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Devant la catastrophe au Japon, "un stress collectif mondial"

LEMONDE.FR | 16.03.11 | 12h09  •  Mis à jour le 16.03.11 | 16h27

 

Partout dans le monde, les médias relatent en direct la situation au Japon.

Partout dans le monde, les médias relatent en direct la situation au Japon.AFP/JUNG YEON-JE

Après le séisme et le tsunami, le Japon et le monde vivent dans l'angoisse d'une catastrophe nucléaire de grande ampleur. Le Dr Christian Navarre, psychiatre au centre hos­pitalier du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen, et auteur de Psy des catastrophes, dix années auprès des victimes (Editions Imago), revient sur l'émotion suscitée par ces événements exceptionnels.

Quel regard portez-vous sur la réaction du peuple japonais après la catastrophe ?

Christian Navarre : Les chocs du séisme et du tsunami ont été relativement bien absorbés. Ils y étaient préparés depuis longtemps, et se sont appuyés sur des réflexes d'auto-protection et une solidarité très forte. Il y a des deuils traumatiques bien évidemment, mais il s'agissait de choses connues.

Mais il existe une particularité au Japon sur l'éducation sanitaire des enfants, qui effectuent par exemple des exercices très nombreux, notamment dans des simulateurs de tremblements de terre. Ils apprennent tout au long de leur vie à gérer ce stress. Cela génère notamment un effet très fort de cohésion sociale en cas de catastrophe. Il y a aussi une particularité de la culture japonaise qui entre en jeu, avec une certaine acceptation des événements.

On a le sentiment que la menace nucléaire génère davantage d'angoisse aujourd'hui. Comment l'expliquer ?

La menace de catastrophe nucléaire est plus difficile à gérer. Parce qu'elle évoque bien sûr la réminiscence d'épisodes douloureux de l'histoire du pays, mais aussi parce qu'elle représente le spectre d'un ennemi invisible, qui n'est pas maîtrisable, contrôlable par l'homme. Pour l'instant, il n'y a pas de panique collective, mais il y a une montée du stress, avec une sorte de vertige. La spiritualité et l'entraînement ne suffisent peut-être plus car il y a une perte de repères, une angoisse de mort qui n'a pas de réponse immédiate. Ceci étant dit, aujourd'hui, ce peuple "tient" toujours collectivement, alors qu'une catastrophe se profile. C'est assez impressionnant.

L'angoisse semble presque plus forte à l'étranger...

En Occident, on a souvent un déni par rapport au risque. Quand un accident se produit, ce déni est bousculé. En plus, ce qui se passe aujourd'hui renvoie à une espèce de "destinée" liant le Japon et le nucléaire : ça réveille l'inconscient collectif de la planète.

Il y a aussi le facteur "immédiateté" : le fait d'être informé en temps réel qui fait aussi fortement monter l'affect. L'attente anxieuse est ce qu'il y a de pire au niveau émotionnel, c'est le plus dommageable. Ce qui se passe aujourd'hui nous impacte beaucoup plus que, par exemple ce qui s'était passé à Kobe à l'époque. Ce suivi en temps réel provoque une contagion de la peur en tache d'huile qui agit au niveau de la planète.

Cette crainte de la menace nucléaire résonne-t-elle d'une façon particulière en France ?

En France, il y a une non-culture du risque, un discours du risque zéro où on nous dit "on a pris toutes les précautions". Le problème du nucléaire est connu depuis longtemps mais on est pris dans un paradoxe car on ne veut pas toucher à notre mode de fonctionnement. Aujourd'hui, ce fantasme d'un monde sans risque est confronté au principe de réalité. Il y a une hyper-émotion qui se met en place : on partage l'inquiétude autour du Japon, mais en plus on remet en cause notre propre système, alors même qu'il n'y a pas eu d'accident ici. C'est aussi une façon de gérer le stress.

Dans quelle mesure cette émotion peut-elle avoir un impact à long terme, générer un changement d'orientation au niveau collectif, notamment dans les pays fortement nucléarisés ?

Cela dépendra de l'évolution des événements. Pour l'instant, relativement peu de gens sont touchés par l'accident nucléaire. On ne peut pas exclure que si les autorités japonaise réussissent à réguler la situation, le "phénomène Tchernobyl" ne se reproduira pas : à l'époque, l'ampleur de la catastrophe avait fait changer les choses en termes de sécurité et de communication.

Au niveau mondial, il y a un stress collectif sur quelque chose qui, quelque part, ne s'est pas encore produit. Les effets à long terme, ce qui se passera dans les prochains mois, les prochaines années, définiront ce que nous déciderons au niveau collectif, politique. Ce n'est jamais en temps de crise que ces changements s'opèrent. Il y aura des progrès sur la sécurité, c'est certain, mais de là à tout changer... Cela dépendra certainement des dégâts finaux.

Propos recueillis par Marion Solletty
 
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