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LE GABOU DANS LES TRADITIONS ORALES DU NGABOU
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Ethiopiques numéro 28 numéro spécial
revue socialiste
de culture négro-africaine
octobre 1981

Auteur : R.P. GRAVRAND

Dans les traditions orales du monde sérèer, il faut distinguer la Tradition guelwaar et la Tradition sérèer pré-guelwaar, qui se situent à des niveaux chronologiques différents.
La Tradition guelwaar est plus récente et plus élaborée. Elle donne une vue d’ensemble de la société sérèer dans les royaumes du Sine et du Saloum. Son niveau chronologique se situe à partir du XVIe siècle. D’une manière générale cette tradition présente l’histoire sérèer vue par les Guelwaar.
La Tradition sérèer pré-guelwaar est plus archaïque et plus difficile à retrouver sous la couche de tradition guelwaar qui la recouvre parfois. Elle est plus fragmentaire, souvent limitée à une micro-région, à une ancienne chefferie vaincue, à un village, voire à un lignage. Cependant la synthèse de ces données fragmentaires peut conduire à une vue d’ensemble de la période pré-guelwaar.
Son niveau chronologique se situe entre le XIe et le XIVe. C’est l’histoire sérèer vue par les Sérèer avant les Guelwaar.
Dans l’état actuel des connaissances, les plus anciennes de ces traditions remontent à l’an mille. Au-delà, il n’y a plus de tradition orale, mais des vestiges très parlants : amas coquilliers (IVe- IVe siècles) faits de la main des hommes (commencés par les Paléo-Sénégalais et achevés aux SO, ou aux Soninkés, à l’apogée de Ghana. La donnée la plus ancienne que j’ai pu relever remonte à 1.000 ans. Elle concerne la région comprise entre Loul Sessen et Fa Jal, au sud-ouest du Sine. Elle indique avec une certaine précision les noms, la date d’arrivée et le lieu d’origine d’un groupe de fondateurs.
Les noms : Lul Jom et sa sœur Cirol Jom, ainsi que Bouré Bandé Ndour.
La date : « Trois cents ans avant l’arrivée de Mayssa Valy Jon ».
En évaluant cette arrivée à 1340, cela nous mène au début de ce millénaire.
Le lieu d’origine : le Gabou.


Les deux Gabou dans la tradition sérèer

Il y a deux Gabou dans les traditions orales sérèer : le GABOU géographique et historique, qui fait l’objet de ce Colloque et un « Gabou mythique », qui se rattache dans la légende au précédent, mais qui n’existait pas encore entre le XIe et le XIIe. Dans l’histoire du Gabou, il y a en effet trois grandes périodes :
- La période du « Gabou Baïnouk », qui précède Sun Diata.
- La période du « Gabou manding », qui suit immédiatement Sun Diata.
Le pays Gabou devient une Province fédérée de l’Empire du Mali.
- La période du Royaume du Gabou, qui débute au dernier tiers du XVIe siècle, avec la décadence de l’Empire du Mali et l’indépendance du Gabou.
La tradition orale guelwaar concerne la seconde période, celle du Gabou historique. La tradition sérèer, pré-guelwaar se situe à une période où le Gabou manding n’existait pas encore. Lorsqu’elle rapporte que Lul Jom, fondateur de Loul Sessen est venu du Gabou aux Xe ou XIe, elle veut simplement dire « du pays Manding ». Gabou historique et Gabou mythique contiennent la même réalité de civilisation, la civilisation malinké, à deux étapes de son développement, au Xe et au XIVe. « G abou » signifie alors « pays de peuplement et civilisation malinké ».
Ce sont les deux apports de la civilisation Malinké au Sénégal du Xe et du XIVe que nous allons étudier dans cette communication en cherchant à répondre à deux questions :
1) Quel a été l’apport de population du « Gabou » au Sénégal, et particulièrement en pays sérèer, à chacune de ces deux périodes ?
2) Quel a été l’apport de civilisation du Gabou et quelles traces en demeurent actuellement ?

