Interview : Reda Taliani “Je me suis forgé
tout seul”
L’étoile montante de la chanson raï, Réda
Taliani, auteur du tube de l’été 2004
Joséphine, a fait vibrer, durant la soirée
de ce mardi, le majestueux théâtre romain de
Capritour. Accosté au terme de sa soirée musicale,
il a bien voulu répondre à nos questions.
Qui est Réda Taliani ?
Réda Taliani : Je m’appelle Tamni Réda,
né en 1980, El-Biar, originaire de Constantine, mais
j’ai toujours vécu à Koléa (W.
de Tipasa).
Mais d’où tenez-vous alors ce surnom de Taliani
?
C’est ma façon de m’habiller qui m’a
valu ce surnom, qui me colle depuis l’âge de
8 ans. Ce sont mes amis d’enfance qui préféraient
m’appeler Réda Taliani.
Comment êtes-vous venu
à la chanson ?
Tout a commencé en 1985, alors que je n’avais
que 5 ans, lorsque je me suis inscrit au conservatoire de
la musique andalouse de Koléa. Cette formation m’avais
permis de maîtriser de nombreux instruments de musique,
bien que j’étais porté beaucoup plus
sur la mandoline. C’est à partir de là
que ma carrière artistique commença à
se dessiner. Pour l’anecdote, les responsables du
conservatoire ne
cessaient d’ailleurs de me reprocher mon pendant pour
la musique raï. Mon choix s’est porté
définitivement sur ce style musical qui m’avait
marqué dès mon jeune âge.
L’enregistrement de votre premier produit remonte
à quelle année ?
Ma première chanson intitulée Ache dani elwahd
tayra a été enregistrée en 2000. Depuis,
je compte six albums.
Quels sont les chanteurs qui vous ont inspiré le
plus et que pensez-vous de la chanson algérienne
?
Beaucoup de chanteurs m’ont marqué, car j’écoute
presque tous les genres musicaux. Cheb Khaled, Sahraoui,
Georges Wassouf, Santana, Bob Marley, Alpha Blondy…
étaient mes chanteurs préférés.
Concernant la chanson algérienne, je la trouve très
riche dans sa diversité. Néanmoins, je pense
que
la musique raï a énormément évolué,
car cette dernière s’adapte à toutes
les musiques.
Revenons à votre dernier album qui s’avère
être le tube de l’été 2004 avec
notamment la fameuse Joséphine. Vous attendiez-vous
à un tel succès ?
Sincèrement, je m’attendais à ça,
d’autant que cette chanson traite d’une réalité
que beaucoup d’Algériens ont eu à vivre
à l’étranger. En fait, bien qu’elle
soit une histoire imaginaire que j’ai moi-même
inventée, la chanson Joséphine s’est
avérée une triste réalité pour
plusieurs de mes concitoyens.
D’aucuns estiment que votre chanson Joséphine
comporte un passage jugé comme étant une “incitation
au suicide”. Que diriez-vous à ce sujet ?
Il n’y a réellement aucune incitation à
quoi que ce soit dans cette chanson. Si j’essayais
de décrire un peu mon désarroi, en citant
les conséquences de mes folies, c’est juste
pour prévenir les autres du danger que pourrait engendrer
une telle situation.
Comment vivez-vous cette soudaine popularité ?
Rire. Je n’ai pas du tout changé. Je reste
simple et modeste auprès de tous mes fans.
La presse
en parle
Je mettrai ma tête sur les rails
en présence de deux témoins. Joséphine.
Rends-moi mes papiers. Je retourne chez mes parents. Joséphine,
c’est le tube de l’été. Et ça
continue. Puisque l’été joue les prolongations
et que les cortèges des mariages créent des
bouchons monstres dans les bourgades d’Algérie.
Si une telle chanson a eu le succès qu’on connaît,
c’est parce qu’elle décrit une réalité
amère : la misère affective de milliers de
jeunes qui draguent le visa et vont courir l’aventure
sentimentale de l’autre côté de la Méditerranée.
Les mariages blancs sont devenus un phénomène
à la mode. Ça permet d’obtenir en un
rien de temps, un visa de travail et espérer ainsi
décrocher une carte de séjour en bonne et
due forme.
Mais les déboires sentimentaux sont monnaie courante.
On se marie. On accepte de jouer les gigolos, mais le coeur
n’y est pas. Ce n’est pas du tout la même
culture. Une gaouria qui fume, boit, sort toutes les nuits,
s’étourdit dans les boîtes de nuit, c’est
plus qu’il n’en faut pour désorienter
un Algérien pur jus, parti faire la redjla et rouler
les mécaniques chez madame la France. Alors il veut
revenir chez sa mama pour se faire materner et dorloter.
Certains reviennent pour de bon, d’autres ne font
que passer, comme des hirondelles, juste le temps de satisfaire
à la fois leur ego et leur nostalgie du pays et les
voilà repartis. Ah ! madame la France, qu’est-ce
qu’on ne ferait pas pour tes beaux yeux.
Certains ont reproché à Réda Taliani,
qui chante Joséphine, d’encourager les jeunes
au suicide en les poussant à se jeter sous les trains.
Mais assurément, ce n’était pas le but
qu’il recherchait. Et les jeunes, ma foi, ont compris
l’humour noir de Réda Taliani, qui a dû
ramer avant de connaître un succès fou avec
ce tube de l’été, allant jusqu’à
disputer la vedette à Mohamed Lamine qui a mélangé
plusieurs genres musicaux dans son dernier clip. Un gaou
à Oran, ya delali! Quand la vie vous malmène,
que faut-il faire? En vérité, se disent les
artistes de cette nouvelle génération, il
vaut mieux en rire. Le rai, le rap, le reggae, les mélanges
de musiques africaine, jamaïcaine et latino, des orchestrations
au rythme endiablé, toute une âme méditerranéenne
nourrie aux confluences culturelles bigarrées et
gorgées de soleil, cela met de l’ambiance dans
les soirées et les mariages, mais invitent aussi
à ne pas se bercer d’illusions. La réalité
est toujours plus amère que la fiction, car après
tout, une chanson aussi imagée, n’est que le
miroir de la réalité, tout en étant
une histoire qui prend des distances avec le vécu.
Raconter la réalité, c’est aussi une
manière de la transfigurer et de s’en détacher,
de conjurer le passé, y compris le plus immédiat
et le plus douloureux.
Alors suicide ou pas? Il y a tellement de crime, de violence,
de sang, d’agressivité dans les fictions qu’on
peut voir à la télé, ou au journal
télévisé, que la chanson de Réda
Taliani peut être considérée comme une
caresse de la brise du soir, après que le sirocco
ait soufflé toute la journée. Cette chanson
de Reda Taliani, de Mohamed Lamine, et d’autres que
les disc-jokeys ont popularisé cet été,
sont bien moins moralisatrices que les anciennes chansons,
trop marquées par les pesanteurs sociales. C’est
aussi une manière de résister aux déchirements
de la société contemporaine, où les
paradoxes sont trop nombreux: aux images trop voyeuses venues
du ciel, via le satellite, la société oppose
ses valeurs traditionnelles. Entre ceci et cela, les conflits
sont trop voyants. Arriver à résoudre ce conflit
par le biais d’une chanson, quiest en même temps
le tube del’été, est une chose qui est
venue par les gens d’une façon tout à
fait...normale, pour reprendre un terme en vogue et qui
veut dire que les jeunes ne s’étonnent de rien.
Ahmed BEN ALAM
L"expression Dz.com
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