04 mai 2011

A 25 ans, Mlle Sagadevin est une professeur de lycée heureuse. Pourtant, depuis ses débuts il y a deux ans, elle enseigne en Zone d’Education Prioritaire et en banlieue parisienne : à Sarcelles d’abord, puis au lycée Romain Rolland de Goussainville, dans le Val d’Oise, un établissement aussi classé en « Zone Prévention Violence » et « Zone Sensible ».

En fait, avec Goussainville, Mlle Sagadevin a retrouvé le décor de son adolescence. Ce lycée où elle enseigne aujourd’hui est celui où elle a passé son BAC, en 2003.

Pour elle, il est important que les professeurs n’enseignent pas en ZEP «par dépit» mais bien parce qu’ils le veulent. Quand elle a choisi «Romain Rolland», elle savait qu’elle n’aurait pas de difficulté à obtenir un poste dans ce lycée si mal réputé. Elle déplore que les meilleurs professeurs aient tendance à délaisser ces établissements difficiles.

Mlle Sagadevin le sait d’expérience, les élèves de ZEP sont aussi capables que les autres : elle qui a été privée de cours d’anglais pendant trois ans, faute de professeurs au collège, enseigne aujourd’hui cette matière à des lycéens.
“J’ai toujours rêvé d’être prof en ZEP” from Zoé Lamazou on Vimeo.

Zoé Lamazou (texte et son), Marie Augustin (photo)

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26 avril 2011

« Coup de jeune sur la salle des profs ! En poste à Romain Rolland depuis 1972, Evelyne Sabardeil lève enfin le camp et vous invite à fêter ça ! ». A côté du message, sur l’affichette punaisée en salle des profs, il y a la photo sépia d’une toute jeune femme devant son tableau noir. C’est elle, quarante ans plus tôt : Madame Sabardeil, enseignante de lettres modernes et de français. Le cliché a été pris à son insu par ses élèves d’alors.

Le lycée Romain Rolland, voisin de l’aéroport de Roissy, au bord de Paris, est son premier poste. Elle n’avait pas choisi, elle a même eu peur au début. Et puis cette fille d’ouvrier s’est prise de passion pour son lycée de ZEP. Dans sa classe d’hypokhâgne, à St Etienne, elle était la seule élève venue du « lycée de pauvres ». Elle a consacré toute sa vie de professeur à transmettre, non seulement l’amour de la littérature, mais aussi toute la culture qu’elle dit devoir à l’Ecole. Aujourd’hui, le bilan est un peu lourd. Le calme est revenu au lycée Romain Rolland, longtemps réputé ultraviolent. Mme Sabardeil collectionne les anecdotes plaisantes et rit des mauvais souvenirs. Pourtant, elle reste inquiète. Elle raconte…

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Zoé : A quoi ressemblait le lycée Romain Rolland en 1972 ?

Mme Sabardeil : L’accueil était rude pour une première fois! L’actuel lycée Romain Rolland est construit sur ce qui était à l’époque des champs de betteraves. Il y avait un petit chemin qui partait dans la campagne, c’était bucolique. Mais il y avait aussi, près de la gare, une raffinerie de sucre Béghin. Quand on arrivait en automne, l’odeur était telle que certains collègues vomissaient. On avait aussi le bruit des avions.

L’architecture de l’ancien lycée était la même que celle du collège Pailleron, le collège parisien qui a brûlé en 1973 : l’armature en métal flambait vite, le fer fondait le bâtiment s’effondrait sur lui-même et ceux qui étaient dedans restaient prisonniers. Des élèves et des enseignants sont morts comme ça rue Pailleron. La même année, un Tupolev s’est écrasé sur un quartier de Goussainville lors d’une démonstration pour le salon du Bourget.

Le lycée de Goussainville, pour moi, c’était le comble du sordide. J’aurais tout fait pour partir mais c’était impossible. Il faut un capital de points pour espérer une mutation. J’en avais pris pour six ou sept ans.

Zoé : Et pourtant vous êtes restée… Pourquoi ?

Mme Sabardeil : Certainement pas pour les conditions matérielles !

Mais j’ai trouvé sur place une intensité dans tous les domaines. Bien sûr il y avait des tensions et des conflits mais ça bougeait, ça luttait, ça réfléchissait.

On était toute une cohorte de jeunes profs qui avaient fait mai 68. Il y avait des gens d’horizons très différents : des comédiens, des écrivains, un qui faisait le tour du monde à vélo, des danseurs. Un de nos collègues est devenu chanteur d’opéra baroque. C’était des gens atypiques, pas des professeurs qui venaient professer.

Et puis il y avait ceux qui avaient fondé le lycée en 1965, et qui partaient en retraite. Tous ces anciens étaient des instituteurs devenus professeurs. Ils gardaient un état d’esprit d’avant 68, avec une notion de l’ordre et de la discipline extrêmement stricte. En atelier les élèves ne bronchaient pas, on ne leur parlait pas, et quand ils avaient fait une erreur on les tapait jusqu’à ce qu’ils comprennent et se corrigent.

J’étais à l’Ecole Normale Supérieure à l’époque, à St Cloud. Je militais dans des groupes maoïstes. Je rentrais tous les soirs de Goussainville pour diner à la cantine de normale sup’. Je rapportais à St Cloud mon expérience de prof de terrain. De retour à Goussainville je m’inspirais de nos grandes discussions politiques pour essayer de faire le lien avec les élèves et combattre un état d’esprit qui était rétrograde à mes yeux. Nous voulions établir ce que nous appelions « le nouvel enseignement », c’est à dire un nouveau rapport beaucoup moins hiérarchique aux élèves, leur laissant plus d’autonomie.

Pendant mes premières années d’enseignement, et jusqu’au jour où les réformes nous ont obligés à faire le contraire, je demandais aux élèves ce sur quoi ils voulaient travailler. A l’inverse, la personne que je venais remplacer dictait ses cours à la virgule près.