Le Gabou dans les traditions sérèer pré-guelwaar

Le mythe des Simala

« Le SIMALA, le KOYER et le PATIK sont venus du Gabou.
Ils étaient nés de la même mère.
Le Simala arriva le premier au bord de l’océan.
Il dit au Koyer : « Toi, tu chercheras des joncs à tresser »
car le Koyer signifie
« L’Homme des joncs » [1]
« Moi, que je sois ici à contempler la mer »
Il dit au Patik : « Toi, que tu sois ici à tirer le sel de la mer »
Mais tous, Simala, Koyer, Patik, Kanguna et Fan,
Ils avaient la même mère ».

Ainsi cinq Tim ou grands lignages maternels sérèer sont déclarés originaires du Gabou, ce qui implique une origine lointaine manding et un transit plus ou moins long au Gabou. Il est certain que bien avant la conquête du Gabou par les généraux de Sun Diata des groupes d’émigrants traversaient le futur Gabou en direction de l’Ouest et en particulier du Sud du pays sérèer, pour défricher sa forêt et se mêler aux autochtones qui se trouvaient surtout dans la région côtière. Les traditions de chaque village permettent aujourd’hui de connaître l’origine des fondateurs par le Tim de leurs descendants. Certains Tim maternels sont d’origine déclarée Gabou, d’autres d’origine du Fouta. Dans le cas de SIMAL, par exemple, les principaux Lamanes de ce village sont des Simala, donc originaires du Gabou.

Fa Jal

La toponymie de cette région permet de reconstituer la carte des villages fondés au début du deuxième millénaire. Ces villages portent un nom qui commence toujours par une dénomination commune, qui signifie « Père » ou « Patriarche », le terme FA. Le plus ancien village du Sin est Fa Jal, dont le chef, avant l’arrivée de Mayssa Valy Jon devait être un magistrat redoutable, si l’on en juge d’après ce proverbe sérèer : « Ba bis am ngel Diamé » « Ne me conduis pas au tribunal de Diamé ».


Fa Bura

Un autre lieu de peuplement « Gabou-Mandé » est le fameux rassemblement de collines de coquillages représentant une masse de 500.000 m3. La tradition orale que nous rapportions plus haut concernait ce lieu. Au moins trois cents ans avant le passage de Mayssa Valy, au milieu de ces collines, avant la fondation de Mbissel, le chef Bouré Ndour gouvernait la communauté qui avait travaillé à ces amoncellements. Le lieu prit son nom et devint : Fa Bouré Ndour, ce qui donne aujourd’hui, Faboura. Le passage de Mayssa Valy en ces lieux, rapporté par la tradition orale, est confirmé par un Tabou des Guelwaar contemporains : ils doivent détourner la tête devant ces lieux, ce qui implique des inhumations de princes ou de princesses. Plusieurs squelettes ont été retirés, en 1978, lors des secondes fouilles entreprises par le laboratoire de préhistoire de l’IFAN. (Cyr Descamps et Dr. Thilmans).
Autres villages FA : Fa Yil, Fa Sakhor, Fa Ngessin, Fa Lir, Fa Yako, Mar Fa Fako, Fa Diouth, mais non pas Fatik, qui dérive du verbe FAT et signifie « Tirer le sel des marais salants ». La monographie de tous ces villages confirme que fondateurs et premier peuplement sont originaires du « Gabou ».
De l’ensemble de ces informations, on peut déjà esquisser une première synthèse. La gestation du peuplement sérèer s’est faite en trois grandes étapes et le Gabou a pris une part décisive à cette gestation, ainsi que le Tékrour.
Au Xe siècle : premiers apports de population mandé venus du Gabou et fusionnant avec les autochtones de la côte et de la forêt. (Ces Mandé sont appelés Sos dans la tradition orale).
Au XIIe siècle : Exode des Sérèer du Fouta et du Nomandirou et métissage biologique et culturel des Sérèer et des Mandé-Sos. Une civilisation commune naît de ces deux composantes.
Au XIVe siècle : Installation pacifique, suivie d’une conquête méthodique de cette population sérèer par les princes guelwaar et les groupes qui continuent à venir du Gabou. La civilisation sérèer va trouver alors son visage définitif au XVe, avant l’arrivée des Portugais.
Ainsi, la première et la troisième étape seront l’œuvre du Gabou.
La seconde étape, la plus importante, puisqu’elle va élaborer la civilisation sérèer, est surtout l’œuvre des hommes venus du Tékrour et appartenant à la civilisation du fleuve Sénégal.
Cette synthèse d’ensemble apparaît sur le terrain, dans le peuplement de Loul Sessen, que je retins comme test. La tradition orale de Loul Ses sen décrit en effet ces trois étapes à la manière d’un triptyque, Le premier tableau décrit la venue des gens du Gabou mythique, au Xe siècle, autour de Lui J om et de sa sœur Cirol Jom, dans une forêt peuplée seulement de lions et d’animaux sauvages. Cependant, une famille pouvait vivre de la chasse et de la pêche. Les nouveaux venus, qui étaient certainement cultivateurs et pasteurs, en pays Malinké, régressent un peu dans ce milieu. La forêt impose sa loi.

