Certains doutaient de sa capacité à réaffirmer fermement les grands principes juridiques de la démocratie française, le Conseil constitutionnel leur aura infligé un démenti vigoureux et vivifiant à travers sa décision du 10 mars 2011 sur le recours engagé contre la loi LOPPSI II.
Ce n’est pas une première. On se souvient de la rigueur de la référence à l’articule 16 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 pour qui toute décision de justice doit être susceptible de recours pour condamner la loi portant ratification de l’accord franco-roumain qui permettait au procureur de la République d’expulser des enfants roumains. Le camouflet avait été cinglant . « Le Monde » sous la plume de Patrick Roger est trop gentil en parlant dans sa livraison du 12 mars 2011 de « sévère réprimande » infligée au gouvernement et à sa majorité. On n’a jamais vu autant de dispositions d’un texte tenu pour majeur, longuement débattu au parlement où siège nous dit-on autant d’éminents juristes, être autant vidé de son contenu, dépecé, éparpillé façon puzzle comme dirait l’Audiard des « Tontons flingueurs ». Au point où c’est bien une orientation politique, celle dégagée dans le discours « fondateur » de Grenoble du 31 juillet 2010 sur la sécurité, qui est désavouée dès lors qu’elle faisait fi de notre cadre juridique et institutionnel. En tout cas, le Conseil ne cède pas : la fin ne saurait justifier les moyens.
Comment pouvait-on en douter de l’intérieur de l’appareil d’Etat en observant sa composition ? Il est difficile de revenir en détail sur cette décision majeure. Je m’attacherai donc aux dispositions concernant les moins de 18 ans quand il y a à peine 10 jours, l’encre de LOPPSI II étant à peine sèche et la décision du Conseil constitutionnel n’ayant pas encore été rendue, le gouvernement, pour répondre à la dernière commande du président de la République, annonçait une nouvelle couche de reforme (conf. mon précédent post)
Ainsi le Conseil condamne l’extension du dispositif de peines-planchers au moins de 18 ans non reitérants. Cette mesure revenait à priver les tribunaux pour enfants de leur liberté d’appréciation et à les empêcher de rechercher un sur-mesure indispensable non seulement à la prise en compte de la personnalité de l’enfant-auteur d’infraction, mais à la protection réelle de la société. Le Conseil a vu dans la généralisation votée par le parlement « une atteinte au principe de la spécificité de la justice pénale des mineurs et à sa finalité éducative ». L’essentiel de la censure vise le projet de la comparution immédiate pour les mineurs devant le tribunal pour enfants. L’introduction du « flagrant délit » était porteur de la contradiction même avec ce même principe constitutionnel qui veut que le temps de l’instruction soit mis à profit pour s’attacher à transformer la personne du jeune délinquant grâce à une démarche éducative. Comment peut-on imaginer que le seul fait d’infliger une peine, ou de menacer de l’infliger, puisse éradiquer ce qu’il est à l’origine d’une comportement asocial ? Le temps de l’instruction n’est pas du temps perdu, mais donne l’occasion de travailler la situation. L’utopie - souvent réalité - est bien qu’au moment du jugement le jeune ne soit plus le délinquant qu’il était. Dans l’intérêt général ! Depuis 1995, à coups de réformes successives, les partisans de la méthode dure ont eu le souci de
- limiter la capacité d’appréciation des juges (obligation de renvoyer devant le juge des enfants le jeune de 16-18 ans qui encourt 7 ans de prison, application des peines-plancher aux récidivistes, excuse de minorité vidée de son contenu pour les 16-18 ans);
- forcer l’agenda du juge en convoquant un jeune à telle date ou en demandant sous le contrôle de la cour d’appel qu’il soit jugé dans un délai de 1 à 3 mois;
- contourner le juge en saisissant directement le tribunal pour enfants grâce à la procédure de présentation immédiate qui permet le prononcé rapide d’une peine de prison rapide sauf à observer un délai d’un mois auquel le jeune, avec l’accord de ses parents et de son conseil peut renoncer pour être jugé à la première audience utile. Et ne parlons pas du recours au déférement – un cas sur 2 à Bobigny - au sortir de la garde à vue pour être présenté à un juge des enfants ou à un juge d’instruction et si nécessaire être incarcéré provisoirement.
