07 mars 2011

On saura mardi à 13h30 ce qu’il advient du procès de Jacques Chirac. Le président Dominique Pauthe a renvoyé à cette date le délibéré du tribunal sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), soutenue par Me Jean-Yves Le Borgne.

Le procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin - qui était venu personnellement à l’audience justifier les réquisitions de relaxe qu’il entend prononcer en faveur de Jacques Chirac - et la plupart des avocats des prévenus ,se sont associés à la demande de Me Le Borgne de saisir la Cour de cassation.

Parmi toutes les hypothèses possibles, deux apparaissent plus solides.

La première est celle d’un renvoi du procès si le tribunal estime que la QPC présente un caractère sérieux et nouveau et décide de saisir la cour de cassation. En attendant que celle-ci se prononce sur l’opportunité de transmettre la question au Conseil constitutionnel, le tribunal suspend les débats.

La Cour dispose d’un délai de trois mois pour répondre mais elle a parfois montré qu’elle pouvait se prononcer plus rapidement.

La seconde est plus subtile. L’ancien président de la République est renvoyé dans deux dossiers, celui des sept emplois fictifs de Nanterre - dans lequel il comparaît seul pour “prise illégale d’intérêt” - et celui de Paris, dans lequel il est poursuivi aux côtés de neuf autres prévenus pour vingt-et-un emplois.

A plusieurs reprises, pendant l’audience, le président Dominique Pauthe a rappelé que ces deux dossiers n’ont pas encore été joints et que la QPC de Me Le Borgne ne porte que sur le dossier de Paris. Techniquement, rien n’empêcherait donc le tribunal d’annoncer mardi qu’il a saisi la Cour de cassation de la QPC de Me Le Borgne et d’ouvrir aussitôt les débats sur le seul volet de Nanterre en attendant la réponse de la plus haute juridiction.

Dans cette hypothèse, Jacques Chirac devrait venir s’expliquer très vite devant les juges. Peut-être même dès mercredi. Son avocat, Me Jean Veil, a déjà anticipé cette convocation. Ce dossier de Nanterre est, pour l’ancien président, un dossier périlleux. C’est en effet sur ces même sept emplois que l’ancien secrétaire général du RPR, Alain Juppé, a été condamné à quatorze mois d’emprisonnement avec sursis et à un an d’inéligbilité.

Procès de Jacques Chirac, le droit et la voix

L'avocat Jean-Yves Le Borgne

Jean-Yves Le Borgne, disent les connaisseurs, a la plus belle voix du barreau de Paris. L’avocat de Rémy Chardon se sait attendu, puisque depuis quelques jours, chacun sait que le sort du procès de Jacques Chirac est lié à celui qui sera réservé à la question prioritaire de constitutionnalité qu’il a déposée devant le tribunal.

Il s’est donc levé pour, dit-il, soulever une “question procédurâââle…”

Avant d’entrer dans le fond du sujet sur la question de la prescription des délits et sur la connexité qui permet de contourner cette prescription, Me Le Borgne a tenu à livrer un avertissement, moins à l’intention du tribunal que du public.

- S’il y a un principe démocratique qui veut que le procès ait lieu, il y a aussi une exigence: celle de la défense pleine et entière de ceux auxquels on demande des comptes. J’ai entendu qu’on voyait là je ne sais quel stratagème pour gagner du temps. Là n’est pas la question.

Il est normal que la dimension romanesque d’un procès fasse naître des réactions passionnelles. Il est normal, quand le contexte est aussi politiquement connoté, que cette passion soit encore plus forte.

Mais je pense qu’il est nécessaire, Monsieur le président, Mesdames du tribunal que vous ayez la haute main sur cette procédure judiciaire sans vous troubler des bruits de la rue. 

En trente minutes pendant lesquelles la voix de Me Le Borgne a peut-être été plus écoutée que les mots qu’elle portait, il a soutenu la nécessité dans laquelle le tribunal se trouve de transmettre à la Cour de cassation sa QPC, afin que celle-ci soit ensuite tranchée par le Conseil constitutionnel.

- Il existe un principe fondamental, qui est celui du droit à l’oubli. La prescription de l’action publique est un principe constitutionnel, et j’entends que mon client, Rémy Chardon, en bénéficie.

Chacun a substitué un autre nom.

(Crédit photo : AFP PHOTO BERTRAND GUAY)

Procès de Jacques Chirac, un si grand calme

Quel étrange moment! Les uns après les autres, les avocats entrent dans la première chambre du tribunal correctionnel où s’ouvre, ce lundi 7 mars, le procès de Jacques Chirac. L’atmopshère est étrangement calme. On ne sent pas ce frissson, cette tension qui souvent précèdent le lever de rideau des grands procès.

Les bancs de la presse sont combles, ceux du public, à moitié vides. L’élu parisien écologiste Yves Contassot est arrivé parmi les premiers. Au conseil municipal d’octobre 2010, il a voté contre le protocole d’accord par lequel la Ville de Paris a retiré sa constitution de partie civile en échange de l’indemnisation complète de son préjudice par l’UMP et par Jacques Chirac.

