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«Tout pourle bénévolat!»

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image Vanna Colling-Kerg, devant un tableau peint par son père quand elle avait 3 ans, avec sa poupée préférée.

Vanna Colling-Kerg raconte que les premiers à s'intéresser aux cours de langue italienne étaient les commerçants luxembourgeois qui voulaient comprendre leurs clients. Ils étaient les sponsors des cours d'italien.

Entretien avec notre journaliste Jean Rhein
 

Que pouvez-vous raconter sur la création des Amitiés italo-luxembourgeoises et quels sont vos souvenirs personnels?
Vanna Colling-Kerg :
Les Amitiés italo-luxembourgeoises ont été créées dans les années 1932/1933. Ma mère, Caterina Vaccaroli, appelée Ketty, était l'une des cofondatricea. Elle est née à Esch-sur-Alzette, en 1915, et a toujours été proche du milieu de la Mission catholique italienne. Elle a d'ailleurs été baptisée par le curé Prosper Colling, curé de la paroisse italienne.
L'initiateur de l'idée de constituer ce type d'associations était l'entrepreneur Achille Giorgetti, de Luxembourg-Ville.
Lorsqu'ils arrivaient au Luxembourg, la grande majorité des immigrés italiens ne savaient parler que leur patois/dialecte local. Il s'agissait donc de leur fournir également un enseignement linguistique de base.
Mais la demande de suivre des cours de langue italienne provenait surtout des commerçants luxembourgeois qui se sentaient obligés de comprendre la langue italienne et de pouvoir dialoguer avec leurs clients.
L'idée d'écrire l'histoire de l'immigration italienne au Luxembourg est due au professeur Trausch. C'était un coup de chance que le père Benito Gallo, de la Mission catholique italienne d'Esch-sur-Alzette, se soit finalement mis à cette lourde tâche, alors que lui-même n'était venu que tardivement au Grand-Duché. Mais il avait un don de journaliste. Benito Gallo a fait des recherches et a activement collecté une documentation importante, surtout photographique. Ma mère, qui avait connu tout le monde, identifiait les différentes personnes sur les innombrables photos de groupes et photos familiales. Une documentation formidable s'en est suivie.
En ce qui concerne l'histoire des AIL. Après la guerre, l'association a été relancée à Esch-sur-Alzette, notamment sous l'impulsion de mon (futur) beau-père, le docteur Émile Colling (NDLR : conseiller communal, ministre, ambassadeur au Vatican. Voir à son propos ses mémoires, Den Dokter vun der Grënz, éditées par le Rotary Club d'Esch-sur-Alzette). Pendant de longues années, Othon Schockmel a dirigé l'association.
Je me souviens des voyages et excursions organisées à la fin de l'année scolaire, par exemple à Reims, à Vaucouleurs.
Temporairement, malencontreusement, une rivalité a existé avec une association créée par un groupe dissident, mais ces deux groupes se sont réunis à nouveau.
Votre mère vous a-t-elle profondément marquée?
Elle m'a donné la leçon du volontariat. Les voyages aux colonies de vacances de la Mission catholique italienne ont marqué plusieurs générations. Elle pratiquait beaucoup de sports : la gymnastique (dans l'association Les Eschois), l'escrime et la natation. Elle avait obtenu un diplôme de monitrice en 1935. Elle n'a pas pu être championne du Luxembourg (en gymnastique artistique) à cause de sa nationalité italienne, bien qu'elle soit née au Luxembourg.
Le consulat d'Italie à Esch-sur-Alzette avait chargé ma mère de donner des cours du soir de français, puisque le luxembourgeois était jugé trop difficile pour les ouvriers italiens. Comme l'État italien n'avait jamais d'argent, ces cours étaient mal payés et avec plusieurs mois de retard.
J'ai remplacé ma mère plusieurs fois et je me suis rendu compte de sa solidité et de son endurance. Calme, équilibrée, très tolérante, toujours très active, elle a été pour moi un modèle à suivre!
Comment pour vous l'histoire familiale se confond-elle avec celle de l'immigration italienne?
Ma grand-mère, Luigia Vaccaroli-Moia, disait que "nous avons ici au pays le droit de travailler, mais pas de dire notre opinion".
