En plus de parler de l’actualité, ce blog a la volonté d’éclairer par l’exemple les différentes composantes qui interviennent dans la conception d’un album de BD. Non monsieur, la BD ça ne se fait pas en un claquement de doigts, cela demande doigté, minutie, application et, oui aussi, du talent !
Pour me simplifier la tâche, prenons pour cobaye une petite main de la BD : moi. Au-delà de mon histoire personnelle (et ne comptez pas sur moi pour faire la promo de mes oeuvres, ce serait assuré la mort de ce blog, question de déontologie), c’est avant tout un témoignage sur le vif, de l’intérieur, que je souhaite apporter. Ce témoignage sera très vite contrecarré d’une part par l’apport d’autres témoignages (plusieurs auteurs considérables m’ont déjà donné leur accord pour répondre à quelques questions, mais chut, ménageons-nous un peu de surprise !) et, je l’espère, par les commentaires spontanés des auteurs en exergue de ces billets.
Scénaristes : aux glorieux anciens
Un lecteur lambda de BD se demande sans doute régulièrement quelle est la part du dessinateur et celle du scénariste dans ce qu’il lit. A ma connaissance, il n’y a pas réellement de règle. J’entends par là que dessinateur et scénariste ne se limitent quasiment jamais à leur propre sphère contractuelle : le dessinateur se pique souvent de vouloir améliorer un dialogue ou un découpage suggéré par le scénariste ; un scénariste demande souvent à un dessinateur de revoir la pause d’un personnage car elle ne correspond pas à ses indications. C’est leur incessante interaction qui nourrit et construit un album.
Ceci étant, pour se faire une petite idée de la part singulière du scénariste, le mieux est de lire plusieurs séries signées par l’un d’eux. Prenez Jean Van Hamme, par exemple, observez les constantes dans son travail : la qualité de la trame, la clarté des dialogues, l’alternance des séquences millimétrées, la personnalité de ses héros… A la lecture de XIII, de Largo Winch, de Thorgal, des Maîtres de l’orge, de Lady S ou du Grand Pouvoir du Schninkel (entre autres !), on “sent” assez vite l’écriture de Van Hamme, on perçoit ses territoires, ses domaines de prédilection, la place de la mythologie (au sens propre comme au figuré bien entendu), le sens de l’action…
En tant que “petit” scénariste, quasi débutant, je regarde avec des yeux à la fois envieux et respectueux les scénaristes qui m’inspirent. Envieux car souvent, à la lecture d’un gag, d’un album ou d’une planche, je me dis “Waow, j’aurai aimé la trouver celle-là !” ; respectueux car je sais dans une certaine mesure le travail que cela représente. Et contre toute attente, il y a autant de plaisir que de souffrance.
Peut-être savez-vous que René Goscinny avait des crises de doute affreuses quand il écrivait, au point qu’il menaçait de se tuer ! Un angoissé le papa d’Astérix ?
Comme au cinéma, ou tout du moins dans l’idée que l’on peut se faire du cinéma européen, nombre de dessinateurs sont leurs propres scénaristes, ou de nombreux tandems ne se séparent jamais tant ils sont superstitieux et encrés dans un confort de travail (qualité du dialogue, rythme, liens d’amitié, intimité). Il n’est pas rare que des tandems d’auteurs (et n’oublions pas non plus les coloristes, qui sont certes le plus souvent dans l’ombre, mais contribuent en plein à la réalisation d’un album) durent des décennies. Prenez Turk et DeGroot, les créateurs des séries Léonard et Robin Dubois. Prenez Lambil et Cauvin, les toujours sémillants auteurs des Tuniques Bleues, prenez bien sûr la longue collaboration de René Goscinny avec Albert Uderzo et également avec Morris. Même Arleston et Tarquin, les papas de Lanfeust de Troy, ça doit bien faire 20 ans que le second dessine les scénarios du premier…
Dans la bande dessinée européenne, dessinateurs et scénaristes constituent des groupes qui sont soit directement liés et identifiés à un éditeur (Arleston chez Soleil, Cauvin chez Dupuis, Jean Michel Charlier dans le temps chez Dargaud-Pilote, Jodorowsky chez les Humanoïdes Associés…), soit se constituent car ils partagent des mêmes envies créatives (esthétiques, politiques, culturelles) et sont de même génération.
Enfin, histoire de compliquer le schéma, de nombreux scénaristes occupent ou ont occupé également des fonctions éditoriales ou d’encadrement, tels Yves Sente, directeur éditorial au Lombard, Jean Van Hamme passé notamment directeur de Dupuis au milieu des années 80, ou encore le regretté Yvan Delporte, rédacteur en chef de Spirou célébré, qui a contribué à l’écriture d’un certain nombre de séries maison (Isabelle, Jean Valhardi, les Tifous avec Franquin entre nombre d’autres…). Et je ne parle pas du René Goscinny, patron du magazine Pilote, découvreur de toute une génération de talents issus des années 60 et 70…
Bref, tout ce beau monde s’intègre dans une toile riche et complexe dont il faut étudier les connexions, les mouvements, avec attention.
Il y a tant à dire sur ce beau métier (ou cette belle occupation, c’est selon) qui consiste à écrire des histoires destinées à être dessinées. Et vous, qui sont vos modèles ? Comment les percevez-vous ? Quelles sont vos anecdotes ?
(illustrations : portrait de Jean Van Hamme par Rita Scaglia, éditions Dargaud ; Raoul Cauvin sur son fauteuil fétiche, dessin de Walthéry, publié dans le Livre d’Or de Raoul Cauvin, éditions Arboris)