En littérature générale, on appelle cela une nouvelle. En BD, il n’y a pas vraiment d’appelation précise. Récit court ? Historiette ? Short story ? Quoiqu’il en soit,tout le monde en lit, tout le temps, parfois sans même s’en rendre compte. les mini récits dans Spirou magazine ? C’est ça ! Les aventures de Mickey, Donald, Picsou et consorts dans le Journal de Mickey ou Picsou Géant, tout pareil ! Les gags poilesques de Fluide Glacial, les albums thématiques (genre la Guerre de 14-18), les aventures de Tarzan, Zorro, Klip et Klop, certains albums comme les Coeurs Boudinés de Jean-Paul Krassinsky, les Chroniques de Sillage, les hommages aux chanteurs comme Brassens, Brel, Renaud… Oui, vous connaissez le refrain.
Il y a déjà quelques temps j’ai interrogé trois auteurs, confirmés ou débutants, sur leur approche des récits courts, exercice pas si évident car la concision est indispensable et le sens et la portée ne doivent pas pour autant être bradés. Voici deux témoignages de deux scénaristes. Le premier, Thierry Lamy, a publié une dizaine de livres et écrit nombre de nouvelles et de récits courts en BD depuis 2004. Le second, Fabien Vehlmann, est un auteur reconnu qui a commencé chez Spirou. Il est notamment le coscénariste de Jolies Ténèbres dont je vous ai parlé au printemps et il reprend la série officielle de Spirou & Fantasio. Il est l’auteur de la série en trois volumes Green Manor, véritable démonstration de sa maîtrise des récits courts, et une de mes séries préférées. Je me suis attaché à leur poser par écrit peu ou prou les mêmes questions, d’où parfois l’étonnante similitude de leurs réponses.
Le Comptoir de la BD : Thierry, comment définis tu les formats courts en BD, équivalents des nouvelles en littérature ?
Je définis le format court en BD comme une histoire complète tenant en une quinzaine de pages maximum. Ce sont essentiellement des récits destinés à des publications périodiques (fanzines, magazines, webzines) ou à des ouvrages collectifs. Je crois que le format court a d’abord la même fonction que le court métrage au ciné : une mise en situation rapide de moyens artistiques qui sur un album demandent du temps. Ces « nouvelles » sont donc pour un auteur un excellent terrain d’entraînement, d’exploration, d’essai,…
Ce format est aussi un outil pédagogique très pratique dans le cadre d’un atelier BD puisqu’il offre en condensé tout les ingrédients du récit « normal » et le rend donc facile à analyser… Enfin j’ajouterais que le gag, (en strip ou à la page) ainsi que tout ce qui est blog « tranche de vie » n’entrent pas dans la définition du format court, l’exercice étant à mon sens différent…
Dans ton travail de scénariste, alterner les formats d’histoire est sans doute stimulant - comment détermines tu le meilleur format (en dehors du cas de la commande bien sûr !) ?
Tout d’abord, je précise qu’avant l’alternance des formats, c’est surtout de pouvoir écrire des histoires dans des genres et des univers différents qui est stimulant. Ceci dit, dans la genèse des projets sur lesquels je travaille, la détermination du format se fait essentiellement avec le dessinateur. Ensuite bien sûr, il peut aussi y avoir discussion avec l’éditeur selon ses contraintes éditoriales, ses collections… Bref, la détermination du meilleur format est avant tout une affaire de collaboration…
Les formats courts sont historiquement liés à la prépublication dans les magazines de BD, leur raréfaction semble limiter les possibilités, en dehors justement des commandes (Journal de Mickey par exemple) - qu’en penses tu et collabores tu pour des commandes ?
Je regrette la quasi disparition de cette presse BD, d’autant plus que ma passion pour la bande dessinée s’est nourrie essentiellement de la lecture des magazines tels que Tintin et Pilote. Ces journaux étaient un très bon moyen pour le lecteur de découvrir une multitude d’histoires, de séries et d’auteurs. Et bien sûr de lire des « nouvelles » qui n’auraient jamais étés publiées ou lues sans ces magazines. Je regrette aussi que la presse BD n’ait pas profité du net pour renaître de ses cendres, tout comme le concept fanzine a migré naturellement en webzine. Il y a peut-être là une occasion manquée…
Pour revenir à l’historique du format court, il ne faut pas non plus oublier les fascicules poches qui ont fleurit jusque dans les années 80 et plus particulièrement les recueils d’épouvante type Les contes de la Crypte…
On voit apparaître de plus en plus de recueils de nouvelles regroupant des collectifs, as tu une expérience en la matière et peux tu la raconter ?
Ma principale expérience de formats courts vient effectivement de collectifs pour les Éditions Petit à Petit. Il y a quelques mois Olivier Petit a eu connaissance d’un projet de recueils regroupant différents contes du Moyen Âge que je menais avec le dessinateur Guillaume Tavernier. Comme Olivier montait de son côté un collectif sur le même thème, il nous a demandé si nous souhaitions intégrer l’équipe… Par la suite, Olivier m’a demandé de participer à l’adaptation en BD de Contes Yiddish et de Contes Celtes et Bretons (à paraître en Septembre).
