" Et tends tes vides doigts qui tâtonnent de naître. "
René Ghil
René
Ghil est de ceux qui ont le plus gravement et définitivement rêvé la poésie.
Quelque dix ans après la mort du poète, Paul Valéry soulignera une " pensée
réfractée dans son homme et portée au plus haut point de cohérence par l'intimité
prolongée avec un vaste dessein " qu'incarna celui qui " n'a jamais été illustre,
ni méconnu, ni raté, ni arrivé, ni isolé ". Qui fut René Ghil, lequel, âgé de
24 ans, publie en 1886, à Paris, un Traité du Verbe avec avant-dire de Stéphane
Mallarmé, fait unique de la part du maître de la rue de Rome ? Qui fut celui
que Verlaine salua, dans Les Hommes d'aujourd'hui, en ces termes : " René Ghil
représente la génération levante d'ouvriers en vers, et fortement, par l'exemple
et le précepte " ? Ghil, le " bel oublié " selon les Chroniques du Bel Canto
d'Aragon, cité par Breton
dans
ses Entretiens avec André Parinaud et Paul Éluard… Ghil, connu de son vivant
en Tchécoslovaquie, en Arménie, en Russie où il collabora à la revue Viessy
[La Balance] dirigée par son ami Constantin Balmont, Ghil qui aurait " influencé
" le poète Alexandre Blok, entre autres… Ghil, connu donc des Surréalistes,
qui lui furent contemporains quelques années, dont la " répercussion des idées
" se fit sentir sur le Verhaeren des Villes tentaculaires et des Villages hallucinés,
sur le Futurisme de Marinetti, le Simultanéisme de Barzun ou le Cubisme d'Apollinaire…
Ghil, que fréquentèrent John-Antoine Nau, Charles-Louis Philippe et al., Ghil,
pour qui André Spire ou le premier Pierre Jean Jouve eurent des affinités jusque
dans leur œuvre… Ghil, théoricien dans le Traité du Verbe de l'instrumentation
verbale, auteur de l'Œuvre-Une, dont tous les livres furent publiés - à l'exception
de Légende d'Âmes et de Sangs (1885) et du Pantoun des pantoun (voir infra)
- sous le titre générique ŒUVRE… Ghil, salué avec ferveur par Saint-Pol-Roux
: " On avait mal compris ces noces du Verbe et de la Science à qui René Ghil
prétendait, de par sa propre opération, faire un enfant célèbre, car il avait
l'ardente ténacité des hauts Voyants dont le regard porte loin et sûr comme
un jet d'étalon. " Et : " Ce poète incomparable, on ne saurait le juger du fond
d'un bureau, non, il faut aller sur la montagne, la plus haute, d'où l'on ne
voit plus le jeu des pions et d'où l'on n'entend plus le chant des rabâcheurs.
Il fut de la race de ces fous divins qui constituent la Sagesse-du-Monde . "