IL ETAIT UN PIANO NOIR

Mémoires interrompus

Barbara

 

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Fiche :

Il était un piano noir
Auteur : Barbara
Editions Fayard, Septembre 1998
230 pages

Livre :

Le retour de l'aigle noir

Marie-Christine Blais - La Presse

Quand soudain, semblant crever le ciel et venant de nulle part, surgit un aigle noir... Cet aigle noir, c'était Barbara, dont la voix, suspendue par la mort en novembre 1997, nous revient grâce à... un livre.

En 1997, quelques mois avant sa mort, Barbara avait en effet entrepris de rédiger, sur les instances de son frère, ce qu'on appelle des mémoires. Le résultat, c'est une autobiographie à son image, avec des fulgurances, des silences, des cassures... et beaucoup d'émotion.Attention: Il était un piano noir... Mémoires interrompus a déjà paru en 1999 en version reliée et en livre de poche. Ce que Fayard ressort aujourd'hui sous le même titre, c'est donc le même texte, mais dans une présentation plus prestigieuse, en format album, avec des photos mieux mises en valeur -toutes en noir et blanc, comme il sied à Barbara-, des caractères plus gros, une mise en page plus aérée. Bref, c'est un cadeau à se faire si on n'a pas déjà l'une ou l'autre des précédentes versions.Pour les fans de Barbara, en tout cas, c'est un ouvrage indispensable. Il donne toute la mesure de la pudeur et de la douleur de Barbara, de ces deuils qui ont jalonné sa vie: deuil de la mère qui n'a pas aimé, deuil du père qui a fait mal, mais aussi, mais surtout, deuil du public et de la scène quand Barbara doit se résoudre à ne plus se produire en spectacle pour raisons de santé impérieuses. En fait, ce qui frappe au coeur dans cette autobiographie où la chanteuse se révèle comme elle l'a très rarement fait, c'est cet amour profond qu'elle avait pour son public. C'était donc vrai, quand elle chantait «Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous...»

Bien sûr, les derniers chapitres sont plus incomplets, plus esquissés, la mort ayant interrompu la rédaction. Cela ne donne que plus de valeur aux premiers chapitres de sa vie, à cette incroyable intensité de Barbara racontant Depardieu, ses amours, ses débuts, ses doutes, sa passion de chanter... jusqu'à ce que, en novembre 1997, l'aigle noir, dans un bruissement d'ailes, prenne son vol pour regagner le ciel. Il est quasi impossible de lire Il était un piano noir... sans écouter en même temps les disques de Barbara. Comme il est quasi impossible de ne pas imaginer que, là-haut, sur un nuage blanc, Barbara se penche sur nous pour cueillir en tremblant des étoiles, des étoiles...

Barbara est morte à Paris le 24 novembre 1997, d'une infection respiratoire ou alimentaire.

Elle était âgée de 67 ans. Barbara s'est absentée, mais elle reste l'objet d'une idolâtrie que même la fatigue, la voix cassée des années 1990 n'ont jamais réussi à rompre.

Aujourd'hui, elle est chantée davantage que ne l'ont été Brel ou Brassens après leur mort.Sur leur site (lesamisdebarbara.free.fr), les Amis de Barbara recensent tout ce qui touche à la chanteuse, héritière d'une lignée prestigieuse qui associe sur un même arbre généalogique Damia, Yvonne Georges, Edith Piaf ou Marianne Oswald ("C'est d'un modernisme, d'un désespoir, d'une férocité stupéfiants", disait-elle à propos de Marianne, la "diseuse"). "La culture correcte hait la chanson parce qu'elle est crue", commente le comédien Serge Hureau, qui met Barbara en scène dans sa nouvelle création, La Grange-aux-Loups.Le culte fut appelé par celle qui prit l'habit – noir – de chanteuse, avant de se réfugier, célèbre, à Précy-sur-Marne (Seine-et-Marne), dans une maison où le jardin était enfermé entre quatre murs, à la façon des cloîtres de la chrétienté.

Pourquoi faut-il écouter la leçon de Barbara cinq ans après sa mort ? Et que nous dit aujourd'hui cette star antipop mais toujours populaire ?

D'abord que la chanson française a une longue histoire. Barbaba a pris la suite de ces femmes en noir rentrées dans la "chanson vécue" comme en sacerdoce."Chanson vécue" car elles y racontaient leurs misères, leurs splendeurs, et leur temps. A la manière de ces affamées qui creusaient le sentiment tout en étant des vedettes populaires. Barbara fut une chanteuse engagée : pacifiste (Perlimpinpin), militante antisida (Sid'amour), mitterrandiste (Regarde)... Mais Barbara a commencé par être interprète, une excellente interprète. A la fin des années 1950, elle écrit déjà des chansons, telle J'ai tué l'amour, qu'elle présente avec parcimonie. Le ton doit à Piaf : "J'ai tué l'amour, parce que j'avais peur...".Barbara, travailleuse acharnée, construit un répertoire magnifique : du Léon Xanroff (Maîtresse d'acteur), du Henri Fragson (Les Amis de Monsieur), du Maurice Cuvelier (Veuve de guerre), du Paul Marinier (D'elle à lui), sur le registre de l'humour cruel. Elle n'oublie pas pour autant les jeunes artistes qui hantent comme elle les cabarets : Jacques Brel, Georges Brassens, Léo Ferré, Maurice Vidalin (Les Boutons dorés), René Lévêque.

