peu plus le vieux pays parmi vous. Et inversement à mesure du temps, la France vous sentira en elle.

    J'emporte de ma visite ici un souvenir inoubliable dont je remercie de tout coeur toutes celles, tous ceux qui sont venus apporter leur témoignage.

    J'en remercie de tout coeur votre député-maire qui a si bien parlé tout à l'heure et j'en remercie mon ami le premier ministre Johnson qui m'a conduit à Repentigny.

    Vive Repentigny! Vive le Québec! Vive le Canada français, la Nouvelle-France. Vive la France!

  16. Discours prononcé sur le balcon de l'hôtel de ville
    de Montréal, 24 juillet 1967

    C'est une immense émotion qui remplit mon coeur en voyant devant moi la ville française de Montréal. Au nom du vieux pays, au nom de la France, je vous salue de tout mon coeur. Je vais vous confier un secret que vous ne répéterez pas. Ce soir ici, et tout le long de ma route, je me trouvais dans une atmosphère du même genre que celle de la Libération. Outre cela, j'ai constaté quel immense effort de progrès, de développement, et par conséquent d'affranchissement vous accomplissez ici et c'est à Montréal qu'il faut que je le dise, parce que, s'il y a au monde une ville exemplaire par ses réussites modernes, c'est la vôtre. Je dis c'est la vôtre et je me permets d'ajouter c'est la nôtre.

    Si vous saviez quelle confiance la France, réveillée après d'immenses épreuves, porte vers vous, si vous saviez quelle affection elle recommence à ressentir pour les Français du Canada et si vous saviez à quel point elle se sent obligée à concourir à votre marche en avant, à votre progrès! C'est pourquoi elle a conclu avec le Gouvernement du Québec, avec celui de mon ami Johnson, des accords, pour que les Français de part et d'autre de l'Atlantique travaillent ensemble à une même oeuvre française. Et, d'ailleurs, le concours que la France va, tous les jours un peu plus, prêter ici, elle sait bien que vous le lui rendrez, parce que vous êtes en train de vous constituer des élites, des usines, des entreprises, des laboratoires, qui feront l'étonnement de tous et qui, un jour, j'en suis sûr, vous permettront d'aider la France.

    Voilà ce que je suis venu vous dire ce soir en ajoutant que j'emporte de cette réunion inouïe de Montréal un souvenir inoubliable. La France entière sait, voit, entend, ce qui se passe ici et je puis vous dire qu'elle en vaudra mieux.

    Vive Montréal! Vive le Québec! Vive le Québec libre! Vive le Canada français et vive la France!

  17. Allocution prononcée à
    l'hôtel de ville de Montréal
    (sur la terrasse), 24 juillet 1967

    Monsieur le maire,

    Ayant eu à l'instant même le plaisir et l'honneur de m'adresser à la grande foule des habitants de Montréal, qui m'a fait un accueil vraiment inoubliable, je dois maintenant saluer les personnalités que vous avez bien voulu convier ce soir autour de moi.

    J'ai dit et je pense que Montréal est la ville des réussites. Cela tient, sans aucun doute, à la base, c'est-à-dire aux sentiments profonds de la masse des habitants de cette grande ville. Cela tient aussi, je le sais et je le dis, à la qualité des élites, des diverses élites qui y ont déployé et y déploient leur activité. A cet égard, je sais, et je le verrai demain, que l'extraordinaire Exposition que votre activité, votre ardeur, et j'ajoute votre influence, M. le Maire, ont trouvé moyen, avec le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec, ont trouvé moyen d'organiser, est de toutes vos réussites peut-être la plus grande; en tout cas la plus récente. Je ne doute pas que Montréal doive continuer d'être ce qu'elle fut hier, ce qu'elle est aujourd'hui, une ville modèle, une ville exemplaire au point de vue de sa valeur, au point de vue de ses succès et au point de vue de ce qu'elle fait non pas seulement pour les siens mais aussi dans un très grand rayon autour d'elle.

    Montréal est une ville rayonnante, pourquoi voulez-vous que je ne me félicite pas que cette ville rayonnante, cette ville qui réussit soit la deuxième ville française du monde. Je m'en félicite en effet et c'est bien naturel. La France porte en ce moment, sur Montréal, une attention de premier ordre, et c'est en grande partie à vous que cela est dû. Je vous en rends hommage. Et puisque vous voulez bien vous adresser à moi après-demain, M. le Maire, j'aurai l'honneur de vous répondre après-demain aussi. Et en attendant, encore une fois, j'ai l'honneur de saluer les personnalités ici réunies et de dire à quel point je suis ému, impressionné et intéressé par ce que j'ai déjà vu et senti, entendu à Montréal, et tout ce que je vais y voir, y entendre et y sentir, demain et après-demain.

    Vive Montréal!

  18. Allocution prononcée à la Place des nations de
    l'Exposition universelle de Montréal, en réponse au mot de
    bienvenue du commissaire général, Pierre Dupuy, 25 juillet 1967

    Monsieur l'ambassadeur, monsieur le premier ministre, messieurs les ministres, mesdames, messieurs,

    Combien est impressionnante cette imposante, cette magnifique réception à l'Exposition universelle canadienne de Montréal. Combien sont émouvantes les paroles qui viennent d'être prononcées pour définir la part que la France a l'honneur et l'avantage de prendre à cette immense manifestation de l'activité humaine. Elle le fait de grand coeur, elle le fait telle qu'elle est, moralement et matériellement. Elle le fait avec ce qu'elle peut, dans la période moderne, tirer de son propre génie et qui est toujours, aujourd'hui comme jadis, et je le pense comme ce sera demain, au service de l'homme. Du reste, je sais avant même de l'avoir visitée que cette extraordinaire exposition est consacrée au service de l'homme. C'est un témoignage de plus, c'est le premier témoignage qu'il convient de lui rendre et c'est le témoignage que la France lui rend.

