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Portrait 05/04/1997 à 01h28

Valérie Kaprisky, 35 ans, femme trop nue des années 80, s'applique à revenir en moins charnelle. Cf. son dernier film. Tombée des nus

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LE VAILLANT Luc

Il y a celles qui oublient et celle qui ressasse. Il y a celles qui

avancent aveuglées et celle qui scrute ses paupières closes où elle se revoie désirée par trop d'inconnus pour ne pas se détester. Il y a celles qui s'en balancent de leur jeune corps offert à la pellicule, de ces films sans intérêt où elles furent de la chair à caméra, et il y a celle qui ne se pardonne pas. Valérie Kaprisky est celle-là, qui en dit: «Je me suis violée moi-même.» Et ça sonne un peu bizarre et un peu triste, ce blocage sur une surexposition vieille de dix, quinze ans. Kaprisky est là, avenante et à l'aise, en tailleur-pantalon Gaultier très gangster, mais elle reste cette jeune fille surgie de nulle part et venue s'enfermer, mutique et terriblement nue, dans le dispositif dépouilleur et hystérique d'Andrzej Zulawski pour la Femme publique. Kaprisky a 35 ans et ça ne lui va pas mal, mais elle reste l'arrogante adolescente de l'Année des méduses qui, en guise d'argument définitif, vous talochait avec ses seins de plage comme on gifle ces morts que sont les adultes quand on pense qu'on ne le sera jamais. Kaprisky pourrait avoir remisé tout ce passé dans le grenier aux illusions et se contenter de se demander combien de temps encore elle conservera cette allure de taurillon-amazone et cette silhouette plus élancée qu'il n'y paraît. Mais elle continue à s'en vouloir d'avoir été trop nue, trop tôt. D'avoir été nue et crue, nue et crédule, nue et crucifiée. D'avoir aimé ça, d'en avoir profité, puis de n'avoir plus réussi à en sortir. Du tout. Pour prouver qu'elle n'était pas qu'un corps, elle a balayé les scénarios-clones, reboutonné ses corsages, incarné Milena, l'égérie de Kafka. Là, elle revient avec un film québécois (1) où il est question de la montée lente et buissonnière du désir standard des femmes. De ses bifurcations, de ses atermoiements, de ses reflux.... Et très peu de sa concrétisation. La seule fois où Kaprisky y montre ses seins, c'est face au lavabo, à l'heure de la toilette. Quand elle reparle de son rôle dans la Femme publique, Kaprisky dit: «C'était une fille prise au piège du seul atout qu'elle avait: son corps. Il n'était pas question qu'elle séduise par sa sensibilité ou sa culture. Tout ça était absent ou immature. Alors, elle se mettait nue et elle dansait comme si elle avait voulu se défaire de ses chaînes, au risque de se mutiler physiquement. Mais plus elle essayait d'en sortir, plus elle s'embourbait.» Elle se souvient que Zulawski la projetait dans un monde «où tout hoquette, où on manque de souffle, où on ne prend jamais de vraie respiration». Qu'il voulait l'amener à représenter «un personnage qui se cogne contre la vitre». Elle est partie vivre à la campagne, a traîné à New York, à Los Angeles. Elle est sortie, a fait la fête, a vécu. Elle a aimé Anthony Delon et d'autres, a rencontré Mitterrand pour le mensuel Globe, a découvert Antonioni, Bresson, Chris Marker. Mais elle semble en être encore un peu là. A buter de part et d'autre de la glace de son vieux peep-show perso. Début des années 80, l'époque cinéma est bizarre. En France, la demande de sex-symbols se radicalise. Fin des gouailleuses émancipées à la Miou-Miou, de ces filles d'à côté qui charment par leur réalisme social, leur tranquille transgression des moeurs, leur sexualité enjouée. Rupture. Les temps veulent du violent, du compliqué, du sombre. Débarquent les «filles du mercredi» en femmes-objets nouvelle manière. 20 ans, à poil illico, et on verra bien. Pas farouches, ça ne se fait plus. Pas provocatrices, il n'y a plus grand-chose à transgresser. Elles se nomment Marutchka Detmers ou Valérie Kaprisky. Les malaxent Godard ou Zulawski. Ensuite, il faut que la créature tue son Pygmalion. Pas simple. «Des deux, Valérie était la plus connue, mais c'est celle qui s'en est le moins bien tirée», se plaint Dominique Besnéhart, son agent. Il poursuit: «Il y a un vrai malentendu. C'est quelqu'un de blessé.» Encore avant, Kaprisky se souvient d'une enfance à regarder les nuages et à ne pas parler. Le père est un représentant de commerce reconverti dans l'immobilier. La famille de sa mère est d'origine polonaise et campagnarde. A la maison, il y a du silence et des secrets. «Dans ma tête, il y avait un désordre terrible. J'arrivais à écrire, mais pour parler, je mettais les mots à l'envers.» Sur les murs de la chambre, rien. Ni posters, ni tableaux. «Je me sentais vide, creuse.» Dehors, il y a Cannes, son festival. Elle joue bien au tennis. Un ami de son père remarque ses 16 ans, lui fait gravir les marches. C'est l'année d'Apocalypse Now, du Tambour. Elle découvre. Elle traîne sur la terrasse du Carlton. Son père la gifle devant tout le monde. «Cela n'a fait que stimuler ma rébellion.» Paris, la chambre de bonne avenue de Ségur. Lycée, le jour. Cours Florent, le soir. On la voulait hôtesse de l'air ou épouse de promoteur, elle sera actrice.

