Religion .
Préparé par le gouvernement Charaf pour remédier aux
tensions sectaires, le nouveau projet de loi sur la
construction des lieux de culte suscite un débat houleux.
Difficile terrain d’entente
Après
une longue attente, le projet de loi unifiée sur la
construction des lieux de culte vient d’être annoncé. Une
tentative de l’Etat pour mettre fin aux prétextes de la
tension sectaire qui a eu de violentes répercussions non
seulement à l’échelle sociale, mais aussi à celle de la
sécurité nationale. Ce projet de loi était revendiqué par
les coptes déjà avant la révolution. Devenu une demande
pressante après les récents affrontements
interconfessionnels ayant éclaté dans plusieurs endroits à
travers le pays, notamment à Atfih, Imbaba et Aïn-Chams, le
projet de loi est censé réaliser l’intérêt suprême de la
patrie de par le fait qu’il est étroitement lié à la
cohérence de la société, à sa solidarité nationale et à son
intégrité interne.
Les rédacteurs de ce projet de loi ont l’ambition d’établir
des normes claires et inaltérables quant à l’autorisation de
construction, de rénovation et de restauration des lieux de
culte. Le texte « confère le droit aux gouverneurs ou aux
autorités locales de délivrer des autorisations de
construction, de contrôler les sources de financement et
d’établir des mécanismes pour la résolution des problèmes de
rénovation et de restauration des lieux de culte actuels »,
a déclaré le conseil dans un communiqué de presse. Selon le
projet de loi, tout lieu de culte, qu’il s’agisse d’une
mosquée ou d’une église, sera construit sur une superficie
de 1 000 m2 au minimum avec une distance d’au moins un km2
entre chaque établissement. En plus, un délai de deux mois
sera donné aux autorités locales, si elles ne donnent aucune
réponse, la demande de construction du lieu de culte sera
considérée comme approuvée par défaut.
Le père Rafiq Greiche, porte-parole de l’Eglise catholique,
exprime son optimisme quant à ce projet de loi. « D’abord,
les mêmes règles s’appliqueront à la construction des
mosquées et des églises. Vers la fin du régime de
l’ex-président Hosni Moubarak, le Parlement examinait une
loi seulement sur les églises, qui étaient censées être
traitées différemment des mosquées. C’est une bonne chose de
voir les mosquées et les églises traitées à un pied
d’égalité », note-t-il.
Les lieux de culte chrétiens obéissent à une loi datant de
l’époque ottomane et qui pose des restrictions multiples à
la construction et à la rénovation des églises, qui va
jusqu’à l’exigence d’une autorisation présidentielle. Les
amendements introduits délèguent ce pouvoir aux gouverneurs,
sans pour autant alléger certaines complications dont se
plaignent les coptes.
Cependant, d’autres voix chrétiennes critiquent le projet
qui, selon elles, englobe les mêmes lacunes que l’ancienne
loi. Naguib Guibraïl, avocat et directeur de l’Union
égyptienne pour les droits de l’homme, désapprouve le projet
qui interdit la transformation des habitations en églises,
ce qui se produisait autrefois. Alors que, pour lui, il y a
des zones dépourvues d’espace suffisant pour construire une
nouvelle église. « En plus, le projet confère le pouvoir
d’accorder un permis de construire des lieux de culte au
ministre du Développement local, puis au président de la
République si le premier refuse, et ceci conformément à
l’article 6 du projet, et nous ne voulons surtout pas de
cette condition », dénonce Guibraïl.
Contributions des fidèles
Ce projet de loi unifiée spécifie les sources de financement
pour la construction des églises comme c’est le cas pour les
mosquées, une condition qui avait auparavant été rejetée par
l’Eglise copte qui refuse que l’Etat contrôle la gestion de
ses fonds qui proviennent principalement de l’aumône et des
contributions des fidèles. Des prêtres et des évêques ont
demandé à s’entretenir directement avec le gouvernement de
ce projet de loi.
Des avocats et des activistes des droits de l’homme ont
annoncé leurs craintes concernant le projet de loi en
soulignant que son application « menacerait la paix sociale
et l’unité nationale ». Par ailleurs, un groupe d’avocats a
déposé une plainte devant le procureur général contre le
premier ministre, Essam Charaf, pour exiger l’ouverture
d’une enquête sur l’adoption du projet de loi en question
qui, selon eux, « viole la Constitution et les règles de la
charia ». Parmi eux figure Mamdouh Ismaïl, avocat islamiste,
qui a appelé le Conseil ministériel à ne pas faire passer
cette loi, incompatible, selon lui, avec la justice.
« Le Caire est la ville aux 1 000 minarets, et l’église se
trouve souvent à côté de la mosquée. Comment, après 14
siècles, peut-on accepter des lois qui limitent le nombre
des mosquées et qui empêchent ainsi les musulmans de faire
leurs prières ? Ne faut-il pas prendre en considération le
nombre de musulmans par rapport aux chrétiens dans ce pays
en prenant une telle décision ? », s’indigne Ismaïl. Il
dénonce la clause du projet de loi selon laquelle une
distance d’au moins 1 km2 doit séparer chaque maison de
culte de l’autre. Pour lui, la norme doit être la densité de
la population. « Cette clause est à la fois inconcevable et
inapplicable dans les villages et les quartiers populaires à
forte densité de population. Où vont prier des centaines,
voire des milliers de musulmans, dans ces zones populaires ?
Dans la rue ? », demande Ismaïl. Adel Mekki, activiste, met
le doigt sur d’autres obstacles établis par la loi quant à
la construction des mosquées. Selon le projet de loi, il
faudra les construire sur une superficie d’au moins 1000 m2
et cela coûtera des millions de L.E., ce qui rendra plus
difficile la construction des mosquées pour la majorité des
musulmans.
Les salafistes, en émettant les mêmes réserves sur les
conditions de la distance et de la surface, rejettent
carrément la promulgation de cette loi unifiée qui
s’applique aussi bien aux mosquées qu’aux églises. Abdel-Moneim
Chéhata, porte-parole des salafistes à Alexandrie, refuse le
principe d’une loi unifiée pour les religions qui diffèrent
par leurs rites. « Ce projet de loi suppose que les
musulmans ne vont aux mosquées qu’une seule fois par
semaine, c’est-à-dire pour la prière du vendredi comme c’est
le cas dans les autres religions. Mais les musulmans sont
appelés à se rendre à la mosquée 5 fois par jour, en plus de
la prière du vendredi ; comment veut-on qu’ils fassent le
trajet d’un km à pied 5 fois par jour pour aller prier dans
une mosquée, notamment quand il s’agit de femmes ou d’hommes
âgés ? », pose-t-il la question lancinante. Le gouvernement,
pour sa part, a déclaré qu’il ouvrira une discussion sur le
projet pour explorer les points de vue, afin de parvenir à
une formule satisfaisante pour toutes les parties.
Ola
Hamdi