Elle s'intéressait à la politique et lisait chaque jour les journaux, jusqu'à 96 ans. Les caricatures de Simon l'amusaient beaucoup. Elle regrettait de ne pas avoir le droit de vote, dont elle a bénéficié seulement à l'âge de 93 ans.
Elle a mis son chapeau et je l'ai accompagnée pour monter au premier étage de l'école du Brill. Une photo d'elle avait été publiée dans le Républicain lorrain et a été reproduite dans le livre de Benito Gallo. Le matin, à la première messe, elle mettait le foulard, après 10 h lorsqu'on sortait, c'était le chapeau, et le soir pour les vêpres, elle mettait le foulard.
Je n'ai pas connu mon grand-père paternel qui était instituteur à Niederkorn et organiste à Differdange, où il allait chaque matin à pied, car il ne s'entendait pas avec le curé de Niederkorn qui habitait dans la même maison que celle où il occupait un logement de service. Au début du siècle passé, Jean Kerg donnait des cours du soir d'italien à Differdange, lui qui n'avait jamais mis un pied en Italie. Je pense qu'il faisait partie de ces Luxembourgeois qui avaient des sympathies pour les Italiens.
Ma grand-mère Marguerite Kerg-Tresch - comme beaucoup d'autres Luxembourgeois à l'époque - pensait que son fils Théo, professeur, avait fait une mésalliance en épousant son enseignante d'italien, ma mère, car pour cette Luxembourgeoise "de bonne famille", les Italiens n'étaient pas à la hauteur des Luxembourgeois.
Encore en 1990, pour nos enquêtes auprès des descendants d'Italiens pour le livre du père Gallo, certaines personnes nous ont répondu qu'elles n'avaient rien à faire avec "ceux-là" et disaient : "Nous sommes des Luxembourgeois." À Luxembourg, on a même plusieurs fois claqué la porte au nez du père Gallo.
Comment expliquez-vous ce refus de reconnaître les origines?
J'ai remarqué pendant ces enquêtes que les Italiens qui s'intéressaient à la politique - et ce n'était pas la majorité - avaient souvent été communistes ou anarchistes en venant au pays, mais au fur et à mesure qu'ils se sont enrichis par leur travail assidu, ils ont changé d'opinion.
Il n'y avait pas seulement des anarchistes et des communistes parmi les immigrés!
Après la guerre, les Italiens ont vu leurs biens placés sous séquestre. Un véritable tabou. On n'en parle jamais!
Il y avait des Italiens qui ont fait fortune, comme les Poggi ou Achille Giorgetti. Ils ont été malmenés par des jaloux qui se sont arrogé le droit de les juger. On a aussi terriblement chicané le curé italien. Il y a eu des règlements de comptes. Au Luxembourg, c'était en quelque sorte la loi du Far West qui régnait après la guerre.
J'ai toujours senti pendant la guerre qu'on avait peur à la maison et que le silence était de mise. Mais cette peur a continué après la guerre, surtout que mon oncle, enrôlé dans l'armée italienne - n'était pas revenu de Russie. La famille a appris seulement cinquante ans plus tard qu'il était mort prisonnier, près de Tambov.
Que signifie ce mélange entre les cultures italienne et luxembourgeoise, pour vous?
Je suis Luxembourgeoise, à part entière.
Faire passer les Italiens pour des sauvages - des "Biren" - m'a toujours profondément choquée.
C'était une flagrante injustice, car à la maison on chantait avec la radio les airs d'opéras italiens; j'étais entourée de livres d'art italiens, de revues qui dataient d'avant-guerre comme Stile, des illustrées avec des vues d'Italie, de ses monuments, etc.
Mon père écrivait des articles sur l'histoire de l'art et l'art au Luxembourg, en particulier sur l'architecture et les styles architecturaux.
Justement, y a-t-il des souvenirs de votre enfance précis que vous avez gardés de votre père?
Mon père s'est marié en 1940 et nous sommes deux enfants. Il a dû se plier aux exigences de l'époque pour pouvoir garder son poste de professeur de dessin. Pour comprendre cela, à l'époque, j'étais trop jeune.
En ce qui concerne l'art, de l'abstrait il a dû se remettre au figuratif. Comme tout était contrôlé, les enseignants commençaient à manquer dans les lycées et on lui a imposé des cours de langue et même des leçons de mathématiques, ce qu'il détestait, d'ailleurs, et ma mère a dû corriger les devoirs.