    Avec beaucoup de plaisir et d'intérêt, je vais donc visiter l'Exposition, le pavillon de la France, le pavillon du Canada, le pavillon du Québec et quelques instants, les pavillons d'un certain nombre des pays du monde qui, même quand ils se trouvent, en apparence, plus ou moins dans des camps séparés, sont tous les amis de la France et c'est son honneur à elle de le dire et de l'avoir voulu.

    Je n'aurai garde de terminer sans dire, qu'en tant que Français c'est une joie particulière pour moi de constater que cela se passe à Montréal et sur le sol du Québec, du Canada français.

    Vive le Canada et vive le Québec!

  19. Toast adressé à Daniel Johnson, premier ministre du Québec,
    à l'issue du dîner offert par le général de Gaulle
    au pavillon de la France de l'Exposition universelle de Montréal, 25 juillet 1967

    Monsieur le premier ministre, je vous remercie, je vous remercie d'être venu ici dans ce Pavillon français avec votre gouvernement. Monsieur le cardinal, nous sommes reconnaissants de votre présence. Monsieur l'ambassadeur, nous nous félicitons que vous soyez là. Monsieur le maire, comment n'y seriez-vous pas?

    Monsieur le premier ministre, je vous remercie également et par-dessus tout de m'avoir donné l'occasion de cette visite au Québec. Je crois que ni vous ni moi, pendant ce temps, n'aurons perdu nos heures. Peut-être s'est-il passé quelque chose? Si dans cette occasion le Président de la République française a pu, qui sait, être utile aux Français du Québec, il s'en réjouira profondément et la France aussi, croyez-le bien.

    Je vous remercie aussi, monsieur le premier ministre, d'avoir aussi bien fait les choses, de nous avoir reçu avec tant de bonne grâce, d'amabilité et je me permets d'ajouter d'intelligence. Nous vous remercions, madame, vous-même de ce que nous vous devons.

    Monsieur le cardinal, nous sommes fiers et honorés de vous voir. Nous savons quelles responsabilités pèsent sur vos épaules, sur les épaules de vos éminences et la façon dont vous savez les porter. Ce sont des responsabilités religieuses, certainement, c'est le moins que je puisse dire, les plus nobles de toutes, les plus nécessaires aussi.

    Monsieur l'ambassadeur, que de grâces nous vous devons. Vous nous avez montré cette Exposition de Montréal, extraordinaire! Et j'ai eu le plaisir de vous dire tout à l'heure à déjeuner, ce que nous pensions du rôle que vous y avez joué, et je me permets de vous le répéter ce soir.

    Et quant à vous monsieur le maire, nous n'avons pas fini, puisque demain, vous voulez bien me conduire à travers votre ville. Mais je vous dis d'avance que nous n'ignorons rien de ce que vous êtes, et de ce que vous avez fait, et de ce que vous faites jour après jour. Quand on est ici on n'a qu'à regarder et l'on a vu tant de choses pousser qu'on en est littéralement ébloui.

    Je lève mon verre en l'honneur de monsieur Daniel Johnson, premier ministre du Québec et de son gouvernement, en votre honneur, madame, si vous voulez bien, monsieur le cardinal, monsieur l'ambassadeur, mesdames et messieurs. Au Québec, à la France!

  20. Discours à l'Université de Montréal,
    26 juillet 1967

    Monsieur le recteur,

    Les émouvantes paroles que vous venez de m'adresser dans cette enceinte de l'Université de Montréal ont, pour moi, le plus grand prix. Nulle part, en effet, il n'apparaît plus clairement que le grand souffle intellectuel, moral et social d'inspiration et d'action que, depuis tant de siècles, l'esprit français répand sur le monde est, en ces temps nouveaux, plus vivant et puissant que jamais.

    Il est vrai qu'à ce souffle et à cet esprit vous tous, ici, n'avez jamais cessé d'être admirablement fidèles. Au milieu de quelles difficultés, au prix de quels efforts, en vertu de quels mérites, la France le sait et vous en remercie. Depuis deux cent ans, pour garder aux Français canadiens leur langue, leur foi, leur âme, tandis qu'ils augmentaient leur nombre jusqu'à le multiplier par cent, vos écoles se sont prodiguées et développées en conséquence. Mais il fallait que l'essor fût porté au plus haut, je veux dire au niveau de l'enseignement supérieur, afin d'embrasser entièrement les dimensions de votre croissance. Après que, voici plus d'un siècle, se fut ouverte à Québec l'Université Laval, celle de Montréal, sa fille, fut donc fondée 26 ans plus tard et assuma à son tour, au plan le plus élevé de la philosophie, des lettres et de la science, la mission de maintenir et de faire valoir la culture française qui, autrement, se serait trouvée peu à peu submergée par une autre.

