Publié le 23/05/2008 à 09:45 - Modifié le 25/05/2008 à 01:18 Le Point.fr

AFP : la polémique rebondit sur la privatisation

Emmanuel Berretta

AFP : la polémique rebondit sur la privatisation

Mouvement de protestation du personnel de l'Agence France Presse, le 21 mai 2008. © Hadj / SIPA

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Entre le pouvoir et l'AFP, la polémique a rebondi cette semaine. Si les premières salves ont été tirées de l'Élysée , amplifiées par des députés UMP, précisées par Frédéric Lefevbre (porte-parole de l'UMP), c'est Claude Goasguen , député UMP de Paris, qui, mercredi, a lancé la dernière pique : sur I-Télé, l'élu parisien a prétendu "ardemment souhaiter" la privatisation de l'Agence France Presse, qualifiée par lui "d'agence d'État". Et comme si ce coup de pied dans la fourmilière n'était pas suffisant pour ébranler la grande maison, Goasguen a ajouté que la France était "le seul pays qui dispose d'une seule agence", espérant bien vite "la concurrence des agences".

Étranges propos, à vrai dire... Comment ignorer qu'en France le marché de l'agence est hautement concurrentiel puisque l'AFP doit combattre la britannique Reuters et l'américaine AP ( Associated Press ) ? Au total, en dehors de ces trois mastodontes, la France compte... 113 agences de presse spécialisées ! L'absence de monopole souhaitée par Claude Goasguen existe déjà bel et bien et depuis fort longtemps. Échaudé mais calme, Pierre Louette, le président de l'AFP, a, selon nos informations, discrètement adressé une lettre à l'élu parisien du 16e arrondissement pour lui rappeler courtoisement les quelques vérités fondamentales qui ont pu lui échapper. Dans les prochains jours, ses collègues parlementaires devraient recevoir un courrier, tout aussi poli, reprécisant quelle est l'essence journalistique de l'AFP.

AFP, Tass et Chine nouvelle dans le même sac ?

Sans tomber dans la paranoïa, on peut tout de même s'interroger sur les origines de cette subite passion pour la "privatisation de l'AFP", "ardemment" attendue... Qui pourrait s'intéresser à l'AFP ? Justement, le marché de l'agence a attisé quelques appétits récemment. Le service français d'Associated Press (en déficit chronique de 1,5 million d'euros par an) est à vendre. En décembre dernier, Vincent Bolloré, associé à Bertrand Eveno (l'ancien président de l'AFP), a déposé une offre de reprise. Le 27 mars, le personnel d'AP a voté contre ce projet. Devant la bronca des salariés bien décidés à en découdre, le 25 avril, Vincent Bolloré et Bertrand Eveno ont renoncé à racheter AP France. Dans un tel contexte, la proposition de Claude Goasguen de privatiser l'AFP est-elle totalement fortuite ?

Et comment cette vente serait-elle possible ? Justement, Claude Goasguen donne des pistes. En assimilant l'AFP au statut d' agence d'État au même titre que l'agence Tass de l'ancienne Union soviétique ou que l'agence Chine nouvelle du régime de Pékin, l'élu parisien insiste, pour mieux le fustiger, sur le cordon qui relie l'agence aux pouvoirs publics. Goasguen semble prétendre que l'État aurait les moyens de dicter aux journalistes de l'AFP ce qu'ils doivent écrire ? Mais si tel était le cas, pourquoi Nicolas Sarkozy se serait-il subitement fâché contre l'AFP alors qu'il serait, selon Claude Goasguen, en mesure de dicter les articles qu'il souhaite lire ? Étrange là aussi.

Trois représentants de l' É tat contre huit pour la presse

D'autant plus que les statuts de l'AFP démentent, une fois de plus, les déclarations de l'élu parisien. L'AFP a été créée par la loi du 10 janvier 1957 comme "un organisme autonome" dont le "fonctionnement est assuré suivant les règles commerciales" en vue de "rechercher [...] les éléments d'une information complète et objective". Le législateur a justement pris soin de doser la composition du conseil d'administration de sorte que le gouvernement ne puisse pas y faire sa loi.

