Livres

Publié le 24/09/2009 - Modifié le 24/09/2009 N° 1931 Le Point

Les filles font le boulot

Gwenaëlle Aubry, puissante

Rentrée littéraire. Mémoire du père, tombeau à la mère, épopée des origines, transmission mère-fille... Ces six romancières rendent la littérature plus humaine. Heureusement qu’elles sont là.

Jean-Paul Enthoven

Gwenaëlle Aubry, puissante

© Khanh Renaud/Square

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Avant de capituler devant sa folie, sa dévoreuse folie, François-Xavier Aubry était un homme brillant, un juriste, un professeur respecté et charmeur. Il était beau (entre Dustin Hoffman et le Jean-Pierre Léaud d’autrefois), tendre, énigmatique, rêveur-jusqu’aux jours où, entraîné par un torrent de mélancolie, il s’est noyé à l’intérieur de lui-même. Pourquoi ? Selon quel inexorable processus ? C’est là le sujet de ce « Personne » que sa fille, Gwenaëlle, lui a bâti comme un mausolée de bribes, d’épiphanies, de séquences, d’angles morts et vifs. Ce livre est bouleversant. Intolérable aussi, et incendié par de grands soleils noirs. Le regret y circule avec la gratitude. C’est un tombeau, au sens propre et littéraire. Avec, en son centre, un absent, un déchu, un disparu magnifiquement ressuscité.

Car « Personne », en latin, signifie masque, et c’est bien de cela qu’il est ici question : puisque ce père, devenu fou, n’était plus personne de son vivant, Gwenaëlle ne peut accéder à ce qu’il fut pourtant que par le biais de toutes les identités, de tous les masques dont il s’affubla au cours de son existence. D’où ce livre-abécédaire-d’Antonin Artaud à Zelig-où, à chaque lettre, elle traque un souvenir, une douleur, un épisode, une chute, une trouée de lumière. Il se trouve, par ailleurs, que François-Xavier Aubry laissa, à sa mort, de nombreux manuscrits où son délire se raconte au jour le jour. Ces textes inachevés, qu’il se promettait de « romancer », sont incrustés dans le livre de sa fille-et leur lecture coupe le souffle.

Voici donc cet homme, tel qu’il fut ou se voulut : bourgeois et rejeté par son lignage, clown et pirate, droit et tordu, clochard, errant, « mouton noir » élevé dans une province pluvieuse mais aspiré par la blancheur des déserts. Il aimait les lois, les règlements, sans doute pour se vacciner contre le désordre qui grondait en lui. Il aimait James Bond et les SDF, qui furent sa dernière famille. Il s’inventait des généalogies royales, tenait à « combattre l’ombre », guettait des châtiments imaginaires. Ses mots, prolongés et sertis par le regard de celle qui ne put le sauver, ressemblent à un chapelet de diamants tristes. « Il fallait bien que quelqu’un honore ce père-là », écrit sa fille. Qu’elle se rassure : avec ce livre puissant, elle paie largement, et en écrivain, sa dette d’amour

« Personne », de Gwenaëlle Aubry (Mercure de France, 160 pages, 15 E)

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