    Ainsi furent sauvegardées, au Canada, des valeurs inappréciables, jusqu'au jour où l'immense développement scientifique et technique de ce siècle élargit soudain, chez vous comme partout, les champs de la recherche, de l'application et de l'enseignement. En même temps, l'activité économique continuellement renouvelée et accélérée ainsi que la profonde et rapide transformation sociale qui vous entourent déterminent votre université à former en nombre sans cesse grandissant des savants, des cadres, des ingénieurs, alors que, pendant longtemps, les Français canadiens les avaient reçus d'ailleurs. En dix ans vous êtes donc passés de 5000 à 16.000 étudiants. Dans cinq ans vous en aurez 25.000. D'ores et déjà vous voici, avec vos treize facultés, vos instituts, vos écoles d'enseignement supérieur, vos dizaines de collèges affiliés, ayant brisé les anciennes cloisons et adopté maintes disciplines nouvelles, en voie d'atteindre votre but qui consiste, n'est-il pas vrai? à fournir à la fraction canadienne du peuple français les jeunes valeurs, nombreuses et diversifiées, que requièrent à la fois son désir et son avenir.

    Oui! son désir et son avenir. Dans ce pays si vaste et si neuf, rempli de moyens en pleine action et de ressources encore inconnues, voisin d'un État colossal et dont les dimensions mêmes peuvent mettre en cause votre propre entité, se lève et grossit la vague d'un développement moderne dont vous voulez qu'il soit le vôtre. C'est par vous, c'est pour vous, que, chez vous, doit être fait ce qu'il faut: capter et distribuer les sources de l'énergie, créer des industries nouvelles, rationaliser les cultures, bâtir d'innombrables maisons, barrer ou combler des fleuves, multiplier les autoroutes, faire circuler le métro, construire des palais pour les arts et les sciences. Cette ambition et cette action sont pour les Français d'ici, comme pour ceux de France, essentielles à leur destinée parce que celle-ci ne peut être en effet que le progrès ou bien le déclin.

    Rien n'est donc plus naturel et, en même temps, plus salutaire que les liens de plus en plus étroits qui s'établissent entre toutes les branches de nos activités françaises de part et d'autre de l'Atlantique! Mais combien cela est vrai surtout pour nos universités, foyers de notre culture, c'est-à-dire de nos âmes, de nos espoirs, de notre rayonnement! Combien sont satisfaisants nos échanges croissants de maîtres, d'étudiants, de livres et d'informations, tels qu'ils sont organisés par les accords conclus entre le Gouvernement de Québec et celui de Paris! Combien est significatif le fait que ce soit Montréal qui ait été le berceau de l'association des universités de langue française, dont, il y a quelques semaines, les recteurs sont venus de beaucoup de pays du monde, tout justement dans cette enceinte, réunis par la commune conception de la vie et des rapports humains qui est la nôtre et qu'exprime notre langue!

    Or, au milieu des bouleversements qui ont déjà marqué le siècle et devant ceux qui le pressent, ce grand et libre ensemble d'intelligence, de raison et de sentiment est nécessaire au progrès et à l'équilibre du monde qui sont les conditions de la paix. Cet ensemble, pour nous tous, Français, que nous soyons du Canada ou bien de la France, c'est notre mission séculaire de l'inspirer et de le servir. La part éminente qu'y prend l'Université de Montréal est un signe décisif de ce que vaut et veut notre peuple.

  21. Discours prononcé lors du déjeuner
    offert par le maire de Montréal,
    Jean Drapeau, 26 juillet 1967

    Monsieur le maire,

    Si un fait, un événement, pouvait justifier à lui seul le voyage que j'ai l'honneur de faire au Québec, à l'invitation du premier ministre du Gouvernement de ce pays, ce serait l'allocution vraiment émouvante et profonde que vous venez de prononcer et dont je vous demande de croire que, pour les Français, et en particulier, si vous le permettez, pour leur Président, les mots en iront très loin.

    Ce matin, monsieur le maire, et cela aura été la dernière étape de notre voyage, vous nous avez fait visiter rapidement cette ville énorme de Montréal. Tout de suite je vous dirai que rien ne peut être plus émouvant et plus encourageant pour un Français que d'avoir vu cela, discerné ce passé et constaté ce présent. Le passé: oui, c'est bien ici que Jacques Cartier est venu il y a 432 ans pour planter sur le Mont Royal, où vous m'avez conduit tout à l'heure, le drapeau du «vieux pays». C'est bien ici que Maisonneuve fonda la ville Marie. C'est bien ici que de vaillants Français et Françaises qui étaient nos ancêtres, et notamment la glorieuse Jeanne Mance, ont su défendre la cité assiégée pendant vingt ans par des tribus redoutables. C'est ici que gouvernèrent Champlain et ses successeurs. C'est ici qu'il y a un peu plus de deux siècles, au coeur de votre ville, à Sainte-Hélène, malgré les promesses de Montcalm, Lévis et ses soldats livrèrent leur dernier combat dans le dernier bastion contre les conquérants anglais. On aurait pu croire que, ce passé ayant été marqué d'une telle douleur, Montréal aurait perdu son âme française dans le doute et dans l'effacement. Miracle! Il n'en a rien été. Et au contraire, quelle vitalité, quelle puissance, quelle ardeur se dégagent de cette grande cité! La voilà devenue une grande métropole économique, avec une industrie de plus en plus considérable, des relations commerciales de plus en plus étendues. La voilà qui joint la navigation des grands lacs américains à celle de l'Atlantique. La voilà qui installe dans ses murs l'Organisation internationale de l'Aviation civile. La voilà qui est érigée en capitale intellectuelle, avec son université de langue française, ses centaines de professeurs, ses milliers d'étudiants, ses multiples collèges affiliés. La voilà transformée en modèle d'urbanisation et, en particulier, pour ce qui est du magnifique métropolitain. Et la voilà qui offre à l'univers le cadre d'une exposition colossale et sans précédent.

