En deux albums, Killing Joke est devenu une sorte de machine de guerre. On sent le groupe remonté comme pas deux en ce moment, prêt à tout désherber, à la manière d'un désherbant de jardin ou plutôt d'un troupeau de Huns. A ce niveau-là, on ne dira même plus que ça arrache la tête ou que ça bastonne, on dira que ça déchire sa race, en toute simplicité.
Cependant, rien n'est joué aux premières écoutes. Le précédent album m'a beaucoup impressionné au début, puis j'ai fini par le trouver un peu trop. Un peu trop tout. En plus, je ne m'avance pas trop, car c'est apparemment l'avis de tout le monde, du Pape à Jaz Coleman lui-même. Trop technique (Dave Grohl à la batterie, excellent ceci dit mais un peu trop sophistiqué pour Killing Joke), trop froid (un des premiers albums réalisés avec l'aide de l'informatique, et vas-y que je te mets en boucle), trop pompeux, même s'il y a d'excellentes choses, comme Seeing Red, un titre qu'on ne remarque pas immédiatement, aveuglé qu'on est par la puissance ébouriffante mais un peu esbroufante de morceaux comme The Death & Resurrection Show ou Asteroïd.
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Ce nouvel album patauge dans un son épais, large, noyé dans les réverbs (par exemple, le disque gronde de basses rondes et envahissantes mais le son de basse en lui-même n'est quasiment pas identifiable en tant que tel... Paul où es-tu ?). Jaz Coleman éructe comme un porc, avec cette voix génialement tribale et agressive. Grain de voix pas si lointain du gros Lemmy en définitive (mais en beaucoup plus bestial), particulièrement sur le titre Implosion. C'est d'ailleurs à partir de ce titre que l'album commence à vraiment décoller il me semble, le morceau précédent (Invocation) se barrant en couilles dans un pompier des plus pompeux, grâce à une ligne de violons assez révoltante de mocheté. On se croirait à cheval dans un péplum. J'ai rien contre les chevaux ni les péplum mais faut pas pousser Gregory Peck dans la charrue avant les boeufs. Quant au second morceau qui donne son nom à l'album, il est plutôt bon mais pourquoi ces synthés/violons donnant ces espèces de nappes grandiloquentes aux notes prévisibles ? Eh bien je ne sais pas. Dommage car le refrain (ou est-ce le pont) en son clair est excellent. Majestic quant à lui est un morceau bien tribal à la Killing Joke, avec rythmique sur les toms, mais pas bouleversant pour autant. Walking With Gods, le morceau suivant est assez intéressant car il met en branle le côté industriel du groupe. Riff-hachoir mis en boucle à la Young Gods, claps lointains, groove légèrement dansant (à savoir une danse qui consisterait à sautiller sur place comme un mongol), incontestablement le tube NRJ du disque. The Lightbringer est un peu dans cette même veine, ce qui signifie qu'on peut tout à fait continuer à sautiller sur place sur ce morceau aussi. Sachant que chaque morceau dure environ 9 minutes, ça nous fait donc un bon 18 minutes de sautillage, bonne chance. The Lightbringer est le titre que je préfère pour le moment car il rassemble tout ce qui fait de Killing Joke un grand groupe, c'est-à-dire vous mettre dans une sorte de transe répétitive violente et primaire (à l'heure actuelle par exemple, je suis en transe répétitive, c'est mon cousin Gégé qui écrit le texte à ma place). Judas Goat quant à lui est un bon titre, assez oppressant, un rouleau à pâtisseries géant qui vous roule sur le visage (mais tous les morceaux font cet effet-là). Puis vient Gratitude, le dernier morceau, qui lui s'aventure sur les terres du lent et du lourd sans pour autant sonner doom, car plus robotique, quoique... Peut-être même qu'à la réécoute, ce titre va s'avérer un des meilleurs du disque.
Un plutôt bon album mais on regrettera (toute nostalgie bidon mise à part) que Killing Joke ait tant perdu de son côté sauvage, incontrôlable et bordélique. Des albums comme What's This For ?... (1981) et Revelations (1982) ont certes un son plus aigrelet mais étaient imbibés d'un désordre qu'on ne retrouve plus. Aujourd'hui, Killing Joke est un groupe dont le son a plus à voir avec le métal qu'avec le punk, c'est une machine à broyer les tronches très efficace, mais il manque ce côté bancal, crado, mal gaulé... punk. Ici, tout est sur roulements à billes chromés, ça avance, ça rase tout sur son passage mais plus rien ne dépasse (qui est un peu la définition de la tondeuse à gazon). On regrette un peu le temps où les parties de batteries confectionnaient de purs motifs tribaux à base de toms, presque sans aucune cymbale, quand Jaz toussait dans le micro comme un clodo, qu'on entendait des chiens aboyer dans le fond du studio et que la guitare déraillait... Le Killing Joke de cet album a plus à voir avec Ministry qu'avec autre chose, pour ne pas dire le Killing Joke originel, même si à n'en pas douter et quel que soit le son qu'ils adoptent, cela reste toujours du Killing Joke. Jaz Coleman est un génie (allez hop), Geordie Walker un guitariste dont on reconnaît la patte dans la seconde et Paul Raven un excellent bassiste pour peu qu'on l'entende.
Epique et redoutable.
4 poin / 5