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Voltaire / Voltaire à tous les vents

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L'homme de théâtre

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L'homme de théâtre

Cinquante-deux ! C'est le nombre de pièces écrites par Voltaire, alors que Corneille nous en a laissé à peine trente-trois et Racine douze. Cette supériorité de production n'est pas un gage de qualité, certes, mais les pièces de Voltaire (aujourd'hui oubliées) eurent un retentissement considérable au XVIIIe siècle. La première représentation d'OEdipe, le 18 novembre 1718, fut un prodigieux succès. La pièce est jouée quarante-cinq fois consécutives devant un public enthousiaste. « Première tragédie philosophique », OEdipe traite de politique et de religion sans y mêler aucune intrigue d'amour. Le choix du sujet montre néanmoins l'attachement de Voltaire pour les auteurs classiques. Toute une partie de son oeuvre tend à faire l'éloge du classicisme : il n'y a qu'à lire ses Commentaires sur Corneille ; dans Le Temple du goût trônent les grands auteurs du siècle de Périclès, d'Auguste ou de Louis XIV. Aussi, malgré son anglophilie tenace, ne manque-t-il pas de regarder Shakespeare d'un oeil critique : « Ses pièces sont barbares, dépourvues d'ordre, de vraisemblance », écrit-il dans les Lettres philosophiques (lettre XVIII).

Pourtant, les tragédies de Voltaire n'ont presque rien de classique, malgré les intentions de leur auteur. S'il y a bien un genre littéraire où il innove, c'est le théâtre. A l'unité d'action paralysante des classiques, il oppose les coups de théâtre les plus tonitruants : méprises, reconnaissances, situations imprévues, intrigues enchevêtrées. Voltaire fait l'économie des récits, et aux dialogues interminables il préfère les scènes d'action à l'état brut : échafauds, sacrifices, duels, empoisonnements, batailles... Dans César arrive un personnage ensanglanté, le bras en écharpe : la scène choque les censeurs, mais le public applaudit. Ce théâtre annonce les rebondissements pathétiques du mélodrame bourgeois de la fin du siècle. Voltaire a réellement voulu réformer la tragédie classique. L'exemple de Zaïre (1732) indique des changements significatifs dans le traitement des sujets et des personnages. L'action ne va plus se perdre dans un temps ou un espace mythiques, elle prend racine dans le réel et s'inscrit dans le passé national (à l'époque des croisades de saint Louis). Avec Voltaire, la tragédie s'humanise, et Dieu n'a plus sa place dans les affaires humaines. Le destin des personnages est pris dans des contradictions bien réelles et s'éloigne de toute transcendance. Ainsi la tragédie voltairienne est-elle, au fond, anti-tragique.