Talleyrand : Motion sur les
mandats impératifs, 7 juillet 1789, Assemblée nationale constituante
Talleyrand : Premier discours
sur les biens ecclésiastiques, 10 octobre 1789, Assemblée
nationale constituante
Talleyrand : Second discours
sur les biens ecclésiastiques, 2 novembre 1789, (discours non prononcé
à l’Assemblée mais publié en brochure)
Talleyrand : Rapport sur
la possession d'état de citoyen actif réclamé par
les Juifs portugais établis à Bordeaux, 28 janvier 1790,
Assemblée nationale constituante
Talleyrand : Rapport sur
l'instruction publique, 10 septembre 1791, Assemblée nationale constituante
Talleyrand : Motion sur les mandats
impératifs, 7 juillet 1789, Assemblée nationale constituante
La question des mandats impératifs,
qui a été indiquée plutôt qu'approfondie dans
une de vos dernières séances, et sur laquelle j'ai osé
me permettre un projet d'arrêté, ne pouvait manquer d'exciter
une grande agitation dans les esprits. A cette question semble naturellement
attachée la solution d'un grand problème; elle touche à
la fois aux points les plus délicats de la morale et aux principes
constitutifs des sociétés. Il importe de l'analyser avec
attention, même avec scrupule, afin de prévenir toute équivoque,
et jusqu'au plus léger prétexte d'une fausse interprétation.
Les personnes de cette Assemblée les plus accoutumées à
l'éclairer par d'éloquentes et profondes discussions, ne
manqueront pas sans doute d'appeler tout leur talent sur un sujet d'une
si haute importance; pour moi, je dois me borner à vous faire un
exposé simple et analytique des différents motifs qui ont
parlé à ma raison et à ma conscience, lorsque je me
suis déterminé pour la motion que j'ai eu l'honneur de vous
soumettre, et dans laquelle je persiste.
Je me suis fait à moi-même
toutes les questions qui m'ont paru appartenir à ce sujet.
Et d'abord : qu'est-ce qu'un
bailliage ou une portion de bailliage ? C'est, non pas un Etat particulier,
un Etat uni à d'autres par quelques liens seulement, comme dans
tout corps fédératif, mais une partie d'un tout, une portion
d'un seul Etat, soumise essentiellement, soit qu'elle y concoure, soit
qu'elle n'y concoure pas, à la volonté générale,
mais ayant essentiellement le droit d'y concourir.
Qu'est-ce que le député
d'un bailliage ? c'est l'homme que le bailliage charge de vouloir en son
nom, mais de vouloir comme il voudrait lui-même, s'il pouvait se
transporter au rendez-vous général, c’est-à-dire après
avoir mûrement délibéré et comparé entre
eux tous les motifs des différents bailliages. Qu'est-ce que le
mandat d'un député ? C'est l'acte qui lui transmet les pouvoirs
du bailliage, qui le constitue représentant de son bailliage, et
par là représentant de toute la nation.
Les mandats doivent-ils être
entièrement libre ? Voici ma réponse : On conçoit
deux sortes de mandats que l'on pourrait appeler limitatifs, et les mandats
qui gênent la liberté : les mandats qui sont vraiment impératifs.
Les premiers peuvent exister. Ces deux mots semblent se rapprocher beaucoup,
mais les exemples vont les séparer. Je m'explique :
On conçoit trois sortes
de mandats limitatifs. Un bailliage peut limiter les pouvoirs de son député,
par rapport à leur durée, par rapport à leur objet,
et enfin par rapport à l'époque où ils seront exercés.
Par rapport à leur durée; c'est ainsi que plusieurs bailliages
n'ont délégué leurs pouvoirs que pour un an; ce terme
expiré, le pouvoir du député expire; il ne peut plus
être exercé par lui qu'autant qu'il lui est accordé
de nouveau par le même bailliage. Par rapport à leur objet;
ainsi un bailliage peut très bien dire à son député
: "Je vous envoie pour cette chose, et ne vous envoie que pour elle." A
l'égard de cette chose, qui sera le but de la députation,
l'objet de la mission, le député aura tous les pouvoirs qu'aurait
le bailliage lui-même s'il était là, sans quoi il ne
serait plus son représentant; mais hors de cette chose, il n'en
aura aucun; bien entendu pourtant que si la majeure partie des députés
ont des pouvoirs pour un autre objet, ils pourront le remplir sans qu'il
puisse y mettre d'obstacle : car le bailliage dont il est député
étant, suivant le principe qu'il ne faut jamais perdre de vue, une
partie d'un tout, soumise à la volonté du tout, et par conséquent
de la majeure partie, si son député n'a pas le pouvoir de
faire telle chose, il n'a pas non plus le pouvoir de l'empêcher;
les députés la feront sans lui, et cependant la feront pour
lui. - Dans cette Assemblée il y a bien peu de pouvoirs limités
par rapport à l'objet; ils sont à cet égard de la
plus grande étendue, puisqu'il n'existe aucun cahier d'après
lequel il ne soit évident que les bailliages ont envoyé leurs
députés pour régler la Constitution, la législation,
l'impôt, et porter la réforme dans tous les abus de l'administration.
Dans la suite, lorsque la Constitution aura été bien affermie,
et qu'il existera une déclaration des droits qui pourra servir de
boussole aux bailliages, les mandats seront nécessairement beaucoup
plus restreints quant à l'objet. - Enfin, les pouvoirs peuvent être
limités par les bailliages, par rapport à l'époque
où ils doivent être exercés. Un bailliage a pu très
bien dire à son député : 'Je ne vous donne pouvoir
de prononcer l'impôt qu'après que tel ou tel objet aura été
définitivement traité." Si le grand nombre des bailliages
a tenu le même langage, alors dans le cas où un député
proposerait de traiter l'impôt avant cet objet, le grand nombre des
députés dira non, par défaut de pouvoir dire oui dans
ce moment. - Pour cette tenue d'Etats Généraux, il paraît
que le grand nombre des bailliages n'a permis à ses députés
de traiter de ce qui concerne l'impôt qu'après la constitution
et le redressement d'une foule de griefs. C'est un fait à bien éclaircir,
quoique du reste on ne puisse douter que la simple raison et les motifs
d'une saine politique ne déterminassent les députés,
dans toute supposition, à adopter cette conduite.
Voilà les trois sortes
de limites que les bailliages (toujours en se soumettant à la décision
de la majorité) peuvent très légitimement poser aux
pouvoirs qu'ils confient à leurs députés; mais ces
mandats limitatifs n'ont rien de commun avec les mandats véritablement
impératifs ou prohibitifs, tels que ceux qui sont prescrits dans
l'arrêté; et je prie les membres de l'Assemblée, qui
ont paru ne pas assez les distinguer, et qui ont cru pouvoir conclure des
uns aux autres, de bien le remarquer. Il n'y a point de doute que les pouvoirs
commis aux députés ne puissent être bornés par
les commettants, et quant à l'objet, et quant au temps pendant lequel
ils seront exercés; mais une fois l'objet et le temps bien déterminés,
les pouvoirs pour cet objet peuvent-ils être soumis à des
clauses impératives ou prohibitives ? en un mot, peut-il y avoir,
outre les mandats limitatifs, des mandats impératifs ?
Je me suis demandé souvent
ce qu'était, ce que pouvait être un mandat impératif;
je n'en ai pu trouver que de trois sortes; un bailliage aura dit à
son député, du moins en termes équivalents : "Je vous
ordonne d'exprimer telle opinion, de dire oui, non, lorsque telle question
sera proposée; ou bien, je vous défends de délibérer
dans tel ou tel cas; ou enfin , je vous ordonne de vous retirer si telle
opinion est adoptée." Voilà tout, car sans doute on ne mettra
pas au nombre des clauses impératives les divers articles de cahier
simplement énonciatifs des voeux des bailliages. S'il en était
ainsi, l'Assemblée nationale serait parfaitement inutile pour tout
ce qui ne concernerait pas l'impôt; on n'aurait qu'à compter
un à un les voeux de chaque bailliage sur chaque article, dans un
dépouillement général des cahiers; et le commis le
moins habile suffirait à cette opération.
Or, ces trois mandats impératifs
n'ont pas pu, suivant les vrais principes, être donnés par
les bailliages; un bailliage n'a pas pu dire à son député
: "Je vous ordonne de manifester telle opinion lorsque telle question sera
agitée"; car, pourquoi envoie-t-il un député ? C'est
certainement pour délibérer, pour concourir aux délibérations;
or, il est impossible de délibérer lorsqu'on a une opinion
forcée. De plus, le bailliage ne peut savoir avec certitude lui-même
quelle serait son opinion après que la question aurait été
librement discutée par tous les autres bailliages; il ne peut donc
l'arrêter d'avance; enfin, et c'est ce qui constitue les députés
véritablement représentants, c'est aux bailliages à
leur marquer le but, à leur déterminer la fin; c'est à
eux de choisir la route, à combiner librement les moyens. - Au reste,
quoique je pense que ce mandat s'écarte des principes, et que toute
opinion manifestée d'avance ne doive être considérée
que comme un voeu livré à la discussion, et laissé
en quelque sorte à la conscience des députés, j'avoue
que je ne proscrirais pas ce mandat avec autant de sévérité
que les deux autres, surtout à une première tenue d'Etats
Généraux, où une sorte d'inquiétude peut être
excusée; lorsque tout ce qui intéresse à la fois et
la Constitution, et la législation, et tous les droits des hommes,
semble être confié aux députés, et surtout si
ce mandat n'était impératif que sur un petit nombre d'objets.
Quant aux deux autres, les seuls qui sont dans ma motion, je crois que
la clause qu'ils renferment est absolument nulle. Je vous ordonne de ne
pas délibérer dans tel cas, n'a pas pu être prononcé
par un bailliage à ses députés; car délibérer
lorsque les autres bailliages délibèrent est à la
fois un droit et un devoir; et d'ailleurs, comme toute délibération
est le voeu de la majorité lorsqu'elle commence, et son résultat
quand elle finit, ne pas vouloir délibérer lorsque tous les
autres délibèrent, c'est contrarier ouvertement la volonté
commune et en méconnaître l'autorité. Enfin, je vous
ordonne de vous retirer si telle opinion prévaut est plus répréhensible
encore, car c'est annoncer une scission, et c'est plus ouvertement encore
vouloir que la volonté générale soit subordonnée
à la volonté particulière d'un bailliage ou d'une
province.
Au reste, en affirmant que ces
deux clauses impératives sont nulles, j'ajoute qu'elles le sont
par rapport à l'Assemblée; c’est-à-dire qu'elles doivent
être pour elle comme si elles n'existaient pas; qu'elles n'autorisent
aucune protestation contre elle, qu'elles ne peuvent ni arrêter les
opérations de l'Assemblée, ni donner le plus léger
prétexte pour en méconnaître les décisions;
que tous les suffrages prononcés dans l'Assemblée sont présumés
libres; que tous les membres non délibérants sont présumés
absents, et qu'une absence quelconque ne peut atténuer la force
d'aucun de ses décrets.
Ainsi, je pense sur les mandats
impératifs,
1o que toute opinion commandée
par un bailliage est en général contraire aux principes,
puisque l'Assemblée nationale doit être librement délibérante;
que, si elle n'est pas toujours libre quant à la fin, elle doit
l'être toujours quant aux moyens;
2o que l'ordre absolu donné
à un député de ne pas délibérer est
mauvais en soi; car d'abord, il est insignifiant dans la supposition où
les autres députés ne délibéreront pas: il
est répréhensible si les autres délibèrent,
puisqu'alors délibérer devient un devoir; et surtout il est
nul par rapport à l'Assemblée, car dans aucune supposition
possible il ne peut contrarier sa délibération;
3o enfin, l'ordre de se retirer
de l'Assemblée, si cette opinion ne prévaut pas, est bien
nul encore, s'il est permis de parler ainsi, puisqu'il exprime bien plus
positivement le voeu de se soustraire à la décision de l'Assemblée.
Mais s'ensuit-il de à
que ces clauses soient nulles pour les députés envers leurs
commettants ? Non sans doute : l'arrêté exprime positivement
le contraire; car il y est dit que l'engagement particulier qui peut en
résulter envers les commettants doit être promptement levé
par eux; ce qui annonce en même temps, et qu'il existe des engagements
en raison des clauses, et que c'est un devoir pour les commettants de les
révoquer, non que cette révocation soit nécessaire
à la validité des décrets de l'Assemblée; mais,
d'une part, parce qu'ils n'ont pas eu le droit d'assujettir ainsi leurs
députés, et, de l'autre, parce qu'il est de leur avantage
de concourir à former la volonté générale,
puisque, dans toute hypothèse, ils s'y trouveront soumis.
Je crois donc fermement que
les députés sont liés envers leurs commettants par
les clauses de tels mandats. C'est un principe de rigueur, il ne doit pas
fléchir ici. Je ne suis pas même arrêté par le
raisonnement que l'on fait, en disant qu'une clause qu'on n'a pas eu le
droit d'apposer n'est pas obligatoire; car si je pense que les commettants
n'ont pas eu le droit d'insérer cette clause, je crois en même
temps que le député a eu le droit de s'y soumettre; et cette
soumission volontaire qu'il a exprimée, en recevant les pouvoirs,
est le titre véritable de son engagement.
Il n'est pas question ici d'une
action immorale, qu'on n'a pas le droit d'exiger, ni de promettre, ni de
faire quand on l'a promise. Un député a pu promettre qu'il
ne délibérerait pas dans tel cas, qu'il se retirerait dans
tel autre; qu'il dirait oui ou non sur telle question, puisque c'est le
voeu de ceux qu'il allait représenter. Tout le tort est dans ceux
qui ont voulu être ainsi représentés; il n'y a aucune
immoralité à promettre cela; il n'y a aucune loi qui le défende;
il peut donc l'exécuter; s'il le peut, il le doit; car il l'a promis
en acceptant le mandat; et il est inutile de dire combien cette obligation
se fortifie lorsqu'à la religion de la promesse se joint la religion
du serment.