Sur 16 membres (dont le président Pierre Louette), l'État ne compte que trois représentants, l'un pour Matignon, l'autre issu du Quai d'Orsay, et le dernier en provenance de Bercy. Deux sièges sont réservés aux patrons l'audiovisuel public, actuellement occupés par Patrick de Carolis (France Télévisions) et Jean-Paul Cluzel (Radio France). Les représentants de la presse, quant à eux, sont au nombre de... huit ! Cela signifie qu'avec la voix du président Louette, ils sont majoritaires.

Sur ces huit représentants des gens de plume, deux sièges sont affectés à la presse quotidienne nationale (en l'occurrence, Nicolas Beytout pour Les Echos et David Guiraud pour Le Monde ), cinq sièges sont dévolus à la presse quotidienne régionale (Jean-Pierre Caillard de La Montagne , Frédéric Aurand du groupe Hersant, Bernard Maffre de La Dépêche du Midi , Olivier Metzger des Dernières Nouvelles d'Alsace ...), et un siège revient au représentant des journalistes de l'AFP. Enfin, le conseil d'administration est complété par un représentant du personnel administratif.

L' É tat payeur, mais non décideur

On le voit bien, en aucun cas l'AFP n'a été conçue par la loi souveraine comme une agence d'État. Elle possède, au contraire, un statut très particulier, presque interprofessionnel. Cela dit, elle n'a pas de fonds propres et doit négocier régulièrement avec l'État les moyens de sa modernisation. Chaque année, l'État achète pour 110 millions d'euros d'abonnements. Depuis 1957, tous les gouvernements successifs ont revalorisé le niveau de leurs abonnements en fonction de l'inflation. Quand il a été question d'informatiser l'AFP, l'État a toujours répondu présent. Ce fut le cas en 1975-1976 comme en 1991-1992 lors de la modernisation de l'outil (pour 100 millions de francs, à l'époque).

L' É tat financera-t-il la troisième révolution informatique ?

La polémique entre l'AFP et Nicolas Sarkozy (à propos d'un malheureux communiqué portant sur Ségolène Royal) intervient alors que l'AFP négocie, précisément, sa prochaine mutation informatique. Pierre Louette a besoin d'obtenir de l'État 21 millions d'euros pour acquérir et installer le système 4XML. Sa situation en devient plus qu'inconfortable. Cette application informatique est cruciale pour l'agence française, dans sa compétition internationale. Le système 4XML permettra aux agenciers de fabriquer, à l'avenir, des contenus multimédias à destination de leurs clients : c'est-à-dire, du texte enrichi par du son et des images. Les clients pourront puiser dans une gigantesque banque de données multimédia.

La privatisation, qui la souhaite ?

En outre, à l'heure actuelle, il n'existe aucun système de sauvegarde informatique des données de l'agence. En cas d'incident grave, tout peut disparaître. Ce péril majeur ne peut être écarté qu'en dupliquant les données et en les dispatchant sur des serveurs informatiques disséminés un peu partout dans les 110 bureaux que l'AFP possède dans le monde.

En outre, le siège parisien de l'AFP (place de la Bourse) est actuellement situé dans une zone inondable en cas de grande crue de la Seine (comparable à celle de janvier 1910). Les serveurs de l'agence se trouvent principalement dans les sous-sols. La prochaine grande crue de la Seine est attendue, à n'importe quel moment, au cours de ce siècle, elle peut survenir l'hiver prochain comme dans 50 ans...

Pierre Louette tente d'être prévoyant. À moins que le gouvernement, qui cherche à faire des économies, n'estime que des capitaux privés feront aussi bien ce travail. Et dans ce cas, pour privatiser l'AFP, il faudra abroger la loi de 1957.

11 COMMENTAIRE(S)

anime

Privatisation, pourquoi pas ?

jeudi 17 septembre | 14:58

Cela permettrait de remettre à un niveau normal les salaires exorbitantS que touchent les simples employés de cette entreprise. Je ne parle pas des journalistes.

mimil

Le contrepouvoir

samedi 24 mai | 12:43

La presse a-t-elle encore ce statut de contrepouvoir ? la liberté de la presse est un droit, respectons-la au risque de basculer dans un régime totalitaire. Heureusement que ce contrepouvoir existe encore à défaut d'opposition politique intellectuelle. Merci à la presse en général.