A cette époque, les élèves se mettaient en grève à partir des vacances de février jusqu’aux aux vacances de pâques. Il avaient toujours de bonnes raisons : ils réclamaient par exemple un foyer, qui leur était chaque fois refusé. Après leurs assemblées générales on organisait ensemble des « contre-cours ». Pendant ces périodes, les enseignants s’échangeait les matières, J’allais avec mes élèves écouter un cour de philo. On allait chez des élèves, ou les élèves venaient chez nous à Paris, on faisait cours sur la pelouse…

Z : Vos élèves étaient beaucoup plus politisés qu’aujourd’hui ! Quels élèves étaient-ils ? D’où venaient-ils ?

Mme Sabardeil : Ils étaient très politisés, certains vivaient en communauté, avec l’envie de vivre très différemment de leurs parents.

Au début il n’y avait pas de section générale, mais des spécialités en mécanique ou en électricité… Les mêmes qu’aujourd’hui ! Le lycée était très bien côté, nous avions 95% de réussite au Bac. Les élèves sortaient avec un Bac technologique en poche qui leur permettait de travailler tout de suite. Ils trouvaient facilement du travail à l’époque.

Goussainville a longtemps été une ville pavillonnaire, mais il y a avait déjà des cités dites d’urgence où la vie était terriblement dure. Nous avions des élèves qui venaient de tous les pays du monde, selon les vagues d’immigration successives. C’était un mélange. Aujourd’hui beaucoup d’élèves viennent encore des cités, mais la ville s’embourgeoise avec les nouveaux pavillons qui ont poussé comme des champignons.

Ce qui n’a pas changé au lycée de Goussainville, c’est qu’on a toujours l’impression d’être au bout du monde. Il n’y a pas un restaurant à proximité. Quand on a une heure de pause, ou à l’heure du déjeuner, on reste entre nous au lycée. C’est ça qui fait l’ambiance : ça crée des liens, une solidarité qu’on ne retrouve pas dans les lycées parisiens. Ici, quand un prof a des problèmes avec une classe, il ose le dire. On se serre les coudes.

Z : Cet esprit de 68 a donc toujours perduré ?

Mme Sabardeil : Le militantisme post-68 s’est transporté ici et il y est resté même après les réformes.

Dans les années 80, tout le nouveau jargon pédagogique a commencé à déferler. On nous a abreuvés de manuels scolaires. A partir de là, nous avons dû travailler autrement.

En lettres, on est obligé d’apprendre aux élèves tout un tas de procédures qui sont pour moi des tue-littérature. On peut prendre du plaisir à lire parce qu’un texte nous parle mais quand on doit d’abord le disséquer avec tous ces instruments, le texte meurt. Je ne vois pas comment les élèves peuvent avoir envie de lire après ça. Mais les épreuves du Bac avaient changé, il fallait qu’ils acquièrent ces nouvelles compétences.

Z : Est ce que, malgré tout, le militantisme a continué ?

Mme Sabardeil : Les élèves étaient de moins en moins politisés, mais les enseignants ont lutté contre ces nouvelles politiques. Nous sommes devenus un lycée phare dans la lutte. Quand arrivait une réforme nous la discutions sur la base des idéaux pour lesquels nous avions choisi ce métier: la transmission de la culture pour tous.

Nous luttions à l’échelle nationale mais aussi en réaction à des problème internes, parce qu’il y a eu à ce moment là un déferlement de violence que nous n’avons pas accepté. La première agression a du se produire en 1992. Notre collègue du CDI, qui est toujours là, s’est pris un coup de poing en pleine figure.

Z : Les relations entre élèves et professeurs avaient bien changé !

Mme Sabardeil : Oui, les élèves avaient beaucoup changé, ils n’avaient plus le même rapport à l’école et à la réussite. Se sont ensuite développées des histoires de bandes, des guerres de territoire qui sont devenues de plus en plus violentes et qui se résolvaient dans l’enceinte du lycée. Alors on a milité pour obtenir des conseils de discipline et rétablir la sécurité, pour que les élèves qui se sentaient agressés continuent d’étudier. A côté du CDI, il y avait ce qu’on appelait « le couloir de la mort » où on ne mettait plus les pieds : un tas de gamin qui tenaient les murs et n’allaient jamais en cours. Peut-être n’étaient-ils même pas élèves dans l’établissement ? Ils faisaient régner une espèce de terreur, ils crachaient, ils hurlaient, organisaient toutes sortes de trafics.

Ina.fr 12/12/1999

Z : A quoi tenait cette violence?

Mme Sabardeil : On ne la comprenait pas. La direction du lycée n’était sans doute pas assez ferme. Il y avait pas mal de tensions entre les jeunes des différentes villes - Goussainville, Villiers-le-Bel, Gonnesses - et cela se réglait ici. Il suffisait qu’un élève déménage à Goussainville et il n’était plus embêté au lycée.

C’était assez chaotique jusqu’à la fin de l’ancien lycée, puis encore dans le nouveau lycée.

Au début ça paraissait un peu mieux, et il y  a eu l’affaire du foulard. Tous les feux des médias se sont braqués sur nous, malheureusement

Z : Un sursaut de politisation de la part des élèves ?

Mme Sabardeil : Les RG nous ont dit ensuite que le nouvel imam de la mosquée de Goussainville avait voulu faire un coup médiatique. Quatre élèves de Terminale L, qu’on avait vues en minijupe et coquettes le mois de juin précédent, sont arrivées voilées de la tête aux pieds. Elle prétendaient entrer dans l’établissement dans cette tenue, refusaient d’assister aux cours de sport et d’étudier les « auteurs mécréants ». On ne pouvait pas leur dire un mot. Elles étaient entourées de barbus qui parlaient pour elles.

