Jeudi 26 février 2009
4
26
/02
/2009
14:48
Guy Debord au patrimoine national
Christine Albanel a interdit l’exportation des archives du fondateur du situationnisme.
Il avait tout prévu : la domination du secret et le secret de la domination dans les métamorphoses spectaculaires de l’économie marchande, les catastrophes écologiques et la disparition de la figure du
monde. Ayant compris qu’il n’y avait ni retour, ni réconciliation possibles avec l’état présent du monde, il avait décidé de «porter l’huile là où était le feu». De son maître livre, La Société du spectacle, il
expliquait qu’il
avait été «sciemment écrit dans l’intention de nuire à la société spectaculaire».
Quinze ans après sa mort, Guy Debord (1931-1994) demeure le grand accusateur du «règne irresponsable de la marchandise et des méthodes des gouvernements modernes». Il est pourtant devenu un
penseur à la mode, édité, réédité et grossièrement célébré par des individus qu’il méprisait. Cette récupération n’est pas innocente : réduire l’œuvre de l’auteur de Panégyrique à une
critique de la télévision ou à un beau moment d’histoire littéraire, c’est la déminer.
On veut croire que ce n’est pas l’intention de Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France, qui a œuvré pour que les archives du fondateur de l’Internationale situationniste soient
classées trésor national et ne puissent pas quitter la France. Un arrêté signé du ministre de la Culture, Christine Albanel, jeudi 29 janvier, et publié au Journal officiel quinze jours plus tard
interdit l’exportation du fonds soigneusement classé par Guy Debord et sa femme, Alice Becker-Ho, et le soustrait aux convoitises de l’université américaine de Yale qui souhaitait
s’en porter
acquéreur pour son Centre de recherche sur les avant-gardes.
Des rêves et des notes
Benoît Forgeot, le libraire parisien qui a inventorié ces archives et préparé la transaction avec les États-Unis, insiste sur leur richesse et leur cohérence. «Cet ensemble exceptionnel regroupe
tous les manuscrits de Guy Debord, à commencer par celui de La Société du spectacle, une collection incroyable de notes de lectures sur des fiches bristol classées par thème, deux
cahiers assez émouvants dans lesquels il a noté ses rêves, tout ce qui concerne le Jeu de la guerre, avec un des cinq exemplaires du jeu, le manuscrit de son dernier projet de livre, toutes ses
notes concernant le cinéma, de très gros dossiers concernant l’édition, et l’ensemble de sa correspondance. C’est rare de disposer d’archives aussi complètes. En volume, la
partie la plus importante, et la plus intéressante, touche au cinéma (brouillons, idées, scénarios, notes de montage). Les fiches de lecture composent à elles seules un livre inédit. Il faut
remercier Alice Debord d’avoir préservé l’intégrité de ce fonds et empêché le saucissonnage dont furent victimes les archives d’André Breton.»
Aux fétichistes, non pas de la marchandise, mais des souvenirs de Guy Debord, signalons la pieuse sauvegarde de ses lunettes, de sa machine à écrire, de son appareil photo, des tampons encreurs
de l’Internationale
situationniste, d’un ensemble de photographies, des 1500 livres de sa bibliothèque de travail et de la table pliante sur laquelle il a rédigé La Société du spectacle, en 1966-1967 à
Paris.
Associé à la volonté de tout publier, qui confine à l’obsession textuelle, ce goût des reliques évoque les dévotions jansénistes aux ruines de Port-Royal au XVIIIe siècle. Il ne trahit
pas l’intention de
Guy Debord.
Presse bourgeoise :
Sébastien Lapaque - Le Figaro, 19 février 2009.
Debord : La chasse au trésor
Convoitées par l’université de Yale, les archives de l’auteur de La Société du spectacle ont été
classées «trésor national» par la France. Un honneur dont Debord se serait probablement bien passé.
Étrange destin pour celui qui écrivait : «J’ai mérité la haine universelle de la société de mon temps, j’aurais été fâché d’avoir d’autres mérites aux yeux d’une telle société». Voilà donc Debord
sacré «trésor national» par un arrêté du 29 janvier, signé de la ministre de la Culture Christine Albanel, et publié jeudi au Journal officiel. La quasi-totalité de son travail d’écrivain et de
cinéaste — scrupuleusement trié par l’intéressé avant son suicide d’une balle de carabine dans le cœur — rejoindront donc vraisemblablement le département des manuscrits de la Bibliothèque
nationale de France (BNF).