Mais il m'est impossible de
ne pas remarquer que l'on a exagéré prodigieusement le nombre
des mandats impératifs, de ceux surtout que le serment a, dit-on,
consacrés. Il y a certainement ici beaucoup d'erreurs de fait. Tout
le monde a juré qu'il défendrait avec zèle les intérêts
de la patrie et les droits de tous les citoyens; qu'il suivrait dans son
opinion l'impulsion de sa conscience; mais bien peu, je pense, ont juré
qu'ils adopteraient telle opinion en particulier; qu'ils délibéreraient
de telle manière; qu'ils se retireraient dans telle circonstance.
Quant aux mandats eux-mêmes,
je suis convaincu qu'il y en a très peu dont les clauses soient
véritablement impératives. Il m'a semblé qu'on se
plaisait à chaque instant à confondre les articles quelconques
des cahiers avec les clauses du mandat, et j'ai déjà observé
combien cette erreur était dangereuse; et pour dire ici en finissant
ce que je pense sur la fameuse question de l'opinion par ordre ou par tête,
à laquelle se rapportent presque tous les mandats impératifs,
je crois que, même sur ce sujet, on s'est fort exagéré
la rigueur des mandats. Voici comme il me semble qu'on doit les entendre,
toutes les fois du moins qu'il n'y est pas dit expressément que
le député se retirera de l'assemblée. Lorsqu'un bailliage
a dit à un député : Vous opinerez par ordre ou bien
par tête, il est impossible qu'il ait voulu lui dire par là
: Vous opinerez par ordre, si les autres opinent par tête; ni vous
opinerez par tête si les autres opinent par ordre; il n'a pu même
prétendre décider à lui seul cette grande question;
il n'a donc pu vouloir lui dire, dans le mandat le plus impératif,
que ceci : lorsque cette question s'agitera, vous serez obligé de
manifester mon voeu pour l'opinion par ordre; et comme en même temps
chaque bailliage ou partie de bailliage a dû dire à son député
qu'en tout il serait nécessairement soumis à la majorité,
il a voulu par là qu'il adoptât la décision qui serait
prononcée, même sur cette question, par la pluralité
des suffrages.
D'après ces réflexions,
je persiste dans le projet d'arrêté que je vous ai soumis
par la voie de l'impression; et je supplie qu'on observe qu'il n'est dans
tous ses points que l'expression exacte du principe fondamental, qu'un
bailliage ou portion de bailliage, n'étant qu'une partie d'un tout,
est soumis essentiellement, soit qu'il y concoure ou non, à la volonté
générale, dès qu'il a été dûment
appelé.
Voici mon projet d'arrêté
:
"L'Assemblée nationale,
considérant qu'un bailliage ou une partie d'un bailliage n'a que
le droit de former la volonté générale, et non de
s'y soustraire, et ne peut suspendre par des mandats impératifs,
qui ne contiennent que sa volonté particulière, l'activité
des Etats Généraux, déclare que tous les mandats impératifs
sont radicalement nuls; que l'espèce d'engagement qui en résulterait
doit être promptement levée par les bailliages, une telle
clause n'ayant pu être imposée, et toutes protestations contraires
étant inadmissibles, et que, par une suite nécessaire, tout
décret de l'Assemblée sera rendu obligatoire envers tous
les bailliages, quand il aura été rendu par tous sans exception."
J'ajouterai ces mots, nul radicalement,
par rapport à l'Assemblée, car cette nullité n'est
vraiment que relative : elle existe pour les mandataires, elle n'existe
pas pour l'Assemblée.
J'ajouterai encore que l'arrêté
est juste dans tous ses points; qu'un bailliage faisant partie d'un tout
est soumis à la volonté générale, soit qu'il
y concoure, soit qu'il n'y concoure pas. De là tous les articles
de ma motion.
Talleyrand : Premier discours sur les
biens ecclésiastiques, 10 octobre 1789, Assemblée nationale
constituante
Messieurs, l'Etat depuis longtemps
est aux prises avec les plus grands besoins : nul d'entre nous ne l'ignore;
il faut donc de grands moyens pour y subvenir. Les moyens ordinaires sont
épuisés; le peuple est pressuré de toutes parts; la
plus légère charge lui serait à juste titre insupportable.
Il ne faut pas même y songer. Des ressources extraordinaires viennent
d'être tentées, mais elles sont principalement destinées
aux besoins extraordinaires de cette année, et il en faut pour l'avenir,
il en faut pour l'entier rétablissement de l'ordre. Il en est une
immense et décisive, et qui, dans mon opinion (car autrement je
la repousserais) peut s'allier avec un respect sévère pour
les propriétés : cette ressource me paraît être
tout entière dans les biens ecclésiastiques.
Le clergé a donné,
dans plusieurs occasions, et dans cette Assemblée, des preuves trop
mémorables de son dévouement au bien public, pour ne pas
penser qu'il accordera, avec courage, son assentiment aux sacrifices que
les besoins extrêmes de l'Etat sollicitent de son patriotisme.
Déjà une grande
opération sur les biens du clergé semble inévitable
pour rétablir convenablement le sort de ceux que l'abandon des dîmes
a entièrement dépouillés.
Déjà par cette
seule raison, les membres du clergé qui jouissent du revenu de ses
biens-fonds, ont prévu sans doute la nécessité prochaine
d'un mouvement considérable dans ces biens; et tandis que ceux qui
jouissent des dîmes ne sont peut-être pas sans inquiétude
sur le remplacement dont ils ont besoin, l'on ne peut douter que ce sera
pour tous une puissante considération de voir que cette même
révolution puisse satisfaire à leurs droits communs, et opérer
directement encore le salut public.
Il ne s'agit pas ici d'une contribution
aux charges de l'Etat, proportionnelle à celle des autres biens
: cela n'a jamais pu paraître un sacrifice. Il est question d'une
opération d'une tout autre importance pour la nation. J'entre en
matière.
Je ne crois nullement nécessaire
de discuter longuement la question des propriétés ecclésiastiques.
Ce qui me paraît sûr,
c'est que le clergé n'est pas propriétaire à l'instar
des autres propriétaires, puisque les biens dont il jouit et dont
il ne peut disposer ont été donnés, non pour l'intérêt
des personnes, mais pour le service des fonctions.
Ce qu'il y a de sûr, c'est
que la nation, jouissant d'un empire très étendu sur tous
les corps qui existent dans son sein, si elle n'est point en droit de détruire
le corps entier du clergé, parce que ce corps est essentiellement
nécessaire au culte de la religion, elle peut certainement détruire
des agrégations particulières de ce corps, si elle les juges
nuisibles, ou simplement inutiles, et que ce droit sur leur existence entraîne
nécessairement un droit très étendu sur la disposition
de leurs biens.
Ce qui est non moins sûr,
c'est que la nation, par cela même qu'elle est protectrice des volontés
des fondateurs, peut, et même doit supprimer les bénéfices
qui sont devenus sans fonctions; que, par une suite de ce principe, elle
est en droit de rendre aux ministres utiles, et de faire tourner au profit
de l'intérêt public le produit des biens de cette nature,
actuellement vacants, et destiner au même usage tous ceux qui vaqueront
dans la suite.
Jusque-là point de difficulté,
et rien même qui ait droit de paraître trop extraordinaire;
car on a vu, dans tous les temps, des communautés religieuses éteintes,
des titres de bénéfices supprimés, des biens ecclésiastiques
rendus à leur véritable destination et appliqués à
des établissements publics; et sans doute l'Assemblée nationale
réunit l'autorité nécessaire pour décréter
de semblables opérations, si le bien de l'Etat les demande.
Mais peut-elle aussi réduire
le revenu des titulaires vivants, et disposer d'une partie de ce revenu
?
Je sais que des hommes d'une
autorité imposante, que des hommes non suspects d'aucun intérêt
privé, lui ont refusé ce pouvoir : je sais tout ce qu'on
dit de plausible en faveur de ceux qui possèdent.
Mais d'abord il faut en ce moment
partir d'un point de fait : c'est que cette question se trouve décidée
par vos décrets sur les dîmes.
D'ailleurs, j'avoue qu'en mon
particulier les raisons employées pour l'opinion contraire, m'ont
paru donner lieu à plusieurs réponses : il en est une bien
simple que je soumets à l'Assemblée.
Quelque inviolable que doive
être la possession d'un bien qui nous est garanti par la loi, il
est clair que cette loi ne peut changer la nature du bien en le garantissant;
que, lorsqu'il est question de biens ecclésiastiques, elle ne peut
assurer à chaque titulaire actuel que la jouissance de ce qui lui
a été véritablement accordé par l'acte de sa
fondation. Or, personne ne l'ignore, tous les titres de fondation de biens
ecclésiastiques, ainsi que les diverses lois de l'Eglise qui ont
expliqué le sens et l'esprit de ces titres, nous apprennent que
la partie seule de ces biens qui est nécessaire à l'honnête
subsistance du bénéficier, lui appartient [#note post-scriptum
de l’auteur ci-dessous #]; qu'il n'est que l'administrateur du reste et
que ce reste est réellement accordé aux malheureux, ou à
l'entretien des temples.
[# Note : L'honnête subsistance
n'indique point, ainsi que quelques personnes ont paru le croire, un traitement
égal. Les biens ecclésiastiques étant destinés
à des fonctions différentes, devant être souvent des
récompenses, il serait contre tout principe que les traitements
fussent égaux. Si, pour la suite, il est nécessaire que cette
différence soit bien établie, à plus forte raison
faut-il qu'elle existe en ce moment, et que les réductions que l'on
éprouvera, quelques fortes qu'on les suppose, soient dans une proportion
quelconque avec le revenu dont on jouissait; car la justice elle-même
demande qu'on ne dérange pas trop violemment d'anciens rapports
auxquels tenait le sort d'une foule de personnes #].
Si donc la nation assure soigneusement
à chaque titulaire, de quelque nature que soit son bénéfice,
cette subsistance honnête, elle ne touchera point à sa propriété
individuelle; et si, en même temps, elle se charge, comme elle en
a sans doute le droit, de l'administration du reste; si elle prend sur
son compte les autres obligations attachées à ces biens,
telles que l'entretien des hôpitaux, des ateliers de charité,
des réparations des églises, des frais de l'éducation
publique, etc-; si surtout elle ne puise dans ces biens qu'au moment d'une
calamité générale, il me semble que toutes les intentions
des fondateurs seront remplies, et que toute justice se trouvera avoir
été sévèrement accomplie [# note post-scriptum
de l’auteur ci-dessous #.]
[# Note : On est toujours en
droit de dire, suivant le langage accoutumé, que les biens ont été
donnés à l'Eglise : ce qui n'a jamais signifié autre
chose, si ce n'est que ces biens ont été, à la décharge
de l'Etat, destinés au service du culte, à l'entretien des
temples, au soulagement des pauvres, enfin à des oeuvres de bien
public, et qu'ils doivent surtout remplir cette destination. On est aussi
en droit de dire qu'ils ont été irrévocablement donnés,
car hors le cas d'une clause expresse de réversion, ils sont irrévocablement
affectés à cet emploi quelque sort que subisse le corps particulier
auquel d'abord ils étaient attachés. Tels sont les principes
que je défendis avec force dans la grande affaire des célestins
de Lyon, et du duc de Savoie. Les principes étaient incontestables;
ils furent reconnus de part et d'autre, et toute la question se réduisit
à une espèce de question de fait, savoir si, d'après
la clause qui existait réellement dans l'acte de fondation, la réversion
se trouvait ouverte au moment de la suppression des célestins. La
question fut décidée, contre mon avis, en faveur du duc de
Savoie, par un arrêt du conseil des dépêches, du 12
janvier 1784. #]
Ainsi, en récapitulant,
je crois que la nation, principalement dans une détresse générale,
peut, sans injustice, 1o disposer des biens des différentes communautés
religieuses qu'elle croira devoir supprimer, en assurant à chacun
des religieux vivants le moyen de subsister; 2o faire tourner à
son profit, dès le moment actuel, toujours suivant l'esprit général
des fondateurs, le revenu de tous les bénéfices sans fonctions,
qui sont vacants, et s'assurer celui de tous les autres bénéfices
de même nature, qui vaqueront; 3o réduire dans une proportion
quelconque les revenus actuel des titulaires, lorsqu'ils excéderont
telle ou telle somme, en se chargeant d'une partie des obligations dont
ces biens ont été frappés dans le principe.
Par toutes ces opérations,
soit actuelles, soit futures, que je ne fais qu'indiquer ici, et où
je ne puis voir aucun violation de propriété, puisqu'elles
remplissent toutes les intentions des fondateurs; par toutes ces opérations,
dis- je, la nation pourrait, je pense, en assurant au clergé les
deux tiers du revenu ecclésiastique actuel, sauf la réduction
successive à une certaine somme fixe de ce revenu, disposer légitimement
de la totalité des biens ecclésiastiques, fonds et dîmes.
Le revenu total du clergé pouvant être estimé, à
ce qu'on pense, à 150 millions, 80 en dîmes, et 90 en biens-fonds,
ce serait 100 millions réductibles par des extinctions successives
à 80 ou 85, qui seraient, en ce moment, assurés au clergé
par un privilège spécial sur les premiers revenus de l'Etat,
et dont la portion attribuée à chaque titulaire lui serait
payée quartier par quartier, d'avance et sur les lieux. Je spécifie
ces particularités et ce privilège spécial, parce
que le culte étant l'objet du premier devoir, ses frais nécessaires
doivent être les premiers acquittés; et ses ministres, étant,
par des liens indissolubles, attachés à leur état,
il ne faut pas qu'ils puissent jamais éprouver d'inquiétude
sur la perception de leur revenu. Ces 100 millions, à raison de
leur origine, donneraient, ou plutôt conserveraient à chacun
des titulaires, à qui ils seraient proportionnellement distribués,
les droits de citoyens dans les assemblées politiques.
Je ne puis me persuader qu'on
trouve cette somme de 100 millions, qui un jour sera réduite à
80 ou 85, trop forte, si l'on considère qu'il existe en ce moment,
autant qu'on peut le préjuger, de 70 à 80 000 ecclésiastiques
déjà pourvus, dont il faut assurer la subsistance, puisque
la loi la leur assurait; que dans ce nombre d'ecclésiastiques, plus
de la moitié compose le corps respectable des curés, dont
l'Assemblée désire sûrement que le moins aisé
ait 1 200 livres assurées, avec un logement convenable, et dont
plusieurs doivent avoir beaucoup plus. Il m'est impossible surtout de croire
qu'une telle somme paraisse trop considérable, lorsqu'on aura vu
tout le bien qui doit résulter pour la nation, du plan que je vais
proposer.