Nous avons demandé à l’inspection d’académie de nous donner des instructions. L’inspecteur d’académie a refusé de nous répondre. Nous devions décider seuls. Nous nous sommes mis en grève. Pendant plusieurs semaines des barbus ont empêché les élèves d’entrer au lycée, ceux-ci ont voulu y pénétrer de force pour tout casser. Les CRS sont intervenus. Nous avons attendu. Et il y a eu la circulaire Bayrou qui stipulait que chaque conseil d’administration pouvait ajouter au règlement intérieur l’interdiction de couvre chef à l’école. Nous avons donc demandé aux filles d’enlever leur couvre chef, elles ont réfusé, il y a eu conseil de discipline. On s’attendait à ce que les élèves soutiennent les jeunes filles. Ils n’ont pas bougé. Il n’y a plus jamais eu de problème de foulard à Goussainville. Mes élèves enlevaient leur foulard en entrant au lycée, elles pouvaient le garder quand nous allions au théâtre…

Ina.fr 27/09/1994

Z : La situation s’est beaucoup apaisée depuis…

Mme Sabardeil : Oui, le proviseur suivant a fait une charrette de conseils de discipline et surtout on a fait nos projets .

On me disait « va enseigner à Neuilly, pour enseigner dans un lycée de ghetto il faut des profs issus du ghetto ! » J’ai répondu: « je reste ! »

J’avais des élèves désespérés de ce qui se passait. C’était injuste : parce qu’ils étaient nés près de ce lycée, ils étaient condamnés à ne pas réussir alors qu’ils croyaient en l’institution et qu’ils voulaient travailler ! Avec une collègue on a voulu changer les choses. A partir des années 1999, 2000, la proviseure nous a proposé des classes à projet et ça a été la révélation. Ça nous a tiré vers le haut.

On a choisi pour ces classes des élèves volontaires, pas fâchés avec l’institution, au comportement correct. En plus du programme ils réalisaient un projet artistique hors les murs. Il fallait les sortir du « ghetto », leur montrer que le monde n’était pas aussi redoutable qu’ils ne le craignaient et qu’ils pouvaient y réussir. Ils ont travaillé avec des artistes à l’abbaye de Royaumont, on a été en Grèce, on a été au théâtre…

On a  eu des résultats exceptionnels à une époque où le lycée était classé avant dernier de la région: des élèves qui sont allés en hypokhâgne et une qui a réussi l’écrit de polytechnique.

Il ya eu plusieurs projets dans d’autres classes avec des « élèves à remotiver », des redoublants…

Z : Etes-vous heureuse d’avoir fait toute votre carrière au Lycée Romain Rolland ? Maintenant que vous avez quitté l’enseignement, quel bilan tirez-vous de toutes ces années ?

Mme Sabardeil : À la fin j’étais épuisée. C’était un travail physique, mais pendant longtemps je n’ai pas senti le temps passer. Les élèves sont attachants, ils ont encore faim, ils ne sont pas revenus de tout. On a vraiment l’impression de servir à quelque chose. Ça n’aurait pas été pareil dans un autre lycée. À Paris, par exemple, les élèves vont au théâtre avec leurs parents, pas avec le lycée.

Différentes réformes ont modifié le sens de la mission d’enseignement, mais je n’ai jamais renoncé à mes idéaux : transmettre la culture c’est donner la clé de la liberté, la liberté d’être soi-même.

J’ai l’impression que c’est quand même plus en plus difficile de transmettre à des jeunes fascinés par Facebook, msn, les séries et les jeux vidéo. Et puis il y a la violence sociale à laquelle sont confrontés de plus en plus de jeunes diplômés qui ne trouvent pas de travail. Il faut voir aussi ce qui se passe en primaire et au collège. On se demande où l’on veut en venir avec ces réformes, ces suppressions de postes, ces fermetures de classes. Est ce qu’on veut vraiment une baisse générale du niveau d’enseignement?

Propos recueillis par Zoé Lamazou

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19 avril 2011

Tony est un discret. Dans sa classe de première professionnelle section électrotechnique, au lycée de Goussainville, il n’y a que des garçons: vingt beaux gosses à grande bouche et yeux de velours qui font tourner en bourrique leurs enseignants ou les attendrissent tour à tour, à longueur de journée. Les mêmes professeurs qui s’énervent du comportement de ces électrotechniciens électriques pensent que Tony est beaucoup trop discret. Tony s’en moque: “Qu’est ce que vous allez dire à mes parents? Que je suis trop mou? Ils le savent déjà.”

Tony a pourtant des choses à dire. S’il ne parle pas beaucoup c’est qu’il doit un peu observer.

Par exemple, depuis le début de l’année, sa classe est dépositaire d’un projet artistique de grande ampleur : la mise en lumière de la cour d’honneur du lycée (voir ci-contre : Le projet kersalé) avec le parrainage de l’artiste Yann Kersalé. Malgré la nouveauté de cette mission, la plupart des garçons de la première électrotech’ se sont peu à peu désintéressés du projet. Tony a son avis sur la question. Pour lui, c’est clair, la classe n’a pas bien compris le but de l’opération.

Tony à propos du projet Kersalé

Tony © Marie Augustin - 2011

Tony n’est pas beaucoup plus assidu que les autres. Parler du projet nous amène à évoquer le lycée en général et la filière professionnelle en particulier: Est ce qu’on est moins exigeant avec soi-même lorsqu’on est en lycée pro?

Il raconte pourquoi il s’est inscrit en section électrotechnique d’un lycée, orienté vers ce secteur par défaut, comme la plupart de ses camarades.

Lui qui sèche devant sa feuille en cours d’arts appliqués révèle que ce qu’il aurait vraiment voulu faire aurait été “un boulot dans l’art”. Art et électricité sont pourtant compatibles, le projet en cours au lycée le prouve. Mais Tony n’a aucune idée d’un métier qui allie les deux disciplines. L’après Bac est très flou. L’univers de Yann Kersalé, architecte de la lumière, est très lointain. Tony a d’ailleurs laissé tomber “le côté art” pour se concentrer sur l’électrotechnique et surtout sur l’examen.

L’orientation en lycée professionnel

© Marie Augustin - 2011

Tony s’est intéressé à l’art tout seul, en regardant la télévision. Aujourd’hui, il a mis de côté sa passion. Tony dit que “rien ne se déroule comme on veut dans la vie”. Selon lui, ses parents non plus n’ont pas vraiment choisi leur travail…

Les parents

Tony © Marie Augustin - 2011

Tony n’a pas toujours vécu à Goussainville. La première fois qu’il a vu son lycée, il l’a confondu avec une prison. Il a pris peur.

