Pierre
ARNAUD, Thierry TERRET, Jean-Philippe SAINT-MARTIN, Pierre GROS,
Le sport et les Français pendant
l'Occupation, 1940-1944, Paris, L'Harmattan, 2002, tome
1, 379 p., tome 2, 280p.
Les Carrefours d'histoire du sport qui rassemblent régulièrement
autour d'un thème spécifique des chercheurs, mais
aussi des acteurs institutionnels ou de simples témoins,
permettent à la fois de faire un état des lieux,
et d'ouvrir de nouvelles piste. Le 9e Carrefour d'histoire du
sport (novembre 2000) ne déroge pas à la règle
en prenant comme objet d'étude la période 1940-1944,
encore insuffisamment défrichée, en dépit
de la place centrale tenue par les activités physiques
dans les préoccupations du régime de Vichy, comme
des transformations importantes subies par l'institution sportive,
dont certaines seront conservées après l'effondrement
de l'État Français.
Précédées d'une préface de Robert
O. Paxton, 47 communications ont été réunies
par des spécialistes du champ sportif, en particulier Pierre
Arnaud et Thierry Terret, et regroupées en huit parties
ordonnées de la manière suivante : « Politiques
sportives : la Métropole et l'Empire », « Associations
et fédérations pendant l'Occupation », «
La vie sportive pendant l'Occupation », « Sports de
plein air », « Biographies », « Les Chantiers
de jeunesse et la méthode naturelle », « Dissidences
et mouvements affinitaires ? », « Les représentations
du sport français sous Vichy ». Le souci des maîtres-d'oeuvre
de respecter au plus près dans leur procédure de
classement l'originalité de chacun de ces textes, n'est
pas sans inconvénients, dans la mesure où il induit
un découpage trop analytique et un déséquilibre
entre les parties ( 10 communications pour les « Politiques
sportives », 3 pour les « Dissidences et mouvements
affinitaires »).
Pour autant, de l'ensemble de ces communications émerge
une convergence autour de quelques grands axes qui confèrent
une unité à l'ouvrage : l'imposition d'un nouvel
ordre sportif appréhendé essentiellement d'un point
de vue institutionnel et idéologique ; les pratiques et
les pratiquants en zone libre et en zone occupée ; la mise
en scène du sport, comme vecteur privilégié
de la propagande vichyssoise ; l'adhésion et la résistance
des instances sportives, voire des individus à la politique
mise en oeuvre.
Les années 1940-1944 se caractérisent par une confiscation
des activités physiques au profit de la Révolution
nationale et du projet idéologique de Vichy qui se traduit
par un contrôle étatique étroit du secteur
sportif ( loi du 20 décembre 1940 dite Charte des sports
soumettant la création des associations sportives à
un agrément ministériel)). Un ambitieux programme
est mis en place dont la finalité est la régénération
de la race. « L'homme nouveau » tel qu'il est rêvé
par les serviteurs de l'État Français, a pour fondement
la fortification des corps qui trempe le caractère, affermit
la volonté, exalte la discipline. Loin d'être une
pratique hédoniste, l'activité corporelle est au
service de l'idéal d'une France nouvelle reconstruite physiquement
et surtout moralement grâce à elle.
Une politique activiste aboutit à la mise en place de toute
une série de structures institutionnelles dont le pôle
est constitué par le Commissariat Général
à l'Éducation Générale et aux Sports
( P. Giolitto) créé en août 1940. Son objet
est la généralisation des exercices physiques à
l'ensemble de la population, mais la priorité est donnée
à l'institution scolaire et aux associations sportives.
Cette nouvelle administration se dote d'une structure déconcentrée
avec des directions départementales et régionales
impliquant la création d'un nouveau corps de fonctionnaires.
Premier Commissaire général à l'EGS, Jean
Borotra, rempli d'enthousiasme et d'ardeur pour l'oeuvre à
accomplir ( J-L Gay-Lescot) bénéficie de l'appui
total du maréchal Pétain qui lui laisse les mains
libres et ne lésine pas sur les crédits, compte
tenu du retard français en la matière. Vichy a pu
ainsi apparaître comme une sorte d'âge d'or. Deux
mille projets d'aménagements, comme le montre l'exemple
de Bordeaux (L. Robène), et en particulier des terrains
de jeux scolaires, sont mis à l'étude durant les
années 1941 et 1942 ; 9 heures d'activités physiques
hebdomadaires sont prévues dans l'enseignement primaire,
7 heures au premier trimestre, 11 heures au deuxième dans
l'enseignement secondaire, sans oublier la demi-journée
de plein air. Un effort particulier est donc entrepris pour la
formation de cadres de l'éducation physique et du sport
avec, entre autres, la création de Centres Régionaux
d'Éducation Générale et Sportive et celle
du Collège National des Moniteurs et Athlètes d'Antibes.