Le deuxième tableau évoque la venue des Sérèer et la fusion des deux sociétés, sérèer et sos. Ici, il faut citer la tradition orale sans la commenter, tellement elle suggère avec délicatesse la rencontre de deux peuples, du Fouta et du Gabou :
« Les années passèrent. Le village se peupla. Des gens du Sinig du pays Niafaj, se mêlèrent à la population. Ils étaient venus du côté de Nakhar ».
Ces groupes venus du côté de Nakhar, ce sont les Sérèer en exode du Fouta à la fin du XIe siècle et tout le long du XIIe, selon deux axes, intérieur et côtier. Becker et Martin ont relevé des vestiges de peuplement selon plusieurs axes, attribués aux Sérèer. Le groupe principal, selon la tradition orale sérèer, serait venu du Diéri et aurait traversé le Djolof et le Baol, avant de rencontrer les Sos dans la région de Nakhar à Sagne Folo. Ils se seraient ensuite répandus vers le Sud et le Sud. Ouest du Sine, en pleine population Sos-Gabou. Ici ou là, il y eut des tensions, voire des transferts de population, mais après la destruction de l’empire de Ghana et des Soninké, les Mandé se tenaient sur la réserve. A Loul Sessen, l’installation des Sérèer se fit pacifiquement. Leur niveau de civilisation était paléo-sénégalais. C’est une des raisons pour laquelle ils refusèrent de cohabiter avec les Tékrouriens devenus musulmans. Mais ayant vécu plus d’un millénaire dans l’ambiance de la civilisation du fleuve Sénégal, avec sa technologie avancée, ses méthodes culturales et ses populations négro-berbères : peul, toucouleur, wolof, ils étaient« porteurs » de cultures méditerranéenne et égyptienne. En tout cas, ils apportaient du Fouta des techniques et une culture probablement supérieures à celles de ces défrichures de la forêt, plus ou moins coupés de leurs sources naturelles mandé. Il faut bien qu’il y ait une raison pour que les Sérèer, minoritaires dans ce secteur, aient transmis leur langue et leur nom à ces populations venues du Gabou. Ces dernières se mirent à parler sérèer et devinrent effectivement sérèer. Ensemble, ils défrichèrent davantage de forêt et développèrent une civilisation agraire originale, en quelques générations. Il aura fallu deux siècles, le XIIe et le XIIIe, pour la naissance de la civilisation sérèer, du Baol au Sine et du Diéghem au Saloum.


Evaluation des composantes sociologiques

Cette civilisation sérèer est donc le résultat d’un métissage biologique et culturel, des deux composantes, une composante spécifiquement sérèer, venue du Fouta et rattachée au monde Toucouleur, Wolof et Peul, et une composante Sos ou mandé, originaire du « Gabou ». Le métissage n’a pas été réalisé partout de la même façon, c’est pourquoi il est intéressant, dans ce Colloque, d’évaluer qualitativement et quantitativement le « paramètre Gabou » de ce mélange.

Evaluation qualitative

Une typologie propose trois types culturels, selon l’importance de la composante Gabou :
Le « type Niominka » est la résultante d’une composante biologique mandé extrêmement forte. Nous sommes en présence de Mandé sérérisés culturellement, mais demeurés mandé par de nombreux traits. Ils appartiennent pourtant à l’ethnie sérèer.
Le « type Hiréna » est intermédiaire entre le Niominka et le Sinig. La composante biologique mandé est encore forte, mais l’élément sérèer est plus important que dans le type Niominka.
Le « type Sinig » réalise un équilibre entre les composantes sos et sérèer. Il apparaît dans les pays des Na Ul, des Njafadj et des Singandum, habitant les deux rives du Sine
Le métissage inverse s’est également produit. A Bétendik, les Sérèer pas assez nombreux ont été « sossifiés » et ont pris la langue Manding. Mais ils se savent toujours sérèer et ont conservé les structures sociales sérèer, en matière, d’héritage.