Mon lycée

Lycée Romain Rolland © Marie Augustin - 2011

Lorsqu’on lui demande à nouveau ce qu’il pense personnellement du projet kersalé, Tony répond que finalement le projet ne sert qu’à embellir ce bâtiment qui l’impressionnait tant. “On travaille pour ça mais pas pour nous”, dit-il.

Zoé Lamazou (texte et son), Marie Augustin (photo)

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12 avril 2011

Ce jour-là, les élèves de première professionnelle BELEEC, classe à projet du lycée Romain Rolland de Goussainville, suivent pour la dernière fois une séance d’arts appliqués avant de quitter l’établissement pour deux semaines de relâche puis huit semaines de stage en entreprise. C’est l’ultime occasion pour eux de mettre la main à la pâte pour ce projet qui les a tenu toute l’année : l’illumination de la cour du lycée (voir ci-contre : le projet Kersalé ). Pourtant, ils ont décidé de ne rien faire, ou presque.

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L’enseignante, Mlle Brax, a disposé à plat sur le sol les dix huit lettres métalliques qui étaient fixées jusqu’alors au fronton du bâtiment : LYCEE ROMAIN ROLLAND . L’atelier du jour consiste à marquer sur chaque lettre l’emplacement de petits trous d’où jaillira de la lumière. Une fois les lettres remise à leur place et équipées de LED sur leur verso, une espèce de voie lactée courra à cet endroit sur la façade.

Deux ou trois garçons se penchent sur les lettres, trace cercle et crayon en main. Les autres font au mieux de la figuration.

 

Dernier cour d'arts appliqués des 1 BELEEC, © Marie Augustin

D’après Jordan, élève de 1 BELEEC, seuls quatre ou cinq élèves - les meilleurs de la classe dont lui-même - auraient été sollicités régulièrement pour travailler sur le câblage de leur installation lumineuse en atelier d’électrotechnique. Pour cette raison, les autres se seraient rapidement « distanciés du projet ». « On n’a juste pas envie de faire son truc », lance David, un autre élève de 1 BELEEC. Le projet ne lui plaît pas ? « Mais si, quand je me réveille le matin, je saute du lit en pensant au projet ! », dit-t-il, avant de préciser : « C’est de l’ironie ».

Les autres ne disent pas aussi franchement leur manque d’enthousiasme. Il ont d’autres raisons : « On sort d’un examen de sport qui compte pour le bac, on est fatigués », « C’est bientôt les vacances … ». Lors d’un précédent « dérapage » de la classe juste avant Noël, Monsieur Bérachategui, proviseur adjoint du lycée, avait aussi accusé la fatigue et le relâchement liés à ces périodes de l’année scolaire : « Les statistiques le montrent, en EPS par exemple, c’est toujours avant les vacances qu’il y a le plus d’accidents ».

Dans le brouhaha de son atelier, Mlle Brax hurle, menace, ses élèves ricanent. « Pendant ce cours, j’ai tout essayé et j’ai fini par faire tout ce que je déteste : gueuler », déplore l’enseignante. Une question va lui trotter dans la tête pendant le week-end suivant : « Aurais je pu faire autrement? ».

Ne trouvant pas de réponse, elle pensera à toutes les fois où la plupart de ces élèves avait semblé « accrochés » par le projet. La veille de ce dernier cours d’arts appliqués,  le lycée avait reçu la visite du maire de Goussainville, Alain Louis. L’élu avait été invité  à découvrir les travaux de la classe-star de la ZEP, la classe-vitrine. L’objectif était d’impressionner. Le projet a besoin de la mairie : il manque des bras et surtout des machines pour creuser des tranchées dans le béton, là où passeront les câbles électriques qui alimenteront l’éclairage de la cour. Parmi les présents, cinq élèves modèles de la classe avaient été sélectionnés pour l’opération séduction. Mehdi, Ayoub, Victor, Bokari et Jordan étaient donc venus en costume. Jordan et Victor avaient expliqué avec aisance leur travail au maire, Ayoub avait fait semblant de rire à une blague du visiteur, les garçons avaient joué leur rôle d’ambassadeur de la 1 BELEEC.

Mlle Brax pense que le projet reste un succès ne serait ce que parce qu’il y a eu ces instants : une visite à l’atelier de Yann Kersalé , l’artiste parrain du projet, le dessin de la mise en lumière, et surtout la fabrication de la maquette avec l’aide de trois intervenants architectes…

Pour Mlle Brax, ce dernier cours dédié au projet et pour lequel la plupart des élèves n’a montré aucun intérêt, ne compromet pas du tout le travail investi jusque là. « Ça  arrive », dit-elle seulement.

En novembre dernier, le projet commençait à peine :

flash back _ la classe-à-projet _ novembre 2010_ZLamazou from Zoé Lamazou on Vimeo.

Zoé Lamazou (texte et vidéo), Marie Augustin (photo)

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03 avril 2011

 

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C’est un jour de semaine, un peu après midi, une conversation de café. Larbi* et Nouredine sont assis sur les sièges en skaï marron du Tabac de la gare. Au dehors, le ciel est blanc et la bande son de Goussainville tourne en boucle : toute les deux minutes environ, un avion en approche ou au décollage de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle.

Nouredine avise l’appareil photo posé sur notre table. Nous lui expliquons ce blog dédié au lycée de Goussainville. Lui et Larbi étaient élèves de BEP à « Romain Rolland » en 1996 ou 1997, peut-être en 1998. Les pires années du lycée d’après les professeurs qui y enseignaient déjà à l’époque. Puis, Larbi y a été surveillant en 2005. Pour lui, c’est sûr, « Romain Rolland » n’était déjà plus le même que celui qu’il avait connu. Malgré les blocus qui virent à l’émeute et les grèves qui font toujours sa réputation. À l’époque, Larbi et Nouredine habitaient une cité de Goussainville. Ils n’ont pas quitté le quartier. À 29 et 30 ans, l’un travaille comme intérimaire, il est cariste le plus souvent, l’autre est employé de mairie. Ils ne gardent pas un bon souvenir du lycée. Ils savent exactement pourquoi.

