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PRIMITIFS ET XVe SIECLE ITALIENS
 
 

Sandro Botticelli (Florence, 1445 – 1510)
Vierge à l’enfant et deux anges
Peinture sur bois, 107 x 75 cm

On peut distinguer deux grandes périodes dans l'œuvre de Botticelli. Entre 1470 et 1485, il élabore un langage exprimant une tension vers l'imaginaire cherchant à transformer la réalité en un mythe de beauté selon les principes du néo-platonicisme. Ensuite, sous l'influence de la condamnation de la culture classique et profane de son temps par Savonarole, il donna à ce même langage une tonalité spirituelle non dénuée de violence.
Son œuvre est marquée par un grand dynamisme et la recherche d'effets plastiques exprimés avec clarté et légèreté.
Œuvre attribuée à Botticelli par l'ensemble de la critique, à l'exception de Bernard Berenson, qui la considère comme une version d'atelier. Tous les auteurs s'accordent à dénoter dans cette Vierge à l'enfant un attachement très fort à Filippo Lippi, maître de Botticelli jusqu'en 1469. D'autres auteurs, en particulier Salvini, ont souligné les forts accents de Verrocchio, présents dans le dessin spécifique des lèvres de la Vierge et le raffinement du vêtement de l'ange.
Ce type de composition connaîtra un grand succès dans la Florence de la deuxième moitié du XVe siècle et l'utilisation de certains motifs (le livre posé sur le muret, le vase et les roses) sera largement reprise. L'enfant, plutôt lourd, aux traits peu délicats et d'une expression disgracieuse, est peu fréquent dans l'œuvre de Botticelli et ne se retrouve guère que dans la Madonna Bardi de Berlin, généralement datée vers 1485.
Comme la plupart des œuvres des «primitifs italiens» du musée de Strasbourg, ce Botticelli a été acquis par Wilhelm Bode, directeur des musées de Prusse; grand connaisseur de l’art italien, qui avait été chargé de reconstituer les collections du musée après son incendie (le musée se trouvait à l’Aubette) durant la guerre de 1870.

 
 
 
Cima da Conegliano (Comegliano,
vers 1469 - vers 1517)
Saint Sébastien
Peinture sur bois,
116,5 x 47 cm
  Saint Roch,
Peinture sur bois, 116,5 x 47 cm

Ces deux panneaux de Cima da Conegliano présentent un intérêt majeur dans la collection de Strasbourg, car ils sont les seuls dont la provenance et l’historique sont établis de manière sûre. Ils représentent saint Sébastien, presque nu, se détachant sur un fond de paysage, et saint Roch, vêtu de son habit de pèlerin. Ces saints, classiques à Venise, se sont associés pour mieux protéger de la peste. Saint Sébastien est ici le type même du martyr fortement idéalisé, dans un tableau affirmant une démonstration de savoir-faire en matière d’anatomie. Le nu encore déterminé par un sens fort de la ligne se détache sur un fond de paysage minutieusement décrit. L’apparition du château Saint-Ange en arrière-plan pourrait signifier davantage qu’un simple élément prouvant le classicisme de Cima : le nom du château commémorerait l’apparition à Grégoire le Grand d’un ange annonçant la peste de Rome en 590, épisode liant parfaitement cette apparition architecturale à l’iconographie des deux saints de la peste.
L’attribution de ces deux panneaux à Cima da Conegliano fut confirmée grâce à la reconstitution du retable dont ils proviennent. Tous deux appartenaient en effet à un même ensemble dont la partie centrale, Sainte Catherine d’Alexandrie et la lunette, une Vierge à l’Enfant entre saint Dominique et saint François se trouvent à la Wallace Collection de Londres. La partie centrale porte une signature sur le piédestal: JOANIS BABTISTE CONEGLANESIS OPUS.
Le retable fut exécuté pour l’église de San Rocco à Mestre. Après la peste de 1630, on changea l’autel en bois pour un autel en marbre et le retable fut déposé dans une remise de l’église San Lorenzo où il connu l’oubli. Une mauvaise copie, vraisemblablement de la fin du XVIIIe siècle, existe encore dans la sacristie de cette église. Le retable fut ensuite acquis par John Strange, résident anglais à Venise, sans doute avant la fin du XVIIIe siècle puis vendu chez Stanley’s le 12 juin 1834. Il fut démembré entre 1832 et 1857, puisqu’à cette date la partie centrale se trouvait à Thirlestane House. C’est M. Cook qui, d’après une indication de Ludwig, fut le premier à reconstituer le retable grâce à la découverte d’une gravure relativement fidèle réalisée par Baratta au XVIIIe siècle.
 
  Piero di Cosimo (Florence, vers 1461 – 1521)
La Vierge à l’enfant avec le jeune saint Jean
Peinture sur bois, Ø : 95,5 cm

Piero di Cosimo fut l’un des plus grands peintres de Florence autour de 1500. En cette époque, moment classique par excellence dans l’histoire de la peinture, la composition pyramidale devint l’un des sujets de spéculation des peintres de la Renaissance qu’illustrèrent entre autres Léonard, Michel-Ange et Raphaël. Elle se trouve doublement affirmée, dans la figure de la Vierge et son ample manteau, comme dans les figures convergentes des deux enfants (Jésus et Saint Jean-Baptiste). En outre, par ses formes courbes (comme deux arcs brisés inscrits l’un dans l’autre), elle s’harmonise à la forme circulaire du tondo, symbole de monde clos et parfait.
       