Evaluation quantitative

Cette variété de types culturels explique la diversité et la richesse de l’ethnie sérèer.
Lors du Colloque « Léo Frobenius » (Dakar - 1979), j’ai eu l’occasion de présenter les conclusions d’une enquête démographique officielle sur l’évaluation quantitative de ces deux composantes. Lors de cette enquête, le Dr. Cantrelle avait accepté de faire traiter par ordinateur l’évaluation de ces deux composantes, à partir d’une question sur les Tim matrilinéaires. L’enquête eut lieu dans la zone de « Type Sinig », là où la composante sérèer Fouta apparaît la plus forte, dans l’arrondissement de Nakhar. Je me permets de redonner le résultat de la consultation, calculé par l’ordinateur.
Nombre des consultés : 31.695 appartenant à 40 Tim principaux.
Dans les Tim se prétendant rattachés au Fouta : 10.440.
Dans les Tim se prétendant rattachés au Gabou :
Sos et alliés 8.070
Simala et alliés 6.444
Sarène et alliés 5.3 51
soit 19.865
Indéterminés 1.390
Total . . . . . . . . . . 31.695
La composante sérèer spécifique, d’origine fouta, se réclame de 10.440, soit 33 %.
La composante Sos, d’origine Gabou, se réclame de 19.865, soit (64,5%.


Il ne faut pas majorer l’importance de ces évaluations quantitatives, car le brassage est maintenant si profond, au niveau génétique, qu’il n’y a plus moyen de situer le clivage. Ce sondage demeure pourtant intéressant dans la mesure où il éclaire la tradition orale. On peut conclure à l’importance du peuplement Gabou au Sénégal, ce qui constitue la réponse à notre première question.

Quelle civilisation a été apportée du Gabou du Xe au XIIe ?

