La Grande Guerre
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Le désastre du 9 avril 1918 : témoignage du général Gomes da Costa



Le texte ci-dessous est la traduction d’un article de l’almanach illustré de 1919 du journal portugais O Seculo. Il contient notamment le témoignage du général Gomes da Costa et offre une illustration de la perception par les Portugais de la bataille du 9 avril 1918, au cours de laquelle le corps expéditionnaire portugais a été laminé par l'offensive allemande sur la Lys. Pour une vision d'ensemble de la bataille

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Le jour du 9 avril 1918 eut des effets désastreux pour nos armées sur les champs de bataille de France. Nos troupes qui donnèrent durant de longs mois des grandes preuves de bravoure repoussant avec un courage jamais démenti les attaques successives des soldats ennemis, subirent dans ce funeste jour une dure épreuve qui fit un grand nombre de victimes valeureuses. Mais, chose étrange et unique dans l’histoire de toutes les guerres, les Portugais furent vaincus, et leur déroute fut une des plus retentissantes victoires que l’histoire de cette terrible guerre devait enregistrer avec des louanges pour nos armées. Un petit nombre de soldats portugais qui gardaient douze kilomètres de front, fatigués par le climat et meurtris par les conditions du terrain furent, à l’heure où le silence n’a pas l’habitude d’être perturbé, assaillis par d’énormes forces ennemies fraîches et connaissant le nombre réduit de forces qu’elles devaient affronter. Toutefois cette poignée de braves vendit chèrement sa vie, se battant d’une façon telle qu’elle força le respect de ses propres ennemis, ne cédant le terrain qu’ils occupaient que lorsqu’ils étaient blessés ou morts par la mitraille continuelle que les Allemands lançaient sur eux. Ce fut une lutte gigantesque, épique, qui rappelle la bravoure des anciens portugais dans les guerres lointaines qui donnèrent tant de renommée à notre race, une race de héros déterminés et hardis qui impressionnèrent par leurs faits grandioses.

Nous ne pouvons pas décrire ce que fut la bataille de la Lys, car malgré tous nos efforts, il manquerait certainement la chaleur que pourrait communiquer une personne qui aurait assisté et gardé dans ses yeux, les brillants faits de nos malheureux patriotes qui succombèrent après une lutte héroïque.

Nous ne voulons pour cela que citer le témoignage du général Gomes da Costa, commandant intérimaire du C.E.P. (Corps expéditionnaire Portugais - N.D.T.) que le brillant magazine "Ilustração Portugueza", fut le premier à publier.

L’illustre officier de l’armée portugaise écrit :

L’objectif de l’attaque allemande fut la ligne : Bois Grenier - Fleurbaix - Lys –- Canal de La Bassée.

Dans la matinée du 9 avril, les Allemands avaient en première ligne, pour commencer l’attaque, les divisions suivantes :

38e et 39e appuyées par la 11e ;

la 10e appuyée par la 42e ;

1e et 8e appuyées par la 16e ;

3e, 4e et 18e appuyées par la 44e ;

81e comme réserve générale ;

et en deuxième ligne, les 8e, 240e, 48e, 12e et 17e.

Le front portugais, étendu sur 12 km, était garni par la 2e division (4e, 5e et 6e brigade) sous le commandement du général Gomes da Costa, dans le dispositif suivant :

1re ligne : bataillons d’infanterie n° : 8, 20, 2, 1,17 et 10 ;

appuyés par les bataillons d’infanterie n° : 29, 11 et 4 ;

en réserve les bataillons n°: 3, 5 et 13.

Ligne des villages : les bataillons n° : 9, 12 ,14 et 15 (3e brigade de la 1re division).

La 3e brigade avait été retirée du secteur de Fauquissart le 8 avril et remplacée par la 6e brigade, de sorte que ni la 6e connaissait bien son nouveau secteur ni la 3e connaissait la ligne des villages. A cet inconvénient s’ajoutait le fait que cette division était en instance d’être remplacée par une division britannique, de manière que dans l’attente de ce remplacement, elle était relâchée ; il est évident que les Allemands connaissaient la situation grâce à l’espionnage.

Cet état de chose était encore aggravé par les affaiblissements de la division, où il manquait 139 officiers et 5.792 soldats.

L’artillerie allemande commença la préparation de l’attaque à 20 heures et 3 minutes le 8 avril 1918, battant continuellement les positions de notre artillerie et les 1re et 2e lignes de l’infanterie jusqu’au 9 avril, à 1h, heure à laquelle elle fit une pause.

Cependant à 4 heures 15 le feu recommença avec une grande violence, auquel répondit notre artillerie avec son brio habituel. Néanmoins la masse d’artillerie ennemie était formidable, avec une supériorité numérique dix fois supérieure, rendant inutilisable la plus grande partie de nos pièces, rendant absolument impossible le réarmement et battant de telle sorte les deux premières lignes de tranchées de notre infanterie, qu’à 7 heures elles n’étaient plus qu’une masse de décombres, de terre, de vêtements dépecés amalgamés avec les cadavres des garnisons !

Après cette formidable préparation, l’infanterie ennemie avança à couvert de son barrage, précédée par des nuages de mitrailleuses et de grenades, et gagnant nos lignes écrasées, elle vint se heurter aux restes de 8, 2, 1, 17 et 10 qui les reçurent avec baïonnettes, avec bravoure, jusqu’à ce qu’ils soient complètement écrasés par le nombre.

