Archives de la catégorie: 'Danse'

17 février 2011

emmanuellehuynhcribleslive_c_m_domage3.1297902159.jpgDeux jours seulement (17 et 18) pour voir Cribles / Live, d’Emmanuelle Huynh au Centre Pompidou sur la musique Persephassa* de Iannis Xenakis. Six percussionnistes (Percussions Rhizome) sur des plateaux, quatre sur scène, deux dans la salle. Les danseurs (cinq hommes, six femmes) apparaissent un par un sur scène, courant, s’évitant l’un l’autre, feintant : un jeu de cour de récréation, de chat perché. Je ne sais lequel est l’ancre première, mais, dès qu’ils se touchent, des chaînes se forment, deux, trois danseurs se tenant par la main; les chaînes s’évitent, s’affrontent, se narguent, puis se rejoignent, formant une chaîne plus large. Les danseurs individuels restant tentent d’y échapper, se font attraper. Bientôt, il n’en reste qu’un seul, maigre, barbichu, en maillot rose. Dernier électron libre face à la meute, il tente d’y échapper, puis, coincé au terme d’un ultime combat, il doit les rejoindre. Fut-ce un jeu innocent ? ou une métaphore de prolifération, de contagion, de propagation d’un virus, médical ou moral ?

Alors se forme la ronde, animal unique à 22 jambes, lien qui jamais ne se rompt, où l’individualité de chacun se perd dans la communauté. Et les percussions tapent, tapent de plus en plus fort. Cette ronde rituelle, gaie et violente à la fois, évoque l’enfance, la fête, la victoire, la procession. Tantôt l’un entraîne, tantôt l’autre résiste; chacun est meneur tour à tour. Le groupe multiforme est toujours plus fort que chacun.

emmanuellehuynhcribleslive_c_m_domage21.1297902122.jpgQuand les percussionnistes (excellents) passent à des sons plus cristallins, une danseuse s’échappe du groupe et se fige; les autres la portent à bout de bras comme une statue, le doigt pointé, et la réintègrent dans le groupe, la digèrent; une autre encore, puis un autre. Ces velléités de départ n’aboutissent qu’à un gel, une reprise. Soudain une danseuse, la plus sauvage, la plus gracile, crie, un cri aigu, primal.  La ronde devient une mêlée, puis une masse mouvante au sol; les corps, toujours liés par les mains, s’en dégagent, comme des ressuscitants dans un Jugement Dernier médiéval, se levant de la glèbe. Puis la chaîne se défait, et le spectacle se termine. La musique a sculpté l’espace tout autant que les danseurs. C’était très simple, et très beau. J’en sors et j’écris aussitôt.

Lire aussi la critique de Magali Lesauvage sur Fluctuat.

* Pièce créée en 1969 pour le Festival de la Shahbanou à Persépolis/ Shiraz (on peut aussi penser à Perséphone, la déesse tellurique). Extrait à écouter (ou l’intégrale ici, et ).

Photos courtoisie du service de presse ©Marc Domage. 

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12 décembre 2010

sepioria2.1292168209.jpgSur les murs du Centre National de la Danse à Pantin (jusqu’au 17 décembre), le visiteur est cerné par une dizaine de diptyques de grandes photographies en noir et blanc. Chaque paire comprend d’abord le portrait d’un jeune homme ou d’une jeune femme, photographié frontalement, en buste. Certains sourient, d’autres non, tous fixent l’objectif avec un sentiment de gêne, comme s’ils n’aimaient pas trop être là, ou en tout cas n’avaient pas l’habitude de se montrer ainsi, dans leurs habits quotidiens, face à un photographe, qui, pour être un de leurs pairs, n’en est pas moins un révélateur d’identité, un observateur, je n’ose dire un voyeur.

sepioria1.1292168177.jpgJe n’ose dire un voyeur car Yang Wang, auteur de ce projet Living Dance, est (fut), comme la plupart d’entre eux, un des danseurs de la compagnie Preljocaj. Je n’ose dire voyeur car l’autre photo du diptyque montre chacun d’eux, en train de danser, nu(e), seul(e), face à un grand mur noir. Et (même si, pour certains ce fut une première que de danser ainsi nu), on les devine plus à l’aise en train de danser qu’en train de poser. Ils sont gracieux, puissants, habités. On voit leurs muscles et leurs cicatrices, leurs seins et leurs pénis, leurs rondeurs et leurs tensions. Ce sont des photos légèrement grenues, denses, sculptées par l’ombre et la lumière. Ce fut, je crois, pour chacun des danseurs, une expérience unique, une forme de découverte. C’est, pour nous, une mesure de la distance, de notre regard sur leur corps performant et sur leur visage ordinaire, sur l’équilibre (précaire) entre les deux. Parmi la dizaine de danseurs et danseuses montrés ici, j’ai été particulièrement touché par Charlotte Siepiora, sans doute à cause du contraste entre sa mine de petite fille sage et timide, pudique et réservée, et la sensualité de ménade extatique qui se dégage de son élan aérien; c’est elle que je vous montre ici.