    Piero di Cosimo (1461/2 – 1521)
Le Mythe de Prométhée,
Vers 1510
Peinture sur bois, 64 x 116 cm

Personnalité singulière, peu intégré aux milieux officiels, Piero di Cosimo resta étranger au cercle des Médicis et oeuvra le plus souvent pour des commanditaires privés.
S'intéressant, entre autres, aux travaux de Filippino Lippi et Lorenzo di Credi, il fut aussi influencé par le réalisme flamand comme en témoignent le sens de la nature et le goût du détail de ses retables.
La singularité de Piero di Cosimo se caractérise aussi par sa conception particulière de l'antiquité qu'il peint comme un monde primitif et sauvage, avec une grande originalité dans la composition et le choix des couleurs ainsi que le montre l'œuvre conservée à Strasbourg.
L'histoire de Prométhée décrite ici ne peut être lue seule, puisque di Cosimo lui conçut un pendant actuellement à Munich (Alte Pinakothek). Les deux panneaux constituaient-ils des éléments de mobilier, ou des spallieres destinées à orner les maisons des nobles familles florentines?
L'artiste a choisi de présenter un Prométhée créateur, façonnant l'homme avec de la terre glaise en présence de son frère Epithémée. Piero envoie ensuite le héros à la rencontre de Minerve, qui le conduit au ciel (panneau de Munich). Puis Prométhée dérobe le feu au char du soleil, afin de donner vie à la statue. Il subit enfin la terrible punition de Zeus, attaché à l'arbre, venu se substituer au rocher du mythe originel (panneau de Strasbourg). Nul ne doute que les épisodes de la légende sont empruntés à Boccace dans sa Genealogiae deorum, principale source de connaissance de la mythologie pour les artistes de la Renaissance.
   
    Carlo Crivelli (Venise, vers 1435- Les Marches, vers 1495)
L’adoration des bergers
Peinture sur bois, 36 x 51 cm

Crivelli est l’un des grands représentants, au même titre que Mantegna ou Botticelli, de ce style que les historiens ont appelé « style dur » et qui caractérise la peinture du Quattrocento entre 1450 et 1480.
Ce petit panneau en est une parfaite illustration. La présence insistante de la ligne dessinée cisèle ici chaque objet ou fragment d’objet, les distinguant comme pour les énumérer (les pierres du mur en ruine, les brins de chaque touffe d’herbe, etc.). Les formes s’y précisent à l’excès et il n’est pas jusqu’aux nuages qui n’en acquièrent une dureté minérale.
La scène est quadrillée par le jalonnement des arbres et des personnages et par un système de lignes perspectives très complexes (dans le raccourci de la hutte en particulier). L’œuvre est en ce sens très représentative de ce moment de la Renaissance où toutes les énergies semblent tendues dans la volonté d’analyser le réel, d’en structurer l’espace et de lui donner une interprétation précise et rationnelle.
   
    Giotto (attribué à) (1267 – 1337)
Crucifixion,
Vers 1319 –1320
Peinture sur bois, Fond d’or, 45,3 x 32,7 cm

Nourri de toutes les formes figuratives du Moyen Âge, Giotto joua un rôle historique: il porta à maturation le processus de renouvellement du langage pictural italien. Ses œuvres seront un modèle et une source d'inspiration pour les artistes de la Renaissance.
Avec les fresques de la Basilique d’Assise, peintes entre 1296 et 1300, il opère le dépassement définitif des formes abstraites de l'art byzantin pour un nouveau langage centré sur une représentation plus concrète de l'espace et de la figure humaine.
Considérée comme issue de l'atelier de Giotto, la fortune critique de cette œuvre est riche de rebondissements: la difficulté à reconnaître avec précision l'identité d'une main est due à l'influence très forte de Giotto sur les élèves sortis de son atelier.
Le schéma iconographique de cette Crucifixion deviendra rapidement un grand classique des ateliers toscans de la première moitié du Trecento, qui transcriront la scène indifféremment à fresco ou sur panneau. Le critique Roberto Longhi a remarqué dans la Crucifixion de Strasbourg un procédé perspectif souvent utilisé dans les œuvres tardives de Giotto: la diminution des proportions des personnages de l'arrière-plan.
   
    Filippino Lippi (1457-1504)
Buste d'ange,
Vers 1480-1485
Peinture sur bois, 36,5 x 31,5 cm

Elève de son père Filippo et admirateur de Sandro Botticelli, il fut influencé par la peinture flamande et allemande ainsi que par l'exemple de Leonardo da Vinci. Il est possible de distinguer plusieurs périodes dans sa production, caractérisée aussi bien par une forte veine sentimentale et par un naturalisme exubérant que par des accents de piétisme mélancolique, dus au climat de crise, qui caractérise la Florence de la fin du XVe siècle.
Ce Buste d'ange, le visage rond tourné de trois-quarts vers la gauche, est un fragment d'une composition plus grande dont une partie, un ange, se trouve à Londres (National Gallery).
L'attribution à Filippino ne suscite guère de problèmes, mais la différence de style entre les deux fragments justifie les hésitations des critiques à la considérer comme ayant appartenu à une même œuvre.
Le type du visage de l'ange à l'œil rond, un peu lourd, la lèvre petite et charnue, le nez court et arrondi dans un visage ovale nous ramène à Botticelli. Lippi travaille en effet avec le maître en 1472. Le traitement des cheveux, réalisé avec minutie, dégage un visage au modelé subtil très proche de ceux de son maître et rappelle certaines œuvres de jeunesse de Lippi, (Vierges de Berlin et de Florence).
 