Les prévenus s’assoient les uns après les autres sur des chaises capitonnées. Leur nom a été inscrit dessus. Michel Roussin a pris place au premier rang, à côté de l’autre ancien directeur de cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris, Rémy Chardon. Le nom de l’ancien président de la République ne figure sur aucune chaise.

La sonnerie résonne, le tribunal entre, reste quelques secondes debout.

Puis le président Dominique Pauthe fait l’appel des prévenus.

- Jacques Chirac? Monsieur Jacques Chirac est…absent, constate-t-il.

- J’ai oublié son pouvoir, répond Me Jean Veil. Sourires dans la salle

Le président poursuit l’appel des prévenus. Puis il annonce qu’il va donner lecture des charges retenues contre eux.

- “Il est reproché à Jacques Chirac d’avoir à Paris…”.Suit la liste des 28 emplois pour lesquels l’ancien chef de l’Etat est poursuivi pour abus de confiance, détournement de fonds et prise illégale d’intérêts.

10 février 2011

Policiers en civil et en tenue étaient répartis dans la salle d’audience lorsque la cour et les jurés sont entrés, à 16h40, après plus de quatre heures de délibéré. Pour la première fois depuis cinq semaines, trois hommes étaient dans le box. Amaury d’Harcourt avait pénétré le premier, suivi de Meziane Belkacem et de Jean-Michel Bissonnet.

Dans un silence de plomb, face à des avocats debout, le président Joël Mocaer a annoncé la condamnation de Jean-Michel Bissonnet à la peine de trente ans de réclusion criminelle pour avoir commandité le meurtre de sa femme, Bernadette. La cour et les jurés ont prononcé une peine de vingt ans contre Meziane Belkacem, qui avait reconnu être l’auteur de l’assassinat, et une peine de huit ans contre Amaury d’Harcourt, qui avait avoué avoir participé à la préparation de l’assassinat et avoir ensuite récupéré l’arme du crime.

Au prononcé du verdict, Jean-Michel Bissonnet a secoué la tête et s’est laissé tomber comme une masse sur le sol. Il a été aussitôt emporté par les gendarmes. “Justice de merde !”, “Ils feraient mieux de faire grève plutôt que de rendre des décisions de merde pareilles”, l’a-t-on entendu hurler après quelques minutes.

La salle s’est vidée et le silence est retombé sur deux fils figés face à une vérité judiciaire qui les écrase.

Au bout d’une demi-heure, les avocats de Jean-Michel Bissonnet ont annoncé que leur client faisait appel du verdict.

Affaire Bissonnet: “Me Leclerc, vous avez la parole”

Combien de fois a-t-il entendu ces mots là, prononcés dans un silence de plomb par un président de cour d’assises: “Me Leclerc, vous avez la parole”?

Combien de fois, comme ce jeudi 10 février, s’est-il levé en dernier pour plaider et défendre un homme?

Il y a trois mois, avec son associée Nathalie Senyk, et avec le bâtonnier de Montpellier Frédéric Verine, Henri Leclerc a accepté de relever le gant après la défection en pleine audience, des deux avocats de Jean-Michel Bissonnet. 

La salle est comble. De jeunes et de moins jeunes avocats sont assis dans les rangs du public, parce que quand un Henri Leclerc plaide, ses confrères viennent écouter, pour apprendre.

Dans le box, la place de Jean-Michel Bissonnet est restée vide, comme depuis deux jours. Ses avocats lui ont fait comprendre que l’on ne pouvait être absent pendant que des voix accusent et revenir pour celles qui défendent. Mais il est juste derrière, dans le couloir et il entend.

Me Leclerc parle.

- C’est un honneur d’être là, pas seulement parce que c’est un métier, pas seulement parce que c’est le sens d’une vie qui va vers les couleurs pastel de son couchant, mais parce que cet homme, je veux le défendre. Le défendre contre ceux qui veulent en faire un monstre. Le défendre, s’il le faut, contre lui-même.

Il se tourne vers les deux fils de Jean-Michel Bissonnet.

- Florent et Marc, je voulais vous dire que dans ce procès terrible, dans cette tragédie judiciaire, vous êtes les représentants les plus bouleversants de l’humanité.

Sur ces mots, sa voix s’est brisée et des larmes ont jailli. Henri Leclerc ferme les yeux pour les retenir. Se tend. Regarde la salle. Se retourne et plante ses yeux dans ceux des jurés et de la cour.

- Je suis dans une situation que je hais. La salle est pleine. On veut voir le ténor, on attend la vedette. Je me moque de tout cela. A cet instant, il n’y a que vous, mesdames et messieurs les jurés, monsieur le président, mesdames et messieurs de la cour, vous qui êtes juges et qui êtes tous à égalité. Je vais essayer de coller à la réalité. Je suis libre ici. L’avocat, il dit sa conviction. La seule chose qu’il n’a pas le droit de faire, c’est de mentir. Car s’il vous trompe, il n’est plus qu’un guignol, un ténor qui pousse son aria. 

De cette ligne, Me Henri Leclerc ne se départira pas. Alors oui, il va défendre Jean-Michel Bissonnet, au nom de ce que toute sa vie d’avocat, il a défendu: le respect de la présomption d’innocence, le droit de chacun à être entendu, pièce après pièce.