Zoé : Comment était l’ambiance à l’époque, au lycée Romain Rolland ?

Nouredine : Avant c’était chaud et maintenant ça s’est grave calmé.

Quand on est entrés au lycée, au début, tout se passait bien. Après il y a eu des engueulades avec les villes d’à côté. Ceux qui n’avaient pas de lycée dans leur ville, ils venaient au lycée ici et ça a fait des conflits. En fait, ça commençait à l’intérieur du lycée et ça se finissait dehors, jusqu’à la gare.

Larbi : Après, c’était ville contre ville.

Nouredine : Ça partait d’un petit conflit entre deux jeunes au lycée, à cause d’une fille, d’une casquette, d’une cigarette: « Tu m’as pas donné une cigarette alors que t’avais un paquet ». Ça partait d’une bagarre, il y en avait un qui avait vraiment bien défoncé l’autre, l’autre n’était pas content, il revenait avec trois autres mecs pour le défoncer et c’était l’engrenage…

Larbi : Et après ça continuait le week-end sur Paris, ou dans le train.

Nouredine : Quand on allait sur Paris le week-end, il fallait que le wagon du train soit rempli avec notre bande, pour qu’on soit en force. Il y avait des jeunes qui prenaient le train tout seuls, les pauvres, s’ils avaient une chaîne ou une casquette ils devaient tout cacher quand ils arrivaient à la station Garges Sarcelles, sinon ils se faisaient dépouiller par dix mecs.

Z : Aujourd’hui c’est toujours comme ça ?

N : Non c’est plus comme avant.

L : Nous on ne vit plus ça, parce qu’on a passé l’âge…

N : Avant on n’avait rien. Maintenant les jeunes ils ont tout.

Quand les jeunes arrivaient à l’école, ils n’avaient pas de trousse, pas de cahier dans leur cartable, il venaient avec des bombes lacrymogènes, des extincteurs, des bâtons… Il y en a un qui est venu avec une hache. C’était  écrit dans Le Parisien. Nous on l’a vu, on l’a vécu. Aujourd’hui les jeunes ils ont tout ce qu’ils veulent, c’est pas comme avant.

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Z: Et ça expliquerait que les jeunes d’aujourd’hui sont plus calmes ?

N : Avant quand on sortait de chez nous, on était en pétard. Maintenant les jeunes ils ont le sourire et c’est tant mieux. Nous on n’avait rien. Même notre crayon il était contre nous, il ne voulait plus écrire ! Maintenant les jeunes ont le téléphone, Internet… Quand ils rentrent chez eux, ils ont la console. Ils ne trainent plus dehors.

L : Avant, il y avait moins de suivi de la part des parents.

N : Oui mais maintenant aussi les parents sont plus cool, ils ne tapent pas leurs enfants, ils se sentent surveillés par les voisins, par exemple, qui peuvent porter plainte. Nous, on se mangeait des tartes.

L : Mais en fait tout part du collège et de l’orientation. Quand t’étais au collège et qu’on t’orientait vers un BEP alors que tu pouvais aller en seconde, déjà dans ta tête tu te disais : « il y a un problème ». Quand on te met avec des cas soc’, tu deviens un cas soc’.

N : Très bien parlé. Quand on arrive dans une classe où on est douze perturbateurs, on se connaît tous, on habite dans le même bâtiment, on se retrouve dans la même classe, on est obligé de discuter ensemble. Quand on allait faire un match de foot on était dix, on allait en classe on était les même dix. On n’avait pas de filles dans notre classe.

On peut tous aller en seconde générale. Mais on dirait que c’est écrit sur notre tête : « Toi tu seras chaudronnier », « toi tu seras outilleur »

Z: C’est donc l’orientation qui vous a posé problème ?

L : Oui, c’est la base. C’est vrai que je n’étais pas un excellent élève, mais je pouvais aller en seconde. J’ai eu mon brevet des collèges. Enfin il me manquait juste 40 points. Mais je l’ai eu en maths. J’avais le niveau pour aller en « général ». On m’a mis en BEP vente. C’était mon dernier choix. J’avais d’abord choisi « électrotechnique ». On m’a mis en « vente » et j’ai arrêté l’école vite fait.

J’ai quand même failli avoir le BEP alors que j’allais jamais en cours. Je l’ai loupé de 0,16 points. Comment c’est possible cette note ? A 0,84 point près je l’avais… C’est le système qui est bizarre. Je suis sûr que c’est parce que j’allais jamais en cours qu’ils m’ont pas donné le BEP.

N : Moi j’ai le niveau BEP, mais j’ai arrêté avant. De toutes façons, par exemple, mon frère il a le BEP métallurgie, il ne travaille pas avec. Le diplôme c’est juste une feuille de papier.

Quand on est au collège, en troisième, on veut aller au lycée. Ils nous auraient orientés n’importe où, on y aurait été, juste pour quitter le collège. Si on voulait faire « électrotechnique », par exemple, les profs nous répondaient : « Jamais de la vie, c’est pas pour toi, t’as pas la moyenne, t’y arriveras jamais ! » Ils ne cherchaient pas à comprendre.

Les profs quand ils viennent dans les quartiers, ils prennent leur salaire et c’est tout. Je reconnais aussi qu’il y a des élèves difficiles, des classes où le prof dit une fois « Taisez vous », une deuxième fois, une troisième…

Z: Les profs ont la vie dure !

L : Oui mais ils se compliquent la vie. Pour gérer un petit jeune qui ne veut pas comprendre, c’est simple : t’appelles ses parents. Le petit jeune cogite, il a peur. On ne lui fait pas de cadeau à la maison.