Le fonds, inventorié en vue d’une transaction avec Yale, ne quittera ainsi pas le territoire pour rejoindre le Centre de recherche sur les avant-gardes de l’université américaine. La Commission
consultative des trésors nationaux a en effet rendu un avis négatif à l’exportation en considérant «que cet ensemble s’avère unique pour l’étude de la genèse de l’œuvre de Guy Debord, l’un des
penseurs contemporains les plus importants et capital dans l’histoire des idées de la seconde moitié du XXe siècle». L’État dispose à présent d’un délai de 30 mois afin de parvenir à un
accord avec Alice Debord, détentrice des droits moraux de son défunt mari, pour acquérir le fonds.
Pour la Commission consultative des trésors nationaux, «ces documents qui illustrent le processus créatif complet de la pensée de l’auteur, permettent d’appréhender sa façon assidue de
travailler, sa grande érudition et son style, héritier des plus grands classiques mis au service de son analyse critique de la société moderne». Un hommage ambigu pour l’auteur de La Société
du spectacle, co-fondateur de l’Internationale situationniste. Avant-garde créée en 1957 par l’alliance de trois groupes artistiques (le Mouvement international pour un Bauhaus imaginiste,
Cobra et l’Internationale lettriste) affichant comme ambition de réaliser une alternative révolutionnaire à la culture dominante et de participer à la révolution de la vie quotidienne par la
subversion culturelle et le dépassement de l’art.
La praxis révolutionnaire des situationnistes exercera une forte influence en Mai 68 avant que Debord ne saborde le mouvement en 1972 pour préserver l’authenticité des thèses situationnistes et
éviter leur récupération. Ce qui était autrefois la théorie situationniste se détache alors de la pratique (son corollaire inséparable) pour se muer en «situationnisme» dogme stérile et
stérilisant. Vidé de son socle critique et transformé en capital culturel, le situationnisme compris comme une simple théorie critique des médias devient la grille de lecture de la société de
l’information et le guide pratique de la critique passive.
Où la critique du spectacle devient spectacle critique
À la mort de Debord, de très nombreux hommages lui ont été rendus par ceux qu’il qualifiait de «serviteurs surmenés du vide» l’institutionnalisant comme référence obligée pour quiconque s’emploie
à discuter la société spectaculaire sans jamais vouloir la détruire. «On sait que cette société signe une sorte de paix avec ses ennemis les plus déclarés quand elle leur fait une place dans son
spectacle. Mais je suis justement le seul que l’on n’ait pas réussi à faire paraître sur cette scène du renoncement» écrivait jadis Debord qui était probablement loin de se douter que son œuvre
soit un jour récupérée de la sorte.
Selon Bruno Racine, président de la BNF qui a largement œuvré pour que les archives restent en France, «ce fonds sera pleinement mis en valeur. Un véritable programme sera engagé avec la mise en
place d’un colloque et d’une exposition.»
Pour rappel, dans son Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, Raoul Vaneigem, compagnon de route de Guy Debord au sein de l’Internationale situationniste, soulignait
l’aptitude de la société du spectacle à fabriquer ses mythes, à les absorber jusqu’à les rendre invisibles : «La fonction du spectacle idéologique, artistique, culturel, consiste à changer les
loups de la spontanéité en bergers du savoir et de la beauté. Les anthologies sont pavées de textes d’agitation, les musées d’appels insurrectionnels ; l’histoire les conserve si bien dans le jus
de leur durée qu’on en oublie de les voir ou de les entendre.» Debord ne fera donc pas exception à la règle.
Presse bourgeoise : Dianne Lisarelli
Les Inrockuptibles, 17 février 2009.
Debord, un trésor
La France décide de classer les archives du philosophe situationniste convoitées par une université
américaine.