Il entre dans le dossier. Il fait le métier. S’emmêle parfois dans les dates, écorche de temps à autre les noms. Mais ce que l’on regarde à cet instant-là, c’est un avocat avec 55 ans de barreau, qui, une fois de plus, descend à la mine. Elle est profonde, elle est sombre, il y va, il essaie d’éclairer. De semer des graines de doute. Il dit: “Ce meurtre de Bernadette Bissonnet, on ne peut pas l’imputer avec certitude à son mari.”

Mais il ne va pas au-delà de ce que sa conscience d’avocat lui dicte. Il demande à la cour et aux jurés de “réfléchir avec leur raison et de faire leur intime conviction”. 

Il défend un homme, il n’est pas avocat pour en accabler deux autres. Ce que sa consœur de la partie civile, Me Raphaëlle Chalié a fait, au nom des deux fils de Jean-Michel Bissonnet , Me Leclerc, comme avant lui Nathalie Senyk, ne le fait pas.

C’est leur liberté et leur honneur d’avocats pénalistes et c’est toute la différence. Défendre, oui, mentir, non. Henri Leclerc l’avait promis, il s’y est tenu.

A 11H30, la cour et les jurés sont entrés en délibéré. Et a commencé l’attente.

09 février 2011

Vous n’aurez pas l’image, pas le visage aux longs cheveux blancs lissés en arrière et à la barbe tout aussi blanche, pas les sourcils en accent circonflexe sur des yeux qui ont beaucoup vu de la vie, pas les gestes souples, aussi doux que les mots, pas l’accent occitan, pas les intonations de la voix, tour à tour drôle, sévère, mais toujours profonde. Vous n’aurez que les mots notés aussi fidèlement que possible sur le carnet.

Encore une chose: la plaidoirie que vient de prononcer Me Gérard Christol, qui avec sa fille Iris, assure la défense de Meziane Belkacem, est le premier et le seul beau moment d’audience de ce procès qui dure depuis plus de quatre semaines. Qui n’a été que tension, incompréhension, haine et violence. Que l’on avait quitté la veille dans la colère après un réquisitoire indigne. Cela tient au talent d’un avocat, à son expérience, à sa stupéfiante liberté. En une heure et demie, Me Christol nous a réconciliés avec ce que l’on attend d’un procès d’assises: le juste, l’humain, la vie.

Ecoutez-le.

- Il aurait suffi d’un mot, d’un murmure, pour que tout prenne sa place. Il y a une explication à tout. Ça ne justifie rien, ça ne pardonne rien, mais ça explique. Bien sûr, il y aurait de la douleur. Mais chaque chose serait à sa place, dans la clarté. Ce mot ne viendra peut-être jamais.

Il se tourne vers la salle. Regarde les bancs du public où s’est massé le comité de soutien à Jean-Michel Bissonnet.

- Je suis peut-être plus ému par cette partie de la salle que par celle-ci [il montre le box]. Par ces gens qui ont leur conviction chevillée au corps. Il y a des choses indicibles, tellement difficiles à appréhender, que l’on dit “non”.

Eh bien, si. Dans cette salle d’assises, depuis 45 ans, je vois des choses qui, la veille, étaient impossibles. Une mère ne tue pas ses enfants? Si. Un père n’étrangle pas et n’éviscère pas ses enfants? Si.

L’humanité n’est pas faite que de cela, mais aussi de cela. Elle est faite d’albums photo merveilleux, aussi. Mais dans la vie, comme dans une maison, il n’y a pas que le salon, il y a aussi la cave et le grenier. Les amis de Jean-Michel Bissonnet sont restés dans le salon.

Je crois que ces amis sont sincères. Qu’ils croient ce qu’ils veulent croire. Parce qu’il leur est impossible de croire autre chose.

Mais faut-il rappeler ici que la grandeur d’un homme, c’est sa fragilité? Pas sa force, pas  son apparence, pas la façade!

Ce qui est terrifiant dans cette affaire, c’est que ces amis sont venus nous dire: on assemble les pièces du puzzle et ça ne colle pas. Si, ça colle. Oui, Jean-Michel Bissonnet a organisé l’assassinat de sa femme. Alors, eux, ils préfèrent jeter le puzzle.

Je n’ai pas besoin de lire les 35.000 pages du dossier. J’ai une conviction qui est assise sur ce que je sais des choses de la vie. Du mal et de la capacité que l’on a à le nier.

Il se tourne vers Amaury d’Harcourt.

- Il était un jour un personnage sorti d’une bande dessinée. Lui, contrairement à Jean-Michel Bissonnet et à Meziane Belkacem qui ont des points communs extraordinaires, qui doivent monter, réussir, faire une carrière, avoir de l’argent, lui, eh bien, il ne rêve que de descendre. Des héros, des généraux, des maréchaux, il a tout cela dans ses ascendants. Il épouse une première femme somptueusement belle et richissime. Il la quitte. Il n’en a rien à faire.

Il n’est pas né pour assumer des responsabilités. Parce que, dans une famille comme la sienne, c’est l’aîné qui assume. Il est le cadet.

Alors, ce  sera l’Afrique, la transgression, les femmes, beaucoup de femmes, chercheur d’or, enregistreur de musique subsaharienne, c’est quand même mieux que de prendre le thé à Chambord!