Avant de tracer quelques-uns des traits caractéristiques de la civilisation apportée du Gabou et du monde malinké, avant le XIVe siècle, il faut faire une remarque préliminaire sur la civilisation malinké. Il faut distinguer le niveau de civilisation malinké au Xe et celui du XIVe.
Au XIVe siècle, au moment de l’apogée de l’empire malinké, le niveau de civilisation sera très élevé. Mais, au Xe siècle, au moment où les Simala et Bouré Ndour quittent les plaines du Mandé central, pour traverser le Gabou et tenter fortune dans les forêts atlantiques, ils sont parents des Soninké, fondateurs de la brillante civilisation de Ghana, mais ils sont des « parents pauvres » ! C’est après la destruction de l’empire de Ghana, en 1087, puis après celle de Sosso, où des Soninké essayèrent de rebâtir un nouvel empire sur les ruines de Ghana (comme Carthage après Tyr), que sonna l’heure des Malinké. Au XIIIe siècle, avec Sundiata et au XIVe, avec ses successeurs, ils auront la suprématie dans le Soudan occidental. Il est donc justifié d’affirmer que la contribution des Malinké au Xe siècle, en matière de civilisation, fut différente de celle qu’ils apporteront à partir du XIVe siècle dans le Sénégal. Alors qu’au Xe, l’impact soninké de Ghana pouvait être massif, celui des Malinké en pays sérèer ne pouvait manquer d’être plus faible. La société soninké apparaît à cette époque marquée par des structures hiérarchiques, visant à la formation de grands ensembles étatiques et à la division du travail. L’ancienne société malinké apparaît alors comme une démocratie agraire, sans chefferie fortement structurée et de tendance égalitaire. Les choses changeront avec Sun Diata.
Volontiers, je fais mienne cette remarque de Westermann et Baumann sur les peuples mandé de cette époque : « Des peuples manding ont pénétré dans la forêt en direction du sud, jusqu’au Sénégal, donnant naissance au groupe mandé-fu, dont la langue est restée proche du mandé, mais dont la civilisation est « ouest-atlantique ». En pénétrant dans cette forêt, ces groupes perdaient plusieurs traits de civilisation mandé, l’élevage du bétail et l’organisation étatique. D’autre part, les autochtones de la région atlantique ont exercé sur eux une influence lente et constante. La forêt impose sa loi ». (Westermann et Baumanne pp. 368-370).
C’est pour cette raison que la fusion sera facile entre les Sérèer venus du Fouta et les Malinké venus du Gabou. Les uns et les autres vivaient encore dans l’ancienne civilisation paléo-nigritique et dans son atmosphère mystique de religion du terroir et des ancêtres. Parmi les principaux traits de civilisation apportés par les fondateurs du Gabou et qui ont laissé leurs traces jusqu’à nos jours en certains secteurs du pays sérèer, citons :
1°) Une société à tendance égalitaire, moins fortement hiérarchisée que les Soninké, ne comportant ni monarchie, ni oligarchie, mais simplement l’autorité des fondateurs du lignage dans le cadre du groupe des anciens. Il y avait donc une certaine égalité entre les groupes et à l’intérieur des groupes. Le Dieghem, la Petite-Côte, l’ensemble des villages FA, en sont restés pratiquement à ce système. Malgré l’introduction des structures guelwaar dans le Sine au XIVe et au XVe siècles, ces villages ne changeront pas leurs structures. La marque des fondateurs Gabou a été la plus forte et doit être considérée comme positive.
2°) Une civilisation spirituelle. La plupart des plus anciens Pangol sont d’origine Gabou. Le culte des Pangol s’enracine dans celui des ancêtres fondateurs de village. Reprenons l’exemple de Loul Sessen, le lieu de culte le plus ancien est celui de Cirol Jom, a sœur du fondateur Lul om,considérée comme mère de la communauté, alors que l’homme fondateur est simplement le chef politique. Les Guelwaar exalteront l’homme politique et lui rendront un culte après la mort. Mais, au début, c’est la sœur du chef qui sera exaltée, dans la perspective du culte paléo-nigritique de la fécondité féminine. Certains rites religieux, dans le sud du pays sérèer plus proche du Gabou, sont célébrés jusqu’à présent avec des prières mandingues.
3°) Une civilisation politique décentralisée. Il n’y avait pas de pouvoir central au temps des fondateurs du Gabou, pas plus qu’il n’yen aura lorsque viendront les Sérèer. Le pouvoir politique découle de l’appropriation terrienne et de la relation avec une puissance surnaturelle tutélaire, dans le cadre restreint d’un lamanat. La civilisation politique malinké du Xe et du XIe siècles pousse à la formation d’une mosaïque de principautés autonomes. Une structure très légère de coordination réunit deux ou trois fois par an les grands Lamanes. Les Lamanes et Dyaraf de village se rattachent au système religieux des Pangol.

4°) Une civilisation familiale matrilinéaire. Il y a dualité familiale, entre les familles patrilinéaires et matrilinéaires. Le matrilinéariat est une structure mandé et elle ira en se renforçant. Ces traits apparaîtront avec plus de relief, en présence de l’apport de la civilisation guelwaar au pays sérèer, apport que nous allons étudier dans la seconde partie.


Le Gabou dans les traditions guelwaar

Au XIIIe siècle, les Malinké créent, avec Sun Diata et ses successeurs, l’empire du Mali. Il s’étend à l’ouest en refoulant progressivement les Baïnouk, et les autres ethnies, et en unifiant le vaste pays qui va devenir, d’abord, la province du Gabou tributaire du Mali et, plus tard, le Royaume du Gabou. Alors qu’il n’est encore qu’une simple province fédérée au Mali, le Gabou apparaît déjà comme un royaume en gestation, avec toutes ses structures étatiques, à l’image du Mali. C’est ce modèle politique qui sera reproduit plus tard par les Guelwaar, dans les petits royaumes du Sine et du Saloum qu’ils vont réussir à constituer sur la côte. Nous chercherons les réponses aux mêmes questions :
- Quels hommes le Sénégal a-t-il reçus du Gabou à partir du XIVe siècle ?
- Quelle civilisation et quelles institutions lui ont-ils apportées ?