Guy Debord érigé en trésor national… L’État français vient de refuser que les archives personnelles du fondateur de l’Internationale situationniste quittent la France. L’arrêté du
29 janvier, signé de la ministre de la Culture Christine Albanel, et publié jeudi dans le Journal officiel, stipule que ces archives revêtent «une grande importance pour
l’histoire des idées de la seconde moitié du XXe siècle et la connaissance du travail toujours controversé de l’un des derniers grands intellectuels français de cette période». Une décision
majeure et symbolique. «Ce classement comme trésor national s’interprète comme une reconnaissance par l’État de ce que représente Debord dans la vie intellectuelle et artistique du siècle
écoulé», souligne Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France (BNF), qui a largement œuvré pour que les archives restent en France.
Paradoxe. Étonnante postérité pour Guy Debord, qui préférait le secret aux néons, n’accordait aucun entretien à la presse et honnissait les distinctions. Tout au plus avait-il
finalement laissé à Gallimard, après avoir été l’auteur emblématique des éditions Champ Libre, le soin d’éditer son œuvre. «J’ai mérité la haine universelle de la société de mon
temps, écrivait-il en 1978, et j’aurais été fâché d’avoir d’autres mérites aux yeux d’une telle société.» Le voilà aujourd’hui, par le plus vif des paradoxes, devenu son «trésor». Guy Debord
s’est tiré une balle dans le cœur le 30 novembre 1994 à 62 ans dans sa maison de Haute-Loire. Né à Paris en 1931, il fonde en 1957 l’Internationale situationniste,
mouvement de pensée dans la lignée du lettrisme, qu’il saborde en 1972. Ce théoricien de la révolution a continué d’écrire et de filmer. Depuis sa mort, sa femme et légataire universelle
Alice Debord protégeait ses archives qui n’ont été que très rarement consultées. Elle a elle-même travaillé à publier la Correspondance de l’auteur de Panégyrique, dont le
septième volume, paru chez Fayard en 2008, couvre la période ultime de janvier 1988 à novembre 1994.
Il y a deux ans, l’université Yale, aux États-Unis, a manifesté son désir d’acquérir l’ensemble des archives personnelles de l’auteur. Les Américains sont friands d’intellectuels français
contemporains. L’université souhaitait adosser cet achat à son Centre de recherche sur les avant-gardes dont le fonds Debord aurait été un des diamants. Car ce fonds est de toute beauté (lire
ci-dessous). Il englobe la quasi-totalité du travail de l’écrivain et cinéaste, de 1950 à 1994. La pièce maîtresse est bien sûr le manuscrit de la Société du spectacle, publié
en 1967, qui a irrigué Mai-68 et tout un courant sociologique et philosophique.
Fiches de lecture. Soucieux de son héritage, Guy Debord avait pris soin de tout trier et organiser. Il disait ainsi à son ami Ricardo Paseyro en octobre 1994 : «Nous avons fait le
tri, brûlé une masse de papiers inutiles et gardé ici à la disposition de mes lecteurs tout ce qui importe.» Il n’a donc conservé que ce qu’il considérait comme essentiel à la compréhension
de son œuvre. La genèse de ses textes, des premiers jets sur fiches jusqu’aux épreuves corrigées, montrent une attention prononcée pour la précision. Debord luttait contre l’à-peu-près et
mettait un soin inlassable à transcrire sa pensée en mots. Ce grand lecteur — de Hegel, Clausewitz ou Machiavel — a rédigé des milliers de fiches de lecture. Les plans de ses films aussi ont
été conçus au cordeau. Au total, l’ensemble de ses traces terrestres a été exceptionnellement préservé. Peu de l’œuvre a vécu l’encan ; à peine une trentaine de lettres de jeunesse, rédigées
entre 18 et 22 ans, qui ont été dispersées le 12 mai 2006 à Drouot.
Pour la Commission consultative des trésors nationaux, qui a émis un avis négatif à l’exportation, «ces documents, qui illustrent le processus créatif complet de la pensée de l’auteur,
permettent d’appréhender sa façon assidue de travailler, sa grande érudition et son style, héritier des plus grands classiques, mis au service de son analyse critique de la société
moderne».
Geste fort. Le «situ» est donc reconnu comme l’un des penseurs majeurs du monde occidental par une société qu’il vouait à la destruction. C’est un geste patrimonial fort.