Amaury d’Harcourt ne vit que pour la jouissance et pour séduction. Celle qu’il opère sur les autres - sans doute un peu plus hier qu’aujourd’hui - et celle que les autres exercent sur lui. On lui prête des mobiles d’argent? Mais c’est totalement le méconnaître!

Imaginer, comme on a tenté de vous le faire croire, qu’un jour, un Meziane Belkacem en colère parce que Jean-Michel Bissonnet lui aurait refusé un prêt, se serait tourné vers le vicomte pour lui demander: “et vous, vous ne me feriez pas un prêt”, c’est à peu près comme si, à Versailles, un jardinier croisant Louis XV, lui demandait: “t’as pas cent balles?”.

Cet homme, ce vicomte, Bernadette Bissonnet ne l’aime pas. Parce que, entre eux, c’est l’incompréhension absolue. Ce n’est pas tant parce qu’elle craint que son mari ne lui donne trop d’argent! Elle connaît suffisamment son mari pour savoir qu’il ne donne que ce qu’il peut récupérer. Certes, il peut donner au Rotary pour acheter des lunettes à un aveugle, mais ça ne va pas plus loin!

Ce que cette femme a compris, c’est que Amaury d’Harcourt donne à son mari le superflu. Ce superflu qui est l’essentiel. Elle ne veut pas chez elle de cet être indéfinissable, approximatif, qui avait tout et qui n’a plus rien. Parce que ça, pour Bernadette Bissonnet, c’est suspect! On ne peut pas faire partie des trois plus grandes familles de France et s’habiller en pantalon de gardian, rouler dans une petite voiture qui a cent ans, habiter non pas dans le château familial mais dans les dépendances réservées au fermier et préférer à la fortune un déjeuner avec une ravissante créature à laquelle on offre un cuissot de marcassin.

Pour l’âme rationnelle de Bernadette Bissonnet, tout cela c’est impossible.

Et puis, il y a Jean-Michel Bissonnet. Cet homme qui, grâce à son travail, son courage, sa méticulosité, sa rigueur, est arrivé là où il le souhaitait. Avec les conseils avisés de sa femme et sous le regard - et ce n’est pas rien - du père de Bernadette, Pierre Juan. Lui qui n’aurait pas supporté l’idée d’un divorce. Pour l’avoir fait, le frère de Bernadette en sait quelque chose. Parce que, comme cela a été dit ici, “chez les Juan, on ne divorce pas”.

A partir de là, toutes les portes sont fermées à Jean-Michel Bissonnet. Celles des petites fantaisies, de l’adultère, des cabrioles diverses et variées que des épouses souvent plus compréhensives laissent faire. Je ne crois pas que ce soit le cas de Bernadette Bissonnet.

Soyons clair, je ne voudrais blesser personne. Mais Jean-Michel Bissonnet a été dominé toute sa vie par une maîtresse femme remarquable.

Il dirige les sociétés. Mais c’est elle qui fait les comptes au crayon de papier. Bien sûr qu’il ne va pas dire que ça lui pèse. Quand il va à la chasse avec son ami le samedi, il ne reste pas pour l’apéro, ni pour le déjeuner. Il rentre déjeuner à la maison avec Bernadette et les enfants. Bien sûr qu’il va vous dire que c’est pour ses enfants, que c’est son bonheur. Peut-il dire autre chose?

Vous ne m’entendrez pas dire que Jean-Michel Bissonnet détestait sa femme. Il avait pour elle de l’admiration, énormément d’admiration. Mais il y avait ce petit espace qui lui manquait. Car chez les Bissonnet, rien ne devait clocher, la maisonnée devait être intacte, sous l’œil du grand-père et des enfants. Il y a même eu ici, un ami de Jean-Michel Bissonnet qui est venu vous dire que leur couple était à l’image de leur jardin, impeccable et magnifique…

Et le divorce est impossible. Voyez-vous, depuis trois ans, j’entends des gens dire: “mais cette affaire n’est pas compréhensible. Il suffisait de divorcer, le divorce, c’est simple”.

Non, le divorce ce n’est pas simple. Quand il faut dire à des enfants que l’on aime, je m’en vais. Quand il faut dire à M. Juan père, votre fille est merveilleuse, le lit que je partage avec elle est merveilleux, mais je m’en vais. Vous croyez que c’est simple? Que c’est facile? Quand il va falloir affronter le regard des amis qui estiment tous que Bernadette Bissonnet est une femme exceptionnelle et qui vont dire: “Mais Jean-Michel, tu es fou? on ne quitte pas Bernadette! Et as-tu pensé à tes enfants!”

Pour moi, ce mobile-là, il est beaucoup plus important que l’argent qu’il aurait craint de perdre dans un divorce.

Dans la vie, comme dans les maisons, il faut des fenêtres, pour que l’air circule un peu. Cet air, Jean-Michel Bissonnet va le trouver sur internet, les sites sado-maso, Meetic, pour rêver d’éventuelles rencontres.  Quelle tristesse! Songer que cet homme n’a même pas une secrétaire à Paris qui ne serait pas seulement une secrétaire, comme cela arrive à tout le monde!