«Sur scène, j'étais nulle. En essais vidéo, ça allait.» Elle a mal vécu l'adolescence et le passage du «regard doux et émouvant sur le corps d'enfant» au «regard scrutateur sur le corps de femme», mais elle avance avec cette beauté impitoyable de celles qui ont quelque chose à affirmer sans savoir quoi. «J'avais envie de tout bouffer, je n'avais pas vraiment le temps de me modeler, d'apprendre.» Elle vient faire coucou dans quelques nanars. Pose pour Lui. Vampe Richard Gere dans un remake US d'A bout de souffle de Godard, sans y voir le moindre crime de lèse-majesté. Aujourd'hui, elle nappe cette débauche d'énergie d'un complexe d'infériorité astringent: «Je ne savais pas exprimer mes désirs et je manquais de culture.» C'est à ce moment qu'elle percute Zulawski. Elle se sent encore en morceaux. «J'ai eu la chance d'être reconnue. Il fallait que je paye.» Le sentiment de la faute vient avec le succès. Très vue, donc trop nue. Elle raconte ça comme s'il s'agissait de l'histoire d'«un enfant qui pisse sur la moquette et ne réalise qu'après, sous le regard grondeur des parents, que cela ne se fait pas». Cela la chamboule. Elle ne s'était jamais sentie particulièrement exhibitionniste jusqu'à ce qu'on la désigne comme telle. Ensuite, il y a l'éternelle question des jolies filles et des actrices très physiques: est-ce qu'on peut m'aimer pour autre chose que pour mon corps? Et comment faire si la réponse est non? Kaprisky s'est terrée dans le refus. Juste après, elle s'est entichée d'hommes qui ne la touchaient pas («S'il ne me désire pas, c'est qu'il m'aime»). Puis elle a fait le contraire, ou l'inverse. Ou autre chose. Lire, écrire, ne pas voter, faire la cuisine, aller au ciné. Rêver à Vanessa Redgrave, à Silvana Mangano, à Romy Schneider. Et aussi à Monty Cliff. Aujourd'hui, celle qui «redécouvre le plaisir de s'effacer» aime le dernier film de Greenaway, «où la peau est page blanche». Aujourd'hui, celle qui s'est longtemps vue «trop en relief» aime le cinéma de Bresson qui dit: «Je voudrais aplatir mes images comme avec un fer à repasser.» Parce que souvent elle se demande comment faire pour que sa mémoire arrête de feutrer.

photo ALAIN DUPLANTIER (1) Mouvements du désir, réalisé par Léa Pool. En salles le 9 avril.

Valérie Kaprisky en 6 dates 1962: Naissance.

1983: La Femme publique d'Andrzej Zulawski.

1984: L'Année des méduses de Christopher Frank.

1985: La Gitane de Philippe de Broca.

1989: Milena de Vera Belmont.

1997: Sortie en France de Mouvements du désir de Léa Pool.

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