Nous on n’était pas suivis ! On  allait en cours quand on voulait et on faisait ce qu’on voulait. C’était comme ça. Et puis si on bavardait en cour le prof disait : « Va faire un tour dehors », on n’était pas inscrits comme absents, on n’avait pas de rapport, rien…

N : Il y avait aussi des grands qui n’était pas du lycée et qui trainaient dans la cour.

L : Comment tu peux expliquer que dans une certaine matière tu écoutes bien, tu es là, et dans d’autres cours tu fais un peu n’importe quoi, tu discutes ?

Z: Vous pensez que c’est un problème lié aux professeurs?

N : Vous savez, à Goussainville il y a des profs qui sont là depuis plus de vingt ans et ceux-là ont toujours été respectés par les jeunes, par tout le monde. Pourquoi ? Parce que ces profs connaissent ta famille. Si par exemple mon petit frère arrive du collège et qu’un prof lui dit : « Ah j’ai eu ton grand frère en classe », mon petit frère va suivre son cours gentiment parce que il se dit que si il fait une connerie on peut appeler son grand frère. Quand des nouveaux profs arrivent, les jeunes les testent.

L : C’est comme les surveillants. Ils jouent un grand rôle. Il faut prendre des surveillants qui sont de la même ville et qui sont une génération au dessus de ceux qui sont au lycée. Parce que les surveillants connaissent la famille. Quand tu es surveillant, l’élève c’est comme ton petit frère, il ne peut rien faire devant toi.

N : Dans les quartiers c’est comme une grande famille, tout le monde se connaît. Même si on ne veut pas se connaître on se connaît.

L : Il y a une surveillance même en dehors du lycée. Quand t’es surveillant et que t’es dehors, les parents ou les frères viennent te voir pour te dire : « Fais gaffe à mon petit frère, ne le laisse pas galérer, quand tu le vois tu l’embrouilles pour qu’il monte en cours ».

Z: Vous  pensez que les professeurs devraient serrer la vis, avec des sanctions, comme des exclusions par exemple ?

L : C’est le boulot des profs ! Mais les exclusions ça sert à rien.

N : L’exclusion ça met le petit jeune en pétard parce que il se sent rejeté, il veut se venger du prof.

L : L’exclusion d’une semaine ça veut dire une semaine de vacances pour le petit. Ce qu’il faut c’est les heures de colle, quand il finit à six heures et demie au lieu de quatre heures.

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Z: Certains profs disent qu’ils ne sont pas très heureux de faire le métier d’éducateur au lieu de celui de professeur. Vous pensez que les profs devraient être aussi des  éducateurs ?

L : Mais ça fait partie de leur métier ! Les jeunes passent autant de temps avec les profs qu’avec leurs parents !

N : Le prof a un grand rôle, il ne fait pas que corriger les copies. C’est pas l’« Education nationale » le truc de l’école ?

L : Il y a l’éducation à la maison, où il y a la tradition, et l’éducation à l’école. Nos parents viennent d’Algérie, du Maroc ou du Sénégal. On n’a pas les traditions françaises à la maison.

N : En plus nos parents Algériens, Maghrébins, Africains, ne comprennent pas bien la langue française, donc quand il y a un rendez-vous au lycée, le père ne comprend pas tout du discours du prof. Le prof utilise des mots que moi même je ne comprends pas. Alors si moi j’ai pas compris, mon père il va encore moins comprendre.

L : Les profs doivent faire le suivi des élèves. Mais quelqu’un qui aime son métier va le faire. Il n’a pas besoin qu’on le lui dise. Que ça prenne du temps ou pas, il le fait.

N : Il y a  aussi les Conseillers d’Education…

Z : Aujourd’hui il y en a cinq au lycée de Goussainville

N : Avant c’était pas comme ça.

L : À l’époque il y a eu des CRS dans le lycée, c’était la guerre. Même au collège, il y a eu des émeutes, des cocktails Molotov, des voitures brûlées !

Z : Pour quelles raisons ?

L : C’est le ras le bol. Parce qu’il y en a marre, c’est la galère, il y a rien à faire.

En dehors de la maison et l’école il n’y a rien pour les jeunes.

Il y a ceux qui font du sport et ceux qui ne font pas de sport. Ceux qui ne font pas de sport…

N : Ma parole heureusement qu’il y a le sport au lycée et au collège pour se lâcher les nerfs…

Z : Qu’est ce que vous a apporté le lycée finalement ?

N : Rien du tout. Le seul truc que l’école m’a apporté c’est en primaire : ça m’a appris à lire à écrire, à compter. Ça je le reconnais et je dis merci l’école, merci l’Education nationale pour ça. Mais c’est tout.

En histoire géo, le livre dit que tu descends du singe… Mais ça, on le sait même pas ! Si tu veux toi tu descends du singe, pas moi !

* Les prénoms ont été modifiés

Propos recueillis par Zoé Lamazou

Photo: Marie Augustin

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29 mars 2011

Samedi, c’était journée portes ouvertes au Lycée Romain Rolland de Goussainville. Ambiance kermesse: musique, gâteaux, boissons sucrées et tombola.

Un peu à l’écart de la fête, dans l’ancienne loge, deux élèves de la “classe à projet” de ce lycée polyvalent - les 1 BELEEC, s’activent. Sous l’oeil de leur enseignant, M. El Gabli, Jordan et Bokari “tirent des câbles” entre plafond et faux plafond, là où court déjà un tricotin de fils électriques de tout diamètres. Ils ne sont apparemment pas dérangés d’être “de service” un samedi matin. Jordan et Bokari, bientôt aidés de deux élèves de Terminale électrotechnique , ajoutent d’autres câbles à ce système nerveux. Il s’agit d’alimenter leur future installation lumineuse au milieu de la cour, une véritable oeuvre d’art à vocation pérenne.