Alors, les choses vont commencer à mûrir. Lentement. Jean-Michel Bissonnet va dire de temps à autre, sur le ton de la boutade: “ma femme, je vais la tuer”. C’est virtuel, mais c’est dit.

Et puis, il va en parler à Meziane Belkacem. “Tu connaîtrais pas quelqu’un qui pourrait faire un contrat?”. C’est n’importe quoi, mais c’est encore dit. Ah, il n’en parle pas aux amis du Rotary, bien sûr! Il en parle à Amaury d’Harcourt. Et celui-là lui répond: “tu n’as qu’à divorcer”. Comment pourrait-il comprendre, Amaury d’Harcourt, qui a divorcé trois fois, que pour Jean-Michel Bissonnet, le divorce est impossible?

Et les choses se sont accélérées. On arrive au 11 mars. Jean-Michel Bissonnet a rêvé la disparition de sa femme à laquelle il n’aurait aucune part. Il va imaginer un scénario dans lequel il ne serait pas. La pièce se joue sur une scène, avec l’exécutant, Meziane Belkacem et l’instructeur, Amaury d’Harcourt et lui, il est dans la salle. Il veut à tout prix cette mise à distance. Car il ne déteste pas assez sa femme pour être en première ligne.

Alors oui, tout est allé très vite. Parce que si on avait laissé passer les heures, l’assassinat n’aurait pas eu lieu. Parce que quand on roule très vite sur une route bordée de platanes, on ne voit pas les platanes. Mais si on roule doucement, on peut les compter, un par un.

Le génie de Jean-Michel Bissonnet, c’est d’utiliser ces deux autres, l’Arabe et le saltimbanque. Un tueur professionnel, ce serait son prolongement direct. Et cela, il ne peut pas l’accepter.

Et puis, personne ne pourra imaginer que lui, le grand Jean-Michel Bissonnet qui a si bien réussi sa vie professionnelle, qui a toujours fait preuve d’une rigueur extrême, s’est adressé à des guignols pour faire tuer sa femme. Et si ça tourne mal, qui pourra douter de la parole de Jean-Michel Bissonnet? Qui croira l’Arabe de service?

Gérard Christol regarde le box, déserté depuis deux jours par Jean-Michel Bissonnet.

- Aujourd’hui, Jean-Michel Bissonnet n’est pas là. Le vicomte, assis sur un fauteuil Voltaire, est là. L’Arabe de service est dans le box des accusés. C’est ainsi que la pièce était voulue. C’est ainsi qu’elle s’est jouée. C’est ainsi qu’elle devait se terminer. Mais les choses ne se sont pas passées comme cela.

Me Christol a terminé sa plaidoirie. Il se tourne vers les jurés.

- J’ai toujours souhaité qu’à la fin d’une affaire criminelle, quand les uns et les autres nous redescendons les marches du palais, nous le faisions avec une certaine paix parce que les choses sont en place. Mesdames et Messieurs les jurés, cette paix, je vous la souhaite. Je vous fais confiance.

18H20. J’aurais dû préciser pour que les choses soient claires que Meziane Belkacem a deux avocats, Me Iris Christol et Me Gérard Christol. Si le second a pu plaider avec cette liberté, c’est que sa fille Iris avait auparavant très bien défendu Meziane Belkacem, un homme “qui a passé sa vie à se conformer à ce que l’on attend de lui”. 

08 février 2011

La défense de Jean-Michel Bissonnet sait depuis le début que, dans cette affaire, elle a un adversaire majeur, son client. Et un allié de poids: l’accusation.

La démonstration en a été apportée ce mardi après-midi. En quelques heures, l’avocat général Pierre Denier a offert aux avocats de Jean-Michel Bissonnet leur plus belle journée d’audience.

Dans ce procès auquel l’attitude du principal accusé et la détresse de deux fils cadenassés dans la défense de leur père donnent une tension et une violence extrêmes, on attendait du ministère public un réquisitoire aussi serein que solide.

Solide, il l’avait été partiellement dans sa première partie, assurée à l’audience par l’autre avocat général, Georges Guttierez. Une partition parfois laborieuse, mais digne, l’expression juste d’une compassion à l’égard des victimes de cet assassinat, la reprise sans éclat de l’essentiel des charges mises en lumière par ces quatre semaines de débats et quelques incursions sensibles dans la psychologie d’un accusé “oscillant sans cesse entre l’amour de sa femme et l’envie d’éliminer une mère qui l’étouffe”. 

Mais Pierre Denier, à son tour, s’est levé. Il a quitté le siège du ministère public pour venir virevolter face à la cour et aux jurés. Trois heures trente “sur le ton de la conversation”, a-t-il revendiqué, pendant lesquelles l’avocat général a moins parlé qu’il ne s’est écouté parler, moins requis qu’il ne s’est regardé requérir.

Comment un avocat général, trop obsédé de lui-même, n’a-t-il pas vu que son réquisitoire confus, embrouillé, verbeux, menace la solidité des charges qu’il est censé établir?

Comment deux fils qui ont perdu leur mère, pouvaient-ils entendre sans haine celui qui porte la parole au nom de la société s’approcher d’eux et leur lancer, face à une salle archicomble, en plantant ses yeux dans les leurs, qu’ils étaient des “morts psychiques” pour mieux accabler leur père?