«C’est la première fois qu’un écrivain aussi proche de nous» est ainsi considéré comme trésor national, estime Bruno Racine, expliquant qu’avec Debord, la BNF prend la modernité à
bras-le-corps : «Ce fonds sera pleinement mis en valeur. Un véritable programme sera engagé avec la mise en place d’un colloque et d’une exposition.»
La pensée de Guy Debord sera bientôt accessible dans sa totalité et sa cohérence. Face à la légende.
«L’État accueille l’enfant terrible»
Benoît Forgeot, qui a inventorié le fonds, réagit à son classement par le ministère.
Comment et pourquoi cette transaction a-t-elle été menée ?
À la demande d’Alice Debord, Pierre Bravo Gala et moi avons inventorié les archives de Guy Debord afin d’en établir
le catalogue et de le soumettre à une université américaine qui s’était manifestée pour les acquérir. Cette université a créé un Centre de recherche sur les avant-gardes qui devait les
accueillir. Alice Debord, sensible à cette démarche, jugeait que ce centre représentait une destination naturelle. Sa volonté est que tout soit conservé en un seul lieu à la disposition des
chercheurs, que ces archives soient montrées, confrontées.
Quelle a été sa réaction en apprenant le classement ?
Une ambivalence de sentiments. D’abord de la déception, bien entendu. Au-delà de la transaction commerciale,
l’université proposait un vrai projet intellectuel ; l’université voyait le fonds Debord comme la clé de voûte de son projet. Alice Debord avait obtenu la garantie qu’il serait très
rapidement mis à la disposition des chercheurs et qu’une expo et un colloque seraient organisés dès septembre 2009. Mais l’État français a fait un geste symbolique très fort. C’est une
reconnaissance de l’œuvre de Guy Debord, qui est ainsi accepté comme l’un des penseurs contemporains les plus importants de la seconde moitié du XXe siècle. Ce classement comme trésor
national peut être vu comme une décision autoritaire, mais c’est surtout une reconnaissance. L’État accueille désormais l’enfant terrible et lui fait une place dans le saint des
saints.
Pourquoi a-t-elle décidé de tout céder d’un seul bloc ?
Alice Debord a toujours été contre une vente à la découpe, qu’elle redoutait, à l’image par exemple de la vente
Breton. Elle tenait à préserver l’intégrité de ces archives afin qu’elles restent disponibles dans un même lieu pour les générations futures. Désormais, les papiers de Guy Debord sont comme
un monument historique dont on ne peut pas déplacer une pierre mais que l’on peut visiter, étudier, fouiller.
De quoi sont composées ces archives ?
Elles regroupent l’essentiel de ce qu’a produit Guy Debord depuis les années 50 jusqu’à 1994, tout ce qu’il a
pu et voulu conserver. La majeure partie a été classée par lui-même avant son suicide. Ces archives comprennent ses manuscrits, dont le fleuron est évidemment celui de la Société du
spectacle, mais aussi des inédits, un projet de Dictionnaire… On y trouve plusieurs centaines de fiches bristol avec ses notes de lecture, qui forment une manière de manuscrit
inédit et qui renseignent sur l’origine des «détournements». C’est passionnant de voir non seulement ce que lisait Debord, mais surtout comment il lisait. Le fonds englobe aussi sa
bibliothèque de travail, avec des centaines de volumes classés par thèmes («marxisme», «stratégie et tactique militaires», «mouvements sociaux», «avant-gardes»…). Ses films aussi en forment
l’une des parties les plus importantes : on y trouve tout ou presque, du manuscrit préparatoire aux différents états du scénario, et jusqu’aux photos de plateau. Il y a même quelques objets
comme sa machine à écrire, ses lunettes ou une petite table en bois sur laquelle il a apposé une note manuscrite disant : «Guy Debord a écrit sur cette table la Société du
spectacle en 1966 et 1967 à Paris au 169 de la rue Saint-Jacques.» Sa correspondance, enfin, qui comporte beaucoup de brouillons et de doubles, et qui a été
largement exploitée par Alice Debord pour sa publication de la correspondance générale — un monument — dont un dernier volume est à paraître.
Propos recueillis par Frédérique Roussel
Benoît Forgeot, libraire à Paris,
a mené la transaction avec les États-Unis.
Presse bourgeoise :
Libération, 16 février 2009.