  XVIe SIECLE ITALIEN
   
    Antonio Allegri, dit Le Corrège
(Correggio, vers 1489 – 1534)
Judith et la servante
Vers 1510
Peinture sur bois, 30 x 22 cm

Cette œuvre étrange, sûrement le premier tableau nocturne du Corrège et même de la peinture italienne, annonce par le jeu entre l’ombre et la lumière ce que feront Caravage et les caravagesques un siècle plus tard.
Le Corrège dispose les personnages bibliques sur un fond sombre, ils ne sont éclairés que par la torche tenue par la servante. La nuit est propice au drame. La lumière découpe, sculpte les formes et donne à cette scène nocturne une atmosphère mystérieuse. En effet, l’histoire racontée ne se laisse pas immédiatement saisir. Au centre du tableau, la main de la belle Judith est la clé de compréhension. Cette main attire le regard et mène à la tête coupée du général Holopherne plongée dans l’obscurité et marque ainsi la victoire des habitants de la ville de Béthulie sur les troupes du roi Nabuchodonosor.
   
    Giovanni Busi, dit Cariani
(Bergame, vers 1485 – Venise, après 1547)
Le joueur de Luth
Peinture sur toile, 71 x 65 cm

Ce tableau fut attribué à G. Cariani par W. Bode lors de son acquisition à Venise en 1890. Si aujourd’hui toute la critique s’accorde à le considérer comme une œuvre importante du peintre vénitien, il n’en fut pas toujours ainsi: on le jugea par exemple de «trop grande qualité» pour être de Cariani, et on proposa de l’attribuer à Palma Vecchio.
Le tableau apparaît comme une œuvre capitale qui permet de mesurer l’influence de Giorgione et du jeune Titien sur Cariani et de saisir le climat intellectuel de Venise au début du XVIe siècle. Le sujet revient à plusieurs reprises dans l’œuvre de l’artiste, que ce soit dans les Musiciens de Bergame (Académie Carrare – v.1515) ou dans le Portrait de violoniste de Dijon (Musée Magnin – v. 1547). Chez Cariani, le thème du musicien n’est pas seulement l’évocation de la réalité; il est prétexte à l’allégorie et à la découverte intellectuelle de la musique, qui devient rêverie, moment préservé et réservé à un petit cercle. L’héritage giorgionesque trouve alors toute sa résonance, tandis que la technique picturale se rapproche davantage de celle du Titien. Le visage est enfin plus structuré que ceux de Giorgione, traité en plans horizontaux avec une attention particulière portée à l’individualisation des traits.
       
    Palma il Vecchio (1480-1525)
Salvator Mundi,
Vers 1520-1522
Peinture sur bois, 74 x 63 cm

Généralement considéré, après Tiziano, comme l'un des plus dignes représentants de la manière de Giorgione, Palma il Vecchio peignit des œuvres à l'atmosphère sereine, utilisant une riche gamme chromatique. On lui doit la création de l'image d'une beauté somptueuse et opulente qui, dépourvue de la vitalité de Tiziano, transmet un sentiment d'absence et de mystère.
L'iconographie de cette représentation du Christ Sauveur vu à mi-corps trouve probablement son origine dans le Salvator Mundi de Léonard de Vinci peint entre 1507 et 1512.
Ce tableau présente des affinités avec le Portrait de poète, du même peintre, qui se trouve à la National Gallery de Londres: même pose, même façon de traiter le visage aux contours effacés, même ombre caractéristique pour accentuer l'arête du nez, même type physionomique. Les deux œuvres doivent donc se situer à la même date, c'est-à-dire vers 1520, qui correspond à la période de maturité du peintre.
Cette œuvre est attribuée à Palma il Vecchio, malgré les doutes des critiques Bernard Berenson et Hans Richter, pour la richesse du coloris caractéristique de l’artiste et pour l’élégance générale de la figure, en particulier les mains qui tiennent le globe translucide.
       
    Raffaello Santi, dit Raphaël (1483-1520)
Portrait de jeune femme,
Vers 1520
Peinture sur bois, 60 x 44 cm