Les Guelwaar du Gabou

D’autres communications traitant du phénomène guelwaar, je ne m’attarderai pas sur les aspects événementiels de leur histoire. Je m’attacherai plutôt aux traits principaux qui caractérisent ce phénomène socio-politique.
1°) Les Guelwaar sont d’origine manding. Ils ne sont pas d’origine sérèer. C’est le trait principal qui ressort de leur tradition orale en langue sérèer. Les ancêtres des Guelwaar sont issus d’une famille matrilinéaire princière mandé, au temps de Sun Diata ou immédiatement après lui (vers 1255). Certaines versions de la tradition orale vont même jusqu’à préciser que la princesse, ancêtre des Guelwaar, aurait été proche de la famille royale manding.
2°) Les Guelwaar sont auréolés par le mystère de leurs origines. Ce mystère est-il celui d’une mésalliance ? Est-il celui d’une princesse séduite par un griot et fuyant avec lui ? Qui le sait ? Il y a certainement un secret dans ce couple caché de longues années dans les forêts du Gabou, conquises par le Mali depuis peu. Il y a, un secret dans ces petits princes et ces petites princesses, dont parlent les traditions, et qui seront « dénichés » un jour par la population. Ils doivent leur nom de Guelwaar à l’étonnement devant cette énigme. Mais le mystère de ces origines servira un jour les Guelwaar, car les populations sérèer seront longtemps en admiration devant les « princesses lointaines » venues s’incarner dans leurs lignages et dans leurs castes, en dehors de toute règle.
3°) Le Guelewaar est un étranger qui a eu l’ambition d’incarner le monde sérèer et de se faire admettre de lui. Dans le sillage d’une domination étrangère (l’empire manding), il s’y est inséré. Après le reflux de cette domination, il y est demeuré, devenu sérèer par le mariage de ses filles avec des fils de familles authentiquement sérèer, et par la volonté, acculturation. Plus tard, ils combattront les conquérants du Mali, comme ils le feront avec Faidherbe et Pinet-Laprade. Cependant, ils ne poursuivront pas le combat avec l’âpreté et l’héroïsme des chefs cayoriens. Les Guelwaar sérèer, parfaitement adaptés à leurs peuples, seront autant des rois de la terre que des rois de la guerre.
4°) La grande famille guelwaar, s’est constituée au Gabou, probablement de 1260 à 1335, au début de la conquête manding du Gabou à une période d’organisation, où la carrière était ouverte à tous les princes malinké de bonne volonté, même bâtards. Dans la région de Badiar, ils purent se tailler un fief et être comptés comme une famille Nianthio.

Les Guelwaar au Gabou

Selon Becker et Martin (Atlas national du Sénégal, p. 52), « le Gabou était commandé par la dynastie matrilinéaire des Nyanthio, dont le roi était obligatoirement issu, et par les familles paternelles Sané et Mané. La confédération du Gabou était composée d’environ 45 provinces, commandées par des nobles de sang royal Nyanthio ou issus des grandes familles paternelles ».
Dans le cadre du Gabou, la réussite sociale des Guelwaar exilés volontairement du Mali semble avoir été rapide. Les filles étaient princesses Nyanthio et pouvaient prétendre à des mariages avantageux. Les garçons étaient nobles et avaient accédé à des charges politiques et militaires dans le Badiar.


Causes de l’odyssée guelwaar

Soudain les Guelewaar quittèrent précipitamment le Gabou. Quelles furent les causes de leur exode ? Probablement les infortunes de la guerre étrangère, voire d’une guerre religieuse. Un des poèmes senghoriens pourrait accréditer cette dernière hypothèse :
« On nous tue, Almamy, on ne nous déshonore pas ».
Le poème fait allusion à la bataille de Trubang (que je situe aux environs de 1335), au cours de laquelle l’ost guelwaar se trouva en difficulté et préféra une mort héroïque au deshonneur. Trubang : signifie « Tout est fini ». Quelques princes et princesses échappèrent de justesse au massacre, quittèrent le Badiar dans des conditions mouvementées et perdirent encore du monde au cours des 400 kilomètres de l’odyssée.