Guy Debord, national treasure?
Proposed sale of Guy Debord's archives to Yale University voided by the French Ministry of
Culture.
The French state has refused to allow the personal archives of the founder of the Situationist International to leave France. The injunction of 29 January [2009], signed by the Minister of
Culture, Christine Albanel, and published on Thursday in The Official Journal, stipulates that the archives assume "a great importance for the history of the ideas of the second half of the
20th century and for the knowledge of the still-controversial work of one of the last great French intellectuals of the period."
Debord, a treasure
France has decided to classify the archives of the situationist philosopher coveted by an American
university. Guy Debord erected as a national monument. . . .
The French state has refused to allow the personal archives of the founder of the Situationist International to
leave France. The injunction of 29 January [2009], signed by the Minister of Culture, Christine Albane, and published on Thursday in The Official Journal, stipulates that the
archives assume "a great importance for the history of the ideas of the second half of the 20th century and for the knowledge of the still-controversial work of one of the last great French
intellectuals of the period." A major and symbolic decision. "This classification as a national treasure reveals a recognition by the State of what Debord represents in the intellectual and
artistic life of the just-ended century," emphasized Bruno Racine, President of the National Library of France, who has worked to keep the archives in France.
A paradox. Astonishing posterity for Guy Debord, who preferred the secret over neon lights, gave no press
interviews and abhorred awards [honnissait les distinctions]. At most, he finally left Editions Gallimard the care of publishing his works, after having been the emblematic author
for Editions Champ Libre. "I have merited universal hatred from the society of my time," he wrote in 1978, "and I am angry that I have had other merits in the eyes of such a society."
Today, in the most lively paradox, he has become its "treasure." Guy Debord shot himself in the heart on 30 November 1994 at the age of 62, in his home in the Haute-Loire. Born in Paris in
1931, he founded in 1957 the Situationist International, a movement of thought in the line of Lettrism that he scuttled in 1972. This theoretician of revolution continued to write and make
films. Since his death, his wife and legatee Alice Debord has guarded his archives, which have been rarely consulted. She herself has worked to bring out the correspondence of the author of
Panegyrique, the seventh volume of which, published by Fayard in 2008, covers the final period from January 1988 to November 1994.
Two years ago, Yale University in the United States manifested its desire to acquire the totality of the personal
archives of the author. The Americans are hooked [friands] on contemporary French intellectuals. The university wanted to base its research center on the avant-garde upon this
purchase; the Debord assets would be one its diamonds. Because these assets are quite beautiful (see below). They include the quasi-totality of the works of the writer and filmmaker from
1950 to 1994. The masterpiece is of course the manuscript of The Society of the Spectacle, published in 1967, which watered May 68 and all as a sociological and philosophical current.
Reading notes. Careful about his legacy, Guy Debord took care to select and organize everything. Thus he
said to his friend Ricardo Paseyro in October 1994: "We have done the sorting out, burned a mass of useless papers and kept for the disposal of my readers all that matters." Thus he only
conserved what he thought to be essential to the comprehension of his work. The genesis of the texts, from the first flashes to the corrected page proofs, demonstrating a pronounced
attention to precision. Debord struggled against approximations and took untiring care to transcribe his thoughts into words. This great reader -- of Hegel, Clausewitz and Machiavelli --
drafted thousands of reader's notes. The plans for his films were also conceived in a straight line. In total, the totality of his earthly traces have been exceptionally well preserved. A
little of it has been auctioned off; hardly thirty letters from his youth, written between the ages of 18 and 22, which were dispersed on 12 May 2006 by Drouot. For the Consulting
Commission on National Treasures, which issued a negative opinion on the export [of the archives], "these documents, which illustrate the creative processes of the thought of the author,
allow one to understand his assiduous manner of working, his great erudition and his style, inheritor of the greatest classics, placed in the service of his critical analysis of modern
society."
Strong gesture. The "situ" is thus recognized as one of the major thinkers of the western world by a society
that he condemned to destruction. A strong patrimonial gesture. "This is the first time that a writer so close to us [in time]" has been considered to be a national treasure, Bruno Racine
estimates, explaining that, with Debord, the National Library takes modernity in its arms: "These assets will be fully developed. A veritable programme will be offered with the setting up
of a colloquium and an exposition." The thought of Guy Debord will soon be accessible in its totality and coherence. Face the legend.