Sur notre flanc droit, une division allemande entière attaqua et pénétrât dans l’intervalle existant entre notre flanc droit et le flanc gauche britannique, et alors qu’une partie enleva nos premières lignes en les attaquant à revers, l’autre partie attaqua le quartier général de la 5e brigade, tuant ou faisant prisonniers tous ceux qui s’y trouvaient: le colonel Martins, le brave lieutenant colonel Craveiro Lopes et d’autres ; et sortant de là, ils se heurtèrent au poste de la Couture, où le 13e et le 15e bataillons, avec quelques soldats anglais, ont résisté de manière que les Allemands ne purent s’emparer du poste tant qu’il y eut un homme vivant.

Sur notre flanc gauche, se déroula un épisode semblable avec le 8e d’infanterie qui s’opposa héroïquement à l’avance de l’ennemi.

Cependant, une fois ces résistances détruites, se produisit alors l’enveloppement ; la lutte à la baïonnette fut féroce et terrible, mais l’énorme supériorité numérique de l’ennemi vint à bout de la résistance qui lui était opposée.

La 3e brigade, qui devait occuper la ligne des villages, ne connaissait pas encore ses positions, parce que, comme nous l’avons dit, elle venait de s’y rendre, et ne pouvait les occuper à temps, et ainsi, l’ennemi ne trouva pas, sur cette ligne, la résistance nécessaire et l’occupa facilement.

Des compagnies entières comme les 9e et 10e du 11e bataillon d’infanterie et autres se battirent même après avoir été encerclées jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucun homme debout. Des compagnies, voire même des pelotons, isolés et décimés contre-attaquaient à la baïonnette avec furie, dans l’espoir désespéré d’ouvrir un chemin à travers les masses allemandes. Mais contre l’énorme supériorité numérique de l’adversaire, il ne fut pas possible de résister, et les bataillons encerclés, coupés, décimés furent mis hors de combat et anéantis.

Il est bon de savoir encore, pour comprendre la gravité de la situation de la division, que dans l’effectif il manquait près de 200 officiers ! Dans presque tous les bataillons il manquait des gradés : presque toutes les compagnies étaient commandées par des subalternes et les pelotons par des sergents de 2e classe.

L’effectif normal à déployer sur le front était chiffré à 1.083 soldats par bataillon or certains atteignaient à peine le nombre de 577 et 878 hommes !

Cette raison suffisait à expliquer le désastre de la 2e division et la perte de 327 officiers et 7.000 soldats.

La division fut battue, mais elle supporta durant 8 heures le plus violent bombardement qui eut lieu sur le front, sous l’attaque de 8 divisions ennemies. La division fut vaincue, mais avec une si grande disproportion des forces que cette bataille constitue une véritable gloire pour les Portugais parce qu’ils moururent mais ils comprirent leur devoir. C’est le fait de guerre des portugais le plus notable dans les 50 dernières années et dont la division peut et doit s’enorgueillir. Après une année d’occupation ininterrompue des tranchées, exécutant et repoussant de nombreux raids avec des effectifs d’officiers réduits de 50 %, avec un front en disproportion avec ses forces, la 2e division ne pouvait faire plus, ni mieux contre 8 divisions ennemies.

Les commandants de bataillon et de compagnie restèrent presque tous là ; de tous les commandants de brigade à peine un s’échappa. Les quartiers généraux, y compris celui de la division furent détruits. La 2e division portugaise, vaincue, mérita bien de la patrie, car elle mourut à son poste, se battant pour la liberté et la civilisation. Elle ne vainquit pas car il était humainement impossible de vaincre dans de telles conditions.

Cette bataille conclut la première partie de la campagne pour nos portugais, il s’agit maintenant de nous préparer pour entrer dans la seconde partie. Notre effort doit aller jusqu’à la fin. Abandonner maintenant serait nous déclarer vaincus et perdre tous les avantages que notre entrée dans la guerre nous promettait. Nous ne pouvons et nous ne devons pas nous déclarer vaincus.

Battus, oui, mais avec gloire et honneur ; il appartient au gouvernement de la nation de reconstituer le corps portugais pour poursuivre la lutte jusqu’à la fin. 

Gomes da Costa

Elle est édifiante la confession du brillant militaire que nous achevons de transcrire.

Inattentions et imprudences, déterminèrent cette défaite qui, si elle fut ruineuse pour nos forces militaires, constitua une page glorieuse supplémentaire pour notre réputation de braves guerriers qui se livrent seulement quand le dernier souffle de leur vie les abandonne.

Tomber ainsi, c’est tomber avec gloire, c’est un exemple de courage qui attestera pour toujours que la race portugaise n’a pas encore perdu le sang des héros qui ont tant combattu et vaincu dans la conquête du monde.

Et c’est dans cette guerre qui, malheureusement, n’est pas encore terminée, que nous espérons que les soldats portugais réaliseront encore des faits d’armes qui augmenteront la gloire de nos armes et enrichiront encore plus notre histoire qui est l’histoire des grands mouvements de la civilisation et du progrès.

 © Anovi - 2003