On n'a pas compris dans l'évaluation
du produit des biens-fonds du clergé les maisons et enclos qui forment
l'habitation de quelques-uns de ses membres, et notamment des communautés
religieuses qui seront supprimées; mais, quoique le produit n'en
ait pas pu être facilement évalué, elles ont cependant
une valeur considérable. Il serait convenable, je pense, d'appliquer
le prix de celles qui seraient dans le cas d'être vendues, en placements
ou acquisitions de rentes publiques, qui serviraient à former à
la dotation actuelle de 100 millions, un supplément qui pourrait
être jugé nécessaire, en raison de la quantité
de ses membres actuels. A mesure de leur décès, ce supplément
reviendrait à la nation, aussi bien que tout ce qui excéderait
les 80 ou 85 millions, auxquels il sera arrêté que sera réduite
un jour la dotation ecclésiastique.
Il est aussi une autre nature
de biens, qui n'a pas été comprise dans l'évaluation
du produit des biens du clergé et qui n'a pas dû l'être;
parce que la jouissance n'a jamais fait partie de ses revenus : je veux
parler du quart de réserve des bois ecclésiastiques. Le produit
des coupes de ces réserves était destiné à
subvenir aux frais de reconstructions et réparations des maisons
religieuses ou ecclésiastiques, ou était placé au
profit du bénéfice, quand il n'y avait pas de réparations
à faire. C'est ici, Messieurs, que l'honneur des particuliers ecclésiastiques,
aussi bien que l'intérêt des créanciers de bonne foi,
vous sollicitent à faire un acte de justice : il s'agirait d'établir,
pour le nombre d'années que vous jugeriez convenable, un séquestre
du produit de la vente de ces quarts de réserve, et l'appliquer
à la liquidation des dettes des bénéfices et des bénéficiers,
dans la proportion, pour les titulaires, de la diminution des revenus qu'ils
auraient éprouvée, et d'après le règlement
que votre prudence vous suggérera à cet effet.
Voici maintenant la manière
dont je conçois que le plan que je viens d'indiquer s'exécuterait,
et les avantages à jamais mémorables qui en résulteraient
pour l'Etat.
On n'a pas perdu de vue que
les dîmes ont été remises à la nation par le
clergé. L'Assemblée en a, il est vrai, décrété
l'abolition; mais elle a décrété aussi qu'elles seraient
acquittées quelque temps encore. Eh bien ! Elles le seront encore
quelque temps, mais au profit de la nation, mais avec la liberté
de les convertir en prestations pécuniaire. Je dis encore quelque
temps; car, au moyen des opérations d'une caisse d'amortissement,
dont le premier fonds sera très considérable, comme il sera
bientôt expliqué, on ne tardera pas à pouvoir les supprimer
entièrement, ou sans rachat, ou du moins avec un rachat infiniment
modéré.
A ces 80 millions de dîmes
perçus pour la nation, seraient joints par elle 20 millions, pour
compléter les 100 millions nécessaires au clergé.
A mesure des décès d'un nombre indiqué de titulaires
actuels, qui ne seront pas remplacés, cette charge de 20 millions
décroîtra insensiblement.
En même temps, tous les
biens-fonds du clergé seraient mis en vente. [# note post-scriptum
de l’auteur ci-dessous #]
[# Note : On pourrait, si des
besoins urgents ne permettaient pas d'attendre, et que des circonstances
particulières occasionnassent quelque délai dans la vente,
hypothéquer, dès ce moment, une partie des biens-fonds du
clergé à des emprunts qui ne seraient plus ni en rentes perpétuelles,
ni en rentes viagères. Les annuités me paraissent la seule
forme d'emprunt qui doive être autorisée à l'avenir.
En effet, ces rentes ont l'avantage de n'avoir qu'une durée fixe
et déterminée; le temps seul, sans autre soin, les amortit
insensiblement; chaque génération porte, par ce moyen, le
poids de ses propres besoins; et l'on ne dévore pas la postérité,
comme dans les rentes perpétuelles qu'on a beau payer, et que l'on
doit toujours. Les annuités , loin d'appauvrir les familles, d'éteindre
l'industrie, d'exciter l'égo‹sme comme les rentes viagères,
inspirent, au contraire, toutes les vertus domestiques et économiques.
Le possesseur du viager ne voit dans sa rente que la certitude de sa durée;
le possesseur de l' annuité, que la certitude de son extinction,
puisque chaque payement qu'on lui fait est un avertissement que bientôt
il ne recevra plus. L'un mène à la paresse, l'autre à
l'activité. Il faut donc introduire cette espèce de fonds
publics, et tâcher d'y amener une portion de la dette.#]
On peut les estimer, par approximation,
à 70 millions de revenus, peut-être au delà.
On dira peut-être qu'il
n'existe pas en France une somme de numéraire libre, accumulée
en capitaux disponibles, suffisante pour représenter le prix de
tous ces biens, et que la valeur des autres biens-fonds se trouverait avilie
pour longtemps par la longue concurrence de cette multitude de nouveaux
biens, jetés dans le commerce.
La réponse est simple.
Puisque le produit de ces ventes serait destiné à rembourser
les dettes publiques, le moyen le plus court, pour parvenir au même
but, sera d'accorder sur-le-champ, aux créanciers de l'Etat, la
faculté d'enchérir et d'acquérir eux-mêmes ces
biens, et de donner en payement la quittance du capital de leur créance,
estimé au denier 20 pour les rentes perpétuelles, et au denier
10 pour les rentes viagères; de telle sorte que, pour payer le prix
d'un bien dont l'enchère se serait élevée à
100 000 livres, l'adjudicataire pût, à son choix, délivrer
100 000 livres en argent, ou la quittance de remboursement d'une rente
viagère de 10 000 livres, ou bien celle d'une rente perpétuelle
de 5 000 livres, avec les arrérages du semestre courant. Alors personne,
je pense, ne mettra en doute que les créanciers publics ne s'empressent
de faire cette espèce d'échange; et cette concurrence d'acquéreurs
nombreux, réunis avec tous les autres propriétaires d'un
numéraire réel, portera indubitablement au denier 30 au moins
le prix de ces biens. 70 millions de revenus donneront donc un capital
de 2 100 000 000.
Pour diriger l'emploi de cette
somme énorme, rappelons- nous l'état des finances. Le déficit
actuel de 61 millions peut être considéré comme effacé
et comblé par les économies qui sont dans nos fermes résolutions,
ainsi que dans nos moyens; mais la seule suppression des offices de judicature
que vous avez décrétés, produira, de plus que les
6 millions qui sont payés pour ces offices sous le titre de gages,
une dépense nouvelle, au moins de 19 millions d'intérêts,
s'il faut emprunter à 5 pour cent 500 millions qui seront, dit-on
nécessaires à leur remboursement : de plus la réduction
à 6 sous du prix du sel que vous avez opérés, produira
une diminution de recette d'environ 25 millions; en sorte qu'on peut considérer
le déficit comme étant encore, dans le moment présent,
de 44 millions, auxquels ajoutant les 20 millions qui seront donnés
au clergé au-delà du produit que la nation retirera des dîmes,
le déficit se trouvera être de 64 millions. Voici maintenant
comment le prix des biens-fonds du clergé les procurera, et infiniment
au delà.
(Qu'on se rappelle que la dette
publique s'élève à environ 224 millions, partie en
rentes viagères, partie en perpétuelles.)
Le prix des biens-fonds ecclésiastiques
montera, avons- nous dit, à 2 100 000 000. Sur cette sommes, 500
millions seront employés à rembourser 50 millions de rentes
viagères; de ces rentes que l'expérience, sur le produit
tant exagéré des extinctions, et le calcul de ce qu'elles
coûtent comparé avec les rentes perpétuelles, ont si
évidemment démontré être infiniment plus onéreuses
à l'Etat. Pour y parvenir, il sera statué d'abord que les
biens-fonds ecclésiastiques de telle généralité,
de celle de Paris par exemple, ne pourront être payés qu'en
quittances de remboursement de rentes viagères, de la nature qui
sera indiquée, ou en argent comptant avec lequel il serait ensuite
effectué des remboursements forcés de ces rentes.
Le déficit de 67 millions
sera donc réduit par là à 14. Il sera ensuite appliqué
près de 500 millions au rachat du montant des offices de judicature;
et comme on éteindra par là 6 millions de gages que payait
l'Etat, et que de plus on épargnera 19 millions d'intérêts
qu'il faudrait ajouter à ces 6 millions de gages pour obtenir le
capital, lesquels 19 millions viennent d'être compris dans le déficit,
il en résulte un bénéfice de 25 millions d'intérêts
pour l'Etat. Ainsi, non seulement le déficit qui n'était
plus que de 14 millions sera comblé, mais il y aura un excédent
de 11.
Les 1 100 millions restants
de la vente des fonds éteindraient naturellement 55 millions de
rentes perpétuelles à 5 pour cent; mais ils éteindront
au moins 60 millions de la dette. Je dis au moins 60, parce que, dans la
masse des remboursements qui seront faits, il se trouvera plusieurs créances
qui coûtent aujourd’hui 10 pour cent d'intérêts, telles
que les offices de finance, dont la suppression entrera, sans doute, pour
quelque chose dans vos intentions, et pour beaucoup dans vos économies.
Vous n'aviez, Messieurs, que
64 millions de déficit à combler, savoir : 20 millions du
revenu nouveau alloué au clergé, et un déficit de
44 millions provenant de vos opérations sur les gabelles et sur
les offices de judicature. Vous aurez éteint et remboursé,
par cette opération, 135 million de rentes, tant perpétuelles
que viagères; à la décharge de l'Etat : ce sera donc
71 millions d'excédent.
Voici l'usage qu'il me paraîtrait
convenable de faire de cet excédent. On pourrait d'abord, avec 30
millions, éteindre à jamais le reste de l'impôt proscrit
de la gabelle.
Il resterait environ 41 millions
sur cette somme; 5 millions, et près de 400 000 livres seraient
destinés annuellement au payement de l'intérêt de la
dette actuelle du clergé; et les 35 600 000 livres restantes formeraient
le premier fonds d'une caisse d'amortissement, laquelle dirigée
suivant un bon plan d'organisation qui vous sera sûrement présenté
par votre Comité des finances, et se grossissant rapidement du produit
des extinctions naturelles et de celui des rachats forcés des rentes
de la dette publique, ainsi que de la diminution successive des 20 millions
accordés au clergé, au delà du produit actuel de la
dîme, et enfin de celle des pensions, servira très facilement
à adoucir dès à présent la prestation de la
dîme pour les petits propriétaires, et à l'anéantir
entièrement dans un très petit nombre d'années pour
tous.
Il est impossible de croire
que les propriétaires dont les moins riches se trouveront tout de
suite soulagés par l'anéantissement entier de l'impôt
sur le sel, par les autres modifications pour que vous vous proposez de
faire dans le régime des perceptions, et enfin par la portion des
35 millions de livres d'excédent de recette qu'il serait jugé
à propos d'appliquer sur-le-champ à leur profit en diminution
de la dîme, il est impossible de croire qu'ils se refusent à
l'acquitter encore quelque temps, puisque, par ce moyen, ils en seront
tous entièrement affranchis dans un fort petit nombre d'années,
sans même être tenus au remplacement auquel pourtant ils doivent
s'attendre, d'après le décret sur les dîmes.
En reprenant les diverses parties
de ce plan qui ne présente rien de trop hypothétique, on
voit qu'avec la totalité des biens et revenus du clergé,
la nation pourra : 1o doter d'une manière suffisante le clergé
; 2o éteindre 50 millions de rentes viagères; 3o en éteindre
60 de perpétuelles; 4o détruire, par le moyen de ces extinctions,
toutes espèce de déficit, le reste de la gabelle, la vénalité
des charges, et en exécuter le remboursement; 5o enfin, composer
une caisse d'amortissement, telle que les décimables, les moins
aisés puissent incessamment être soulagés, et qu'au
bout d'un très petit nombre d'années, tous les décimables,
sans exception, puisse être entièrement affranchis de la dîme.
Ajoutons, pour réunir
tout ce que ce plan me paraît présenter d'utile à l'Etat,
que la nouvelle quantité de biens-fonds rendue au commerce augmentera
le revenu des contributions publiques, par la perception des droits qui
subsistent encore au profit de l'Etat lors des mutations; qu'elle procurera
aux provinces l'avantage d'y retenir un plus grand nombre de propriétaires
intéressés à résider, pour y faire fructifier
leur propriété nouvelle;
Que les fermiers ne craignant
plus d'être dépossédés de leurs baux, comme
autrefois à la mort des titulaires des bénéfices,
la culture profitera de cette sécurité;
Qu'enfin l'Etat y gagnera, outre
la destruction du déficit, de la gabelle et de la vénalité
des charges de judicature, la réduction de la dette publique, à
une somme modérée, l'avantage d'être débarrassé
des remboursements exigibles que les créanciers eux-mêmes
redouteront lorsque la dette sera ainsi diminuée; enfin l'établissement
du crédit à un taux plus avantageux peut-être que celui
qui existe chez aucune nation.
Dans l'excédent des 35
600 000 livres destinées à la caisse d'amortissement, on
pourrait trouver de quoi payer des honoraires des nouveaux juges, qui s'élèveront
à 10 ou 12 millions; mais alors on retarderait de quelques années
l'entière et effective abolition de la dîme.
L'Assemblée jugera s'il
y aurait quelque inconvénient à ce retard, ou s'il ne vaudrait
pas mieux trouver ces nouveaux frais de judicature dans les bénéfices
immenses que peuvent procurer une meilleure administration des domaines
restés dans les mains du roi, et le rachat de ceux qui sont engagés.
D'après ces réflexions,
voici quelques-uns des articles que je crois nécessaire de soumettre
en ce moment à l'Assemblée, et qui doivent, je pense, faire
partie de son arrêté.
"Art- 1. Les rentes et biens-fonds
du clergé, que quelque nature qu'ils soient, seront remis à
la nation.