Elle gagne son premier Grand Prix du disque en 1960 grâce à Barbara chante Brassens, puis ce sera Brel.En 1958, paraît chez Decca un 78-tours avec deux titres : Mon pote le Gitan, de Jacques Verrière, avec castagnettes, et L'Œillet blanc, de Brigitte Sabourau, codirectrice de L'Ecluse, cabaret de Saint-Germain-des-Prés où Barbara se produira six ans d'affilée. La Chanteuse de minuit, 45-tours paru en 1958, comporte une adaptation française par Pierre Delanoë d'une chanson de Domenico Modugno, cantautore (auteur-compositeur-interprète) qui révolutionne alors la chanson italienne.Barbara, l'aigle noir, belle anthologie en 13 volumes qui vient de paraître pour commémorer ses cinq ans d'occultation, nous prive de ces trésors, pour ne commencer qu'avec la première pierre de l'œuvre singulière : Barbara chante Barbara, le disque à la rose rouge paru en 1964 avec A mourir pour mourir, Nantes, Pierre, etc.Première leçon à l'intention des jeunes générations : l'œuvre ne naît pas du néant, elle se construit sur les bases d'une culture artistique. Si Barbara reprend des chansons anciennes, ce n'est pas pour faire des coups transgénérationnels, c'est par érudition et amour de la chanson.

Quand elle présente Nantes à "Discorama" en 1963, Barbara chante depuis treize ans. La présentatrice Denise Glaser, bouleversée par son récital au Théâtre des Capucines, va jusqu'à fabriquer une fausse pochette de disque – Nantes n'est pas encore sorti – pour justifier sa présence sur le petit écran."Il n'y a pas de talent méconnu !, disait Barbara à Michel Cressole, de Libération, en 1981, année du récital de Pantin. Ce n'est pas qu'il faille forcément avoir des débuts difficiles, souffrir, mais cela ne servirait à rien d'ouvrir les portes au type qui n'a rien en lui. Il faut que cela soit une religion. J'ai des amis qui chantent mieux que moi, mais ça n'est pas leur truc. Il faut donner." Barbara avait un magnétisme qui confinait à la médiumnité.

Elle avait certes le souci de son image, ses tics entretenus, ses exigences, ses manies (arriver des heures avant le spectacle, s'enfermer dans sa loge, ses coussins, ses lunettes de myope, ses voiles...). Mais elle n'épargnait rien. Ni elle-même, ni la souffrance, ni le deuil.Dans Les Vilains Petits Canards (éd. Odile Jacob), le psychanalyste Boris Cyrulnik évoque Barbara comme exemple du concept de "résilience", cette faculté de magnifier ce qui fut l'horreur, la volonté de se remettre du pire. Barbara était une artiste engagée au quotidien, qui luttait contre la discrimination.

Elle mit même l'antiraciste Lily de Pierre Perret à son répertoire au moment où le Front national grimpait dans les sondages.

Elle s'éleva contre le silence, celui des pudibonds et des marchands complices de la propagation de l'épidémie de sida, quand le sang contaminé fit scandale, et celui des prisons de femmes où elle allait chanter.Barbara fut aussi discrète sur ces activités que sur les fondements de sa personnalité – ce qui a longtemps obligé les exégètes à s'en tenir au registre de la solitude et de la mélancolie.

En 1998, paraît Il était un piano noir – Mémoires interrompus. Les lourds secrets de famille sont levés. Barbara n'avait jamais fait étalage de sa judaïté, mais elle dévoile alors la peur, la fuite familiale devant les nazis, la vie cachée à Saint-Marcellin, en Isère. Elle révèle enfin le viol, celui qu'elle a subi par son père, alors qu'elle était âgée de dix ans et demi, et que la guerre avait commencé ses ravages.

Dès lors, la lecture des chansons de Barbara s'effectue sous la lumière du génocide et de l'inceste. Nantes, chanson à la gloire du père, qu'elle a mis trois ans à écrire, est entourée de la blessure d'enfance – la rue de la Grange-aux-Loups où meurt le père n'a jamais existé. L'intitulé est d'autant plus psychanalytique que Barbara en a baptisé le studio installé dans sa maison de Précy-sur-Marne. Nantes est la chanson du pardon douloureux, comme l'est Göttingen, composée en 1964.

Barbara arrive en pleine mode yé-yé. Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, le rock américain transportent les jeunes français. Mais Barbara ne les rate pas pour autant. A la distraction du twist, des petites MG de la nouvelle vague, elle ajoute le mal de vivre de l'adolescence, cette période où l'amour est perçu comme incompris, romantiquement tragique, où la vie mérite initiation.

Sa carrière durant, les "jeunes", dont Barbara nous enseigne qu'il ne faut pas en avoir une vision monolithique, l'accompagneront.Véronique Mortaigne

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 06.02.03

Critique :

Petite remarque perso : J'étais réticente au départ. J'aime énormément Barbara, la finesse diamant de ses textes, la justesse de son interprétation, sa voix si claire, émouvante, fragile et forte... Enfin, je suis une inconditionnelle. Mais une autobiographie posthume... Alors que son auteur ne la considérait pas forcément comme "prête" pour la publication... Mais je savais qu'elle y évoquait son passage à Saint-Marcellin pendant la guerre, alors, je n'ai pas résisté... Et j'ai aimé la simplicité du récit. Et cette sensation de "présence" de la grande dame brune, comme encore captive des pages de son livre... Beaucoup d'émotion...

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