Raffaello se forma dans l'atelier de son père Giovanni Santi, puis s'inspira du style de Perugino. À Florence, il découvre les œuvres de Michelangelo, Leonardo de Vinci, et élabore un idéal de beauté fondé sur le naturel. En 1508, il s'installe à Rome et participe à la décoration des appartements de Jules II au Vatican, dont la célèbre chambre «de la signature». Mais c’est dans ses portraits que Raffaello se montre novateur, dans le style comme dans la recherche d’un rapport particulier avec le spectateur.
Ce splendide portrait de jeune femme présente un cas exceptionnel de difficulté d’attribution: exécuté avec une sûreté et une virtuosité étonnantes, il correspond tout à fait à la manière qu’a Raffaello d’imposer ses personnages avec évidence; pourtant, dès 1938, des voix se sont élevées pour donner l’œuvre à Giulio Romano. Plus récemment, les critiques y voient le résultat d’une étroite collaboration entre les deux artistes. Giulio Romano était en fait capable de rejoindre le style de son maître avec de surprenantes affinités: c’est lui qui cherche à retrouver la splendeur du tissu du costume, des perles de la ceinture; il sait rendre différemment la peau du visage de celle de la main.
Nous ne savons pas qui était cette jeune femme: Bernard Berenson l’appelle la Fornarina et Peter Gould prétend que le tableau strasbourgeois et le tableau de la Galerie Barberini représentent bien la même personne, mais à des âges différents. La jeune femme de Strasbourg a un front plus fuyant, un nez plus fort, une bouche plus charnue et un cou plus long que celle de la Galerie Barberini. Il semble également que ce type de femme ait constitué l’idéal de beauté de Giulio Romano: on retrouve dans la Vierge de la Pala Fugger le même front haut, la même coiffure avec les cheveux répartis en deux bandes, le même nez long et le même menton pointu.
       
    Jacopo Robusti, dit le Tintoret (Venise, 1518 – 1594)
La Descente de Croix
Peinture sur toile, 116 x 92 cm

L’attribution au Tintoret de cette intéressante Déposition n’a jamais été mise en doute, même si la plupart des critiques y voient une large intervention de l’atelier et sans doute de Domenico Tintoret. Il s’agirait d’une œuvre tardive dans la longue carrière de l’artiste, vers 1578-80, à mettre en relation stylistique avec les peintures de la Grande Salle de la Scuola di San Rocco exécutées entre 1575 et 1581. La toile de Strasbourg n’est pas sans rapport, par exemple, avec la Récolte de la manne ou bien encore avec la Résurrection. La plupart des commentateurs s’accordent à voir dans le tableau une variante de la Déposition du musée de Caen, qui aurait été réalisée quelques années auparavant, vers 1575. On peut remarquer que la version de Caen semble de meilleure qualité picturale que celle de Strasbourg, avec un certain nombre de différences de composition; plus sobre, elle ne comporte pas de paysage. En revanche, le tableau est beaucoup plus lumineux, ce qui accroît encore le caractère dramatique de la scène.
       
    Paolo Véronèse (Vérone, 1528 - Venise 1588)
Céphale et Procris
Vers 1584
Peinture sur toile, 162 x 185 cm

Né à Vérone, parti à Venise pour y exécuter les fresques du Palais des Doges en 1553, Véronèse s'y installa définitivement en 1556. Ses débuts furent marqués par l'influence du maniérisme romain et émilien, mais il s'intéressa très vite à un langage chromatique plus libre et fastueux. Il va montrer une grande maîtrise des éléments décoratifs, utilisant une palette toujours plus resplendissante, aux tons précieux et chatoyants. Ses fresques de la Villa Barbaro à Maser, pour lesquelles il imagina une décoration ouverte sur de faux espaces, sont un exemple de cette période brillante.
Véronèse représente ici le moment final, dramatique, d’un épisode de l’histoire des amours de Céphale et de Procris. Celle-ci était une des filles du roi d’Athènes, et son mari, petit-fils d’Eole, avait l’habitude de partir chasser seul des journées entières. Un jour, Procris, croyant Céphale infidèle, le suivit et se cacha pour l’épier. Après la chasse Céphale s’étendit pour se reposer et appela la brise à qui il demanda de venir le rafraîchir «Brise viens et soulages ma fatigue viens, ô très bienfaisante». Il lui sembla alors entendre un bruissement. Pensant qu’il s’agissait d’un animal sauvage il lança le javelot magique (il ne manquait jamais son but) que Procris lui avait offert et blessa mortellement son épouse.
« Défaillante, au seuil même de la mort, elle fit un effort pour prononcer quelques paroles.»
Ovide, Les Métamorphoses, Livre VII
Dès 1928, Giuseppe Fiocco a montré que ce tableau était le pendant du Vénus et Adonis, conservé au Musée du Prado à Madrid. En effet, les deux tableaux ont été acquis pour la collection de Philippe IV d'Espagne par Vélasquez à Venise en 1641 et celui de Strasbourg a fait partie des œuvres saisies par Joseph Bonaparte pendant son court règne en Espagne (1808-13).
Pour former un ensemble cohérent avec le Vénus et Adonis du Prado, Véronèse confère une grande monumentalité aux figures, habille Procris d'un somptueux costume de brocard et utilise une composition inverse pour s'opposer à celle du tableau du Prado.
 
  XVIIe SIECLE ITALIEN
   
    Francesco Cairo (1607 – 1665)
Portrait de femme au turban
Vers 1630-1640
Peinture sur toile, 70,5 x 71 cm