Comment des réquisitions de réclusion criminelle à perpétuité contre Jean-Michel Bissonnet, de vingt-cinq ans contre Meziane Belkacem et de dix ans contre Amaury d’Harcourt, peuvent-elles être prononcées au terme d’un propos où l’on ne sait ce qui l’emporte, de la médiocrité ou de la vulgarité?

Tant d’ironie déplacée, de citations d’auteur prétentieuses, une attitude aussi théâtrale, écornent et abîment non seulement l’image du ministère public, mais au-delà, celle d’une justice qui, pour être forte doit être humble, et pour être respectée, doit d’abord être respectable.

Et Jean-Michel Bissonnet quitta le box…

Le fils cadet de Jean-Michel Bissonnet est une fièvre, un vertige de détresse. Lundi 7 février, Marc Bissonnet fait face à la cour et aux jurés. Aucun son ne sort de sa bouche. Il frappe la barre de ses mains, martèle le sol de ses pieds. Derrière lui, la salle archicomble de la cour d’assises est figée.

Il murmure. “Je ne sais pas quoi dire, je ne sais pas si ça sert encore à quelque chose…”. Les mots giclent soudain. Des rafales de mots. Trois ans de monologues intérieurs, de fureur et de chagrin se bousculent au bord de ses lèvres. Il commence des phrases qu’il ne termine pas. “Ces cinq semaines de procès, c’est pas possible. Elles n’ont servi à rien. Chacun campe sur ses positions. On aurait voulu un procès équitable”.

La voix s’enflamme. Accuse. “Je suis dégoûté, dégoûté”. Redevient douce, presque enfantine. “Mais qu’est-ce qu’on a fait? On était une famille tout ce qu’il y a de plus normal. Mes parents, ils étaient heureux et fiers l’un de l’autre. Ils ne pouvaient pas vivre l’un sans l’autre.”.

Il se tait à nouveau. Secoue la tête. Le micro renvoie l’écho de son souffle court, haletant. Il est ce petit garçon qui évoque le souvenir lumineux de sa mère l’accompagnant chaque jour à l’école: “Ma mère était une femme parfaite. Elle a toujours été là pour nous. J’avais besoin de lui parler, de la rendre fière. Et mon père aussi, il a tout fait pour nous”.

Il est aussi l’adulte noyé de haine qui, brutalement, se tourne vers Amaury d’Harcourt et hurle: “Menteur! C’est une honte. Pourquoi il est là, lui, et pas dans le box? Oui, je suis pour la peine de mort, oui! De le voir là, comme ça, ça me détruit”.

Il est surtout ce jeune homme perdu qui n’a “plus envie de vivre, plus envie d’avoir des enfants”, qui a tout abandonné - sa vie à Paris, son travail - pour s’installer à Montpellier, prendre aux côtés de son grand-père maternel la place de soutien quotidien qu’y occupait sa mère, gérer les affaires de son père. Il parle encore, rentre dans les détails du dossier, s’interrompt, repart, s’arrête à nouveau.

Les regards gênés des jurés et de la cour fuient ce fils cadenassé dans sa détresse.

Il le sent. Se tait. Frappe la barre dont il ne parvient pas à s’arracher. Quelques secondes de silence encore et Marc Bissonnet se laisse retomber sur son banc, anéanti.

Florent, l’aîné, lui succède. Il a posé devant lui un épais carnet avec tout ce qu’il s’est promis de dire. Sa voix se brise dès les premiers mots. Il veut pourtant défendre de toutes ses forces “le couple heureux” que formaient ses parents. Défendre l’innocence de son père contre l’instruction, contre l’enquête des gendarmes, contre le dossier, contre la presse, contre ces quatre semaines d’audience, contre le monde entier. “Il y a des tas de gens qui rigolent parce qu’on parle de complot. Mais la théorie du complot, on y croit quand on est au fond du trou”. 

Les débats sont clos. Leur avocate, Me Raphaëlle Chalié, est la première à se lever. C’est une petite femme nerveuse, aux lèvres fines et à la voix dure. De ses deux clients - et, insiste-t-elle, du père de Bernadette Bissonnet, absent de l’audience - elle a reçu mandat de soutenir l’innocence de Jean-Michel Bissonnet. Elle va au-delà. Se transforme en procureur, accusant Meziane Belkacem et Amaury d’Harcourt de mentir: “Non seulement, assène-t-elle, vous avez tué une femme, mais vous accusez son mari!”. Elle échafaude un plan selon lequel ces deux hommes auraient décidé ensemble de tuer Bernadette Bissonnet pour de l’argent.

L’emphase du ton - “mensonge, mensonge, mensonge!” - peine à pallier l’absence de fond. Me Chalié dit à la cour et aux jurés ce que les enfants veulent entendre. On la regarde. L’écoute-t-on?

L’atmosphère est tendue lorsque Me Luc Abratkiewicz prend à son tour la parole. Cet avocat et son confrère Me Jean-Robert Phung cristallisent sur eux toute la haine de Jean-Michel Bissonnet et de ses fils depuis qu’ils sont entrés dans le dossier pour représenter le frère aîné de Bernadette Bissonnet, Jean-Pierre Juan. Convaincu de la culpabilité de son beau-frère dans l’assassinat de sa soeur, il vient chaque jour s’asseoir au banc des parties civiles, juste derrière Marc et Florent.

