Sébastien Chabal a marqué le rugby français comme peu l’ont fait avant lui, il a donné à son sport une incroyable dimension auprès du grand public et ça vaut bien une statue de cire (après tout, on en connait de bien moins méritants qui sont en bien place au musée Grévin). Chabal symbolise le rugby français aujourd’hui, il est le « Zidane » de l’Ovale, ce qui finalement pose un sacré problème d’identité au pays du « French Flair ».
Tant de combats pour faire vivre le rugby d’attaque, tant d’histoires d’un rugby offensif flamboyant transmises de génération en génération, d’essais venus de nulle part et d’essais du bout du monde, tant d’heures passées à refaire et à défaire le rugby d’attaque sur le coin d’un bar, à mimer les surnombres et les cadrages débordements, tant d’après-midis dans les écoles de rugby à apprendre l’art d’exploiter un surnombre et les espaces, à bouffer du deux contre un et du trois contre deux, tant d’images de ce rugby que l’on cultive depuis un siècle, tant de héros de ce jeu élevés au statut de légendes, de Jean Dauger à Yannick Jauzion en passant par les frères Bonifaces, Jo Maso, Didier Codorniou, Serge Blanco ou Philippe Sella…Tout ça pour ça. Voilà… aujourd’hui le rugby français, c’est Chabal et ce sont les casques pour les enfants le mercredi après-midi.
Un combat dépassé ? Une nostalgie mal venue ? Peut-être… Le rugby se mondialise et s’uniformise. Le rugby reste un combat dans lequel la dimension physique est une composante essentielle. Et il faut bien de solides « déménageurs de piano » pour que certains en jouent avec talent. Mais je me dis que l’équipe de France ne remportera jamais la Coupe du monde, si elle ne cultive pas sa différence, son identité de jeu. En faisant de Sébastien Chabal son étendard, le rugby français a pris un raccourci risqué ces dernières années. Celui d’aller défier les nations de l’hémisphère sud ou l’Angleterre sur ce qui a souvent fait leur supériorité sur le rugby français.
Après tout, Chabal reste un joueur hors norme, sa force de bras, sa violence à l’impact, sa vitesse et sa puissance sont de sérieux atouts. Au point d’en faire quasiment un héros de dessins animés. Mais ses dispositions physiques sont-elles toujours aussi décisives que par la passé dans un rugby où les super costauds sont de plus en plus nombreux?
Je garde en mémoire un fait de jeu mémorable quand tout jeune troisième ligne aile de Bourgoin, il avait croisé la route du « cubique » talonneur samoan Trevor Leota. C’était à l’occasion d’un match contre les Wasps quand ils jouaient encore sur le terrain des Queens Park Rangers. C’était en Coupe d’Europe et la collision entre les deux joueurs avait fait grand bruit… dans le stade et dans les mémoires. Certains en parlent encore (j’en suis). Chabal n’était pas encore Chabal mais déjà le début d’un phénomène. Ce joueur capable d’allier vitesse et puissance d’une façon assez exceptionnelle.
Depuis sa barbe et ses cheveux ont poussé, deux ou trois percussions d’anthologie ont fait le buzz sur internet, et l’avant du Racing est devenu en quelque sorte l’un des meilleurs arguments publicitaires du rugby français. Un produit d’appel. Un fils de pub. Il affirme, et on le croit bien volontiers, n’avoir jamais cherché ce statut, mais il faut bien se rendre à l’évidence aujourd’hui : on le voit un peu près partout. Plus efficace à vanter les mérites d’une voiture, d’un contrat d’assurance ou d’un réseau de jeu de poker en ligne, qu’à se montrer décisif avec l’équipe de France comme les quelques minutes passées sur la pelouse de Lansdowne Road (pardon l’Aviva Stadium) il y a deux semaines. Il engrange, tant mieux pour lui. Voilà un des rares joueurs qui sera véritablement à l’abri à l’issu de sa carrière professionnelle.
Quelques cheveux blancs sont apparus également et les odeurs d’écurie commencent à se faire sentir. Moins décisif à l’impact, ce sont ses manques techniques et dans la lecture du jeu qui commencent à prendre le dessus si l’on en juge ses dernières sorties internationales cette saison. Il y a un décalage entre sa notoriété en dehors du terrain et son impact au sein du Quinze de France.
C’est pourquoi il joue très gros samedi à Twickenham, dans sa position préférée : numéro huit. On se rappelle qu’il y a deux ans l’expérience en troisième ligne aile avait tourné au fiasco. Personne n’a oublié ce qui avait été écrit le lendemain dans L’Equipe par Pierre-Michel Bonnot. En résumé : « la place de Chabal n’est ni en deuxième ligne ni en troisième ligne ni même sur le banc, mais derrière les abribus ». Ce nouveau rendez-vous face au Quinze d’Angleterre dans le temple de Twickenham prend donc une dimension particulière pour le « Caveman ».
Est-il toujours incontournable pour la sélection nationale ? Est-il indiscutable en vue de
la prochaine Coupe du monde ? Peut-il s’inscrire dans un projet de jeu ambitieux pour le Quinze de France ? Reste-t-il simplement un joueur d’impact dédié à la dernière demi-heure de jeu ? Est-il prêt à endurer la critique qui va s’abattre en cas de nouvel échec ? Ou a-t-il tout simplement fait son temps comme cela arrive un jour à tous les joueurs ? Après tout, certains qui ont beaucoup donné en équipe de France, comme Betsen, continuent de s’éclater en club, ce qui serait une très bonne nouvelle pour le Racing si dans un avenir pas si lointain, Chabal devait imiter l’ancien avant-aile de Biarritz. Beaucoup de questions en somme mais une certitude : Sébastien Chabal doit sortir une très grande performance samedi à Twickenham. Sa chance c’est peut-être que dans le défi ultra physique qui attend les Français face aux Anglais, il trouve matière à s’exprimer à grands coups de plaquages dévastateurs et avec une omniprésence dans les rucks pour poser ses solides paluches sur le ballon. Prouver qu’il n’est pas fini et que sa place n’est pas encore définitivement au Musée Grévin où il vient d’être immortalisé depuis le 18 février. Sinon ça risque bien de sentir pour de bon la cire et le sapin… J.S