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Portrait. Les mille vies de Zakya Daoud
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TelQuel : Le Maroc tel qu'il est

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Portrait. Les mille vies de Zakya Daoud
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Par Abdeslam Kadiri

Portrait. Les mille vies de Zakya Daoud

(DR)
Zakia Daoud, de son vrai nom Jacqueline Loghlam, a eu une carrière foisonnante. à 68 ans, elle revient sur la nationalité marocaine qui a changé sa vie, son attachement à Lamalif, ses années à l’UMT, et sa carrière d’écrivain prolixe.


L'aspect sec de cette femme peut rebuter, mais il ne s’agit que d’une apparence. Car dès que la confiance s’installe, Jacqueline Loghlam alias Zakya Daoud, se livre, une cigarette après l’autre, avec une extraordinaire volubilité. Naturelle, indomptable, cette journaliste a vécu l’essentiel de sa vie au
Maroc, le passant au scalpel de ses réflexions. Rien, au départ, ne l’y prédestinait. Quand en 1956, bac en poche, elle quitte sa ville normande de Bernay pour une école de journalisme à Paris, elle ne sait pas qu’elle va y rencontrer son futur époux, Mohamed Loghlam, Français d’origine marocaine. Deux ans après, le couple se marie et a un enfant. Ils décident de rentrer au Maroc. Jacqueline a alors 21 ans et se forge une sensibilité de gauche. Le gouvernement Abdallah Ibrahim est aux commandes.
Le tournant de la carrière de Jacqueline se produit en 1959 quand la famille fait une demande de naturalisation : "Pour mon mari et mon fils, il s’agissait d’une pure formalité. Moi je n’ai pas fait de demande". La surprise est de taille lorsque la réponse tombe. Trois noms figurent dans le dossier au lieu de deux. Jacqueline Loghlam, sans l’avoir demandé, est également faite citoyenne marocaine ! Dès lors, elle se prend de passion pour le pays. Cette naturalisation, tombée du ciel, la pousse à "s’impliquer pleinement dans la vie politique marocaine et à le revendiquer, sans jamais pour autant devenir "sociologiquement" marocaine. De plus, le fait d’être étrangère me protégeait". De 1958 à 1961, elle travaille à la RTM à Rabat. Son mari, lui, est au ministère de l’Information. Quand le gouvernement Ibrahim est congédié en mai 1960 et que Moulay Ahmed Alaoui devient ministre de l’Information, Jacqueline Loghlam claque la porte. La famille part pour Casablanca.

De l’UMT à lamalif
Alors que son mari travaille à l’ONE, Jacqueline se tourne vers l’Avant-Garde, le journal de l’UMT. "On était pour le gouvernement Ibrahim, l’UNFP et l’UMT. Pour moi, je travaillais pour la gauche". Taillable et corvéable à merci, elle rédige les articles sur la classe ouvrière. Le journal est de qualité et le style incendiaire. Elle crée "la page de la femme" et fait des reportages. à mesure qu’elle s’y plonge, la réalité marocaine l’empoigne sans qu’elle ait besoin d’en être consciente. Mais d’un côté, cette "mentalité stalinienne à l’UMT" l’insupporte. De l’autre, la rivalité entre l’UMT et l’UNFP, et surtout le complot de 1963 l’alertent. En 1964, elle quitte l’UMT pour devenir correspondante de Jeune Afrique. A la demande du magazine, elle choisit un pseudonyme. Ainsi naît Zakya Daoud. L’aventure Jeune Afrique dure jusqu’à l’affaire Ben Barka, au sujet de laquelle elle est empêchée d’exercer son métier. De novembre 1965 à mars 1966, elle est régulièrement convoquée par la police : "Comment êtes-vous devenue marocaine ?", me demandait-on. "Comment voulez-vous que je vous réponde, leur répondais-je, je suis comme vous, moi" !