L’odyssée guelwaar

La tradition orale a conservé quelques noms parmi les héros de cette Odyssée, en attachant à leur nom celui de Badiar, qui est devenu par la suite Badiane.
Bourama Badiar Mané
Mady Badiar Mané

Sira (ou Siga) Badiar Mané et Takoura Badiar Senghor (Ces deux personnages étaient nés de Mousse Koto, sœur de Mady Badiar Mané.
Tukura Badiar Senghor est le légendaire ancêtre du Président Léopold Sédar Senghor, dont les traditions familiales s’enracinent dans la province Badiar du Gabou.
Valy Mané, qui deviendra Mansa Valy Mané Jon, fondateur de la dynastie guelwaar du Sine.
Mara Jon, neveu de Valy Mané, et qui mourra noyé dans les eaux de Fadiouth et y est l’objet du mythe important de la pirogue fantôme.
Téning Jom, nièce de Mayssa Valy, fondatrice de la lignée des Guelwaar de la famille Faye.
D’autres noms sont encore retenus dans l’Odyssée guelwaar, dont je transcris ce passage :
« Panga Yay Sarr, ten rimu Meyssa Valy Jon.
Ya ta inoxna Gabu,
A yon fo Sin 0 Mev, fo Kon o Mev,
Fa Adama, fa Mamadi Sakit, a mbudox Jajak, fa Diat
O Tan o cigd,
Fa Xuréja Jafum,
A mbudox a Mbissel, dibor.
Roog à fèd tening, a sin ; Mbissel ».
« Panga Yay Sarr,
a « fait » Mayssa Valy Jon.
Lorsque ce dernier quitta le Gabou, il était accompagné de Sin o Mve, de Kon o Mev, d’Adam, ainsi que de Mamadou Sakit.
Ils descendirent à Diadiak, avec Diata, l’ancêtre à haute taille, et avec Xureja Jafum.
Ils descendirent à Mbisse1 un dimanche.
Aux aurores du lundi, ils fondèrent Mbissel ».
Mayssa Valy était un Sos originaire du Gabou. Une autre tradition orale propose sa généalogie :
Sabo JUGUN
Jugun SOS
Sos Mayssa VALY MANE
Mayssa Valy étant un Mandé, le début du poème peut faire difficulté : Panga Yay Sarr a « engendré » Mayssa Valy. Comment un Lamane sérèer, du nom de Sarr, peut-il donner naissance à un prince mandé ? Le sens premier de Rim est d’engendrer. Le Tim est une dérivation de Rim. Ici, le verbe Rim doit être pris dans le sens de « créer » ou « d’accréditer » un personnage, comme un vieil homme politique peut dire d’un jeune qu’il a contribué à lancer : « C’est moi qui l’ai fait » !
La volonté politique guelwaar apparaît : orienter la tradition orale (nous n’osons pas dire, manipuler), de manière à laisser croire à l’unanimité des Lamanes autour de Mayssa Valy Jon, dès son investiture à Mbissel. Le Lamane Panga Yay Sarr aurait accrédité le Guelwaar devant ses pairs. La réalité sera différente. Panga Yay Sarr, qui était trop jeune pour intervenir au temps de Meyssa Valy, résistera aux successeurs de Vagan Faye, par les armes. Vaincu, il fera sa soumission. Il sera épargné et sera nommé « Guelwaar d’honneur » (Guelwaar Ganiek), pour « l’histoire... ».
Lors de son arrivée sur la Pointe de Sangomar, à l’extrémité méridionale de la Petite-Côte, Mayssa Valy et ses compagnons étaient des exilés politiques du Gabou. Lui-même, tout prince qu’il fut, était un réfugié. Je situe volontiers autour de 1340 cet événement, car les faits qui vont se dérouler à partir de cet instant jusqu’au règne du Buur Sine qui recevra les Portugais en 1460 sont tellement nombreux qu’un siècle ne suffirait pas pour les contenir. La tradition orale des commencements guelwaar est très riche et il ne faut pas oublier que la cour des gens du Gabou avait l’habitude de tailler un bâtonnet à la fin de chaque hivernage pour calculer la durée d’un règne. Je compte treize règnes de Mayssa Valy - au Buur qui reçut Diogo Gomès. Or, les deux seuls règnes de Mayssa Valy et de Vagan Faye ont déjà duré ensemble près de 50 ans. On doit donc prendre un point de départ plus éloigné que celui qui est proposé généralement même si l’investiture de Mayssa Valy se réalise avant celle de Diadiane Ndiaye.