    Monsieur le maire, ayant vu cela, je dis en vous quittant et en parlant pour mes compatriotes que c'est un exemple que vous leur avez donné, que vous leur donnez tous les jours, une preuve de ce qu'ils peuvent valoir puisque vous le valez, vous, et enfin que c'est un encouragement de plus, au moment où la France se relève, de prendre, elle aussi, le chemin de ce qui est moderne sans perdre ce qui est humain. A cela vous aurez, je vous le répète, contribué d'une manière essentielle. Et c'est de cela surtout que je vous remercie.

    Pendant mon voyage - du fait d'une sorte de choc, auquel ni vous ni moi-même ne pouvions rien, c'était élémentaire, et nous en avons tous été saisis - au cours de ce voyage, je crois avoir pu aller en ce qui vous concerne au fond des choses et quand il s'agit du destin et notamment du destin d'un peuple, en particulier du destin du peuple canadien-français, ou français-canadien comme vous voudrez, aller au fond des choses, y aller sans arrière-pensée, c'est, en réalité, non seulement la meilleure politique mais c'est la seule politique qui vaille. Ensemble nous avons donc été au fond des choses et nous en recueillons les uns les autres des leçons capitales. Nous les emportons pour agir. Vous, pour poursuivre votre oeuvre dans ce Canada dont vous êtes le coeur, dans cette Amérique dans laquelle vous êtes implantés, avec naturellement toutes les circonstances, toutes les conditions particulières qui vous environnent, mais avec la flamme de nos aïeux. Et nous avec nos difficultés dans un monde qui nous est dur et difficile, dans une Europe qui a été ravagée, déchirée et, en particulier en ce qui concerne la France, dans une époque dangereuse et où il ne s'agit pas pour la France de croire qu'elle peut avoir le choix entre une autre alternative que celle-là, être elle-même, c'est-à-dire forte, vigoureuse et humaine, ou bien décliner, c'est-à-dire peu à peu se dissoudre et disparaître et ainsi enlever à l'humanité une espérance suprême qu'elle a toujours eue.

    Votre oeuvre et celle des Français de France ce sont deux oeuvres conjuguées, ce sont deux oeuvres liées, ce sont des oeuvres qui procèdent de la même inspiration, ce sont des oeuvres françaises. N'ayons pas peur de le voir, de le dire et de le faire. Cela implique, c'est évident, que nous resserrions beaucoup plus étroitement nos rapports physiques et nos rapports moraux, que nous nous rapprochions à tous les égards, par des échanges intellectuels, spirituels, scolaires, littéraires, artistiques, professionnels, touristiques, familiaux. Cela doit être organisé, développé. Nous avons commencé sur la base d'accords signés entre le Gouvernement de ce Québec et le Gouvernement de la France. Nous devons le poursuivre et le développer. Et quant au reste, tout ce qui grouille, grenouille, scribouille, n'a pas de conséquences historiques dans ces grandes circonstances pas plus qu'il n'en eut jamais dans d'autres. Par conséquent, nos voeux sont avec vous en partant, aussi ardents que jamais mais beaucoup plus précis, explicites, et je voudrais que quand je vous aurai quittés, avec ceux qui m'accompagnent, vous ayez gardé l'idée que la présence pour quelques jours du général de Gaulle dans ce Québec en pleine évolution, ce Québec qui se prend, ce Québec qui se décide, ce Québec qui devient maître de lui, mon voyage, dis-je, aura pu contribuer à votre élan. C'est tout naturel, pour toutes les raisons que j'ai dites et qu'avant moi monsieur le maire a dites si noblement.

    En saluant monsieur le premier ministre et son gouvernement qui m'ont invité dans le Québec et grâce auxquels j'ai fait ce voyage magnifique et qui pour le monde entier aura la plus grande portée, en saluant son Éminence le cardinal, qui dans tout ce qu'il a voulu faire, l'a fait à notre égard d'une manière inoubliable, je lève mon verre en l'honneur de monsieur le maire Drapeau, je lève mon verre en l'honneur de sa ville, sa ville pour la remercier, eh bien c'est à lui que je m'adresse, non seulement pour ce qu'il a dit sur l'ensemble de notre situation mais pour ce qui s'est passé à Montréal et pour ce qui s'y passe sous sa direction.

    Parmi les millions, les millions de visiteurs que l'univers envoie en ce moment même vers Montréal, qui donc pourrait ignorer quelle part est la sienne dans l'immense essor de la cité grâce à l'exceptionnelle valeur et à l'ardeur sans limite qu'il apporte à la servir. Je lève mon verre en l'honneur de Monsieur le maire Drapeau, en l'honneur de madame Drapeau à qui nous sommes très reconnaissants de ces gracieuses attentions, en l'honneur de Montréal, de la Ville de Montréal, aujourd'hui plus chère à la France qu'elle ne l'a jamais été.

    III. Après le voyage

  22. Télégramme adressé par le général de Gaulle
    au premier ministre Daniel Johnson, de l'avion qui le ramène à Paris,
    26 juillet 1967

    A son Excellence M. Daniel Johnson, Premier ministre du Québec, Québec

    Je vous remercie, M. le premier ministre, pour la magnifique réception que vous m'avez réservée et à travers vous j'exprime ma gratitude à la population du Québec pour son inoubliable accueil.

    Ma femme se joint à moi pour vous prier de partager avec Madame Johnson notre amical souvenir. Croyez M. le premier ministre en ma haute et cordiale considération.