L'œuvre de jeunesse de Cairo fut marquée par l'influence de son compatriote Morazzone et hérita du style maniériste lombard, style que l'artiste reprit d'une façon tourmentée et très originale, y mêlant un luminisme d'inspiration caravagesque. En témoignent Sainte Agnès, Lucrèce et Hérodiade, par exemple, de la Galerie Sabauda à Turin. Dans sa maturité, Cairo fut attiré par l'art vénitien qui lui fit opérer une profonde transformation stylistique vers le Baroque.
L'iconographie de ce tableau est loin d'être claire: s'agit-il d'une Sybille ou bien, tout simplement, du portrait d'une jeune et belle femme coiffée d'un somptueux turban, que l'on retrouve dans d'autres œuvres de l'artiste?
Œ uvre importante, qui montre avec évidence que Francesco Cairo est l'un des maîtres les plus originaux de la peinture lombarde du XVIIe siècle, ce type de portrait en buste dans un cadrage serré et surtout l’impact encore très fort du luminisme caravagesque indiquent une date précoce dans la carrière de l'artiste, qui pourrait se situer entre 1630 et 1640.
La délicatesse de son coloris qui marie avec audace un bleu canard à un rose lie de vin, son luminisme qui met en valeur davantage le turban que le visage laissé volontairement dans l'ombre, enfin l'étrangeté de sa mise en page en font une œuvre aussi chargée de mystère que de silence.
       
    Salvator Rosa (1615-1673)
Paysage avec Tobie et l’Ange
Vers 1670
Peinture sur toile, 121 x 195 cm.
Monogrammé en bas à gauche: SR (entrelacé)

Après ses débuts dans le milieu napolitain, fréquentant l'atelier de Ribera puis celui de Falcone, Rosa partit à Rome puis à Florence. Il puisa ses sources chez Ribera aussi bien que chez Poussin, mais c'est l'expérience naturaliste de sa formation napolitaine qui continua à déterminer son évolution picturale et son activité parallèle de poète et de musicien.
Il utilisa les thèmes les plus divers, sacrés et profanes, mais aussi des scènes de sorcellerie ou de magie qui lui valurent un grand succès auprès des illustres familles de Rome et de Florence.
Romantique avant la lettre, Salvator Rosa fut l'un des initiateurs d'une vision particulière du paysage où la nature est liée à un sentiment mélancolique.
Sur les bords du Tigre, Tobie vient de pêcher un poisson. Dieu lui envoie son messager, l’ange Raphaël, qui lui intime l’ordre d’en extraire les viscères qui lui serviront à libérer des démons sa future femme Sarah et à guérir son père aveugle. Ce thème, largement répandu au Seicento, a particulièrement intéressé Rosa, qui l’a traité à plusieurs reprises.
Le sujet biblique pousse Rosa à peindre un paysage avec fougue et ardeur. La nature y est inquiétante: les lumières et les ombres maintiennent un accent d’une solennelle beauté; les arbres sont calcinés par la lave des Champs Phlégréens; le ciel fait corps avec les fumées de la Solfatare; le vent prend part à la dynamique cosmique et le combat des forces de la terre se poursuit dans les nuages.
       
    Jacopo Vignali (Pratovecchio 1592 - Florence 1664)
Cyparissos
Vers 1625
Peinture sur toile, 123 x 163 cm

Il y avait à Cos (en Grèce) un cerf qui ne craignait pas les hommes. Le jeune Cyparissos, aimé d’Apollon pour sa grande beauté, vouait une affection particulière à l’animal dont il garnissait les bois de guirlandes de fleurs. Un jour, alors que l’animal s’était étendu sur l’herbe, Cyparissos sans le vouloir, le transperça de son javelot. Voyant le cerf mourant, il voulut mourir lui aussi. Il demanda que son deuil soit éternel et que ses larmes coulent éternellement. Apollon accéda à sa demande en le transformant en cyprès, l’arbre de la tristesse. Apollon lui dit alors: «Je verserai sur toi des larmes, tu en verseras sur les autres et tu seras le compagnon de la douleur».
Ovide, Les Métamorphoses, Livre X
 
  XVIIIe SIECLE ITALIEN
   
    Giovanni Antonio Canal, dit Canaletto (Venise, 1697 – 1768)
Vue de l’église de la Salute depuis l’entrée de Grand Canal,
Vers 1727
Peinture sur cuivre, 45 x 60 cm

Canaletto, peintre vénitien renommé, s’est surtout adonné au genre pictural de la veduta. Ce type particulier du paysage, centré sur la représentation d’une vue de ville, tend à rendre avec précision la réalité, sans pour autant que l’œuvre soit dénuée d’une certaine poésie rendue par la transparence lumineuse.
Canaletto privilégie la représentation des sites et monuments célèbres de la ville de Venise ou de sa lagune et reprend souvent le même sujet dont il donne de multiples variantes.
Le tableau, grâce au support, rayonne de clarté et de luminosité. L’éclairage venant du sud-ouest indique une heure déjà avancée dans l’après-midi et la peinture lisse et fluide donne un effet d’«après la pluie».
Canaletto, à destination des riches touristes anglais, rend compte également de la vie quotidienne à Venise, à proximité du Grand Canal: les gondoliers, la présence de marchands, des diplomates venus d’Orient…
       
    Giuseppe Maria Crespi (1665-1747)
L'Amour vainqueur ou L'Ingegno,
Vers 1695-1700
Peinture sur toile, 114 x 95 cm