"Art- 2. La nation assure au
clergé 100 millions de revenu, qui décroîtront jusqu'à
80 ou 85 millions au plus, lorsque par la mort de certains des titulaires
actuels, le clergé ne sera plus composé que des ministres
les plus utiles.
"Art- 3. Par l'énonciation
de la somme numéraire ci-dessus, la nation entend assurer et attribuer
au clergé une quantité de denrée évaluée
à ladite somme de 100 millions, à raison du prix commun du
blé, depuis dix ans; et d'après cette intention, il sera
fait, tous les dix ans, une nouvelle évaluation du prix commun du
blé, pour servir de base proportionnelle à la fixation du
revenu numérique du clergé, et pour empêcher que le
renchérissement du prix des denrées ne diminue de fait ce
revenu.
"Art- 4. Les 100 millions de
revenus attribués au clergé dès à présent,
et les 80 ou 85 millions auxquels ils seront réduits par la suite,
seront affectés, par un privilège spécial, sous la
garantie de la nation, sur les premiers revenus de l'Etat, comme formant
sa première dette, et chaque part sera payée, avec la plus
grande exactitude, sur les lieux, quartier par quartier, et d'avance.
"Art- 5. Chaque titulaire actuel
pourra conserver, jusqu'à sa mort, la jouissance de la maison qu'il
habite.
"Art- 6. Si par l'état
détaillé des sommes nécessaires pour subvenir aux
besoins des membres actuels du clergé, il paraissait qu'il fût
indispensable d'excéder momentanément les 100 millions de
revenu, cet excédent se prendrait sur le revenu du produit de la
vente des maisons et enclos appartenant aux bénéfices ou
communautés qui se trouveraient inhabités, et ce revenu se
verserait dans le Trésor public, à mesure de l'extinction
des besoins.
"Art- 7. Il sera versé
dans une caisse particulière le produit de la vente des quarts en
réserve des bois ecclésiastiques, pour être employé
au payement des dettes des bénéfices et des bénéficiers,
suivant un règlement qui statuera en même temps sur la forme
et la proportion de ces liquidations.
"Art- 8. Les dîmes qui,
aux termes du décret du 11 aôut dernier, doivent être
acquittées jusqu'à ce qu'il ait été pourvu
à un remplacement, continueront d'être payées dans
chaque commune, non plus aux décimateurs, mais aux receveurs des
impositions nationales; elles pourront être converties en une prestation
pécuniaire, suivant le taux déterminé par les assemblées
provinciales.
"Art- 9. Dès la seconde
année, elles seront diminuées, mais en faveur seulement des
propriétaires les moins aisés, désignés par
les assemblées provinciales, et dans la proportion qui sera déterminée
par l'Assemblée nationale en exercice.
"Art- 10. Dès le moment
où la caisse d'amortissement, qui va être organisée,
annoncera un excédent de revenu public, suffisant pour l'abolition
entière de ce qui subsistera de la dîme, (et ce terme ne peut
être éloigné, si l'on considère, que cette caisse
sera établie avec un premier fonds annuel de plus de 35 millions,
et qu'elle se grossira rapidement du produit des extinctions des rentes
viagères, du produit très considérable de l'intérêt
composé des rentes perpétuelles qu'elle remboursera, de la
diminution successive des 20 millions d'excédent de dotation accordés
au clergé actuel, et enfin du produit des extinctions des pensions),
dès cet instant, toute espèce de dîmes ecclésiastiques
ou prestation perçue à leur place cessera entièrement,
et sans remplacement de la part des propriétaires, à moins
que, pour accélérer le terme de l'anéantissement de
cette redevance, on ne préfère, dès l'instant où
l'excédent des revenus publics sera de plus des trois quarts du
produit de la dîme, de faire la remise aux propriétaires des
trois quarts de cette charge, sous la condition de racheter l'autre quart
au dernier 20, et au profit de la nation.
"Art- 11. Pour le distribution
des 100 millions, la réunion des communautés conservées,
la suppression de celles qui seront jugées inutiles, la fixation
des pensions à accorder aux membres de ces communautés, l'extinction
des bénéfices sans fonctions, la réduction du nombre
des Autres par voie d'union, le prélèvement sur le revenu
des titulaires ou pensionnaires actuels, les fonds à affecter à
la retraite des anciens pasteurs, etc-, il sera nommé une commission
de trente-six membres, composée particulièrement d'ecclésiastiques,
suivant les différentes classes de bénéfices ou biens
ecclésiastiques possédés en ce moment par le clergé,
à moins qu'on ne préfère une assemblée extraordinaire
du clergé, convoquée pour ce seul objet dans la forme la
plus régulière, et à qui vous fixeriez les limites,
les bases, et la durée de son travail.
"Art- 12. La réduction
du revenu du titulaire ne pourra se faire arbitrairement; elle sera toujours
dans un rapport déterminé avec le revenu actuel, à
partir d'une somme qui restera intacte. Cette réduction sera plus
considérable, et croîtra dans une progression toujours plus
forte, en raison de la valeur et de la moindre utilité du bénéfice.
Il sera en même temps fixé un terme au delà duquel
un revenu ecclésiastique, attribué à un même
titulaire, ne pourra s'élever.
"Art- 13. Aucune cure, dans
tout le royaume ne jouira d'un revenu moindre de 1 200 livres, non compris
le presbytère et un jardin. Le casuel des villes ne sera pas entièrement
supprimé mais il sera déterminé par un règlement.
"Art- 14. Il sera interdit,
dès à présent, à toute communauté d'admettre
personne à l'émission des voeux, jusqu'à ce qu'il
ait été décidé quelles sont celles des anciennes
communautés qui subsisteront.
"Art- 15. On ne pourra, dès
à présent, faire aucune résignation ni permutation;
et aucun autre bénéfice que les archevêchés,
évêchés, et les cures ne pourra être conféré
jusqu'à une nouvelle disposition.
"Art- 16. La nation sera saisie,
dès aujourd’hui, de tous les biens du clergé; pourtant la
nouvelle dotation du clergé n'aura lieu qu'à compter de ...,
époque à laquelle l'état de répartition sera
définitivement arrêté par l'Assemblée nationale
en exercice, d'après le rapport de la commission nommés à
cet effet. Mais, jusqu'à cette époque, le revenu actuel de
chacun des membres du clergé et de chacune des communautés
sera payé par la nation, sur le pied dont ils justifieront avoir
joui; et il ne pourra être délégué, anticipé
ni saisi à l'avance, sous quelque prétexte que ce soit. [
# note post-scriptum de l’auteur #]
[# Note : La répartition
des 100 millions, donnant lieu à des opérations très
multipliées, ne pourra, suivant les apparences, être complètement
exécutée avant deux années révolues. Dans cet
intervalle, chaque titulaire et communauté non supprimée
ne perdront rien de leur revenu actuel, et néanmoins pendant ce
même temps la nation profitera de la multitude des capitaux provenant
des ventes effectuées, ainsi que du bénéfice des différentes
réunions et extinctions.#]
"Art- 17. A compter du jour
qui sera fixé, les produits, profits et revenus des biens-fonds
ecclésiastiques seront, à la poursuite et diligence des administrations
provinciales, perçus au profit de l'Etat et versés dans la
caisse nationale, sur le pied des baux actuels qui subsisteront jusqu'à
la mise en possession des acquéreurs desdits biens.
"Art- 18. Même avant que
la répartition des 100 millions de dotation ecclésiastique
soit faite et établie, la nation pourra faire vendre tels des rentes
et biens-fonds du clergé, vacants ou non vacants, qu'elle jugera
convenable, et à plus forte raison elle pourra les hypothéquer.
"Art- 19. Les intérêts
et remboursements de la dette actuelle du clergé seront acquittés
dorénavant par la nation.
"Art- 20. Aussitôt après
la publication du présent décret, les scellés seront
mis, à la requête du procureur du roi, et d'après l'ordonnance
des juges royaux, sur tous les chantiers appartenant aux bénéfices
et communautés.
"Art- 21. Le clergé continuera
de jouir à l'avenir, dans les assemblées politiques de la
nation, du droit d'être électeur et éligible, et de
toutes les autres facultés qui, dans l'état social, appartiennent
aux qualités réunies de propriétaire et de citoyen."
Plusieurs autres articles sont
sans doute nécessaires, et nous seront présentés par
la commission que vous allez nommer. Voilà les premiers qui se sont
offerts à ma réflexion; voici maintenant ceux qui intéressent
la vente des biens-fonds du clergé.
"Art- 1. La vente des biens-fonds
du clergé se fera dans des enchères publiques, sous l'inspection
et direction des personnes nommées à cet effet, par les assemblées
provinciales, et suivant les formes usitées en pareil cas.
"Art- 2. Les créanciers
publics, propriétaires de créances sur l'Etat, seront admis
à se rendre adjudicataires de ces biens, et à payer le montant
de l'adjudication en quittances de remboursement du capital de leurs rentes
soit perpétuelles, à raison du denier 20, soit viagères,
avec les quittances des arrérages du dernier semestre dans lequel
ils se rendront adjudicataires.
"Art- 3. Il sera libre à
tout particulier d'entrer en concurrence avec les créanciers publics,
de se rendre adjudicataire, et de payer le montant de son adjudication
en deniers comptants.
"Art- 4. Il ne sera dû
ni exigé, pour les premières ventes, aucun droit du centième
denier, ni de lods et ventes, pour ceux desdits biens qui se trouveraient
dans la mouvance des domaines royaux. Les frais de sentence d'adjudication
et de procès-verbal seront fixés et déterminés
d'une manière uniforme pour toute la France. Les acquéreurs
desdits biens ne seront point tenus, si bon leur semble de prendre des
lettres de ratification sur leur acquisition : ils seront tenus d'en payer
le prix, nonobstant toutes oppositions qui tiendront entre les mains du
séquestre préposé pour la liquidation des dettes des
bénéficiers.
"Art- 5. Ceux des biens du clergé
qui se trouveront situés dans les murs et dans l'arrondissement
de la capitale, à une distance de vingt lieues de rayon, ainsi que
dans les villes principales du royaume, telles que Lyon, Rouen, Strasbourg,
Bordeaux, Marseille, Nantes, Lille, etc., et à une distance de quatre
lieues de rayon, ne pourront être payés qu'en argent comptant,
ou en quittances de remboursement de rentes viagères sur l'Etat.
"Art- 6. Les rentes viagères
dont la quittance de remboursement sera admissible en payement, seront
seulement celles crées depuis 1775, et acquises, soit à raison
de 10 pour cent sur une tête, ou d'un moindre taux sur deux têtes,
en rapportant pour celles-ci la quittance de remboursement collective des
rentiers, ou ayant droit de jouir de la rente : les rentes viagères
à 9 pour cent sur une tête seront aussi prises en payement,
mais à raison du capital au denier 10 seulement de leur produit,
ainsi que pour les rentes viagères sujettes à la retenue
du dixième.
"Art- 7. Les adjudicataires
qui donneront en payement quittances du remboursement de rentes viagères,
ne seront mis en possession qu'à l'expiration de trois mois après
leur adjudication; et si, dans cet intervalle, la personne sur la tête
de laquelle la rente viagère aurait été constituée,
venait à décéder, l'acquisition et l'adjudication
serait nulles.
"Art- 8. Les titulaires d'offices
ou propriétaires des finances d'offices dont l'Assemblée
a décrété la suppression, seront considérés
comme créanciers de l'Etat, et admis à donner en payement
le montant des finances de leurs offices, avec la quittances de tous les
gages qui pourraient leur être dus; à l'effet de quoi il sera,
le plus incessamment possible, procédé à la liquidation
et fixation dedites finances.
"Art- 9. La recette du prix
de ces ventes, qui sera faite en deniers comptants, devra être versée
dans la caisse nationale, pour en être le montant employé
au remboursement ou acquisition, au profit de l'Etat, des créances
publiques, liquides et productives des intérêts les plus onéreux.
Cet emploi sera toujours fait dans le trimestre du versement des deniers
qui aura été fait à la caisse nationale; l'accomplissement
exact de cette dernière disposition sera l'un des objets de la responsabilité
personnelle du ministre des finances.
"Art- 10. L'ordre et la forme
dans lesquels se feront les ventes et enchères, les publications
préalables, les morcellement et division de ces biens avant leur
remise en enchère, la mise en possession des acquéreurs,
les payements en deniers, les termes et les facilités qui pourront
être accordés dans ce cas, les payements en quittances de
remboursement de rentes perpétuelles ou viagères, les conditions
sous lesquelles les rentes viagères pourront être reçues
en acquit des dites adjudications, les formes dans lesquelles pourront
se faire, pour accélérer ces opérations, des remboursements
provisionnels de rentes perpétuelles, et le remboursement des créances
ainsi remboursées, s'il y avait lieu, seront déterminés
par une instruction réglementaire."
Talleyrand : Second discours sur les
biens ecclésiastiques, 2 novembre 1789, (discours non prononcé
à l’Assemblée mais publié en brochure)
Messieurs, je suis presque seul
de mon état qui soutienne ici des principes qui paraissent opposés
à ses intérêts. Si je monte à cette tribune,
ce n'est pas sans ressentir toutes les difficultés de ma position.
Comme ecclésiastique, je fais hommage au clergé de la sorte
de peine que j'éprouve; mais comme citoyen, j'aurai le courage qui
convient à la vérité.
Insensible à des interprétations
qui ne m'atteignent pas et que je m'abstiens même de qualifier, je
ne répondrai ni aux paroles, ni aux écrits de quelques personnes
trop dominées par leur intérêt : il me faudrait parler
de moi, descendre un moment des grands objets qui vous occupent et oublier
la dignité de cette Assemblée.
Depuis le jour où la
grande question des biens ecclésiastiques a été agitée
parmi nous, sans doute tout a été dit de part et d'autre;
et néanmoins il est peut-être, au moment de la décision,
plus que jamais indispensable de bien circonscrire l'état de la
question.