    Signé Charles de Gaulle

  23. Commentaires du général de Gaulle sur son voyage au Québec,
    dans l'avion qui le ramène à Paris, 26 juillet 1967

    Je savais que je devais faire quelque chose, mais quoi, quand, où? Au bout de cette journée inouïe, il fallait répondre à l'appel de ce peuple; je n'aurais pas été de Gaulle si je ne l'avais pas fait.

  24. Déclaration publiée à l'issue
    du conseil des ministres français, 31 juillet 1967

    Le général de Gaulle a fait connaître au conseil des ministres les impressions et conclusions qu'il a tirées de son récent voyage au Québec.

    Ce voyage, projeté depuis longtemps, a eu lieu à l'invitation du premier ministre du Québec, M. Daniel Johnson et de son gouvernement et à l'occasion de l'Exposition de Montréal que de son côté le gouvernement fédéral canadien demandait au président de la République de venir visiter. C'est ainsi que le chef de l'État, conformément à ce qui était prévu et en compagnie de M. Daniel Johnson, a pu prendre contact étroitement et d'un bout à l'autre avec les autorités et la population du Canada français.

    Le général de Gaulle a constaté l'immense ferveur française manifestée partout à son passage. Il a noté chez les Français canadiens la conviction unanime qu'après le siècle d'oppression qui suivit pour eux la conquête anglaise, le second siècle écoulé sous le système défini par «l'Acte de l'Amérique du Nord britannique» de 1867, ne leur avait pas assuré, dans leur propre pays, la liberté, l'égalité et la fraternité.

    Il a été amené à mesurer leur volonté de parvenir, grâce, si possible, à l'évolution qu'accomplirait éventuellement l'ensemble canadien, à disposer d'eux-mêmes à tous égards, et en particulier, à devenir maîtres de leur propre progrès. Il a, enfin, recueilli de toute part l'appel ardent adressé à la France pour que, après deux cents ans d'éloignement physique et moral, elle organise et étende de plus en plus ses liens avec le peuple français du Canada. C'est ce que prévoient, d'ailleurs, les accords conclus au cours des récentes années entre les gouvernements de Paris et de Québec, celui-ci présidé successivement par MM. Lesage et Johnson, notamment en ce qui concerne le développement culturel, économique, scientifique et technique dont la communauté française a besoin pour survivre, en tant que telle, sur le continent américain.

    Prenant acte de cette vague indescriptible d'émotions et de résolutions, le général de Gaulle a marqué sans équivoque aux Canadiens français et à leur gouvernement que la France entendait les aider à atteindre les buts libérateurs qu'eux-mêmes se sont fixés.

    Au terme de son voyage, ayant parcouru dans le plus émouvant enthousiasme populaire Montréal, la deuxième ville française du monde et la magnifique Exposition universelle dont elle est le siège, le président de la République est rentré à Paris sans passer par Ottawa, comme il avait d'abord accepté de le faire.

    En effet, une déclaration publiée par le gouvernement fédéral canadien et qualifiant d'«inacceptable» le souhait que le Québec soit libre, tel que l'avait exprimé le général de Gaulle, rendait cette visite évidemment impossible.

    Il va de soi, a conclu le président de la République, que la France n'a aucune visée de direction, ni, «a fortiori», de souveraineté, sur tout ou partie du Canada d'aujourd'hui. Mais, étant donné qu'elle a fondé le Canada, qu'elle l'a seule, pendant deux siècles et demi, administré, peuplé, mis en valeur, qu'elle y constate l'existence et l'ardente personnalité d'une communauté française comprenant six millions et demi d'habitants, dont quatre millions et demi dans le Québec, elle ne saurait, à coup sûr, ni se désintéresser du sort présent et futur d'une population venue de son propre peuple et admirablement fidèle à sa patrie d'origine, ni considérer le Canada comme un pays qui lui serait étranger au même titre que tout autre.

  25. Lettre manuscrite et inédite adressée
    au premier ministre Johnson, 8 septembre 1967

    Mon cher premier ministre,

    Il me semble bien que la grande opération nationale de l'avènement du Québec, telle que vous la poursuivez, soit maintenant en bonne voie. L'apparition en pleine lumière du fait français au Canada est maintenant accomplie et dans des conditions telles que - tout le monde le sent - il y faut des solutions. On ne peut plus guère douter que l'évolution va conduire à un Québec disposant de lui-même à tous égards.

    Pour notre communauté française, c'est donc - ne le pensez-vous pas - le moment d'accentuer ce qui est déjà entrepris. Dans les domaines financier, économique, scientifique et technique, mon gouvernement sera incessamment en mesure de faire au vôtre des propositions précises au sujet de notre effort commun. Pour ce qui est de la culture et de l'enseignement, M. Peyrefitte, à qui je confie cette lettre, vous indiquera ce que le gouvernement de Paris est prêt à faire tout de suite et qui est assez considérable.

    Laissez-moi vous répéter que j'ai été touché jusqu'au fond de l'âme par l'accueil que m'a fait le Québec et quelles satisfactions m'ont données notre rencontre et nos entretiens sur le sol du Canada français succédant à ceux de Paris.

    En vous demandant de présenter à madame Daniel Johnson mes très respectueux hommages, auxquels ma femme joint ses meilleurs souvenirs, je vous prie de croire, mon cher premier ministre, à ma très haute et amicale considération.

    Ch. de Gaulle

  26. Conférence de presse tenue
    au palais de l'Élysée, 27 novembre 1967

    - Question : Monsieur le Président, en juillet dernier au balcon de l'hôtel de ville de Montréal, vous avez prononcé quatre mots qui ont fait le tour du monde. Quatre mois après cet événement, est-ce que vous auriez quelques réflexions à ajouter à celles que vous avez faites à votre retour du Québec? D'autre part, pourriez-vous nous dire quels sont, à vos yeux, les grands objectifs de la coopération franco-québécoise qui connaît, depuis quelque temps, un développement accéléré?