H B-M "l'objectif"

Information, opinion ou propagande

vendredi 23 mai | 19:10

Le contribuable est fatigué de subventionner les propagandistes, les doctrinaires partiaux à travers ses impôts. C'est à la profession de rétablir la crédibilité du journalisme en respectant la déontologie et pourquoi pas la vérité.

libre

Bizarre

vendredi 23 mai | 18:18

Je ne comprends pas qu'ils veuillent contrôler plus la parole des journalistes (car en fait c'est le but de la privatisation) qui sont pourtant dans l'ensemble assez sympas avec ce gouvernement. Mais il faut croire qu'ils veulent s'inspirer du régime stalinien ou chinois c'est peut-être pour leur assurer une nouvelle victoire en 2012.

Objectif

Ca va Alain Madelin ?

vendredi 23 mai | 16:34

C'est fou le nombre de pseudos qu'a Alain Madelin et toutes les c... qu'il peut dire. C'est bien les gars, continuez à donner beaucoup d'argent à France 24, TV5, RFI qui n'ont aucune influence dans le monde et arrêtez d'en donner à l'AFP, la seule concurrente mondiale de la vision anglo-saxonne de l'actualité internationale.

Pasdupe

Coeur à gauche

vendredi 23 mai | 14:10

A plusieurs reprises des sondages ont montré qu'une très large majorité de journalistes était de sensibilité socialiste. Il en va de même pour l'APF : si elle devient indépendante, on ne l'accusera plus de dépendre du pouvoir car c'est un faux procès. Les journalistes, surtout télé et radio (voyez la sélection des micro-trottoirs) privilégient toujours la gauche et la pensée dominante, leur laissant régulièrement le dernier mot.

Jamanille

Assez inquiétant

vendredi 23 mai | 13:16

Lorsque l'on voit que nombre de médias, presse en premier lieu, se contentent de reformuler les dépêches AFP dans leurs articles, le passage au privé a de quoi faire peur. Il ne faut pas se voiler la face : les médias dépendant d'annonceurs ne touchent pas à leurs clients (pubs de voitures...). Heureusement, il restera la presse étrangère pour s'informer sur ce qu'il se passe en France.

beru

Aberration

vendredi 23 mai | 12:47

Personne ne se demande quel sens cela fait d'avoir des journalistes-fonctionnaires ? Pourquoi le contribuable devrait-il financer une agence de presse qui n'est pas plus objective qu'une autre, moins efficace, hypersyndicalisée (donc incapable de s'adapter), en déclin constant (d'où plus de subventions...). Si les journaux n'y puisaient pas de l'info pas cher, il y aurait peut-être plus de journalistes pour souligner cette aberration economique et éthique ? La liste des autres pays qui ont des agences d'Etat n'est pas flatteuse... La liberté d'informer menacée... c'est à se p... de rire ! Ca fait longtemps que ceux qui ont besoin d'information fiable, profitent de la presse étrangère de bien meilleure qualité. Bravo le Point dailleurs pour la qualite de l'info économique grâce à Business Week !

footix

@ Beet

vendredi 23 mai | 12:21

Méthodes staliniennes vous dites ? curieuse façon de voir les choses car c?est tout le contraire du but de Goasguen, même si le terme « agence d?Etat » est détourné de sa signification initiale. L?AFP fait partie des « exceptions françaises », une agence qui survit, sous perfusion, grâce aux subventions de l?Etat et donc du contribuable et à cet égard elle n?a rien à envier à d?autres agences célèbres comme en Russie ou en Chine. Il y a de l?hypocrisie et un manque de connaissance à dénoncer des « méthodes staliniennes », alors même que le statut "bâtard" de cette agence (subvention publiques, comité interprofessionnel indépendant, clients privés, publics, etc.), implique fortement l?Etat et que les ingérences éditoriales sont tentantes pour le gouvernement en place. Donc, qu?un élu UMP réclame une privatisation ou tout du moins veuille rendre normal un statut ne me paraît pas être une atteinte à la liberté d?expression au contraire. Faut-il rappeler que la plupart des autres agences, c?est-à-dire quasiment l?ensemble des agences du monde, ont gagné leur indépendance éditoriale en se coupant justement de l?Etat ? Il faut clarifier les choses. Pour ce qui concerne l?affaire Lefevre, oui, l?AFP a fait une erreur et il serait bien que face au corporatisme ambiant, la profession se mette aussi à réfléchir sur son propre métier, en mettant de côté son idéologie soixante-huitarde.

catie

Privatisons...

vendredi 23 mai | 11:59

... et le plus vite possible.

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