Avant tout, je conjure les membres
de l'état auquel j'ai l'honneur d'appartenir, de ne pas perdre de
vue notre position actuelle : le clergé n'est plus un ordre; il
n'a plus une administration particulière; il a perdu ses dîmes
qui formaient au moins la moitié de ses revenus, et ce serait s'abuser
que de penser qu'elles lui seront rendues. Il est donc, sous le rapport
de cette partie considérable de ses anciennes possessions, entièrement
dépendant de la volonté nationale, qui s'est engagée,
il est vrai, à fournir un remplacement, mais non pas un équivalent;
car c'est ainsi que les décrets de l'Assemblée se sont littéralement
expliqués. Dans cet ordre de choses tout nouveau, et qu'il me semble
qu'on oublie beaucoup trop, il ne reste aujourd’hui au clergé que
ses biens-fonds, et c'est après y avoir bien réfléchi,
que j'ai pensé, que je pense encore qu'il lui importerait d'en faire
le sacrifice même dans la seule vue d'améliorer son sort.
Ne faudrait-il pas en effet, dans toute supposition, par une conséquence
inévitable de la destination de tout bien ecclésiastique,
que les bénéficiers, qui jouissent en ce moment des biens-fonds,
vinssent au secours de ceux qui se trouvent dotés en dîmes,
ou dont la dotation est absolument insuffisante ? Dès lors, il m'est
impossible de voir en quoi consisteraient les avantages de cette propriété
si ardemment invoquée. Que serait-ce, en effet, qu'un droit de propriété
du clergé qui ne pourrait empêcher que par une volonté
distincte de la sienne, les revenus ecclésiastiques d'un canton
ne fussent versés dans un autre, pour y remplacer les dîmes,
subvenir aux frais du culte et de la dotation des ministres de la religion
? La nation, propriétaire de ces biens, fera-t-elle autre chose
?
Mais résolvons la question
en elle-même. Quel est le vrai propriétaire de ces biens ?
Le clergé en général ? Non, car rien, absolument rien
n'a été donné au corps du clergé, qui, en conséquence,
n'a jamais pu faire seul un acte véritable de propriétaire.
Les corporations particulières du clergé ? Non; comment pourraient-elles
être propriétaires de leurs biens puisqu'elles ne le sont
pas même de leur existence ? Le titulaire particulier ? Non; puisque
le bénéfice n'a été donné dans l'origine
ni à lui, ni pour lui, et qu'actuellement il peut être supprimé
sans lui et malgré lui. Le fondateur ? Non; car hors le cas d'une
clause expresse de réversion, il a toujours été reconnu
que le don fait par lui était irrévocable. Le diocèse
ou canton dans lequel est situé l'établissement ecclésiastique
? Non; car si, toutes choses égales, il est convenable que le bienfait
reste là où il a été d'abord placé,
une telle convenance ne peut constituer dans toute supposition un droit
rigoureux : ce bienfait peut tellement se dénaturer qu'il y devienne
inutile, disproportionné, déplacé. Dès lors
il devient naturellement une portion libre de la fortune publique, applicable
là ou ailleurs à l'intérêt général;
car ce n'est, ce ne peut être qu'à cette condition que la
nation a ratifié une donation quelconque.
A qui donc est la propriété
véritable de ces biens. La réponse ne peut plus être
douteuse, à la nation; mais ici, il est nécessaire de bien
s'entendre. Est-ce à la nation en ce sens que, sans aucun égard
pour leur destination primitive, la nation, par une supposition chimérique,
puisse en disposer de toutes manières, et, à l'instar des
individus propriétaires, en user ou en abuser à son gré
? Non, sans doute; car ces biens ont été chargés d'une
obligation par le donateur, et il faut que par eux ou par un équivalent
quelconque, cette obligation, tant qu'elle est jugée juste et légitime
soit remplie. Mais est-elle à la nation, en ce sens que la nation,
s'obligeant à faire acquitter les charges des établissements
nécessaires ou utiles; ou pourvoir dignement à l'acquit du
service divin, suivant le véritable esprit des donateurs; à
faire remplir même les fondations particulières, lorsqu'elles
ne présenteront aucun inconvénient; elle puisse employer
l'excédent au delà de ces frais à des objets d'utilité
générale ? La question posée ainsi ne présente
plus d'embarras : oui, sans doute, elle est à la nation, et les
raisons se présentent en foule pour le démontrer.
1o La plus grande partie de
ces biens a été donnée évidemment à
la décharge de la nation, c’est-à-dire, pour des fonctions
que la nation eût été tenue de faire acquitter : or
ce qui a été donné pour la nation est nécessairement
donné à la nation.
2o Ces biens ont été
presque tous donnés pour le service public : ils l'ont été,
non pour l'intérêt des individus, mais pour l'intérêt
public : or, ce qui est donné pour l'intérêt public
peut-il n'être pas donné à la nation ? La nation peut-elle
cesser un instant d'être juge suprême sur ce qui constitue
cet intérêt ?
3o Ces biens ont été
donnés à l'Eglise. Or, comme on l'a remarqué déjà,
l'Eglise n'est pas le seul clergé, qui n'en est que la partie enseignante.
L'Eglise est l'assemblée des fidèles, et l'assemblée
des fidèles dans un pays catholique est-elle autre chose que la
nation ?
4o Ces biens ont été
destinés particulièrement aux pauvres : or, ce qui n'est
pas donné à tel pauvre en particulier, mais qui est destiné
à perpétuité aux pauvres, peut-il n'être pas
donné à la nation qui peut seule combiner les vrais moyens
de soulagement pour tous les pauvres ?
5o La nation peut certainement
par rapport aux biens ecclésiastiques ce que pouvaient par rapport
à ces biens, dans l'ancien ordre de choses, le roi et le supérieur
ecclésiastique le plus souvent étranger à la possession
de ces biens. Or, on sait qu'avec le concours de ces deux volontés,
l'on a pu dans tous les temps éteindre, unir, désunir, supprimer,
hypothéquer des bénéfices, et même les aliéner
pour secourir l'Etat. La nation peut donc aussi user de tous ces droits,
et comme dans la réunion de ces droits, se trouve toute la propriété
qui est réclamée en ce moment sur les biens ecclésiastiques
en faveur de la nation, il suit qu'elle est propriétaire dans toute
l'acception que ce mot peut présenter pour elle.
Mais les titres, mais les possessions
?... Eh bien ! ces titres et cette possession assurent un droit véritable
à un titulaire quelconque; cela ne peut être contesté
et n'a rien de commun avec le principe que je défends. Ce n'est
pas encore tout. Ces titres, cette possession donnent tous les droits de
la propriété à une église particulière
contre une autre église qui voudrait la dépouiller; mais
toutes ces églises particulières appartenant à la
nation, un pareil droit ne peut jamais être invoqué contre
elle, puisque éternellement elle conserve le droit de les modifier,
de les reconstituer, ou même de les supprimer entièrement.
Telles sont, Messieurs, les
raisons qui m'ont déterminé à croire que les biens
ecclésiastiques sont une propriété nationale. Si ces
raisons que rien, non rien n'a pu affaiblir un instant dans mon esprit,
si ces raison indépendantes de toutes circonstances, vous paraissent
de quelque poids, combien ne deviennent-elle pas plus pressantes, plus
décisives dans l'ensemble des conjonctures actuelles ? Regardons
autour de nous : la fortune publique est chancelante; sa chute prochaine
menace toutes les fortunes, et dans ce désastre universel, qui aurait
plus à craindre que le clergé ? Depuis longtemps l'on compare
avec l'indigence publique l'opulence particulière de plusieurs d'entre
nous; faisons cesser, en un instant, ces fatigants murmures dont s'indigne
nécessairement notre patriotisme; livrons sans réserve à
la nation et nos personnes et nos fortunes; elle ne l'oubliera jamais.
Ne disons pas que le clergé,
par cela seul qu'il ne sera plus propriétaire, en devienra moins
digne de la considération publique. Non : pour être payé
par la nation, le clergé n'en sera pas moins révéré
des peuples; car les chefs des tribunaux, les ministres, les rois mêmes
reçoivent des salaires et n'en sont pas moins honorés. Non;
il ne leur sera point odieux, car ce n'est pas de la main de chacun des
citoyens que le ministre des églises ira chercher son tribut, mais
dans le Trésor public, comme tous les autres mandataires du gouvernement.
Eh ! ne voyez-vous pas sans
cesse le peuple consentir à oublier que les fonctionnaires quelconques
sont à ses gages et joindre à ses tributs généreux
l'hommage personnel du respect pour des hommes dont les fonctions contrarient
souvent ses passions et quelquefois même ses intérêts
? Comment donc voudra-t-on persuader que ce peuple plus juste qu'on ne
pense, et qu'éternellement on calomnie, déshéritera
de sa reconnaissante estime ceux qui ne devront, qui ne voudront, qui ne
pourront que lui inspirer la vertu, verser dans son sein les consolations
de la charité et de la morale, et remplir dans tous les instants,
auprès de lui, les fonctions les plus paternelles ?
Ne disons plus qu'à cette
question se trouve liée la cause de la religion; disons plutôt
que ce que nous savons tous, disons que le plus grand acte religieux qui
puisse nous honorer, c'est de hâter l'époque où un
meilleur ordre de choses fera disparaître des abus corrupteurs, préviendra
cette multitude de crimes connus, de délits obscurs, fruit des grandes
calamités publiques. Disons que le plus bel hommage à la
religion, c'est de contribuer à la formation d'un ordre social,
qui fasse naître et protège les vertus que la religion commande
et récompense, et qui rappelle sans cesse à l'homme, dans
la perfection de la société, le bienfaiteur de la nature.
Les peuples ramenés à la religion par le sentiment du bonheur
ne se rappelleront point sans reconnaissance les sacrifices que les ministres
de la religion auront faits à la félicité générale.
Tout le demande. L'opinion publique proclame partout la loi de la justice
unie à celle de la nécessité. Quelques moments de
plus et nous perdons dans une lutte inégale et dégradante
l'honneur d'une généreuse résignation. Aller au-devant
de la nécessité, c'est paraître ne point la craindre,
ou, pour s'énoncer d'une manière plus digne de vous, c'est
ne point la craindre en effet. Ce n'est pas être traîné
vers l'autel de la patrie, c'est y porter une offrande volontaire. Que
sert d'en différer le moment ? Combien de troubles, combien de malheurs
eussent été prévenus, si les sacrifices consommés
ici depuis trois mois eussent été plus tôt un don du
patriotisme ? Montrons, Messieurs, que nous voulons être citoyens,
n'être que citoyens, que nous voulons véritablement nous rallier
à l'unité nationale, ce voeu de la France entière.
C'est là ce qui fera dire que le clergé a justifié,
par la grandeur de ses sacrifices, l'honneur qu'il eut autrefois d'être
appelé le premier ordre de l'Etat. Enfin, Messieurs, c'est en cessant
d'être un corps, éternel objet d'envie, que le clergé
va devenir un assemblage de citoyens, objet d'une éternelle reconnaissance.
Je conclus donc à ce
que le principe sur la propriété des biens ecclésiastiques
soit consacré en ce moment et pour prévenir toute équivoque,
à ce qu'il soit en conséquence décrété
par l'Assemblée nationale, que la nation est le vrai propriétaire
de ces biens, en ce sens, qu'elle peut en disposer pour le plus grand bien
public, à la charge pour elle de conserver à chaque titulaire
ce qui lui appartient réellement, et de faire acquitter dorénavant,
de la manière qu'elle jugera la plus digne, les obligations véritables
dont ces biens se trouvent chargés.
Talleyrand : Rapport sur la possession
d'état de citoyen actif réclamé par les Juifs portugais
établis à Bordeaux, 28 janvier 1790, Assemblée nationale
constituante
Les juifs régnicoles,
établis à Bordeaux, viennent d'envoyer une députation
extraordinaire, avec des pouvoirs constatés et signés par
deux cent quinze chefs de leurs maisons.
Ces députés ont
remis au comité de Constitution une adresse pour l'Assemblée
nationale, dont notre devoir est de vous donner connaissance, et sur laquelle,
à raison de l'époque prochaine des élections, il nous
a paru également juste et convenable que vous prononçassiez
incessamment.
Les juifs de Bordeaux, ainsi
que ceux de Bayonne et d'Avignon, se trouvent dans une position particulière,
en sorte que votre décision laissera intact l'ajournement que vous
avez prononcé. Cette position les rend étrangers aux observations
qui ont été faites dans cette Assemblée sur l'état
des juifs.
Ils n'ont ni lois, ni tribunaux,
ni officiers particuliers.
Ils jouissent du droit indéfini
d'acquérir des immeubles.
Ils possèdent toute espèce
de propriété.
Ils supportent toute imposition
sur le même pied que les autres Français.
Ils participent au droit de
bourgeoisie, assistent dans toutes les occasions aux assemblées
publiques comme citoyens et comme négociants; ils ont concouru en
dernier lieu à l'élection des députés à
l'Assemblée; ils servent dans ce moment dans les milices nationales,
y occupent des grades, et en remplissent les fonctions sans distinction
d'aucun jour de la semaine.
Enfin, ce qui nous a paru tout
à fait décisif, depuis deux cent quarante ans, ils jouissent
de tous les droits de régnicoles, en vertus de lettres patentes
légalement enregistrée et renouvelées de règne
et règne. Les preuves de tous ces faits nous ont été
remises; elles sont incontestables. Voici les termes de lettres patentes
de 1776 :
"Voulons (y est-il dit en parlant
des juifs portugais établis à Bordeaux) qu'il soient traités
et regardés, ainsi que nos autres sujets nés en notre royaume,
et qu'ils soient réputés tels, tant en jugement que dehors."
Les lettres patentes de 1780,
relatives au juifs avignonnais établis aussi à Bordeaux,
sont plus expressives encore.
Ils demandent donc, Messieurs,
non pas d'être admis à la participation des droits de citoyen;
mais plutôt d'être maintenus dans la jouissance de ces droits.
Leur demande nous a paru parfaitement juste. Vous n'avez point voulu, vous
n'avez pas pu priver personne de l'honorable qualité de citoyen
à moins qu'il n'eût démérité aux yeux
de la nation; et il est évident que ce serait priver les juifs de
Bordeaux que de ne pas la leur reconnaître en ce moment.