Cette expérience est enrichissante en terme de rencontres humaines car elle me permet de travailler avec des dessinateurs et dessinatrices de grands talents. Et puis l’écriture de ces petites histoires est un exercice plutôt récréatif. Le fait de se baser sur des contes déjà existants me permet de me concentrer sur la narration, les dialogues, d’essayer des effets, des styles, etc…
Enfin, le format récit court semble très bien pour l’exploitation en chapitre sur des téléphones portables, as tu un avis ou des envies sur la question ?
Je n’ai pas vraiment d’avis sur la question n’ayant jamais eu l’occasion de lire des BD sur un portable… Au delà de l’aspect technologique, l’important est que quelque soit le support (un mur, des feuilles, le net ou un portable) la BD soit le fruit d’un véritable travail d’auteur et non un produit formaté sans autre but qu’une rentabilité économique à court terme…
Fabien, comment appelles-tu les formats courts en BD, équivalents des nouvelles en littérature ?
C’est vrai qu’il n’y pas d’appellation officielle… Personnellement, j’appelle ça des “récits courts”,et j’y inclus grosso modo toute histoire de moins de 12 ou 13 pages, et de plus de 1 page (sinon, j’appelerais ça du “gag en une planche”).
Dans ton travail de scénariste, alterner les formats d’histoire est sans doute stimulant - comment détermines-tu le meilleur format (en dehors du cas de la commande bien sûr) ?
Le format est généralement impliqué par le sujet et la “force” de l’histoire. Une partie du talent d’un scénariste est précisément de savoir déterminer quelle longueur conviendra à telle ou telle idée. Question d’expérience.. et d’erreurs ! Il m’est malheureusement arrivé de faire un album complet sur une idée trop “légère”, ou inversement, de “tasser” une idée trop riche dans un format trop court. Dans les deux cas, ça foire. L’idée idéale pour une histoire courte doit être une idée efficace, percutante, et qui n’aurait pas eu besoin de plus de place pour donner toute sa saveur.
Les formats courts sont historiquement liés à la prépublication dans les magazines de BD, tu en sais quelque chose. Frédéric Niffle, rédacteur en chef de Spirou, me disait que c’était souvent utile et pour tester des jeunes auteurs, et aussi pour installer des séries. C’est ce qu’il s’est passé sur Green Manor, non ? Peux tu parler de cette aventure ?
Une réponse en deux temps : oui, un magazine comme Spirou est idéal pour faire ses preuves, tenter des trucs, se planter, revoir sa copie, s’améliorer peu à peu. Finalement, Spirou a été mon “école de scénario”, à défaut d’en trouver une vraie. J’ai presque tout appris en faisant des récits courts !
Par contre, je ne sais pas si les histoires courtes sont forcément un bon moyen “d’installer” une série. Ecrire une histoire courte est vraiment une écriture à part, qui n’est pas forcément adaptable ensuite en “long”. Par exemple, pour moi, il est vraiment important dans un récit court de pouvoir totalement surprendre le lecteur, quitte pour cela à tuer tous ses personnages par exemple, ou à prendre le lecteur à rebrousse-poil en fin d’histoire… Autant de pratiques qui ne sont pas évidentes à concilier avec un héros récurrent, par exemple.
Le cas de Green Manor est un peu à part : ce n’était pas destiné à être une série, mais bon an mal an, on y a pris goût, avec Denis (Bodart, le dessinateur), et on a fini par réunir nos histoires, leur donner une cohérence d’ensemble, et à en faire des albums. Il a toutefois fallu convaincre Dupuis de l’intérêt d’une “série sans héros”… Pas évident ! Mais finalement, les albums ont bien marché, coup de chance.
Inversement, une de mes séries débutée avec des récits courts, WonderTown (dessinée par Benoît Feroumont), a sans doute manqué un peu de cohérence à cause de son côté “morcellé”, et on en a payé le prix par la suite lors de sa sortie en albums : la série n’a pas marché bien longtemps, alors même qu’elle avait un “héros récurrent”… Tout cela n’est donc pas une science exacte ! Mais en résumé, je dirais que des histoires courtes peuvent permettre une sortie en albums derrière, une “série”, si elles ont vraiment un fil directeur très fort, une cohérence d’ensemble, une thématique commune évidente.
Enfin, le format récit court semble très bien pour l’exploitation en chapitre sur des téléphones portables, as tu un avis ou des envies sur la question ?
Je dirais presque que c’est le format “strip” qui a le plus d’avenir sur les portables, car sa rapidité de lecture devrait tout à fait convenir à des lecteurs impatients et zappeurs. Maintenant, peut-être effectivement que les “récits courts” de quelques pages ont de beaux jours devant eux ? Ca ne me déplairait pas, c’est vraiment un genre que j’affectionne : il permet de tout donner, tout de suite, au lecteur, c’est une vraie forme de générosité (quand c’est réussi) ! En tous cas, je ne m’interdis pas de faire des essais dans ce sens, dans le numérique… L’avenir le dira !
Merci très amical à Thierry et Fabien pour leurs réponses et leur temps.
(illustrations : couverture d’un Super Picsou Géant ; portraits de Thierry Lamy en lutin vert qui se réveille ; couverture des Contes des Pays Celtes, Collectif, éditions Petit à Petit ; portrait de Fabien Vehlmann, DR ; couverture de Green Manor volume 3, par Bodart et Vehlmann, éditions Dupuis)