Pendant ces quatre semaines d’audience, les deux avocats ont été apostrophés, insultés parfois, par Marc Bissonnet. Me Abratkiewicz sait que chacune de ses questions, chacun de ses mots leur est une brûlure.

“Au banc de la partie civile, il n’y a pas de monopole. Tous ont le droit de souffrir et d’exprimer la conviction qui est la leur, dit-il. Jean-Pierre Juan a fait un choix qui gêne. Parce que dans cette famille meurtrie, divisée, il n’a pas accepté que le prix de réconciliation empêche la justice de désigner les coupables, tous les coupables. Dans ce dossier, les charges sont lourdes. Mais le problème, c’est que certains ici débordent d’un amour qui les aveugle. Ils ne veulent pas entendre cette vérité. Ils voudraient en entendre une autre, qui n’arrivera jamais”.

Aux fils de Jean-Michel Bissonnet et à l’accusé lui-même qui dénoncent la partialité de l’enquête et du procès, il répond: “Il y a peu d’accusés en France qui ont un procès Rolls Royce comme celui-là. Trois ans d’instruction, des dizaines de demandes d’actes, sept à huit avocats en défense qui ont défilé. Alors, on ne peut pas venir dire ici qu’après ces quatre semaines, on n’a pas été entendu!” 

L’avocat aborde ce qui, selon lui, accable Jean-Michel Bissonnet. Il évoque d’abord son comportement dans les minutes et les heures qui suivent la découverte du corps assassiné de son épouse: la serpillère qu’il passe pour effacer les traces de sang éparses de Meziane Belkacem, tout en téléphonant aux pompiers; l’appel à 4H17 sur le portable d’Amaury d’Harcourt; la promenade nocturne qui, de son propre aveu, le conduit dans la rue où vit le fils de Meziane Belkacem…

Il n’a pas le temps de finir. Un cri jaillit du box. “Je n’en peux plus! Je n’en peux plus!”. Jean-Michel Bissonnet frappe ses poings contre le bois.

- Je vais casser quelque chose, ça ne devient plus possible. Je ne peux plus écouter!

La voix ferme du président Joël Mocaer lui répond.

- Vous allez écouter, M. Bissonnet.

- Vous voulez que je devienne fou? Je ne peux plus entendre des saloperies pareilles! C’est lamentable…

Il hurle.

- Laissez-moi sortir!

- Réfléchissez bien, M. Bissonnet. 

- J’ai déjà foutu ma vie en l’air avec des conneries pareilles! Vous voulez que je me tue devant tout le monde?

- Ce n’est pas mon intention, dit le président.

Jean-Michel Bissonnet se lève d’un bond et quitte le box. On entend le fracas lourd d’un coup porté contre le mur. L’audience est suspendue.

Elle reprend une heure et demie plus tard. Un huissier a été dépêché pour constater le refus de Jean-Michel Bissonnet de comparaître. Le président lit la déclaration de l’accusé: “Je ne supporte plus les mensonges”.

Me Abratkiewicz reprend sa plaidoirie là où elle avait été interrompue.

- Jean-Michel Bissonnet n’a jamais voulu entendre la vérité, dit-il.

04 février 2011

Le carnet renferme ses quinze pages de notes du jour. Défilé de témoins. Prénoms, noms, âge, profession, déclarations. En marge, annotations. Les cheveux blancs de l’un, l’allure fatiguée de l’autre, la sincérité évidente d’un troisième, un détail vestimentaire sur le quatrième, l’émotion du cinquième, le ridicule d’un sixième, l’inflexion de la voix du président, le regard de la première jurée qui décroche, Amaury d’Harcourt qui somnole, citation encadrée d’un avocat, exclamations de la salle, questions d’un avocat général, bouts de dialogue… De quoi, normalement, écrire une chronique.

Elle pourrait ressembler à cela:

Jeudi 3 février, pour la deuxième journée consécutive, la cour et les jurés ont entendu les amis du couple Bissonnet - membres du Rotary pour monsieur, voisines de tapis de gymnastique pour madame, sans oublier le traiteur ou l’employée de l’agence de voyages - exprimer leurs convictions à la barre. Tous ont décrit le couple “formidable”, “modèle”, “charmant”, “attentionné”, “idyllique”, “très famille”, “fier de ses enfants”, “heureux”, “sans histoire”, “normal”. 

Avec leurs mots, souvent les mêmes, ils ont martelé: “cette histoire est impossible, je ne peux pas la croire”, “c’est tout simplement aberrant d’imaginer que Jean-Michel Bissonnet ait pu tuer sa femme”. 

Mais ça ne vient pas. Parce que la vérité de l’audience n’est pas là.

Bien sûr, le procès continue. Chaque matin, à 9h, la sonnerie annonce l’entrée de la cour et des jurés. Dehors, il y a toujours la même foule qui se presse à l’entrée avec l’espoir d’assister à l’audience. Le président préside, les témoins défilent, les avocats et les représentants de l’accusation posent des questions, témoin suivant, et ça recommence. A 19 heures, chacun s’ébroue jusqu’au lendemain.