    - R�ponse : Ce sont les Français qui, pendant deux siècles et demi, et jusqu'en 1763, avaient découvert, peuplé, administré le Canada. Quand, il y a 204 ans, le gouvernement royal, qui avait essuyé de graves revers sur le Continent et qui, de ce fait, ne pouvait soutenir en Amérique la guerre contre l'Angleterre, crut devoir quitter la place, 60.000 Français étaient installés dans le bassin du Saint-Laurent. Par la suite, leur communauté n'a reçu que d'infimes éléments nouveaux venant de notre métropole, et cela alors qu'une immigration de millions et de millions de Britanniques, récemment relayés par celle de nouveaux arrivants slaves, méditerranéens, scandinaves, juifs, asiatiques, que le gouvernement canadien d'Ottawa déterminait à s'angliciser, s'implantait sur tout le territoire. D'autre part, les Britanniques, qui disposaient au Canada depuis cette époque du pouvoir, de l'administration, de l'armée, de l'argent, du commerce, du haut enseignement, avaient longuement et naturellement déployé de grands efforts de contrainte ou de séduction pour amener les Français canadiens à renoncer à eux-mêmes. Là-dessus, s'était déclenchée l'énorme expansion des États-Unis qui menaçait d'engloutir l'économie, les caractères, le langage, du pays dans le moule américain. Enfin, la France, absorbée qu'elle était par de multiples guerres continentales et par de nombreuses crises politiques, se désintéressait de ses enfants abandonnés et n'entretenait avec eux que des rapports insignifiants. Tout semblait donc concourir à ce qu'ils soient à la longue submergés.

    Eh bien! par ce qu'il faut bien appeler un miracle de vitalité, d'énergie et de fidélité, le fait est qu'une nation française - morceau de notre peuple - se manifeste aujourd'hui au Canada et prétend être reconnue et traitée comme telle. Les 60 000 Français laissés là-bas, jadis, sont devenus plus de 6 millions et ils demeurent plus français que jamais. Au Québec même, ils sont 4 millions 1/2, c'est-à-dire l'immense majorité de la population de cette vaste province. Pendant des générations, ces paysans d'origine, petites gens cultivant les terres, se sont magnifiquement multipliés pour tenir tête au flot montant des envahisseurs. Au prix d'efforts inouïs, autour de leurs pauvres prêtres, avec pour devise «Je me souviens», ils se sont acharnés et ils ont réussi à garder leur langue, leurs traditions, leur religion, leur solidarité, françaises. Mais voici qu'ils ne s'en tiennent plus à cette défensive passive et qu'ils prétendent, comme tout autre peuple, devenir maîtres de leur destin. D'autant plus ardemment, maintenant, qu'ils se sentent subordonnés aux autres, non plus seulement politiquement, mais aussi économiquement.

    En effet, étant donné la situation, rurale, isolée, inférieure, dans laquelle était reléguée la communauté française, l'industrialisation s'est faite, pour ainsi dire, par-dessus elle; l'industrialisation qui, là comme partout, commande la vie moderne. On voyait donc, même au Québec, les Anglo-Saxons fournir les capitaux, les patrons, les directeurs, les ingénieurs, former à leur façon et pour le service de leurs entreprises une grande partie de la population active, bref, disposer des ressources du pays. Cette prépondérance, conjuguée avec l'action qualifiée de «fédérale» mais inévitablement partiale, du Gouvernement canadien d'Ottawa, mettait dans une situation de plus en plus inférieure les Français et exposait à des dangers croissants leur langue, leur substance, leur caractère. C'est à quoi ils ne se résignaient pas du tout, et ils s'y résignaient d'autant moins que, tardivement mais vigoureusement, ils se mettaient en mesure d'assumer eux-mêmes leur propre développement. Par exemple, la jeunesse, qui sort maintenant de leurs universités modernes et de leurs nouvelles écoles techniques, se sent parfaitement capable de mettre en valeur les grandes ressources de son pays et même, sans cesser d'être française, de participer à la découverte et à l'exploitation de tout ce que contient le reste du Canada.

    Tout cela fait que le mouvement d'affranchissement, qui a saisi le peuple français d'outre-Atlantique, est tout à fait compréhensible et qu'aussi rien n'est plus naturel que l'impulsion qui le porte en même temps à se tourner vers la France. Au cours de ces dernières années, il s'est formé, au Québec, un puissant courant politique, varié sans doute dans ses expressions, mais unanime quant à la volonté des Français de prendre en main leurs affaires. Le fait est là et, bien entendu, ils considèrent la mère patrie non plus seulement comme un souvenir très cher, mais comme la nation dont le sang, le coeur, l'esprit, sont les mêmes que les leurs et dont la puissance nouvelle est particulièrement apte à concourir à leurs progrès, alors qu'inversement leur réussite apporterait à la France pour son progrès, son rayonnement, son influence, un appui considérable. Ainsi, en particulier, le fait que la langue française perdra ou gagnera la bataille au Canada, pèsera lourd dans la lutte qui est menée pour elle, d'un bout à l'autre du monde.