C'est seulement depuis quelques années que les critiques considèrent Giuseppe Maria Crespi comme l'un des plus remarquables artistes italiens de la première moitié du XVIIIe siècle. Ce fut un peintre très éclectique: il réalisa de grands retables, des natures mortes et des portraits. Le mélange d'attention naturaliste et d'émotion contenue qui apparaît dans son travail, allié à de grandes qualités de luministe, confère à l'œuvre de Crespi une grande originalité.
Ce tableau représente l'Ingegno, personnification de l'esprit d'invention: l'arc et la flèche évoquent son adresse et sa pénétration; l'aigle, le cimier, signifient sa générosité, la hauteur et la justesse de ses vues.
Il est possible de voir ici également le thème de l'Amour vainqueur: il apparaît sous la forme d'un bel adolescent souriant qui, l'arc et les flèches à la main, se désigne lui-même de l'index comme l'éternel vainqueur sur tout ce qui pourrait nous distraire de l'amour, notamment les sciences et les lettres, symbolisées par le livre qu'il écrase de sa main gauche et l'astrolabe placé derrière lui.
La figure, vue à mi-corps, se détache par son intense luminosité sur un fond neutre L'ensemble de la composition se fond dans la monochromie et le coloris ne joue que sur des subtiles nuances de brun, de jaune, de beige, que viennent ça et là animer quelques légères touches plus froides. Tout semble être conçu pour mettre en valeur la triomphante et éclatante beauté du personnage.
       
    Sebastiano Ricci (Belluno, 1659 – Venise, 1764)
La Glorification de saint Sébastien
Peinture sur toile, 66 x 88 cm

Cette superbe étude pour un plafond représente un épisode de la vie de saint Sébastien assez peu traité par les peintres, qui lui préfèrent la scène de la sagittation du saint ou encore celle où Irène retire les flèches du corps du martyr. Ici, saint Sébastien est emporté au ciel par les anges dans une étonnante assomption baroque.
L’œuvre est l’une des plus réussies du peintre. La fluidité des formes qui semblent glisser sur l’azur du ciel, est mise en valeur par un coloris délicat et fondu, et par une luminosité argentée. Le jeu sensuel des courbes et contre-courbes imprime une dynamique intense à la composition qui s’unifie dans un tourbillon ascendant, au sommet duquel jaillit le saint les bras grands ouverts à l’appel du divin.
       
    Giandomenico Tiepolo, (Venise, 1721-1804)
La Vierge apparaissant à saint-Laurent et à saint-François-de-Paule
Peinture sur toile cintrée, 220 x 119 cm

Ce grand tableau ornait au XVIIIe siècle l’autel principal de l’église de Campolongo al Torre, petite ville du Frioul au nord-est de Venise. Au XIXe siècle, il fut vendu afin de subvenir aux frais de reconstruction du campanile et, vers 1895, acheté par le musée des Beaux-Arts de Strasbourg chez un marchand de Florence.
Il était alors attribué à Giambattista Tiepolo, le plus célèbre des peintres italiens du XVIIIe siècle. A cette époque, on confondait souvent l’œuvre de ce peintre avec celle de son fils Giandomenico, au style très proche, et l’on attribuait volontiers les plus beaux tableaux au père. Ce n’est qu’au cours des dernières décennies que les historiens d’art ont pu départager les œuvres de l’un et de l’autre, mettant en lumière l’originalité et la grandeur de l’art de Giandomenico et lui rendant nombre d’œuvres importantes parmi lesquelles le tableau de Strasbourg.
       
    Giambattista Tiepolo (1696-1770)
Zéphir et Flore
Vers 1750
Peinture sur toile, Ovale, 42 x 37 cm

Inscrit dès 1717 dans la confrérie des peintres vénitiens, Tiepolo utilise à ses débuts une gamme chromatique «enflammée» et de violents contrastes d'ombres et de lumières. Très vite, il s'illustre dans le domaine de la décoration illusionniste de grands espaces. Sa palette s'éclaircit avec des tons lumineux et tendres, et il acquiert une grande liberté dans la composition comme dans l'interprétation iconographique.
Si les grands cycles de fresques, aussi bien religieux que profanes, vont constituer la partie centrale de son œuvre, il laisse aussi un ensemble important de peintures sur toile et de dessins.
Tiepolo suscita dès le début l'enthousiasme de ses contemporains, et sa renommée s'étendit dans toute l'Europe du XVIIe siècle.
Ce petit tableau illustre un thème fréquent chez les peintres: l’alliance de Zéphir, qui porte des ailes de papillon et personnifie le doux vent d’ouest, et de Flore, la déesse des fleurs, qui symbolise le Printemps.
C’est sans doute au cours des trois années qu’il va passer à Wurzbourg (1750-1753), que Tiepolo brossa, en s’inspirant de sa fresque du palais Labia, cette petite esquisse pour un plafond qui sera exécuté par son fils ou d’autres collaborateurs.
Flore est vêtue de blanc et de rose, tandis que Zéphir porte un manteau rouge vif. La lumière glisse délicatement sur les formes en soulignant leur souplesse et l’enchaînement si typique du rococo des courbes et des contre-courbes.
 