Votre comité de Constitution
a donc pensé que, sans rien préjuger sur la question de l'état
des juifs, prise dans sa généralité, il était
juste et convenable de décréter en ce moment :
"Que les juifs à qui
les lois anciennes ont accordé la qualité de citoyen, ainsi
que ceux qui sont dans une possession immémoriale d'en jouir, la
conservent, et, en conséquence, sont citoyens actifs, s'ils réunissent
les autres qualités exigées par les décrets de l'Assemblée."
(Cette motion excite de vives
réclamations.)
Talleyrand : Rapport sur l'instruction
publique, 10 septembre 1791, Assemblée nationale constituante
Les pouvoirs publics sont organisés
: la liberté, l'égalité existent sous la garde toute-puissante
des lois; la propriété a retrouvé ses véritables
bases; et pourtant la Constitution pourrait sembler incomplète,
si l'on n'y attachait enfin, comme partie conservatrice et vivifiante,
l'instruction publique, que sans doute on aurait le droit d'appeler un
pouvoir , puisqu'elle embrasse un ordre de fonctions distinctes qui doivent
agir sans relâche sur le perfectionnement du corps politique et sur
la prospérité générale.
Nous ne chercherons pas ici
à faire ressortir la nullité ou les vices innombrables de
ce qu'on a nommé jusqu'à ce jour instruction. même
sous l'ancien ordre de choses, on ne pouvait arrêter sa pensée
sur la barbarie de nos institutions, sans être effrayé de
cette privation totale de lumières, qui s'étendait sur la
grande majorité des hommes; sans être révolté
ensuite et des opinions déplorable que l'on jetait dans l'esprit
de ceux qui n'étaient pas tout à fait dévoués
à l'ignorance, et des préjugés de tous les genres
dont on les nourrissait, et de la discordance ou plutôt de l'opposition
absolue qui existait entre ce qu'un enfant était contraint d'appendre,
et ce qu'un homme était tenu de faire; enfin, de cette déférence
aveugle et persévérante pour des usages dès longtemps
surannés, qui, nous replaçant sans cesse à l'époque
où tout le savoir était concentré dans les cloître,
semblait encore, après plus de dix siècles, destiner l'universalité
des citoyens à habiter des monastères.
Toutefois ces choquantes contradictions,
et de plus grandes encore, n'auraient pas dû surprendre; elles devaient
naturellement exister là où constitutionnellement tout était
hors de sa place; où tant d'intérêts se réunissaient
pour tromper, pour dégrader l'espèce humaine; où la
nature du gouvernement repoussait les principes dans tout ce qui n'était
pas destiné à flatter ses erreurs; où tous semblait
faire une nécessité d'apprendre aux hommes, dès l'enfance,
à composer avec des préjugés, au milieu desquels ils
étaient appelés à vivre et à mourir; où
il fallait les accoutumer à contraindre leurs pensée, puisque
la loi elle-même leur disait avec menace qu'ils n'en étaient
pas les maîtres; et où enfin une prudence pusillanime, qui
osait se nommer vertu, s'était fait un devoir de distraire leur
esprit de ce qui pouvait un jour leur rappeler les droits qu'il ne leur
était pas permis d'invoquer; et telle avait été, sous
ces rapports, l'influence de l'opinion publique elle-même, qu'on
était parvenu à pouvoir présenter à la jeunesse
l'histoire des anciens peuples libres, à échauffer son imagination
par le récit de leurs héroïques vertus, à la
faire vivre, en un mot, au milieu de Sparte et de Rome, sans que le pouvoir
le plus absolu eût rien à redouter de l'impression que devaient
produire ces grands et mémorables exemples. Aimons pourtant à
rappeler que, même alors, il s'est trouvé des hommes dont
les courageuses leçons semblaient appartenir aux plus beaux jours
de la liberté; et, sans insulter à de trop excusables erreurs,
jouissons avec reconnaissance des bienfaits de l'esprit humain qui, dans
toutes les époques a su préparer, à l'insu du despotisme,
la Révolution qui vient de s'accomplir.
Or, si à ces diverses
époques dont chaque jour nous sépare par de si grands intervalles;
la simple raison, la saine philosophie ont pu réclamer, non seulement
avec justice, mais souvent avec quelque espoir de succès, des changements
indispensables dans l'instruction publique; si dans tous les temps, il
a été permis d'être choqué de ce qu'elle n'était
absolument en rapport avec rien, combien plus fortement doit-on éprouver
le besoin d'une réforme totale, dans un moment où elle est
sollicitée à la fois, et par la raison de tous les pays,
et par la Constitution particulière du nôtre.
Il est impossible, en effet,
de s'être pénétré de l'esprit de cette constitution,
sans y reconnaître que tous les principes invoquent les secours d'une
instruction nouvelle.
Forts de la toute-puissance
nationale, vous êtes parvenus à séparer, dans le corps
politique, la volonté commune ou la faculté de faire des
lois, de l'action publique ou des divers moyens d'en assurer l'exécution;
et c'est là qu'existera éternellement le fondement de la
liberté politique. Mais pour le complément d'un tel système,
il faut sans doute que cette volonté se maintienne toujours droite,
toujours éclairée, et que les moyens d'action soient invariablement
dirigés vers leur but; or, ce double objet est évidemment
sous l'influence directe et immédiate de l'instruction.
La loi, rappelée enfin
à son origine, est redevenue ce qu'elle n'eut jamais dû cesser
d'être, l'expression de la volonté commune. Mais pour que
cette volonté, qui doit se trouver toute dans les représentants
de la nation, chargés par elle d'être ses organes, ne soit
pas à la merci des volontés éparses ou tumultueuses
de la multitude souvent égarée; pour que ceux de qui tout
pouvoir dérive ne soient pas tentés, ni quant à l'émission
de la loi, ni quant à son exécution, de reprendre inconsidérément
ce qu'ils ont donné, il faut que la raison publique, armée
de toute la puissance de l'instruction et des lumières, prévienne
ou réprime sans cesse ces usurpations individuelles, destructives
de tout principe, afin que le parti le plus fort soit aussi, et pour toujours,
le parti le plus juste.
Les hommes sont déclarés
libres; mais ne sait-on pas que l'instruction agrandit sans cesse la sphère
de la liberté civile, et, seule, peut maintenir la liberté
politique contre toutes les espèces de despotisme ? Ne sait-on pas
que, même sous la Constitution la plus libre, l'homme ignorant est
à la merci du charlatan, et beaucoup trop dépendant de l'homme
instruit; et qu'une instruction générale, bien distribuée,
peut seule empêcher, non pas la supériorité des esprits
qui est nécessaire, et qui même concourt au bien de tous,
mais le trop grand empire que cette supériorité donnerait,
si l'on condamnait à l'ignorance une classe quelconque de la société
? Celui qui ne sait ni lire ni compter dépend de tout ce qui l'environne;
celui qui connaît les premiers éléments du calcul ne
dépendrait pas du génie de Newton, et pourrait même
profiter de ses découvertes.
Les hommes sont reconnus égaux;
et pourtant combien cette égalité des droits serait peu sentie,
serait peu réelle, au milieu de tant d'inégalités
de fait, si l'instruction ne faisait sans cesse effort pour rétablir
le niveau, et pour affaiblir du moins les funestes disparités qu'elle
ne peut détruire !
Enfin, et pour tout dire, la
Constitution existerait-elle véritablement, si elle n'existait que
dans notre code : si de là elle ne jetait ses racines dans l'âme
de tous les citoyens; si elle n'y imprimait à jamais de nouveaux
sentiments, de nouvelles moeurs, de nouvelles habitudes. et n'est-ce pas
à l'action journalière et toujours croissante de l'instruction,
que ces grands changements sont réservés ?
Tout proclame donc l'instante
nécessité d'organiser l'instruction : tout nous démontre
que le nouvel état des choses, élevé sur les ruines
de tant d'abus, nécessite une création en ce genre; et la
décadence rapide et presque spontanée des établissements
actuels qui, dans toutes les parties du royaume, dépérissent
comme des plantes sur un terrain nouveau qui les rejette, annonce clairement
que le moment est venu d'entreprendre ce grand ouvrage.
En nous livrant au travail qu'il
demande, nous n'avons pu nous dissimuler un instant les difficultés
dont il est entouré. Il en est de réelles, et qui tiennent
à la nature d'un tel sujet. L'instruction est en effet un pouvoir
d'une nature particulière. Il n'est donné à aucun
homme d'en mesurer l'étendue; et la puissance nationale ne peut
elle-même lui tracer des limites. Son objet est immense, indéfini
: que n'embrasse-t-il pas ! Depuis les éléments les plus
simples des arts jusqu'aux principes les plus élevés du droit
public et de la morale; depuis les jeux de l'enfance jusqu'aux représentations
théâtrales et aux fêtes les plus imposantes de la nation
: tout ce qui, agissant sur l'âme, peut y faire naître et y
graver d'utiles ou de funestes impressions, est essentiellement de son
ressort. Ses moyens qui vont toujours en se perfectionnant, doivent être
diversement appliqués suivant les lieux, les temps, les hommes,
les besoins. Plusieurs sciences sont encore à naître; d'autres
n'existent déjà plus : les méthodes ne sont point
fixées; les principes des sciences ne peuvent l'être; les
opinions moins encore; et, sous aucun de ces rapports, il ne nous appartient
d'imposer des lois à la postérité. Tel est néanmoins
le pouvoir qu'il faut organiser.
A côté de ces difficultés
réelles, il en est d'autres plus embarrassantes peut-être,
par la raison que ce n'est pas avec des principes qu'on parvient à
les vaincre, et qu'il faut en quelque sorte composer avec elles. Celles-ci
naissent d'une sorte de frayeur qu'éprouvent souvent les hommes
les mieux intentionnés à la vue d'une grande nouveauté;
toute perfection leur semble idéale; ils la redoutent presque à
l'égal d'un système erroné, et souvent il parviennent
à la rendre impraticable, à force de répéter
qu'elle l'est.
C'est à travers ces difficultés
qu'il nous a fallu marcher; mais nous croyons avoir écarté
les plus fortes, en réduisant extrêmement les principes, et
en nous bornant à ouvrir toutes les routes de l'instruction, sans
prétendre fixer aucun limite à l'esprit humain, au progrès
duquel on ne peut assigner aucun terme.
Quant aux autres difficultés,
ceux qu'un trop grand changement effraye ne tarderont pas à voir
que, si nous avons tracé un plan pour chaque partie de l'instruction,
c'est que dans la chose la plus pratique il fallait se tenir en garde contre
les inconvénients des principes purement spéculatifs; qu'il
ne suffisait pas de marquer le but, qu'il fallait aussi ouvrir les routes;
mais en même temps nous avons pensé qu'il était nécessaire
de laisser aux divers départements qui connaîtront et ce qu'exigent
les besoins et ce que permettent les moyens de chaque lieu, à déterminer
le moment où tel point en particulier pourra être réalisé
avec avantage, comme aussi à la modifier dans quelques détails;
car nous voulons que le passage de l'ancienne instruction à la nouvelle
se fasse sans convulsion, et surtout sans injustice individuelle.
Pour nous tracer quelque ordre
dans un sujet aussi vaste, nous avons considéré l'instruction
sous les divers rapports qu'elle nous a paru présenter à
l'esprit.
L'instruction en général
a pour but de perfectionner l'homme dans tous les âges, et de faire
servir sans cesse à l'avantage de chacun et au profit de l'association
entière les lumières, l'expérience, et jusqu'aux erreurs
des générations précédentes.
Un des caractères les
plus frappants dans l'homme est la perfectibilité; et ce caractère,
sensible dans l'individu, l'est bien plus encore dans l'espèce :
car peut-être n'est-il pas impossible de dire de tel homme en particulier,
qu'il est parvenu au point où il pouvait atteindre, et il le sera
éternellement de l'affirmer de l'espèce entière, dont
la richesse intellectuelle et morale s'accroît sans interruption
de tous les produits des siècles antérieurs.
Les hommes arrivent sur la terre
avec des facultés diverses, qui sont à la fois les instruments
de leur bien-être et les moyens d'accomplir la destinée à
laquelle la société les appelle; mais ces facultés,
d'abord inactives, ont besoin et du temps, et des choses, et des hommes
pour recevoir leur entier développement, pour acquérir toute
leur énergie : mais chaque individu entre dans la vie avec une ignorance
profonde sur ce qu'il peut et doit être un jour; c'est à l'instruction
à le lui montrer; c'est à elle à fortifier, à
accroître ses moyens naturels de tous ceux que l'association fait
naître, et que le temps accumule; Elle est l'art plus ou moins perfectionné
de mettre les hommes en toute valeur, tant pour eux que pour leurs semblables;
de leur apprendre à jouir pleinement de leurs droits, à respecter
et remplir facilement tous leurs devoirs; en un mot, à vivre heureux
et à vivre utiles; et de préparer ainsi la solution du problème,
le plus difficile peut-être des sociétés, qui consiste
dans la meilleure distribution des hommes.
On doit considérer en
effet la société comme un vaste atelier. Il ne suffit pas
que tous y travaillent; il faut que tous y soient à leur place,
sans quoi il y a opposition de forces, au lieu du concours qui les multiplie.
Qui ne sait qu'un petit nombre, distribué avec intelligence, doit
faire plus ou mieux qu'un plus grand, doué des mêmes moyens,
mais différemment placés ? La plus grande de toutes les économies,
puisque c'est l'économie des hommes, consiste donc à les
mettre dans leur véritable position : or, il est incontestable qu'un
bon système d'instruction est le premier des moyens pour y parvenir.
Comment le former ce système
? Il sera sans toute, sous beaucoup de rapports, l'ouvrage du temps épuré
par l'expérience; mais il est essentiel d'en accélérer
l'époque. Il faut donc en indiquer les bases, et reconnaître
les principes dont il doit être le développement progressif.
L'instruction peut être
considérée comme un produit de la société,
comme une source de biens pour la société, comme une source
également féconde de biens pour les individus.
Et d'abord, il est impossible
de concevoir une réunion d'hommes, un assemblage d'êtres intelligents,
sans y apercevoir aussitôt des moyens d'instruction. Ces moyens naissent
de la libre communication des idées, comme aussi de l'action réciproque
des intérêts. C'est alors surtout qu'il est vrai de dire que
les hommes sont disciples de tout ce qui les entoure : mais ces éléments
d'instruction, ainsi universellement répandus, ont besoin d'être
réunis, combinés et dirigés, pour qu'il en résulte
un art, c’est-à-dire un moyen prompte et facile de faire arriver
à chacun, par des routes sûres, la part d'instruction qui
lui est nécessaire. Dans une heureuse combinaison de ces moyens
réside le vrai système d'instruction.