Les années Lamalif
En mars 1966, avec un petit pécule (20.000 DH), le couple crée un magazine mensuel, Lamalif. "Le but dans cette conjoncture dramatique était de ne pas perdre espoir, de construire une alternative". L’essai se transforme en coup de maître. Lamalif vit 22 ans et devient "un espace de réflexion et une force de contestation importante". La revue tire à 12.000 exemplaires et accueille des universitaires comme Pascon, Khatibi, Laroui, Belal. Puis ce sera le tour des économistes : Oualalou, Benamour, El Malki, Alioua, dont beaucoup deviendront par la suite ministres ou grands commis de l'état.
Lamalif a survécu à la brutalité policière des années 70. La revue traite de tout et n’épargne personne : les partis, la gauche marocaine, le syndicalisme, la bourgeoisie, la monarchie etc. Les thèmes historiques sont présents. Lamalif s’ouvre à la sociologie, l’économie, le tout sous un angle politique. La culture n’est pas en reste. Une grande attention est portée à la peinture, genre dominant du moment, puisque 100 des 200 couvertures de Lamalif sont des toiles. Dans les seventies, l'âge d’or des ciné-clubs, la revue s’intéresse au cinéma marocain. "C’était un des hauts-lieux de conscientisation des jeunes", rappelle Zakya Daoud.
Lamalif devient une référence intellectuelle. "Pour draguer, il fallait avoir Lamalif sous le bras", dit ce professeur d’histoire. Peu après le renversement du Shah d’Iran, le magazine s’intéresse à la liaison islam-politique, en publiant des articles de Bruno étienne et de Mohamed Tozy. Une telle revue qui, dès 1967, revendique un Sahara marocain, agace les autorités. "Nous avons été menacés et censurés à plusieurs reprises". Le public, lui, est enthousiaste : "Nous étions portés par un courant d’amis, mais il y a eu un silence total autour de la revue pendant quinze ans". Le coup de grâce vient en 1988, lorsque Lamalif décide de se saborder. "Nous refusions de passer sous le joug du pouvoir. Après avoir mis la main sur les partis et leurs journaux, le régime voulait contrôler les intellectuels. Nous avons dit non". Zakya Daoud est alors "considérée comme ennemie publique".

Zakya Daoud, l’écrivain
Elle repart, seule, à Paris. Le temps de laisser passer l’orage. Au cours du voyage, on lui dérobe son journal intime de 2.000 pages. Près de 25 ans après, la blessure est encore vive. à Paris, Zakya Daoud chôme six mois. "Je ne rencontrais que des amis du régime. Je ne trouvais aucune pige. J’ai été réduite à néant". En 1989, elle est embauchée à temps partiel à la Documentation française, où elle travaille comme chronologue jusqu’en 2001. Elle pige pour Arabies, le Monde Diplomatique, Panoramiques… et vit entre Paris et Marrakech.
Elle se reconstruit en entamant avec passion une carrière d’écrivain. Son premier livre "Féminisme et politique au Maghreb", "résulte d’un engagement pour combattre les à priori qui entouraient le combat des femmes maghrébines depuis le début du siècle". Historienne dans l’âme, elle se lance dans une série de biographies, car elle "aime faire ressusciter la trajectoire d’un homme, son parcours, ses choix de vie". Surtout, Zakya Daoud a le don d’humaniser ces hommes. Ainsi, Benjamin Stora l’encourage à se replonger dans la vie de Ferhat Abbas. En 1995, elle revisite, avec Maâti Monjib, le parcours de Ben Barka. Plus tard, elle redécouvre Abdelkrim, le héros rifain "un personnage qui m’a toujours fascinée et sur lequel a longtemps plané un grand tabou au Maroc".
Zakya Daoud a su se départir de sa timidité et de son humilité naturelle, pour laisser éclore l’écrivain, l’essayiste et la militante qui couvaient en elle. Selon elle, il existe trois catégories de livres : ceux que dicte le hasard ("Ferhat Abbas"), ceux que commandent les éditeurs ("Marocains des deux rives"), et ceux qu’elle choisit ("Abdelkrim"). Dernièrement, avec "Zaynab, reine de Marrakech", elle s’essaie au roman historique. "à partir des rares éléments historiques dont je disposais, il fallait bien romancer", s’amuse-t-elle. D’une part, elle fait émerger des archives, une femme illustre et méconnue, dont le destin est d’avoir épousé, en quatrièmes noces, Yousef Ibn Tachfin. D’autre part, elle se révèle, par son sens du détail et de la mise en dialogue, une vraie romancière. Que réussira-t-elle encore ?

 
 
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