Sur un coup de tête, il a donné sa démission, dont la première n'a pas été acceptée. Ce n'est qu'à sa 2e demande en 1943, qu'il a quitté définitivement l'enseignement. Ainsi, il perdait son droit à la pension, car il n'avait pas accompli dix années de service.
Il a acheté une maison à Biwels et voulait être artiste libre avec une ferme à côté. Cela n'était pas du goût de ma mère, car elle n'avait pas la moindre idée de la vie paysanne.
À cette époque, mon père peignait des fermes à travers le pays, ce qui lui permettait de recevoir pour sa famille des vivres par les paysans qui lui achetaient ses tableaux.
Dans le village de Biwels, on nous considérait avec beaucoup de méfiance : une Italienne et un artiste dans l'Oesling, cela était considéré comme suspect. Lors de la bataille des Ardennes, nous avons fui chez nos grands-parents à Esch. Nous n'avons pas eu droit aux dommages de guerre, alors que la maison avait été détruite; mais aussi, tout avait été volé. Ma mère ne possédait que les vêtements qu'elle portait sur elle.
De la guerre, j'ai encore le souvenir d'avoir entendu un jour un mot qu'on chuchotait en famille. J'ai demandé à ma mère ce que signifiait "KZ". Elle m'a supplié de ne plus jamais répéter ce mot.
Après la guerre, j'ai visité avec ma classe de l'école primaire une exposition au sujet des camps. C'était à l'hôtel de ville de Luxembourg, en compagnie d'Ed. Barbel, qui avait été interné dans un camp. J'ai été terriblement choquée, et j'ai finalement compris les horreurs de cette terrible guerre.
Vous êtes observatrice du monde de l'art, au Luxembourg.
Je pense que le moment est venu de parler de Joseph-Emile Muller, un autodidacte qui s'est hissé après-guerre au poste clé de directeur de la section des arts de notre musée. J'ai beaucoup apprécié ses exposés et conférences sur la peinture. Ses dadas étaient Kutter et l'école de Paris.
Les problèmes avec mon père remontent avant la guerre. Mon père l'avait un jour corrigé et à partir de ce temps-là, il l'a traqué non pas sur le terrain de l'art - ce qui lui aurait été difficile - mais par le biais de la politique, ce qui était très facile à l'époque.
Lorsque mon père organisait une grande exposition à l'étranger, Joseph-Emile Muller s'est empressé de la faire fermer, et cela jusqu'à la mort de mon père. Autant d'endurance pour persécuter les gens est quand même extraordinaire.
Tout cela est arrivé également aux personnes qui avaient travaillé lors de l'Exposition universelle avec mon père. Il a blessé bien des artistes luxembourgeois comme Th. Kolbach (médaille d'or de la ville de Bruxelles), Foni Tissen, Dillenburg, et bien d'autres, en les écartant du musée.
J'ai un avis très personnel : en dépensant tant d'énergie pour ses règlements de comptes, il a raté l'occasion de créer un musée pour nos artistes luxembourgeois; il a complètement raté l'occasion d'enrichir le musée d'œuvres importantes internationales après la guerre, donc à une époque où les tableaux étaient "bon marché". Un expert devrait avoir le flair d'acheter des œuvres avant que les prix ne montent. Je pense qu'il n'avait aucune vision du futur pour sa collection du musée, à part l'école de Paris.
Vous avez été préoccupée par l'affaire de la Casa d'Italia à Esch!
Il me tient à cœur de rectifier ce que la presse a écrit au sujet de la Casa d'Italia : ce ne sont pas des Italiens bénévoles qui l'ont construite. Cela vaut seulement pour la chapelle de la mission catholique d'Esch. Mon grand-père, Carlo Vaccaroli, comme beaucoup d'autres Italiens du métier, y avait participé.
Le terrain avait été vendu à un prix avantageux par la famille de ma grand-mère à l'État italien et la construction a été faite toujours à des prix avantageux, mais toujours payée par l'État italien.
Lorsque des travaux de restauration ont été nécessaires par la suite, et faute de moyens budgétaires, on a trouvé des bénévoles, mais seulement bien plus tard.
Une dernière question : que pensez-vous de la politique du cavaliere Berlusconi?
Je ne puis prendre cela très au sérieux. En Italie, je ne rencontre personne qui avoue lui avoir donné ses voix. J'admire la façon dont les Italiens parviennent toujours à tirer leur épingle du jeu. 

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