Benoit Forgeot, who inventoried the assets, reacts to its classification by the Ministry:
How and why was this transaction arranged?
At the request of Alice Debord, Pierre Bravo Gala and I inventoried the archives of Guy Debord so as to establish
the catalogue and submit it to an American university that wanted to acquire them. This university had created a research center into the avant-gardes that would welcome them. Alice Debord,
favorable to this step, judged that this center would be a natural destination. Her will is that everything is conserved in a single place at the disposition of researchers, that the
archives are displayed, confronted.
What was her reaction to the classification?
Ambivalence. Disappointment at first, of course. In addition to the commercial transaction, the university proposed
a true intellectual project; the university saw the Debord assets as the master key to its project. Alice Debord obtained the guarantee that they would rapidly be placed at the disposition
of researchers and that an expo and a colloquium would be organized in September 2009. But the French State made a very strong symbolic gesture. It is a recognition of the works of Guy
Debord, who is thus accepted as one of the most important contemporary thinkers of the second half of the 20th century. This classification as national treasure can be seen as an
authoritarian decision, but it is especially a recognition. The State henceforth welcomes the enfant terrible and thus makes a place among the saints for
him.
Why did she decide to yield everything in a single bloc?
Alice Debord has always been against a piecemeal sale, as happened with [Andre] Breton, which she feared. She
attempted to preserve the integrity of the archives so that they remained available in a single place for future generations. Thenceforth, Guy Debord's papers would be like a historical
monument, of which one could not move a single stone, but which one could visit, study, search.
What are these archives composed of?
They bring together the essential of what Guy Debord produced between the 1950s and 1994, everything that he could
and wanted to conserve. He himself classified the major part before his suicide. The archives include his manuscripts, the jewel [fleron] of which is obviously that of The
Society of the Spectacle, but also unpublished ones, a projected Dictionary . . . . One finds in them several hundred index cards with reader's notes, which form a kind of
unpublished manuscript and which records the origins of the "detournements." It is exciting not only to see what Debord read, but how he read. The assets include his working library, with
hundreds of volumes classified by theme ("Marxism," "Military Strategy and Tactics," "Social Movements," "avant-gardes" . . . ). His films also form one of the most important parts: one can
find in them all or almost all of the preparatory manuscripts at different stages of the scenario, as well as the photographic plates. There are even objects such as his typewriter, his
eyeglasses, and a small wooden table on which he fixed a handwritten note that says "On this table Guy Debord wrote 'The Society of the Spectacle' in 1966 and 1967 at 169 rue Saint-Jacques,
Paris." His correspondence, which includes many drafts and copies, and which has largely been developed [exploitee] by Alice Debord for her publication of his general
correspondence -- a monument -- of which the final volume will [soon] be published.
(Written by Frederique Roussel and published in Liberation, Monday, 16 February 2009. Translated from the
French by Not Bored! 26 February 2009.)
Bill Not Bored - Infoshop News, February 26, 2009.
Les lunettes de Guy Debord et autres reliques
Le 12 novembre 2008, à Nantes, un amateur a acheté un bureau, style années 1950/1960. Il l’aura payé plusieurs
fois son prix mais c’était celui de Julien Gracq. Comme d’autres reliques présentées à cette vente, ce meuble ordinaire avait flambé.
Il aurait pu en être de même pour une petite table en bois dont le propriétaire donnait, avant de mourir, le pedigree : «Guy Debord a écrit sur cette table la Société du spectacle en
1966 et 1967 au 169 de la rue Saint-Jacques.» On se serait disputé sa machine à écrire et ses lunettes. Les marchands auraient embarqué ses manuscrits, sa correspondance, des tracts, tout le
fourbi situationniste. Heureusement — je l’ai appris en lisant une enquête de Frédérique Roussel dans le Libération du 16 février — ce dépeçage n’aura pas lieu. Comme d’autres veuves
fidèles aux exigences de leur mari, Alice Debord souhaitait préserver un fonds jusque là à peine divulgué. Plusieurs volumes de correspondance, des lettres de jeunesse (Le marquis de Sade
a des yeux de fille), parus chez Fayard, à peine annotés, purent combler les fanatiques, sans satisfaire les historiens, plus exigeants. Il fallait donc trouver un moyen de préserver
l’œuvre, sans la brader ni l’éparpiller.
