24 juin 2010

 

En s’inspirant des essais de nombreux théoriciens comme Robert Owen ou Mary Parker Follet, les trois auteurs de cet ouvrage, Dominique Steiler, John Sadowsky et Loïc Roche, spécialistes de l’entreprise, s’efforcent de montrer comment une entreprise peut agir pour le bien-être de ses salariés et ce qu’elle y gagne.

De même que St-Just proclamait à la chambre, en 1794, que le bonheur était une idée neuve en Europe, les auteurs démontrent que le bonheur - pas uniquement d’un point de vue matériel - est une idée neuve au sein de l’entreprise.

Cependant, à la fois le titre et le sujet font question : en effet, dans un climat de qui incite de plus en plus à la compétition, considérer l’entreprise comme un lieu d’épanouissement ne relève-t-il pas de l’utopie ? Pourquoi les salariés se suicident-ils ? Telle est la question ô combien actuelle à laquelle les auteurs tentent de répondre dans la première partie.

Tout d’abord, le stress explique le suicide mais il n’est pas seul coupable et des milliers de raisons peuvent expliquer le passage à l’acte.

Dominique Steiler, John Sadowsky et Loïc Roche reprennent l’idée paradoxale de Schopenhauer qui consiste à dire que « celui qui se donne la mort voudrait vivre ». Peut-on dire alors que les employés qui se suicident passent à l’acte car ils se sentent inutiles? Par la volonté d’imiter ceux qui les entourent, les employés sont devenus des robots. Le silence a laissé place à l’intelligence et le suicide est alors érigé en solution. Solution qui est aussi une action car c’est un geste qui leur permet d’agir sur leur destin.

Accusé majeur : c’est le manque de pédagogie qui serait à l’origine des problèmes liés au suicide que rencontre l’entreprise. Là est la solution : considérer les employés non pas comme de simple numéros mais comme des êtres humains.

A cet effet, cet essai propose des solutions concrètes - actions préventives et globales - contre le stress, comme la mise en place de «responsables de proximité», cadres à l’écoute des salariés. Certaines entreprises ont compris les avantages qu’elles peuvent retirer à s’occuper de leurs salariés : « au lieu de voir les personnes comme la cause et la limite de performance, ces entreprises les envisagent comme l’une des composantes majeures des améliorations possibles. »

Sur le plan individuel, l’acquisition de nouvelles compétences est gage d’épanouissement au travail.

Autre méthode préconisée par l’ouvrage : le « slow management », pour « construire, reconstruire, ou remettre de l’humain dans l’entreprise » et permettre, aux leaders, cadres, dirigeants, en période de crise, de souder leurs effectifs.
A faire, par exemple, pour un dirigeant en période de crise, à l’image de Bill Marriott - homme d’affaire américain spécialisé dans l’hébergement et les services - : se montrer visible tel Dieu guidant son troupeau.

Le dirigeant doit incarner les perspectives de la société : « rêver ensemble implique de créer un devenir, un rêve et un sens partagé, avec les hommes et les femmes qui devront suivre les dirigeants. » L’entreprise devient alors un théâtre où le travail est synonyme d’une pièce à jouer (malheureusement, on n’est pas au spectacle mais c’est la vraie vie ! Curieuse comparaison des auteurs, qui feraient bien de faire un tour au fond de la mine !) : « c’est dans une pièce formidable que les individus trouvent un sens à leur travail quotidien et l’inspiration pour se surpasser dans des moments difficiles. »

Cependant, quoi que l’entreprise fasse, l’employé n’est-il pas condamné à « l’éternel retour du même » à l’image de Sisyphe ? « Les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu’au sommet d’une montagne d’où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu’il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir » (Camus, Le Mythe de Sisyphe, 1942).

Par conséquent, à la lecture de ce livre aux accents souvent lyriques, on en apprend plus sur le suicide que sur la manière de bien gérer une entreprise qui pourrait se résumer à un utopique « aimez-vous les uns les autres » !…
 

Anne Grandazzi

Eloge du bien-être au travail, par Dominique Steiler, John Sadowsky, Loïc Roche. Presse Universitaire de Grenoble, 2010, 104 pages, 9 euros.

Partagez cet article
  • Envoyez cette page à un ami par courriel!
  • Facebook
  • TwitThis
  • Google
  • del.icio.us
  • Digg
  • Yahoo! Buzz
  • Imprimez cet article!

Laissez un commentaire