Mais depuis plusieurs jours, le procès est fini et Jean-Michel Bissonnet l’a compris.

Son teint est devenu tout gris. Le flot des mots gentils des amis glisse et tombe dans le vide. Jean-Michel Bissonnet n’écoute plus. Il réclame des médicaments, un médecin vient, l’audience est suspendue, il les prend, ça va mieux, puis replonge, en demande d’autres, nouvelle suspension d’audience, retour, une heure passe, nouvel incident, il quitte le box en courant, revient encore, s’écrase sur son banc.

Pendant trois ans, il a préparé ce procès. Anticipé les questions, réfléchi aux réponses. Pendant trois semaines, il s’est battu. Une à une, les portes sur lui se sont refermées. Les visages de la cour et des jurés aussi.

02 février 2011

Ce sont des parents, des relations, des amis de Rotary de Jean-Michel Bissonnet. Cités par la défense ou par l’avocate des enfants de l’accusé, Me Raphaëlle Chalié, ils livrent à la cour leur intime conviction.

La femme de ménage a ouvert le défilé des témoins, mercredi 2 février. Elle a travaillé pendant un an, à raison de trois fois par semaine, dans la villa du couple et elle a une certitude.

- Si Jean-Michel Bissonnet avait voulu tuer sa femme, eh bien, il ne l’aurait pas fait à Montpellier. Il m’a montré des photos de leur voyage en Afrique du Sud [quelques semaines avant l’assassinat de Bernadette Bissonnet]. Il y avait des ravins partout, sans protection, il aurait très bien la jeter. On peut glisser sur une peau de banane! Non, vraiment, il n’avait pas besoin de s’acoquiner avec des gens comme ça. C’est inconcevable. In-con-ce-vable. 

La cousine de Jean-Michel Bissonnet vient à son tour. Née à Oran, comme lui. Chevelure blanche, tailleur élégant, “psychologue à la retraite”, elle parle avec aisance et autorité.

- Que pouvez-vous nous dire de cette affaire? lui demande le président

- Que Jean-Michel Bissonnet n’est pour rien là-dedans. Et que je ne comprends pas. 

- Qu’est-ce qui fonde votre conviction de l’innocence de Jean-Michel Bissonnet?

- Je ne vois pas le mobile. C’était un couple normal. Avec une vie normale. Jean-Michel, c’est pas un type à faire ça. 

Le président extrait du dossier la déclaration qu’elle a faite chez les gendarmes. La lit.

“Pour moi, c’est un coup monté contre Jean-Michel. Pourquoi il a utilisé un fusil à canon scié? Notamment de la part d’un Arabe. ça ne tient pas. Les Arabes, ils ont l’habitude d’étrangler ou de trancher la gorge”. 

A la barre, la cousine s’explique.

- Je sais que mes propos ont choqué. Mais je les maintiens. Quand on est Arabe, c’est beaucoup plus facile d’égorger. On ne se sert pas d’un fusil à canon scié. Je le sais, j’ai beaucoup d’amis arabes. 

Deux amies du club de gym, maintenant. Elles parlent avec chaleur de Bernadette Bissonnet. “Enthousiaste, sportive, très famille, dynamique”. 

Arrive le boulanger.

- Jean-Michel Bissonnet venait chercher son pain tous les jours. 

- Et vous parliez de quoi, demande le président avec une pointe d’ennui dans la voix.

- De la chasse, parce que j’aime beaucoup la chasse. 

- D’autres sujets?

- Ben, de l’actualité.

Le boulanger dit encore:

- Il avait une voiture impeccable. il respectait le 130 sur l’autoroute. Il était repectueux de la loi. Je ne le vois pas faire un truc pareil. 

- Bien. Vous vous demandez un peu pourquoi vous êtes là? dit le président.

- Tout à fait.

Entre le médecin de famille. Il ne peut rien dire “à cause du secret professionnel”. Alors il raconte qu’un jour, il a discuté très agréablement avec le couple Bissonnet à l’aéroport d’Orly.

La voix du président, toujours courtoise.

- Et c’était quand?

- Je ne me souviens plus. 

Le maçon marocain qui a fait le garage et la cuisine de la villa n’a rien à dire, l’électricien guère plus. Sauf que le couple lui semblait toujours très uni et que Jean-Michel Bissonnet était fier de sa femme “qui était une belle femme”. 

Les amis du Rotary, maintenant. Notaire, conseiller en gestion de patrimoine, victiculteur. Ils racontent le Rotary, ses dîners, ceux entre hommes et ceux ouverts aux épouses, les actions humanitaires, les soirées photos-commentaires de voyages, l’éthique du club - Jean-Michel Bissonnet, rappelle l’un d’eux, y tenait beaucoup qui avait envoyé un mail à tous les adhérents en leur rappelant les règles - et expriment eux aussi leur intime conviction de l’innocence de leur ami.

- Sur quoi fondez-vous votre conviction?  demande le président à un notaire honoraire sûr de son fait.

 - Cette affaire est tellement bête qu’il ne peut pas l’avoir conçue.