Sous ce premier point de vue,
l'instruction réclame les principes suivants :
1o Elle doit exister pour tous
: car, puisqu'elle est un des résultats, aussi bien qu'un des avantages
de l'association, on doit conclure qu'elle est un droit commun des associés
: nul ne peut donc en être légitimement exclu; et celui-là,
qui a le moins de propriétés privées, semble même
avoir un droit de plus pour participer à cette propriété
commune.
2o Ce principe se lie à
un autre. Si chacun a le droit de recevoir les bienfaits de l'instruction,
chacun a réciproquement le droit de concourir à les répandre
: car c'est du concours et de la rivalité des efforts individuels
que naîtra toujours le plus grand bien. La confiance doit seule déterminer
les choix pour les fonctions instructives; mais tous les talents sont appelés
de droit à disputer ce prix de l'estime publique. Tout privilège
est, par sa nature, odieux; un privilège, en matière d'instruction,
serait plus odieux et plus absurde encore.
3o L'instruction, quant à
son objet, doit être universelle : car c'est alors qu'elle est véritablement
un bien commun, dans lequel chacun peut s'approprier la part qui lui convient.
Les diverses connaissances qu'elle embrasse peuvent ne pas paraître
également utiles; mais il n'en est aucune qui ne le soit véritablement,
qui ne puisse le devenir davantage, et qui par conséquent doive
être rejetée ou négligée. Il existe d'ailleurs
entre elles une éternelle alliance, une dépendance réciproque;
car elles ont toutes, dans la raison de l'homme, un point commun de réunion,
de telle sorte que nécessairement l'une s'enrichit et se fortifie
par l'autre. De là il résulte que, dans une société
bien organisée, quoique personne ne puisse parvenir à tout
savoir, il faut néanmoins qu'il soit possible de tout apprendre.
4o L'instruction doit exister
pour l'un et l'autre sexe, cela est trop évident : car, puisqu'elle
est un bien commun, sur quel principe l'un des deux pourrait-il en être
déshérité par la société protectrices
des droits de tous ?
5o Enfin elle doit exister pour
tous les âges. C'est un préjugé de l'habitude de ne
voir toujours en elle que l'institution de la jeunesse. L'instruction doit
conserver et perfectionner ceux qu'elle a déjà formés;
elle est d'ailleurs un bienfait social et universel; elle doit donc naturellement
s'appliquer à tous les âges, si tous les âges en sont
susceptibles : or, qui ne voit qu'il n'en est aucun où les facultés
humaines ne puissent être utilement exercées, où l'homme
ne puisse être affermi dans d'heureuses habitudes, encouragé
à faire le bien, éclairé sur les moyens de l'opérer
: et qu'est-ce que tous ces secours, si ce n'est des émanations
du pouvoir instructif ?
De ces principes qui ne sont,
à proprement parler, que des conséquences du premier, naissent
des conséquences ultérieures et déjà clairement
indiquées.
Puisque l'instruction doit exister
pour tous, il faut donc qu'il existe des établissements qui la propagent
dans chaque partie de l'empire, en raison de ses besoins, du nombre de
ses habitants, et de ses rapports dans l'association politique.
Puisque chacun a le droit de
concourir à la répandre, il faut donc que tout privilège
exclusif sur l'instruction soit aboli sans retour.
Puisqu'elle doit être
universelle, il faut donc que la société encourage, facilite
tous les genres d'enseignement, et en même temps qu'elle protège
spécialement ceux dont l'utilité actuelle et immédiate
sera le plus généralement reconnue et le plus appropriée
à la Constitution et aux moeurs nationales.
Puisque l'instruction doit exister
pour chaque sexe, il faut donc créer promptement des écoles,
et pour l'un et pour l'autre; mais il faut aussi créer pour elles
des principes d'instruction : car ce ne sont pas les écoles, mais
les principes qui les dirigent, qu'il faut regarder comme les véritables
propagateurs de l'instruction.
Enfin, puisqu'elle doit exister
pour tous les âges, il faut ne pas s'occuper exclusivement, comme
on l'a fait jusqu'à ce jour parmi nous, d'établissement pour
la jeunesse; il faut aussi créer, organiser des institutions d'un
autre ordre qui soient pour les hommes de tout âge, de tout état,
et dans les diverses positions de la vie, des sources fécondes d'instruction
et de bonheur.
L'instruction, considérée
dans ses rapports avec l'avantage de la société, exige, comme
principe fondamental, qu'il soit enseigné à tous les hommes
:
1o A connaître la Constitution
de cette société; 2o à la défendre; 3o à
la perfectionner, 4e et, avant tout, à se pénétrer
des principes de la morale, qui est antérieure à toute constitution,
et qui, plus qu'elle encore, est la sauvegarde et la caution du bonheur
public.
De là diverses conséquences
relatives à la Constitution française.
Il faut apprendre à connaître
la Constitution; il faut donc que la déclaration des droits et les
principes constitutionnels composent à l'avenir un nouveau catéchisme
pour l'enfance, qui sera enseigné jusque dans les plus petites écoles
du royaume. Vainement on a voulu calomnier cette déclaration; c'est
dans les droits de tous que se trouveront éternellement les devoirs
de chacun.
Il faut apprendre à défendre
la Constitution; il faut donc que partout la jeunesse se forme, dans cet
esprit, aux exercices militaires, et que par conséquent il existe
un grand nombre d'écoles générales, où toutes
les parties de cette science soient complètement enseignées
: car le moyen de faire rarement usage de la force est de bien connaître
l'art de l'employer.
Il faut apprendre à perfectionner
la Constitution. En faisant serment de la défendre, nous n'avons
pu renoncer, ni pour nos descendants, ni pour nous-mêmes, au droit
et à l'espoir de l'améliorer. Il importerait donc que toutes
les branches de l'art social puissent être cultivées dans
la nouvelle instruction : mais cette idée, dans toute l'étendue
qu'elle présente à l'esprit, serait d'une exécution
difficile au moment où la science commence à peine à
naître. Toutefois, il n'est pas permis de l'abandonner, et il faut
au moins encourager tous ses essais, tous les établissements partiels
en ce genre, afin que le plus noble, le plus utile des arts ne soit pas
privé de tout enseignement.
Il faut apprendre à se
pénétrer de la morale, qui est le premier besoin de toutes
les constitutions; il faut donc, non seulement qu'on la grave dans tous
les coeurs par la voie du sentiment et de la conscience, mais aussi qu'on
l'enseigne comme une science véritable, dont les principes seront
démontrés à la raison de tous les hommes, à
celle de tous les âges : c'est par là seulement qu'elle résistera
à toutes les épreuves. On a gémi longtemps de voir
les hommes de toutes les nations, de toutes les religions, la faire dépendre
exclusivement de cette multitude d'opinions qui les divisent. Il en est
résulté de grands maux, car en la livrant à l'incertitude,
souvent à l'absurdité, on l'a nécessairement compromise,
on l'a rendue versatile et chancelante. Il est temps de l'asseoir sur ses
propres bases; il est temps de montrer aux hommes, que si de funestes divisions
les séparent, il est du moins dans la morale un rendez-vous commun
où ils doivent tous se réfugier et se réunir. Il faut
donc, en quelque sorte, la détacher de tout ce qui n'est pas elle,
pour la rattacher ensuite à ce qui mérite notre assentiment
et notre hommage, à ce qui doit lui prêter son appui. Ce changement
est simple, il ne blesse rien; surtout il est possible. Comment ne pas
voir, en effet, qu'abstraction faite de tout système, de toute opinion,
et en ne considérant dans les hommes que leurs rapports avec les
autres hommes, on peut leur enseigner ce qui est bon, ce qui est juste,
le leur faire aimer, leur faire trouver du bonheur dans les actions honnêtes,
du tourment dans celles qui ne le sont pas, former, enfin de bonne heure,
leur esprit et leur conscience, et les rendre l'un et l'autre sensibles
à la moindre impression de tout ce qui est mal. La nature a pour
cela fait de grandes avances; elle a doué l'homme de la raison et
de la compassion. Par la première, il est éclairé
sur ce qui est juste; par la seconde, il est attiré vers ce qui
est bon : voilà le double principe de toute morale. Mais cette nouvelle
partie de l'instruction, pour être bien enseignée, exige un
ouvrage élémentaire, simple, à la fois clair et profond.
Il est digne de l'Assemblée nationale d'appeler sur un tel objet
les veilles et les méditations de tous les vrais philosophes.
L'instruction, comme source
d'avantages pour les individus, demande que toutes les facultés
de l'homme soient exercées; car c'est à leur exercice bien
réglé qu'est attaché son bonheur; et c'est en les
avertissant toutes, qu'on est sûr de décider la faculté
distinctive de chaque homme.
Ainsi, l'instruction doit s'étendre
sur toutes les facultés, physiques, intellectuelles, morales.
Physiques. C'est une étrange
bizarrerie de la plupart de nos éducations modernes, de ne destiner
au corps que des délassements. Il faut travailler à conserver
sa santé, à augmenter la force, à lui donner de l'adresse,
de l'agilité; car ce sont là de véritables avantages
pour l'individu. Ce n'est pas tout; ces qualités sont le principe
de l'industrie, et l'industrie de chacun crée sans cesse des jouissances
pour les autres. Enfin, la raison découvre dans les différents
exercices de la gymnastique, si cultivée parmi les anciens, si négligée
parmi nous, d'autres rapports encore qui intéressent particulièrement
la morale et la société. Il importe donc, sous tous les points
de vue, d'en faire un objet capital de l'instruction.
Intellectuelles. Elles ont été
divisées en trois classes : l'imagination, la mémoire et
la raison. A la première ont paru appartenir les beaux-arts et les
belles-lettres; à la seconde, l'histoire, les langues; à
la troisième, les sciences exactes. Mais cette division, déjà
ancienne, et les classifications qui en dépendent, sont loin d'être
irrévocablement fixées : déjà même elles
sont regardées comme incomplètes et absolument arbitraires
par ceux qui en ont soumis le principe à une analyse réfléchie.
Toutefois, il n'y a nul inconvénient à les employer encore
comme formant la dernière carte des connaissances humaines. L'essentiel
est que, dans tous les établissements complets, l'instruction s'étende
sur les objets qu'elle renferme, sans exclure aucun de ceux qui pourraient
n'y être pas indiqués. C'est au temps à faire le reste.
Morales. On ne les a, jusqu'à
ce jour, ni classées, ni définies, ni analysées, et
peut-être une telle entreprise serait- elle hors des moyens de l'esprit
humain; mais on sait qu'il est un sens interne, un sentiment prompt, indépendant
de toute réflexion, qui appartient à l'homme, et paraît
n'appartenir qu'à l'homme seul. Sans lui, ainsi qu'il a été
déjà dit, on peut connaître le bien; par lui seul on
l'affectionne, et l'on contracte l'habitude de le pratiquer sans efforts.
Il est donc essentiel d'avertir, de cultiver, et surtout de diriger de
bonne heure une telle faculté, puisqu'elle est, en quelque sorte,
le complément des moyens de vertu et de bonheur.
En rapprochant les divers points
de vue sous lesquels nous avons considéré l'instruction,
nous en avons déduit les règles suivantes sur la répartition
de l'enseignement.
Il doit exister pour tous les
hommes une première instruction commune à tous. Il doit exister
pour un grand nombre une instruction qui tende à donner un plus
grand développement aux facultés, et éclairer chaque
élève sur sa destination particulière. Il doit exister
pour un certain nombre une instruction spéciale et approfondie,
nécessaire à divers états, dont la société
doit retirer de grands avantages.
La première instruction
serait placée dans chaque canton, ou, plus exactement, dans chaque
division qui renferme une assemblée primaire; la seconde dans chaque
district; la troisième répondrait à chaque département,
afin que par là chacun pût trouver, ou chez soi, ou autour
de soi, tout ce qu'il lui importe de connaître.
De là une distribution
graduelle, une hiérarchie instructive correspondant à la
hiérarchie de l'administration.
Cette distribution ne doit pas,
au reste, être purement topographique; il faut que l'instruction
s'allie le plus possible au nouvel état des choses, et qu'elle présente,
dans ces diverses gradations, des rapports avec la nouvelle Constitution.
Voici l'idée que nous nous en sommes faite.
Près des assemblées
primaires, qui sont les unités du corps politique, les premiers
éléments nationaux, se place naturellement la première
école, l'école élémentaire. Cette école
est pour l'enfance, et ne doit comprendre que des documents généraux,
applicables à toutes les conditions. C'est au moment où les
facultés intellectuelles annoncent l'être qui sera doué
de la raison, que la société doit, en quelque sorte, introduire
un enfant dans la vie sociale, et lui apprendre à la fois ce qu'il
faut pour être un jour un bon citoyen, et pour vivre heureux. On
ne sait encore quelle place il occupera dans cette société;
mais on sait qu'il a le droit d'y être bien, et d'aspirer à
en être un jour un membre utile : il faut donc lui faire connaître
ce qui est nécessaire et pour l'un, et pour l'autre.
Au dessus des assemblées
primaires s'élèvent dans la hiérarchie administrative
celles de district, dont les fonctions sont presque toutes préparatoires,
et dont les membres se composent d'un petit nombre pris dans ces assemblées
primaires : de même aussi au delà des premières écoles
seront établies, dans chaque district, des écoles moyennes,
ouvertes à tout le monde, mais destinées néanmoins,
par la nature des choses, à un petit nombre seulement d'entre les
élèves des écoles primaires. On sent en effet qu'au
sortir de la première instruction, qui est la portion commune du
patrimoine que la société répartit à tous,
le grand nombre, entraîné par la loi du besoin, doit prendre
la direction vers un état promptement productif; que ceux qui sont
appelés par la nature à des professions mécaniques
s'empresseront (sauf quelques exceptions) à retourner dans la maison
paternelle, ou à se former dans des ateliers, et que ce serait une
véritable folie, une sorte de bienfaisance cruelle, de vouloir faire
parcourir à tous les divers degrés d'une instruction inutile,
et par conséquent nuisible au plus grand nombre. Cette seconde instruction
sera donc pour ceux qui n'étant appelés ni par goût,
ni par besoin, à des occupations mécaniques, ou aux fonctions
de l'agriculture, aspirent à d'autres professions ou cherchent uniquement
à cultiver, à orner leur raison, et à donner à
leurs facultés un plus grand développement. là n'est
donc pas encore la dernière instruction; car le choix d'un état
n'est point fait. Il s'agit seulement de s'y disposer ; il s'agit de reconnaître
dans le développement prompt de celle des facultés qui semble
distinguer chaque individu, l'indication du voeu de la nature pour le choix
d'un état préférablement à toute autre : d'où
il suit que cette instruction doit présenter un grand nombre d'objets,
et néanmoins qu'aucun de ces objets ne doit être trop approfondi,
puisque ce n'est encore là qu'un enseignement préparatoire.