Au lycée, peu de gens savent ce qui se trame là. Les élèves comme les futurs inscrits, qui déambulent ce samedi dans le bâtiment, râlent un peu à cause de l’austérité des lieux: “Notre collège est beaucoup plus coloré!”, “Ici c’est juste bleu et gris”, “On dirait une prison!” , “Il faudrait mettre des rideaux de différentes couleurs…”

S’ils savaient…

Zoé Lamazou (texte), Marie Augustin (Photo)

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22 mars 2011

C’est imperceptible. On ne le remarque pas tout de suite. Certains ne le verront peut-être jamais car tout autour le paysage est figé: un bloc de béton impose sa masse opaque en travers d’un ciel gris. Mais il manque une lettre capitale au fronton du lycée de Goussainville. L’établissement s’appelle désormais Romain Rollan, et non plus Romain Rolland.

Le lycée avait pourtant douze lettres d’avance : Z, E et P, pour Zone d’Education Prioritaire, ou A, P et V pour Affectation Prioritaire à Valoriser, et encore Z et S pour Zone Sensible, et enfin Z, P et V pour Zone Prévention Violence.

Il a fallu que Romain Rolland perde la mauvaise majuscule et, de ce fait, son véritable patronyme. Pourquoi cette ablation ? L’enlèvement de la lettre D fait partie d’un plan plus vaste : « le projet Kersalé » , ou l’illumination de la cour par une classe de première professionnelle, section électrotechnique, avec le parrainage de l’architecte et artiste Yann Kersalé.

Constellation

Les élèves de la classe 1 BELEEC ont bien avancé sur leur ouvrage jusqu’en février. L’essentiel du travail a été réalisé en cours d’arts appliqués . En dessins et en maquette, ils ont placé LED et autres lampes à interrupteur crépusculaire sous les bancs, aux quatre coins des allées, dans les branches de buissons de ferraille qu’ils ont inventés, le long du mât où est censé flotter le drapeau français… Les lettres du fronton seront percées de dizaines de petits trous et la lumière jaillira de ces empiècements pour figurer une constellation.

maquette de la cour du lycée - photo : Marie Augustin

Ristournes

En attendant, la lettre D- qui a servi de témoin- est posée dans un coin du bureau de M. Bonnet, le chef des travaux du lycée, conseiller technique du chef d’établissement. Avec M. Vallat, son assistant, il veille à la bonne marche des sections professionnelle et technique du lycée polyvalent Romain Rolland. Cette année, il a été nommé chef du projet Kersalé. Pendant que les 1 BELEEC dessinent installation artistique et câblage, messieurs Bonnet et Vallat se chargent de la paperasse: les commandes de matériel. Le budget du projet Kersalé est équivalent au budget d’une année de fonctionnement technique de filières pro et technique, environ 15 400 euros. La région Ile de France a fourni l’essentiel des subventions, l’Education nationale n’a déboursé que 400 euros. Le lycée voulait consacrer plus à l’illumination, mais n’espère plus de sponsors. Il faut donc négocier, profiter des dons ou ristournes des fournisseurs habituels, des remises accordées par les grossistes amis de l’atelier Kersalé sur simple coup de fil du « maître ».

Charbon 

Outre la disparition de la première lettre, un indice très discret de la matérialisation du projet est l’apparition d’une petite armoire de commande pirate accrochée à une plus grosse armoire dans le local de l’ancienne loge. Cette boîte connectée en amont de la principale, lui volera un peu de courant pour alimenter l’installation des 1 BELEEC. Un jeudi, précédés de leur enseignant en costume cravate, trois élèves de la classe sont sortis en blouse bleue de l’atelier d’électrotechnique pour préparer la connexion. Bokari, Murat et Jordan ont dépecé la loge, soulevant une à une les plaques du faux plafond pour repérer les chemins de câbles déjà en place, qui serviront de guide pour faire passer les fils électriques de leur œuvre. Dans le hall, les potes des autres classes se marraient en avisant le bleu. Jordan a répondu sur un ton nonchalant : « Charbon … »

Quatre semaines

La cour ne sera inaugurée que le 21 juin mais en réalité il reste moins de quatre semaines aux 1 BELEEC pour faire le gros du travail: câbler et brancher. Après, ils quitteront le lycée pour leurs lieux de stages. Cette perspective de laisser leur projet en cours de route ne les déçoit pas du tout. Ils savent que d’autres classes prendront le relais : « Les terminales vont terminer ! » Les élèves serruriers métalliers sont aussi sur le coup pour la conception des buissons ardents.

Après l’émulation de la période de création, l’intérêt pour le projet est un peu retombé en classe de 1 BELEEC. Certains élèves reconnaissent que le projet leur a plu. « Le projet nous a permis de rencontrer de nouvelles personnes et ça nous a appris plein de choses », affirme Mehdi, « faire une maquette : je ne savais pas, il y a aussi plein de choses en électricité qu’on sait faire maintenant, comme programmer par exemple. » « Le projet, au moins, ça nous fait un objectif », ajoute Bilel. Mais d’autres sujets de préoccupation se sont vite imposés cette année: les révisions pour le BEP que près de la moitié de la classe doit repasser, les stages que certains n’ont pas encore obtenus et la suite : après le BAC , alternance ou pas ?

 

Romain Rolland perd une lettre

Zoé Lamazou (texte), Marie Augustin (photo)

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20 mars 2011

Deux élèves de première professionnelle répondent.

Comme la plupart des garçons de la première BELEEC, “classe à projet”, Mehdi et Bilel ont récemment écopé de quelques jours d’exclusion ou de quelques heures de Travaux d’Intérêt Général. Ils disent ce qu’ils en pensent.

En arrière plan Mlle Brax, leur professeur d’arts appliqués, pendant le cours du vendredi matin.

Qu’est ce que ça fait d’être exclu du lycée ? from Zoé Lamazou on Vimeo.

Zoé Lamazou (texte et son), Marie Augustin (photo)

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14 mars 2011

L’élève est assis dans le bureau du proviseur adjoint. Mlle Latik, la Conseillère Principale d’Education (CPE) se tient près de lui, face à M. Berachategui, leur hôte. L’élève, 19 ans, ne trahit aucune émotion. Il défend mollement son cas et encaisse la sanction sans trop broncher : une journée d’exclusion et trois heures de Travaux d’Intérêt Général (TIG), une nouveauté au lycée. C’est seulement quand M. Berachategui décroche le combiné pour prévenir sa maman que le garçon se raidit et laisse tomber sa tête dans ses mains. Il secoue le chef en silence, un peu tassé sur lui-même, pendant toute la conversation, puis sort du bureau d’un pas plus lourd.