Un libraire, Benoît Forgeot, fut chargé de l’inventaire. Il mena aussi une transaction sur laquelle, interrogé par Libération, il est resté vague. Les marchands d’autographes sont
discrets. On peut cependant émettre des hypothèses, avancer des noms et des sommes. J’ai cru comprendre que l’université américaine intéressée était Yale. En y créant «un centre de recherche
sur les avant-gardes», ses dirigeants souhaitent-ils faire la pige à d’autres facs, comme celle d’Austin qui a un fonds Dada unique ? Et pour combien ? On parlait de deux millions d’euros, ce
qui est dérisoire comparé à l’estimation basse du Picasso cubiste de la vente YSL-Bergé (trente millions d’euros).
Malheureusement, un collègue de Forgeot a sans doute eu vent de cette solution lucrative. Avertie, la ministre de la Culture a pris le 29 janvier un arrêté classant le fonds Debord, ce qui en
empêche l’exportation. Ce «trésor national» finira à la BNF et celle-ci devra payer la note. L’ironie de cette «récupération» étatique n’échappera pas aux vieux lecteurs des écrits
situationnistes. Entre deux solutions radicales, celle qui aurait été fidèle aux rêveries de la revue Potlatch, époque lettriste, à savoir la destruction, ou celle qui devait aboutir
à la dissolution de tout le reste, G.D. compris, le sort en a choisi une troisième : le corpus Debord sera microfilmé, fiché, débité en tranches dans cette grande machine. Où rangera-t-on ses
lunettes ?
Presse bourgeoise : Raphaël Sorin
Lettres ouvertes, un blog de Libération, 19 février 2009.
Presse bourgeoise :
Siné Hebdo, 25 février 2009.
Les archives de l’écrivain Guy Debord classées trésor national
L’État français vient de refuser que les archives de l’écrivain et philosophe situationniste
Guy Debord quittent la France pour une université américaine, selon un arrêté du ministère de la Culture et de la Communication publié au Journal officiel.
Le fonds en question comprend la quasi-intégralité des archives de Debord (1931-1994), notamment des pièces emblématiques comme le manuscrit de La société du spectacle (1967),
l’un des textes
fondateurs de l’Internationale situationniste, qui prône une critique radicale du mode de société occidental.
L’ensemble,
classé par Guy Debord lui-même, qui s’est suicidé en 1994, puis par sa veuve, Alice Debord, faisait l’objet d’une demande d’exportation vers les États-Unis, où une
université souhaitait s’en porter acquéreur, a indiqué à l’AFP Benoît Forgeot, libraire à Paris qui en a fait l’inventaire.
«L’objectif
d’Alice Debord
est que cette archive soit conservée intégralement dans un même lieu et mise à la disposition des chercheurs le plus rapidement possible», a-t-il souligné.
Saisie par le ministère de la Culture, la Commission consultative des trésors nationaux a rendu un avis négatif à l’exportation, considérant «que cet ensemble s’avère unique pour
l’étude de la
genèse de l’œuvre de Guy Debord, l’un des penseurs contemporains les plus importants et capital dans l’histoire des idées de la seconde moitié
du XXe siècle».
Avis suivi par le ministère qui a refusé le certificat d’exportation par arrêté du 29 janvier, publié au Journal officiel du 12 février.
L’État dispose
à présent d’un
délai de 30 mois pour parvenir à un accord avec Alice Debord, détentrice des droits moraux du philosophe, pour acquérir le fonds. Après accord, les archives seront considérées comme trésor
national de manière pérenne et devraient rejoindre le département des manuscrits de la Bibliothèque nationale (BNF).
Guy Debord, qui refusait toute médiatisation de son vivant et entretenait le mystère, mettait un style dans la tradition des grands classiques français au service de son analyse critique de
la société moderne. Son œuvre a notamment exercé une forte influence lors des événements de Mai 1968.
Presse bourgeoise :
AFP, 16 février 2009.
Publié dans : Debordiana
0