  ESPAGNE
   
    Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)
Portrait de Bernardo Yriarte
1797
Peinture sur toile, 108 x 84 cm

Bernardo Yriarte était lié d’amitié avec Goya. Il faisait partie de ces «illustrados» («hommes éclairés») qui entreprirent à la fin du XVIIIe siècle de sortir l’Espagne de sa léthargie intellectuelle et sociale, et de l’ouvrir au «siècle des lumières». Libéraux, ils sympathisèrent avec les idées de la Révolution française. Plusieurs devaient s’engager aux côtés du roi Joseph, le frère de Napoléon, de 1808 à 1813. Yriarte fût de ceux-là et dût s’exiler comme Goya, après la guerre d’Espagne.
Le portrait a été exécuté en 1797, au moment où ces «illustrados» étaient provisoirement arrivés au pouvoir et où Yriarte avait été nommé ministre de l’Agriculture. Que Goya portraiture plusieurs des hommes les plus éminents de ce parti libéral, ainsi que celui de Guillemardet, ambassadeur de la République française (la première personnalité étrangère qu’il ait peinte, en 1798 précisément, était un régicide!) est d’ailleurs l’une des indications les plus fiables quant à ses inclinations idéologiques personnelles.
On doit relever l’extraordinaire qualité picturale du tableau et ce qu’elle annonce de l’impressionnisme par la fragmentation de la touche.
       
    Domênikos Theotokopoulos, dit El Greco (1541-1614)
La Vierge Marie, dit Mater Dolorosa
Vers 1590-1600
Peinture sur toile, 53 x 37 cm

Bien qu’originaire de Grèce (d’où son surnom), installé à Tolède, El Greco a été considéré comme le peintre le plus caractéristique du mysticisme tourmenté de l’Espagne.
Cette Vierge, l’un de ses chefs-d’œuvre, a été donnée au Musée des Beaux-Arts de Strasbourg en 1893 par un collectionneur anglais, Sir Charles Robinson, à qui d’autres tableaux (d’écoles diverses) avaient été par ailleurs achetés. On s’est beaucoup interrogé sur la personne qui a prêté ici son visage à la Vierge. D’aucuns ont envisagé qu’il s’agirait de la compagne du peintre, d’origine morisque, dont on retrouve les traits dans la plupart des personnages de saintes du Greco.
       
    Jusepe de Ribera (Jativa, 1591 - Naples, 1652)
Saint Pierre et saint Paul
Vers 1616
Peinture sur toile, 126 x 112 cm
L’inscription latine figurant dans la partie inférieure du tableau, dénote les liens avec Rome et l’importance de l’œuvre, ce dont témoigne avec force sa place dans l’œuvre de Ribera. Né près de Valence en Espagne où il se forma, il gagna très tôt l’Italie. Après un séjour romain fructueux par sa découverte du caravagisme, il s’installa définitivement à Naples, fief espagnol. « Lo Spagnoletto » fut le peintre napolitain le plus important de son temps, travaillant pour le clergé et les nobles locaux comme pour l’Espagne.
Dans cette composition déjà classique, on admirera en particulier la présence sculpturale des deux saints et la leçon de Caravage, visible jusque dans le naturalisme des ongles crasseux. Ribera a peint directement, sans dessin préparatoire, en reprenant une toile déjà utilisée. Le rendu des ombres et des matières est magistral.
Les deux saints furent martyrisés le même jour à Rome. Liés par l’acuité du jeu des regards, les deux pères fondateurs de l’Eglise, reconnaissables à leurs attributs, sont représentés dans une attitude belliqueuse : saint Paul, brandissant son épée, devant son livre ouvert, fait face à son aîné saint Pierre, muni de sa clef et vêtu de son manteau ocre brun, symbole de la foi révélée. Ainsi s’opposent la maturité à la vieillesse, la noblesse à la plèbe, la doctrine à l’ordre. Evitant trop de statisme, Ribera a montré sa virtuosité dans la mise en page grâce à la profondeur rendue par le bras de saint Paul. Le morceau de nature morte des livres témoigne de la maîtrise du jeune artiste comme de la place de ces piliers de la religion catholique.
 
  XVIIe SIECLE FRANCAIS
       
    François Girardon (Troyes 1628 – Paris 1715)
L’enlèvement de Proserpine par Pluton
1693
Bronze patiné, 107,5 x 43 cm

Fille de Cérès, déesse de l’agriculture, et de Jupiter, Proserpine suscite l’amour de Pluton. Il l’enlève alors qu’elle cueillait des fleurs avec des nymphes dans la plaine d’Enna en Sicile. L’alternance des séjours de Proserpine sous terre et sur terre correspond au rythme des saisons et au renouveau de la végétation.
François Girardon a su rendre avec beaucoup de sensibilité la tension qui tend chacun des muscles de Pluton. Les doigts de celui-ci s’enfoncent dans la chair de Proserpine, ses pieds sont crispés sur le sol rocailleux et les veines qui parcourent son corps sont saillantes.
       
    Jacques Linard (1600-1645)
Les cinq Sens
1638
Peinture sur toile, 55,3 x 68 cm

Composition allégorique sur le thème des cinq sens: l’odorat est symbolisé par le bouquet de fleurs et le coffret à parfum en cuir; le goût par les fruits; l’ouïe par le recueil de chant ; la vue par le paysage et les jeux de miroir; le toucher par les cartes à jouer et les pièces de monnaies.
A cette thématique principale se joint, plus allusivement, une méditation sur la vanité du plaisir (la figue, symbole du péché originel, s’oppose à la grenade, symbole de la chasteté) et de la richesse (évoquée par l’argent, le luxe et la fonction de leurre des miroirs, ainsi que par la boîte de copeaux au centre, faîte pour recueillir des objets précieux).
       