La méthode d'éducation physique naturiste (1905)
du lieutenant de vaisseau Georges Hébert, véritable
bible du régime, est dispensée dans le système
scolaire, dans les associations et mouvements de jeunesse, fer
de lance de la Révolution nationale, et plus encore dans
cette institution bâtarde que sont les Chantiers de la Jeunesse
(J-M Delaplace).
Dans le domaine du sport proprement dit, après une période
de quasi cessation des activités et de réorganisation
des structures sportives - volonté de Borotra de ne maintenir
qu'une seule fédération par discipline comme de
lutter contre le professionnalisme dont témoigne la dissolution
de la ligue de rugby à XIII (R. Fassolettte) -, on constate
à partir de la fin de l'année 1941 le dynamisme
de nombre de clubs, l'augmentation des effectifs, en particulier
dans le football, aussi bien en zone occupée (O.Chovaux)
que dans les lointaines Antilles (J.Dumont). Certaines pratiques
tirent fort bien leur épingle du jeu comme les sports de
montagne, objet d'une attention particulière de la part
du gouvernement en raison d'une identité des valeurs prônées
par Vichy et des qualités censées définir
les adeptes des cimes. La montagne devient un espace privilégié
du renouveau national ( Y. Moralès). Ainsi le phénomène
des « camps d'alpinisme » apparu durant les années
1941-1943 et les ascensions en groupe sont-ils l'expression symbolique
du sens communautaire et de la cohésion sociale ( P. Bourdeau)
qui se retrouve dans le mouvement « Jeunesse et Montagne
» émanation de l'armée de l'air où
se pratique une initiation collective aux activités du
ski et de l'alpinisme. (O.Hoibian).
Le régime encourage également la pratique du ballon
(handball, basket, volley, football amateur, rugby) vu son faible
coût, surtout en période de pénurie, et parce
qu'il développe l'esprit d'équipe. Le rugby est
particulièrement favorisé en raison de l'accès
à de hautes fonctions de dirigeants et sympathisants du
XV ( le colonel Pascot qui succède à Borotra le
18 avril 1942 fut six fois sélectionné en équipe
de France), et surtout parce qu'il y a une homologie entre le
campanilisme des pratiquants du ballon ovale et le discours régionaliste
tenu dans les sphères vichyssoises. Enfin l'attention prêtée
aux disciplines en conformité avec la « nature féminine
» pour lesquelles oeuvre Marie-Thérèse Eyquem,
une responsable du sport catholique nommée déléguée
à l'éducation physique et aux sports féminins,
se traduit par une augmentation du nombre des clubs et des licenciées
(L. Munoz).
Au service du renouveau du pays par les activités physiques,
la propagande devient un atout majeur et certaines manifestations
de masse qui se veulent la vitrine d'une union nationale, telles
la Fête Nationale de la Sportive ( 5 juillet 1942) ou la
cérémonie du Serment de l'Athlète (27 juin
1943) sur l'ensemble des stades de France, ne sont pas sans rappeler
les démonstrations dont font usage les régimes totalitaires.
L'Empire est mis au service la grandeur nationale (N. Bancel)
et les sportifs noirs de haut niveau sont instrumentalisés
par le régime ( T. Jobert). Enfin le sport est esthétisé
et valorisé sur le plan artistique à travers de
multiples expositions (P. Chazaud), pour ne pas parler de toute
une littérature exaltant la régénération
des corps qu'illustrent entre autres Giraudoux et Drieu La Rochelle
(P. Charreton).
Le discours officiel sur les pratiques physiques ne peut que satisfaire
les instances sportives, maréchalistes par conviction ou
par nécessité puisque l'État choisit la majorité
des membres directeurs ; il n'en va pas de même pour maints
professionnels dont la carrière est sacrifiée en
raison de la réduction du nombre de clubs due à
l'obligation de la fusion, ou à la disparition de grandes
épreuves sportives ( Six Jours, Tour de France) et de matchs
internationaux. En revanche si une minorité de pratiquants
semble réceptive à ce discours (J.-P. Bodis), la
majorité d'entre eux y est peu sensible. S'adonner à
un sport ne signifie pas nécessairement adhérer
aux valeurs prônées par l'État Français
et pour une masse d'individus, dont les nombreux spectateurs assistant
même à de modestes championnats, il représente
une évasion, une des rares distractions dans un sombre
quotidien.