    C'est donc avec une grande joie et un grand intérêt que le Gouvernement de la République a accueilli à Paris le Gouvernement du Québec en la personne de ses chefs successifs: M. Lesage et M. Daniel Johnson, et conclu avec eux des premiers accords d'action commune. Mais il était évident que ces retrouvailles de la France et du Canada français devaient être constatées et célébrées solonnellement sur place. C'est pourquoi M. Daniel Johnson me demanda de venir rendre visite au Québec et c'est pourquoi je m'y rendis au mois de juillet dernier.

    Rien ne saurait donner l'idée de ce que fut la vague immense de foi et d'espérance françaises qui souleva le peuple tout entier au passage du Président de la République. De Québec jusqu'à Montréal, sur les 250 km de la route longeant le Saint-Laurent et que les Français canadiens appellent le «Chemin du Roy» parce que, jadis, pendant des générations, leurs pères avaient espéré qu'un jour un Chef de l'État français viendrait à le parcourir, des millions et des millions d'hommes, de femmes, d'enfants, s'étaient rassemblés pour crier passionnément: «Vive la France!»; et ces millions arboraient des centaines et des centaines de milliers de drapeaux tricolores et de drapeaux du Québec à l'exclusion presque totale de tous autres emblèmes.

    Partout où je faisais halte, ayant à mes côtés le premier ministre du Québec et tels ou tels de ses collègues et accueilli par les élus locaux, c'est avec un enthousiasme unanime que la foule accueillait les paroles que je lui adressais pour exprimer trois évidences. D'abord: «Vous êtes des Français». Ensuite: «En cette qualité, il vous faut être maîtres de vous-mêmes!». Enfin: «L'essor moderne du Québec, vous voulez qu'il soit le vôtre!». Après quoi, tout le monde chantait la Marseillaise avec une ardeur indescriptible. A Montréal, la deuxième ville française du monde, terme de mon parcours, le déferlement de passion libératrice était tel que la France avait, en ma personne, le devoir sacré d'y répondre sans ambages et solennellement. C'est ce que je fis, en déclarant à la multitude assemblée autour de l'hôtel de ville: que la mère patrie n'oublie pas ses enfants du Canada, qu'elle les aime, qu'elle entend les soutenir dans leur effort d'affranchissement et de progrès et, qu'en retour, elle attend d'eux qu'ils l'aident dans le monde d'aujourd'hui et de demain. Puis, j'ai résumé le tout en criant: «Vive le Québec libre!». Ce qui porta au degré suprême la flamme des résolutions.

    Que le Québec soit libre c'est, en effet, ce dont il s'agit. Au point où en sont les choses, dans la situation irréversible qu'a démontrée et accélérée le sentiment public lors de mon voyage, il est évident que le mouvement national des Français canadiens et aussi l'équilibre et la paix de l'ensemble canadien, et encore l'avenir des relations de notre pays avec les autres communautés de ce vaste territoire, et même la conscience mondiale désormais éclairée, tout cela exige que la question soit résolue.

    Il y faut deux conditions. La première implique un changement complet de l'actuelle structure canadienne, telle qu'elle résulte de l'Acte octroyé il y a cent ans par la reine d'Angleterre et qui créa la «Fédération». Cela aboutira forcément, à mon avis, à l'avènement du Québec au rang d'un État souverain, maître de son existence nationale, comme le sont par le monde tant et tant d'autres peuples, tant et tant d'autres États, qui ne sont pourtant pas si valables, ni même si peuplés, que ne le serait celui-là. Bien entendu, cet État du Québec aurait à régler, librement et en égal avec le reste du Canada, les modalités de leur coopération pour maîtriser et exploiter une nature très difficile sur d'immenses étendues et pour faire face à l'envahissement des États-Unis. Mais on ne voit pas comment les choses pourraient aboutir autrement, et, du reste, si tel est leur aboutissement il va de soi aussi que la France est toute prête, avec un ensemble canadien qui prendrait ce caractère nouveau, à entretenir les meilleures relations possibles.

    La deuxième condition dont dépend la solution de ce grand problème, c'est que la solidarité de la communauté française de part et d'autre de l'Atlantique s'organise. A cet égard, les choses sont en bonne voie. La prochaine réunion, à Paris, nous l'espérons, du gouvernement du Québec et du gouvernement de la République, doit donner une plus forte impulsion encore à cette grande oeuvre française essentielle en notre siècle. A cette oeuvre devront d'ailleurs participer, dans des conditions qui seront à déterminer, tous les Français du Canada qui ne résident pas au Québec et qui sont un million et demi. Je pense, en particulier, à ces deux cent cinquante mille Acadiens, implantés au Nouveau-Brunswick et qui ont, eux aussi, gardé à la France, à sa langue, à son âme, une très émouvante fidélité.

    Au fond, nous tous Français, que nous soyons du Canada ou bien de la France, pouvons dire, comme Paul Valéry l'écrivait quelques jours avant de mourir: «Il ne faut pas que périsse ce qui s'est fait en tant de siècles de recherches, de malheurs et de grandeurs et qui court de si grands risques, dans une époque où domine la loi du plus grand nombre. Le fait qu'il existe un Canada français nous est un réconfort, un élément d'espoir inappréciable... Ce Canada français affirme notre présence sur le continent américain. Il démontre ce que peuvent être notre vitalité, notre endurance, notre valeur de travail. C'est à lui que nous devons transmettre ce que nous avons de plus précieux, notre richesse spirituelle. Malheureusement, trop de Français n'ont sur le Canada que des idées bien vagues et sommaires». Et Paul Valéry conclait: «Ici s'insérerait trop facilement une critique de notre enseignement». Ah! qu'eût-il dit de notre presse, s'il avait vécu assez pour lire tout ce que tant et tant de nos journaux ont pu publier - n'est-ce pas? - à l'occasion de la visite que le général de Gaulle a rendue aux Français du Canada!