Très beau livre aux éditions Séguier (Full disclosure : livre reçu en service de presse).
Exposition visible en février au Théâtre d’Orléans.

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27 octobre 2010

nioche4.1288214899.jpgPour deux jours encore (28 et 29), Julie Nioche au Centre Pompidou, dans le cadre du Festival d’Automne, danse dans l’air (Nos solitudes). Au début du spectacle, pendant que son complice Alexandre Meyer exécute et orchestre des musiques douces et lancinantes, la danseuse (qui est aussi ostéopathe) se harnache de ses orthèses, puis, suspendue par un jeu de poulies et un filet céleste arachnéen à une centaine de poids Roberval, elle s’élève peu à peu, par la seule force de son corps, au-dessus du sol. Nul artifice, nul mécanisme caché, nul moteur, mais une tension de ses muscles, des gestes parfois doux et parfois saccadés, parfois fluides comme pour un envol et parfois bloquants comme pour une varappe sans paroi. Ne nioche6.1288214920.jpgs’appuyant que sur l’air, faisant fi de la terre, elle nage dans le vide, elle grimpe sur des rochers de vent, elle plane sur des nuages. Ce n’est pas une prouesse technique, ce n’est pas un numéro circassien, ce pourrait être l’équivalent aérien de l’air guitar de Xavier Le Roy, mais c’est avant tout une danse en duo avec le vide qu’elle effectue avec grâce et obstination.
Au-dessus de la terre, sur laquelle son ombre exécute nioche7.1288214931.jpgun autre ballet, dans la pénombre, elle s’élève, d’abord couchée à plat, puis lovée sur elle-même, en position foetale, puis dressée, cambrée, enfin debout, et alors les contrepoids claquent sur le sol à l’unisson. Parfois elle retombe, comme une plume, une feuille, puis repart vers les hauteurs. Cette apesanteur fictive offre au corps des possibilités nouvelles : de même que Matthew Barney ne dessinait que sous la contrainte, suspendu tête en bas ou sautant sur un trampoline, de même nioche5.1288214911.jpgJulie Nioche ne danse que dans le vide (réponse peut-être à une question alors posée sur la danse et le vide) et cette contrainte extrême amène à un raffinement des formes, à une tension créatrice autrement inatteignables.
Soudain un poids tombe violemment au sol, puis un autre : accident ? catastrophe ? nossolitudes9350.1288214941.jpgPuis tous les poids, en grappes, tombent. La danseuse, au sol, se défait de ses liens et se relève. Le retour sur terre est toujours difficile.

À lire : Beaux-Arts et Mouvement; et aussi Fluctuat.

Photos © Agathe Poupeney.

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09 octobre 2010

fabian.1286217409.jpgParmi les soirées toulousaines lors du Printemps de Septembre, deux spectacles de danse inoubliables. Fabián Barba est un jeune danseur et chorégraphe équatorien basé à Bruxelles, qui est habité par l’esprit de la grande danseuse expressionniste Mary Wigman. Non seulement il recrée certaines de ses danses avec passion, talent et émotion, mais il reproduit aussi le tempo même du spectacle, les noirs brefs entre chaque morceau, le salut désuet à la fin de chaque danse (qui, d’abord, fait rire la salle, puis le respect admiratif s’impose), et même le format du livret de salle. Ce soir là, il dansa, entre autres, Sturmlied, du cycle Schwingende Landschaft de 1929 dans un tourbillon rougeoyant de toute beauté. Comment reconstituer une oeuvre dont on sait peu de choses (un seul film, je crois, sur Mary Wigman, la Danse de la Sorcière, montrée à Traces du Sacré) ? Comment un homme latin de 28 ans peut-il aussi bien et sans la moindre ambiguïté incarner une femme allemande de 43 ans ? Comment recréer alors qu’on ne sait pas reproduire ? Fabián Barba sera à Paris au Théâtre de la Bastille début mars (A Mary Wigman Dance Evening).