Enfin, dans l'échelle
administrative se trouve placée au sommet l'administration de département,
et à ce degré d'administration doit correspondre le dernier
degré de l'instruction, qui est l'instruction nécessaire
aux divers états de la société. Ces états sont
en grand nombre; mais on doit les réduire beaucoup; car il ne faut
un établissement national que pour ceux dont la pratique exige une
longue théorie, et dans l'exercice desquels les erreurs seraient
funestes à la société. L'état de ministre de
la religion, celui d'homme de loi, celui de médecin, qui comprend
l'état de chirurgien, enfin, celui de militaire; voilà les
états qui présentent ce caractère. Ce dernier même
semblerait d'abord pouvoir ne pas y être compris, par la raison que,
dans plusieurs de ses parties, il peut être utilement exercé
dès le jour même qu'on s'y destine; mais, comme il y en a
de très multipliées qui demandent une instruction profonde;
comme il importe au salut de tous que, dans l'art difficile d'employer
et de diriger la force publique, nous ne soyons pas inférieurs à
aucune autre puissance; comme enfin, d'après nos principes constitutionnels,
chacun est appelé à remplir des fonctions militaires , il
nous a semblé qu'il était nécessaire de le prendre
aussi dans la classe des états auxquels la société
destinera des établissements particuliers.
Par là répondront
aux divers degrés de la hiérarchie administrative les différentes
gradations de l'instruction publique; et de même qu'au delà
de toutes les administrations se trouve placé le premier organe
de la nation, le Corps législatif, investi de toute la force de
la volonté publique; ainsi, tant pour le complément de l'instruction,
que pour le rapide avancement de la science, il existera dans le chef-lieu
de l'empire, et comme au faîte de toutes les instructions, une école
plus particulièrement nationale, un institut universel qui, s'enrichissant
des lumières de toutes les parties de la France, présentera
sans cesse la réunion des moyens les plus heureusement combinés
pour l'enseignement des connaissances humaines, et leur accroissement indéfini.
Cet institut, placé dans la capitale, cette patrie naturelle des
arts, au milieu des grands modèles de tous les genres qui honorent
la nation, nous a paru correspondre, sous plus d'un rapport dans la hiérarchie
instructive, au Corps législatif lui-même, non qu'il puisse
jamais s'arroger le droit d'imposer des lois ou d'en surveiller l'exécution,
mais parce que se trouvant naturellement le centre d'une correspondance
toujours renouvelée avec tous les départements, il est destiné,
par la force des choses, à exercer une sorte d'empire, celui que
donne une confiance toujours libre et toujours méritée, que
réunissant des moyens dont l'ensemble ne peut se trouver que là,
il deviendra, par le privilège légitime de la supériorité,
le propagateur des principes, et le véritable législateur
des méthodes; qu'à l'instar du Corps législatif, ses
membres seront aussi l'élite des hommes instruits de toutes les
parties de la France, et que les élèves eux- mêmes,
dont la première éducation, distinguée par des succès,
méritera d'être perfectionnée pour le plus grand bien
de la nation, étant choisis dans chaque département pour
être envoyés à cette école, ainsi qu'il sera
expliqué ci-après, seront, en vertu d'un tel choix, comme
les jeunes députés, sinon encore de la confiance, au moins
de l'espérance nationale.
Cette hiérarchie ainsi
exposée, il paraîtrait naturel de passer à l'indication
des objets et des moyens d'instruction, pour chacun des degrés que
nous venons de marquer; mais auparavant, il est une question à résoudre,
et sur laquelle les bons esprits eux-mêmes sont partagés :
c'est celle qui regarde la gratuité de l'instruction.
Il doit exister une instruction
gratuite : le principe est incontestable; mais jusqu'à quel point
doit-elle être gratuite ? Sur quels objets seulement doit-elle l'être
? Quelles sont, en un mot, les limites de ce grand bienfait de la société
envers ses membres ?.
Quelque difficulté semble
d'abord obscurcir cette question. d'une part, lorsqu'on réfléchit
sur l'organisation sociale et sur la nature des dépenses publiques,
on ne se fait pas tout de suite à l'idée qu'une nation puisse
donner gratuitement à ses membres, puisque n'existant que par eux,
elle n'a rien qu'elle ne tienne d'eux. D'autre part, le Trésor national
ne se composant que des contributions dont le prélèvement
est toujours douloureux aux individus, on se sent naturellement porté
à vouloir en restreindre l'emploi, et l'on regarde comme une conquête
tout ce qu'on s'abstient de payer au nom de la société.
Des réflexions simples
fixeront sur ce point les idées.
Qu'on ne perde pas de vue qu'une
société quelconque, par cela même qu'elle existe, est
soumise à des dépenses générales, ne fût-ce
que pour les frais indispensables de toute association : de là résulte
la nécessité de former un fonds à l'aide des contributions
particulières.
De l'emploi de ce fonds naissent,
dans une société bien ordonnée, par un effet de la
distribution et de la séparation des travaux publics, d'incalculables
avantages pour chaque individu, acquis à peu de frais par chacun
d'eux.
Ou plutôt la contribution,
qui semble d'abord être une atteinte à la propriété,
est, sous un bon régime, un principe réel d'accroissement
pour toutes les propriété individuelles.
Car chacun reçoit en
retour le bienfait inestimable de la protection sociale qui multiplie pour
lui les moyens, et par conséquent les propriétés :
et de plus, délivré d'une foule de travaux auxquels il n'aurait
pu se soustraire, il acquiert la faculté de se livrer, autant qu'il
le désire, à ceux qu'il s'impose lui-même, et par là
de les rendre aussi productifs qu'ils peuvent l'être.
C'est donc à juste titre
que la société est dite accorder gratuitement un bienfait,
lorsque, par le secours de contributions justement établies et impartialement
réparties, elle en fait jouir tous ses membres, sans qu'ils soient
tenus d'aucune dépense nouvelle.
Reste à déterminer
seulement dans quel cas et sur quel principe elle doit appliquer ainsi
une partie des contributions; car, sans approfondir la théorie de
l'impôt, on sent qu'il doit y avoir un terme, passé lequel
les contributions seraient un fardeau dont aucun emploi ne pourrait ni
justifier, ni compenser l'économie. On sent aussi que la société,
considérée en corps, ne peut ni tout faire, ni tout ordonner,
ni tout payer, puisque, s'étant formée principalement pour
assurer et étendre la liberté individuelle, elle doit habituellement
laisser agir plutôt que de faire elle- même.
Il est certain qu'elle doit
d'abord payer ce qui est nécessaire pour la défendre et la
gouverner, puisqu'avant tout, elle doit pourvoir à son existence.
Il ne l'est pas moins qu'elle
doit payer ce qu'exigent les diverses fins pour lesquelles elle existe,
par conséquent ce qui est nécessaire pour assurer à
chacun sa liberté et sa propriété; pour écarter
des associés une foule de maux auxquels ils seraient sans cesse
exposés hors de l'état de société; enfin, pour
les faire jouir des biens publics qui doivent naître d'une bonne
association : car voilà les trois fins pour lesquelles toute société
s'est formée : et comme il est évident que l'instruction
tiendra toujours un des premiers rangs parmi ces biens, il faut conclure
que la société doit aussi payer tout ce qui est nécessaire
pour que l'instruction parvienne à chacun de ses membres.
Mais s'ensuit-il de là
que toute espèce d'instruction doive être accordée
gratuitement à chaque individu ? Non.
La seule que la société
doive avec la plus entière gratuité, est celle qui est essentiellement
commune à tous, parce qu'elle est nécessaire à tous.
Le simple énoncé de cette proposition en renferme la preuve
: car il est évident que c'est dans le trésor commun que
doit être prise la dépense nécessaire pour un bien
commun; or, l'instruction primaire est absolument et rigoureusement commune
à tous, puisqu'elle doit comprendre les éléments de
ce qui est indispensable, quelque état que l'on embrasse. D'ailleurs,
son but principal est d'apprendre aux enfants à devenir un jour
des citoyens. Elle les initie en quelque sorte dans la société,
en leur montrant les principales lois qui la gouvernent, les premiers moyens
d'y exister : or n'est-il pas juste qu'on fasse connaître à
tous gratuitement ce que l'on doit regarder comme les conditions mêmes
de l'association dans laquelle on les invite d'entrer ? Cette première
instruction nous a donc paru une dette rigoureuse de la société
envers tous, il faut qu'elle l'acquitte sans aucune restriction.
Quant aux diverses parties d'instruction
qui seront enseignées dans les écoles de district et de département,
ou dans l'institut, comme elles ne sont point en ce sens commune à
tous, quoiqu'elles soient accessibles à tous, la société
n'en doit nullement l'application gratuite à ceux qui librement
voudront les apprendre. Il est bien vrai que, puisqu'il doit en résulter
un grand avantage pour la société, elle doit pourvoir à
ce qu'elles existent. Elle doit par conséquent se charger, envers
les instituteurs, de la part rigoureusement nécessaire de leur traitement,
en sorte que, dans aucun cas, leur existence et le sort de l'établissement
ne puissent être compromis : elle doit organisation, protection,
même secours à ces divers établissements; elle doit
faire, en un mot, tout ce qui sera nécessaire pour que l'enseignement
y soit bon, qu'il s'y perpétue et qu'il s'y perfectionne : mais,
comme ceux qui fréquenteront ces écoles, en recueilleront
aussi un avantage très réel, il est parfaitement juste qu'ils
supportent une partie des frais, et que ce soit eux qui ajoutent à
l'existence de leurs instituteurs les moyens d'aisance qui allégeront
leurs travaux, et qui s'accroîtront par la confiance qu'ils auront
inspirée. Il ne conviendrait sous aucun rapport, que la société
s'imposât la loi de donner pour rien les moyens de parvenir à
des états qui, en proportion du succès, doivent être
très productifs pour celui qui les embrasse.
A ces motifs de raison et de
justice, s'unissent de grands motifs de convenance. On a pu mille fois
remarquer que, parmi la foule d'élèves que la vanité
des parents jetait inconsidérément dans nos anciennes écoles
ouvertes gratuitement à tout le monde, un grand nombre, parvenus
à la fin des études qu'on y cultivait, n'en étaient
pas plus propres aux divers états dont elles étaient préliminaires,
et qu'ils n'y avaient gagné qu'un dégoût insurmontable
pour les professions honorables et dédaignées auxquelles
la nature les avait appelés; de telle sorte qu'ils devenaient des
êtres très embarrassants dans la société. Maintenant
qu'il y aura une rétribution quelconque à donner, qui stimulera
à la fois le professeur et l'élève, il est clair que
les parents ne seront plus tentés d'être victimes d'une vanité
mal entendue, et que par là l'agriculture et les métiers,
dont un sot orgueil éloignait sans cesse, reprendront et conserveront
tous ceux qui sont véritablement destinés à les cultiver.
Mais si la nation n'est point
obligée, si même elle n'a pas le droit de s'imposer de telles
avances, il est une exception honorable qu'elle est tenue de consacrer
: c'est celle que la nature elle-même semble avoir faite, en accordant
le talent. Destiné à être un jour le bienfaiteur de
la société, il faut que, par une reconnaissance anticipée,
il soit encouragé par elle; qu'elle le soigne, qu'elle écarte
d'autour de lui tout ce qui pourrait arrêter ou retarder sa marche;
il faut que, quelque part qu'il existe, il puisse librement parcourir tous
les degrés de l'instruction; que l'élève des écoles
primaires, qui a manifesté des dispositions précieuses qui
l'appellent à l'école supérieure, y parvienne aux
dépens de la société, s'il est pauvre, que de l'école
de district, lorsqu'il s'y distinguera, il puisse s'élever sans
obstacle, et encore à titre de récompense, à l'école
plus savante du département, et ainsi de degré en degré,
et par un choix toujours plus sévère, jusqu'à l' Institut
national.
Par là aucun talent véritable
ne se trouvera perdu ni négligé, et la société
aura entièrement acquitté sa dette. Mais on sent qu'un tel
bienfait ne doit pas être prodigué, soit parce qu'il est pris
sur la fortune publique dont on doit se montrer avare, soit aussi parce
qu'il est dangereux de trop encourager les demi-talents.
Ainsi, la gratuité de
l'instruction s'étendra jusqu'où elle doit s'étendre;
elle aura pourtant encore des bornes; mais ces bornes sont indiquées
par la raison; il était nécessaire de les poser.
Toute la question sur l'instruction
gratuite se résume donc en fort peu de mots.
Il est une instruction absolument
nécessaire à tous. La société la doit à
tous : non seulement elle en doit les moyens, elle doit aussi l'application
de ces moyens.
Il est une instruction qui,
sans être nécessaire à tous, est pourtant nécessaire
dans la société en même temps qu'elle est utile à
ceux qui la possèdent. La société doit en assurer
les moyens; mais c'est aussi aux individus qui en profitent, à prendre
sur eux une partie des frais de l'application.
Il est enfin une instruction
qui, étant nécessaire dans la société, paraît
lui devoir être beaucoup plus profitable, si elle parvient à
certains individus qui annoncent des dispositions particulières.
La société, pour son intérêt autant que pour
sa gloire, doit donc à ces individus, non pas seulement l'existence
des moyens d'instruction, mais encore tout ce qu'il faut pour qu'ils puissent
en faire usage.
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