Cette fois, la faute est collective- un cours chahuté - mais les punitions restent individuelles. Près de la moitié de la classe de première professionnelle BELEEC du  lycée Romain Rolland, à Goussainville, y passera. Avant chaque entretien d’une durée de dix minutes environ, Mlle Latik briefe une dernière fois le proviseur adjoint : définit en quelques mots le profil de l’un de ces garçons qu’elle suit depuis deux ans et suggère la sanction idoine. M. Berachategui sait son texte. Pas de gueulante, mais des mots appuyés qui s’enchaînent jusqu’au verdict en une démonstration dont la logique tient de la notice d’utilisation. « Est-ce que tu comprends la sanction ? », répète enfin Mlle Latik.

Entretien d'un élève avec le proviseur adjoint et la CPE suite à des débordements survenus en classe - photo : Marie Augustin 2011

Arsenal

Colles, TIG, « exclusions-inclusions », exclusions temporaires, changement de classe, conseil de vie scolaire … L’arsenal des avertissements et punitions est bien garni. Ce n’est qu’en dernier recours que l’on exclut définitivement, après délibération en conseil de discipline.

Mme Benbassa, chef de l’établissement, affirme que 30% de ceux qui passent en conseil de discipline à « Romain Rolland » écopent d’une exclusion définitive. Quant au nombre exact de ces conseils, elle refuse de le décliner. « Ce n’est pas le nombre de conseils de discipline qui compte mais ce que l’on veut en faire », dit-elle.

Une étude réalisée en 2010 par Georges Fotinos, ancien inspecteur général de l’Education nationale, avance que dans les établissements qui accueillent des élèves en difficulté, 5 élèves pour 1 000 sont exclus définitivement chaque année. Ce chiffre aurait déjà été largement atteint au lycée polyvalent Romain Rolland pour 2010-2011, notamment à cause du blocus organisé au moment des mobilisations lycéennes contre la réforme des retraites. Tous ceux qui avaient caillassé la façade de l’établissement ont été débarqués.

« Sans une remise en contexte, le nombre d’exclusions et de conseils de discipline peut être mal interprété, alors que cela fait partie de la pédagogie pour le changement d’image du lycée», argumente Mme Benbassa. En tous cas, au lycée, tout le monde a compris que la nouvelle équipe de direction- en poste depuis la rentrée de septembre- est plus sévère que la précédente. Juste au-dessus de son bureau, Mme la proviseur a affiché une grande photo sous-marine : le sourire d’une murène tout en crocs surgissant d’un creux de rocher. Un petit rappel en forme de poster.

Dossier

Mme Benbassa semble miser sur l’effet dissuasif et la vertu d’exemplarité de l’exclusion. Et selon l’équipe pédagogique, cette politique de l’établissement ne saurait être évaluée que sur le long terme. Autrement dit, un nombre élevé d’exclusions ne prouve pas que le lycée est beaucoup plus violent qu’un autre. Reste que, de l’avis de tous, « l’exclusion est un aveu d’échec ».  « Le but du conseil de discipline n’est pas de déboucher là-dessus», précise la proviseur, « le but est de poser les limites, de montrer jusqu’où l’on ne peut pas aller ».

Avant l’ultime sanction, donc, il reste toute une collection de blâmes dont le principal argument auprès des élèves serait qu’ils restent annexés à leur dossier durant une année. Ce dossier, les élèves s’en préoccupent  lorsqu’ils veulent passer dans la classe supérieure ou s’inscrire en BTS , par exemple, et que leurs notes ne suffisent pas. Les colles et les TIG, en revanche, ne sont pas inscrits au dossier. Ils sont juste pénibles. La stratégie inverse étant celle de l’encouragement au travail, avec un projet pédagogique par exemple.

Rigoler

- « Alors t’as pris quoi ? »

- « Pfff, une journée ! J’ai le seum, mon daron il va même pas me laisser poser une main sur la play…»

- « Pas de TIG ? »

- « T’es ouf gros ! Même quand ma mère elle me donne des TIG je les fais pas, alors pas moyen que je lave le lycée ! »

De retour en classe après l’entretien dans le bureau du proviseur adjoint, les première BELEEC accueillent les punis comme s’ils revenaient du front. Le cours fait place à une effusion de solidarité, compassion, raillerie chaleureuse. Est ce qu’ils ont « compris la sanction » ? Ils l’ont affirmé à Mlle Latik. Devant les autres il faut garder la face. Rigoler.

En attendant l'entretien, photo: Marie Augustin

Zoé Lamazou (texte), Marie Augustin (Photo)

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10 mars 2011

S’il y avait une option « vanne » au Bac, ils l’auraient presque tous avec mention. Les garçons de la classe de première BELEEC peuvent concourir sans complexe aux championnats du monde du taillage en règle. Dans le jargon, ça se dit « doser ». Experts de l’imitation, virtuoses du tac au tac, grands inventeurs de surnoms, ils jouent avec les mots comme ils respirent. Un humour au service de la mise en boîte de son prochain, un humour qui peut aussi faire mal.

Mais ce jour-là, rien de tel. Après une heure et demie de devoir sur table , la professeur de français, Mlle Humeau, rend les copies corrigées d’un contrôle précédent, sur les métaphores. Pendant que l’enseignante distribue les notes, les élèves comparent leurs résultats. À travers le brouhaha de la classe en effervescence, les premières métaphores fusent. Le cours tourne à la battle. Mlle Humeau s’engouffre dans la brèche pour organiser un tant soit peu la bataille, plutôt heureuse du succès de ses figures de style : « Je laisse faire, parce que ça veut dire qu’ils ont compris ».

Métaphore Battle from Zoé Lamazou on Vimeo.

Zoé Lamazou (texte et son), Marie Augustin (photo)

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