    Allons! allons! pour eux aussi, pour eux surtout, il faut que la France soit la France!

  27. Deux autres annotations révélatrices

    Note sur un télégramme d'Ottawa, 22 décembre 1967

    Il faut soutenir le Québec.

    Note sur un télégramme, 10 avril 1968

    Nous n'avons aucune concession ni même aucune amabilité à faire à M. Trudeau qui est l'adversaire de la chose française au Canada. C.G.

  28. Réponse à l'allocution du nouvel ambassadeur du Canada en France, Paul Beaulieu,
    lors de la présentation de ses lettres de créance, 14 décembre 1968

    Monsieur l'ambassadeur,

    J'ai reçu de vos mains les lettres de créance par lesquelles votre gracieuse souveraine, qui est en même temps celle du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande, vous a désigné pour représenter, auprès de moi-même et du gouvernement de la République française, son gouvernement d'Ottawa.

    Monsieur l'ambassadeur, je n'épiloguerai pas - du reste, en le faisant, je n'ajouterai rien à ce que vous avez dit vous-même - sur le fait que cet immense ensemble qui s'appelle le Canada est en pleine évolution. A l'origine, il a été formé par deux nations. Ces deux nations existent toujours. Elles s'y trouvent côte à côte. Nous ne souhaitons certainement pas, nous qui avons fondé le Canada, voir entre elles se développer des griefs, des querelles. Nous souhaitons, au contraire, qu'elles s'accordent. Nous pensons qu'elles pourraient s'accorder, mais à la condition que leurs personnalités nationales soient respectées et ne se confondent pas.

    C'est ainsi qu'en tant que Français et en pensant à tous les Français du Canada, j'exprime le souhait qu'un jour le Canada trouve son équilibre dans des conditions nouvelles sous la forme d'une coopération organisée entre peuples égaux.

    Monsieur l'ambassadeur, cela étant dit, vous pouvez être assuré de trouver, auprès de moi et de mon gouvernement, les facilités nécessaires à votre mission. Il y a maintes raisons de maintenir des rapports entre vous et nous, qu'ils soient politiques ou pratiques.

  29. Allocution prononcée à l'issue du dîner offert au palais de l'Élysée,
    en l'honneur de Jean-Guy Cardinal,vice-président du Conseil des ministres
    et ministre de l'Éducation du Québec, 22 janvier 1969

    Monsieur le président,

    A l'inoubliable visite que j'ai eu le très grand honneur et la très grande joie de faire au Québec, il y a dix-huit mois, sur l'aimable invitation du si regretté Daniel Johnson, voici que succède celle que vous nous rendez à Paris, aux lieu et place de M. le premier ministre Jean-Jacques Bertrand dont nous regrettons profondément que sa santé l'ait, cette fois, empêché de venir nous voir.

    Il est clair comme le jour que ces échanges de contacts personnels entre nos deux gouvernements portent la marque d'un fait éclatant et capital. Je veux parler, naturellement, de l'établissement de rapports directs entre la Nouvelle-France et la France, entre Québec et Paris. En somme, les Français vivant de part et d'autre de l'Atlantique et qui, malgré le temps, les distances et les épreuves, ne s'étaient jamais réciproquement oubliés, se sont officiellement retrouvés. Nous n'avons aucune raison de cacher l'émouvante satisfaction que nous en ressentons, tandis que commence à se guérir dans l'âme de notre peuple une blessure vieille de deux siècles et demeurée depuis lors douloureuse.

    Mais si, entre Français de France et Français du Canada, le sentiment trouve aujourd'hui un début de consolation, c'est aussi, c'est surtout, d'action en commun qu'il s'agit. Car, sur deux continents différents, nous sommes, vous et nous, engagés dans un même combat, celui de la vie qui, désormais, se confond avec celui du progrès. C'est à la condition de nous affirmer, d'avancer, de rayonner, que nous pouvons sauvegarder et faire valoir notre substance française et, à partir de là, coopérer avec d'autres et fournir au bien de tous les hommes notre contribution à nous. Du coup, nous voilà solidaires dans tous les domaines où, en tant que Français, nous nous trouvons, soit en Europe, soit au Canada, aux prises avec les formes politiques, économiques, sociales et culturelles, naturellement très diverses suivant les situations et les latitudes, que revêt en notre temps l'éternelle compétition internationale. Parce que nous l'avons compris, nous sommes maintenant décidés à nous aider mutuellement et par préférence, afin que les liens tissés de nouveau entre le Québec et la mère-patrie nous rendent plus forts pour lutter dans toutes les activités modernes.

    Ces liens, monsieur le président, votre présence à Paris et celle de la délégation ministérielle qui vous accompagne vont permettre aux deux gouvernements de les multiplier et de les resserrer comme il faut. Certes, nous connaissons et mesurons les obstacles, qu'à l'intérieur de nous-mêmes, nous opposent à cet égard beaucoup d'insuffisances et de retards. Mais je puis vous assurer que, pour qu'ils soient surmontés, vous ne trouverez ici que résolution déterminée et fraternelle.

    En vous demandant de bien vouloir transmettre à monsieur le premier ministre Bertrand le salut de ma très haute et amicale considération, et mes meilleurs voeux de complet rétablissement, je lève mon verre en votre honneur, monsieur le président, en l'honneur des Québécois qui vous entourent, en l'honneur du Québec, qui, étroitement lié à la France, assurera son avenir français par son effort international.



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