    Simon Renard de Saint-André (Paris, 1613 – 1677)
Vanité – Nature morte
Vers 1665-1670
Peinture sur toile, 69 x 57,5 cm

La Vanité est un type particulier de la nature morte qui a eu un grand succès en France au cours du XVIIe siècle. Les objets présentés, fortement symboliques, ont pour but de montrer la fragilité de l’existence, la fuite du temps…
L’élément central des vanités est le crâne, présent pour rappeler la mort. Associé aux objets de la vie courante, il confère une grande brutalité à la représentation. L’autre élément récurent est celui faisant référence à la fuite du temps, ici une montre et un sablier, mais aussi le filet de fumée de la bougie.
La couronne de laurier appelle à se souvenir de la vanité des gloires terrestres, de même que les instruments de musique et la partition renvoient à la vanité des arts et du savoir. La jouissance des nourritures terrestres, elle aussi éphémère, est illustrée par des éléments issus de la nature comme les fleurs, les insectes… qui rappellent le caractère fragile et transitoire de l’existence.
       
    Valentin de Boulogne, dit Le Valentin (1591-1632)
Musiciens et Soldats
Vers 1620-1622
Peinture sur toile, 55 x 200 cm

Cette scène de taverne où des musiciens ambulants jouent, contre menue monnaie sans doute, pour deux soldats attablés, évoque-t-elle l’ambiance de la vie quotidienne de cette première bohême artistique que constitua le milieu des peintres caravagesques de Rome au début du XVIIe siècle? Probablement. Rome était alors au faîte de sa gloire et les peintres y venaient nombreux de tous pays d’Europe, les uns pour parfaire leur formation, d’autres pour s’y fixer.
Ainsi, Le Valentin, arrivé très jeune de son Ile-de-France natale, qui devait y mourir à l’âge de 41 ans dans des circonstances romanesques, pour s’être baigné dans les eaux glacées de la fontaine Barberini au cours d’une nuit où «il avait pris force tabac et bu du vin outre mesure», selon les chroniqueurs de l’époque. Comme tant d’autres, enthousiasmé par l’exemple du Caravage dont l’œuvre, en dépit de sa mort prématurée, révolutionnait alors la peinture en Italie et en Europe, il en fut peut-être le plus grand continuateur, par sa volonté de retour au réel, la violence de son clair-obscur et la grandeur tragique qu’il savait conférer à ses scènes.
       
    Philippe de Champaigne (Bruxelles, 1602 - Paris, 1674)
Portrait du cardinal de Richelieu
1642
Peinture sur toile, 59 x 46 cm
Il s’agit d’un des plus importants portraits français du XVIIe siècle et ce à trois titres : importance du peintre, importance du modèle, importance intrinsèque de l’œuvre. Refusant d’entrer dans l’atelier de Rubens, Champaigne fit une carrière parisienne brillante.
Champaigne est un magicien : sa minutie flamande pousse le naturalisme au plus haut degré de perfection. Chaque détail, tel que les poils du modèles, est rendu avec soin sans pour autant nuire à l’ensemble. Le profil, aquilin, cadré pour ne montrer que le buste évoque celui de Jules César sur une médaille. Cette audace s ‘explique par la fonction initiale du tableau. En effet, le peintre avait reçu la commande d’un double portrait, qui devait être envoyé à Rome pour qu’un sculpteur réalise à distance un buste en marbre. De son vivant, le tableau fut coupé pour ne conserver que le profil. Richelieu appréciait tant Champaigne qu’il lui fit retoucher tous les portraits de lui déjà peints. Cela montre l’intérêt du ministre pour son image et son contrôle. Richelieu incarne à lui seul la raison d’Etat, l’absence d’émotion, l’orgueil. Champaigne dans ses portraits en pied et en buste de Richelieu a fixé ses traits mais aussi son caractère, pour l’éternité. Rarement peinture a donné une image aussi définitive et glaçante d’un personnage historique.
       
    Simon Vouet (Paris, 1590 – Paris, 1649)
Loth et ses filles
1633
Peinture sur toile, 160 x 130 cm
Il est des tableaux sur lesquels le regard change, une fois que le sujet en est compris. La scène que dépeint Vouet apparaîtra au premier regard comme une scène sensuelle montrant un homme d’âge mûr (un Dieu de la mythologie païenne ?), goûtant la compagnie de deux jeunes femmes, l’une apportant, en plus des charmes de la chair, celui de l’ivresse. Mais Vouet a ici mis en image le récit biblique où Loth, enivré par ses filles, va bientôt s’unir à elles. Il s’agit d’un des épisodes de la Genèse où l’on apprend comment, Dieu ayant abattu son courroux sur les habitants de Sodome et Gomorrhe, un ange prévient Loth, le seul juste, de l’imminence du danger ; ayant fui, celui-ci est soumis à la volonté de ses filles qui afin de perpétuer la race, brisent le tabou de l’inceste.
Vouet fait montre d’une grande originalité : là où tant d’artistes avant et après lui firent du sujet le prétexte à une représentation aussi scabreuse que moralisante, Vouet ose une scène sereine et simplement sensuelle. Ce tableau est une œuvre manifeste de Vouet. Il y montre l’étendue de sa maîtrise pour orchestrer les lignes et les couleurs. Après une brillante carrière à Rome où il s’imposa comme un des tout premiers peintres, Vouet fut rappelé en 1627 par Louis XIII pour être son peintre principal.
 

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