Clairement les tenants de la majorité parlementaire se méfie des juges tenus comme laxistes, mais surtout ils ne croient pas aux capacités du travail social pour désengluer un jeune de sa délinquance. La comparution immédiate était au cœur du projet de réforme porté par la commission Varinard de 2008 et du projet de code de justice pénale pour les mineurs encalminé du fait des incertitudes sur la réforme de l’instruction et des interrogations sur le statut du parquet. Laisser passer LOPPSI II sur ce point revenait à entériner la disposition phare de la révolution à laquelle la justice des mineurs est vouée qui supprime l‘instruction obligatoire au nom du « Juger vite pour juger fort ». Le Conseil Constitutionnel l’a parfaitement compris qui frappe un grand coup sur la table.
La censure de cette disposition est d’autant plus importante que le Garde des Sceaux s’apprêtait à l’étendre en supprimant toute conditions liées à l’âge, à la réitération ou à la gravité de l’infraction. Une disposition a trouvé grâce aux yeux du Conseil : celle qui veut que le juge des enfants - et non le préfet come cela était initialement proposé par le gouvernement - puisse imposer à tel jeune un couvre-feu en lui interdisant d’être dehors après une certaine heure. Pour prendre une mesure de ce type depuis longtemps nsle cadre des règles sur le contrôle judiciaire d’ores et déjà applicables - j’interdis au jeune de sortir de chez lui après 19 heures sans l’accord de ses parents sur les lieux et personnes visitées et heure de retour, voire je lui interdis toute sortie nocturne - je ne peux que me réjouir de voir cette disposition explicitement reprise !
On se réjouira encore de la condamnation de l’introduction de la responsabilité pénale du fait d’autrui quand le législateur sur proposition de M. Ciotti n’avait pas hésité à décider que les parents pourraient être punis, pas seulement au portefeuille des allocations familiales, mais du fait de leur enfant qui désobéissait au juge. Pourquoi alors ne pas avoir proposé de punir le juge lui-même incapable de se faire respecter ou le procureur pas insuffisamment autoritaire, sinon le ministre de la justice pour n’avoir pas réuni les moyens à donner aux juges pour qu’ils soient performants ? Avec l’introduction de la responsabilité pénale du fait d’autrui une brèche liberticide aurait pu s’ouvrir. A juste titre, le Conseil Constitutionnel y a coupé court. Il reste maintenant au gouvernement à digérer la claque majeure qui vient de lui être infligée et qu’apparemment il n’avait pas vu venir si l’on s’en tient à ses annonces du 3 mars. Il lui revient d’en tirer les conséquences et désormais de bien vouloir être plus prudent, sauf à vouloir pratiquer les effets d’annonce. Il lui faut notemment renoncer à cette idée farfelue de tribunal correctionnel pour les 16 ans et plus où ne siégérait qu’un juge des enfants. Là encore ce serait violer la spécificité de la justice pénale des mineurs et risquer la censure. M. Estrosi peut reprendre sa propositon de loi visant à abaisser la majorité pénale à 16 ans : elle ne passera pas la Seine !!!!
Pour avoir avancé voici des années avec le Bâtonnier Marcus mes inquiétudes à l’égard du projet formé par le ministère de l’intérieur de faire rendre la justice dans les aérogares à l’égard des personnes, adultes et enfants, en infraction avec les lois civiles sur le séjour, je me réjouis également de voir le Conseil Constitutionnel ne pas accepter cette disposition introduite dans LOPPSI II. Pas question d’installer des tribunaux dans les zones d’attente même si formellement on y crée des enceintes judicaires. La justice se rend dans le palais de justice adossée au contrôle du peuple français au nom duquel elle est rendue et non devant les trois clampins qui peuvent passer dans la zone de Zapi III de Roissy. La défense, ce n’est pas seulement un avocat fut-ce le plus brillant, mais un défenseur lui-même adossé à son Barreau et a ses confrères capables de le soutenir moralement ou physiquement par leur présence. Il fallait que cela soit dit et réaffirmé avec solennité. C’est fait. Décidément le Conseil Constitutionnel fait souffler sur ce pays dans une période morose un vent de liberté. La révolution du jasmin ne serait-elle pas passée de l’autre côté de la méditerranée ?
Le parfum est bon à humer et est de nature à remonter le moral des certains pisse-froids. Certains combats ne sont pas toujours perdus.
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