chaignaud3b.1286217443.jpgMon autre découverte a été le spectacle de François Chaignaud et Marie-Caroline Hominal, Duchesses, dans lequel les deux danseurs apparaissent soudain, nus, sur des piédestaux d’exhibition de gogo dancer, dansant avec des hula-hoops. Ce jeu familier des adolescentes devient ici outil de torture et de plaisir, allant jusqu’au bout des possibilités du corps des danseurs; la performance dure 35 minutes, le rythme des corps, des sons et des lumières s’accélère parfois puis ralentit de manière non synchronisée. Les deux corps se rapprochent dans un étrange jeu de séduction, puis l’un tourne le dos à l’autre, s’éloigne, se renferme. Ces derviches tourneurs sont aussi des esclaves du sexe solitaire. Les corps se tendent et se relâchent, les reins se cambrent dans l’effort constant de toujours maintenir en rotation le cerceau, toujours prêt à tomber : e pur si muove ! On voit là ”l’ondulation enflammée du bassin, dès lors la tenue entière du buste, les correspondances rythmiques chaloupées des épaules, l’accompagnement modulé des bras qui caressent l’espace, le déjeté de la tête au visage virant au masque d’évanouissement, les yeux vitreux retournés en orbite folle, et les sexes exposés, vrillés, battant, animés.” (Gérard Mayen). C’est terriblement répétitif, mécanique, conceptualisé, hypnotique, et, pour tout dire, épuisant pour le spectateur, jusqu’à l’extinction finale, comme un rideau de peep-show tombant soudainement à la fin de la session payée. Je ne suis pas sûr d’avoir été séduit, mais je n’oublierai pas ce spectacle impressionnant.

Photo 1 de Bart Grietens, photo 2 de Clive Jenkins.

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09 juin 2010

td1.1275859500.jpgUn hangar au bord de l’eau, la baie de San Francisco derrière, peut-être Alcatraz au loin, des bateaux qui passent, des mouettes qui strient le ciel; la lumière du jour finissant, les longues ombres portées, la douceur du soleil de novembre sur le sol noir brillant. Des lignes droites, poteaux, piliers, grilles horizontales et verticales structurant l’espace; quelques diagonales, poutres, rayons lumineux, voile d’un bateau à l’arrière plan. Comme une nature morte, comme un Weisberg ou un Morandi.

td3.1275859530.jpgEt deux petits cercles qui attirent l’oeil dans cette image si épurée : deux roues, les roues d’une chaise roulante, quasiment les seules formes rondes ici. Sur la chaise, un vieil homme, qui va mourir huit mois plus tard, ses cheveux blancs parfois pris dans la lumière comme un halo : c’est lui qui dirige ici, d’une voix calme et assurée, qui corrige et reprend. Ses assistants peuvent préciser, répéter, organiser, c’est de lui que tout part, c’est lui qui irradie tout ici. Pas de musique, bien sûr, le bruit des pas seul, et parfois sa voix.

td5.1275859557.jpgCraneway Event est un film de Tacita Dean, de près de deux heures, montré à la Frith Street Gallery à Londres jusqu’au 23 juin. Merce Cunningham avait créé Stillness spécialement pour Tacita Dean dans son studio new-yorkais, assis en silence avec 4′ 33″. Elle le retrouve en novembre 2008, filmant trois jours de répétition avec une quinzaine de ses danseurs : la caméra est plus libre, plus proche que pendant une performance, et on observe la construction de la danse séparément de toute musique. Ce n’est pas vraiment un documentaire, même si on reconnait toutes les td4.1275859546.jpgparticularités de la chorégraphie de Cunningham, c’est plutôt un long essai sur la forme et la lumière, et la manière dont les corps les habitent. C’est un tribut, un mémorial, émouvant mais pas sentimental, aussi dur et dépouillé que le chorégraphe, bien plus réussi que celui de Boris Charmatz.

td2.1275859519.jpgOn pourra voir ce film à Paris à la Galerie Marian Goodman du 11 juin au 23 juillet, et de nouveau à la Cinémathèque un seul jour pour le Festival d’Automne le 8 novembre; dommage qu’on ne montre pas Stillness en même temps. Quelques intéressantes critiques, en anglais : The Guardian, Art Review, Canadian Art, et le NYT.

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