Voilà qui pose la question du décalage entre les
intentions politiques du régime en matière d'activités
physiques et les
conditions réelles de leur mise en oeuvre. Aussi bien l'idée
d'un âge d'or du sport sous Vichy est-elle mise en doute
dans plusieurs communications. Ainsi les heures d'éducation
physique dans les établissement scolaires ont été
très rapidement réduites vu l'hostilité des
parents, la mauvaise volonté de l'Institution, fruit d'une
tradition culturelle, et parce qu'il était impensable de
demander à des enfants mal nourris et sans équipement
de se livrer à une telle dépense d'énergie
( P. Arnaud). Beaucoup de projets d'infrastructures sportives
ne voient pas le jour en raison de l'inertie, parfois voulue,
des municipalités et de la pénurie croissante de
matériaux. Par ailleurs, la comparaison du nombre de clubs
et de licenciés entre 1939 et 1942 traduit un simple accroissement
de 5,8%, tandis que la natation, discipline de base, enregistre
une baisse des effectifs de 24%, qui atteint plus de 60% dans
le cas des membres de la Fédération Française
de Cyclisme(A.Poyer). Enfin le remplacement au Commissariat Général
de Borotra, technocrate pragmatique, par Pascot ( M. Lassus) qui
entre dans le gouvernement de Pierre Laval suscite une prise de
distance croissante des milieux concernés à son
égard, provoquée par son autoritarisme, la dérive
collaborationniste du régime, et le souci de maintenir
l'autonomie du champ sportif.
Face à un occupant qui n'a guère mis d'entraves
à la pratique sportive (opium du peuple ?), quelle a été
l'attitude du mouvement sportif : collaboration ou résistance
? L'ouvrage n'apporte qu'une maigre information dispersée
à travers les diverses communications. En ce domaine, la
recherche n'a guère avancée, et significativement,
aucun texte n'est consacré à l'un ou l'autre thème.
En l'état actuel des connaissances, l'engagement dans l'un
ou l'autre camp a été limité. En Alsace des
tenues au trois couleurs sont portées lors de championnats
(W. Charpier). A la fin de 1941, d'anciens membres de la Fédération
Sportive du Travail, d'obédience communiste, fonde la section
Sport Libre au sein du Front Patriotique de la Jeunesse et publient
des tracts clandestins. Si certains auteurs formulent l'hypothèse
selon laquelle les valeurs développées par l'associationnisme
sportif ont pu favoriser l'entrée dans la résistance
( C. Piard ; J-P. Callède), il n'existe pas de réseau
spécifique et l'engagement demeure foncièrement
individuel.
A l'autre bord, la collaboration active semble voir été
modeste si l'on excepte les prises de position du journal l'Auto
et de son directeur Jacques Goddet ou celles de l'Union sportive
et gymnique du travail proche du journal La France Socialiste
et de Marcel Déat . On pourrait évoquer une collaboration
passive comme le montrent deux clubs mondains, le Racing et le
Stade Français, sur lesquels les officiers allemands jettent
leur dévolu et où se pratique une cohabitation courtoise
(B. Prêtet). Plus généralement, l'exclusion
des juifs des espaces sportifs ne suscite aucune protestation.
Le sacro-saint « apolitisme du sport » érigé
en vertu cardinale (Borotra ne dit-il pas qu'il ne fait pas de
politique !) est une notion largement partagée. En témoignent
l'exemple de l'international de l'équipe de rugby Jean
Dauger pour qui l'essentiel était de vivre à Bayonne
et de porter le maillot de son club ( J.-P. Bodis ) ou la présence
d'un seul résistant notoire dans les équipes de
rugby du Lot-et-Garonne (J.-P. Martin). Une dernière remarque
: l'étrange mansuétude dont ont bénéficié
à la Libération les principaux responsables de la
politique sportive sous Vichy ne laisse pas d'étonner.
A fortiori, les responsables de fédérations ou de
clubs ont couvert d'un voile pudique leurs compromissions. Sur
quelque 10000 membres du Racing, seuls 25 ont été
radiés et 15 suspendus. Bref le « droit à
l'oubli » a triomphé sans peine du « devoir
de mémoire » dans les milieux sportifs épargnés
par l'épuration.
En définitive, si l'on peut regretter une approche par
trop institutionnelle de la thématique au détriment
du quotidien vécu par les sportifs « ordinaires »,
il n'en demeure pas moins que cet ouvrage, par la richesse de
son information et les interrogations qu'il soulève, marque
une étape importante dans la connaissance du rôle
joué par le sport durant les années 1940-1944.
Ronald
Hubscher
mise
en ligne : mars 2003
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