Caractéristiques de la conquête du Sine par les princes du Gabou

Prise du pouvoir par Mayssa Valy
Elle a eu trois caractéristiques : Elle a été juridique, familiale, domaniale.

Juridique :

Les nouveaux venus ont d’abord procédé à leur installation à Mbissel. Une installation pacifique, en voisins . Voilà des gens de haute naissance qui ont eu des malheurs, mais ils sont heureux d’avoir trouvé un havre de paix au milieu de braves gens qui méritent d’être aidés. Ils font gracieusement des consultations ou des interventions de caractère juridique et social. A l’époque, il n’y avait pas de pouvoir central. La justice était lente. Il y avait cependant des assises périodiquement. C’est justement au cours d’un « procès » qui traînait depuis sept ans que Mayssa Valy fit éclater sa sagesse et sa dextérité dans les affaires devant tout le peuple. Il fut acclamé à Mbissel, même par les Lamanes et ceux-ci, se jalousant mutuellement, préférèrent un étranger à leurs conflits pour assurer un pouvoir considérable, mais le sang royal de Mayssa Valy va le pousser à lui donner des dimensions que les Lamanes n"avaient pas prévu. Ces derniers, cependant, conservaient toutes les anciennes prérogatives des Lamanes.

Familiale :

Le mariage de la nièce du prince avec Boukar Faye, sérèer de Djilakh, dans le Dieghem, dut peser lourd aux yeux des Lamanes, dans leur décision. Le neveu, qui hériterait de ce prince, serait un de leurs fils, un authentique sérèer, élevé à la sérèer, soutenu par les familles parilinéaires alliées. Le pouvoir resterait aux Sérèer. Ce point de vue allait se vérifier, car la jeune dynastie mènerait une politique en faveur du Sine et du Saloum et non du Gabou.

Domaniale :

L’appropriation des sources de production doit aller de pair avec une prise du pouvoir réelle. Au Sénégal du XIVe siècle, les sources de production se trouvaient dans la terre. Il ne faut pas s’étonner de voir les Princes du Gabou chercher à s’approprier les terres du Sine. Ces dernières étant entre les mains des anciens nobles Lamanes, une crise était inévitable. La tradition orale guelwaar, cherchant à voiler cette crise, présente ainsi les faits. Dès son investiture, Mayssa Valy invita tous les Lamanes à lui envoyer un peu de terre, de leur lamanat, pour faire allégeance. Je doute que dans la totalité du Sine, les Lamanes s’empressèrent de se soumettre. Il est vraisemblable que cette allégeance se limita à la Petite-Côte, que Mayssa Valy contrôlait effectivement.

Le test de Loul-Sessen

Revenons au test de Loul-Sessen. En décrivant les trois périodes de la formation du Sine (pionniers du Gabou, arrivée des Sérèer, conquête guelwaar), nous avions comparé le Mythe de Loul Sessen à un triptyque, dont nous avions examiné les deux premiers tableaux. Voyons le troisième, celui de l’arrivée des Guelwaar à Loul Sessen. Le Mythe fusionne le premier et le troisième tableaux en mettant face à face le fondateur Loul Jom (au Xe) et le conquérant guelwaar, envoyé par Mayssa Valy (au XIVe) Sunkaré MANDE, au nom bien manding. Le mythe rapporte que les feux (qui confèrent le droit domanial) allumés par les deux personnages se rencontrent tout près du village. Les deux hommes illustres sont maintenant face à face, Lul Jom, le « Kor a Kob », l’homme de brousse, le paysan et Sunkaré Mandé, le « Salma Kor », l’homme d’arme. C’est lui qui parle le premier : « Homme de brousse, qui a allumé ce feu ? ». C’est le début de la lutte pour la puissance domaniale.
Mais la sagesse politique guelwaar et la sagesse sérèer trouveront une solution à Loul Sessen. Le soir même, un accord est passé. Une ligne va couper en deux parties égales les domaines et le DIF où siègent les Anciens qui gouvernent le village. Les Lamanes abandonneront la moitié de leurs terres aux nouveaux maîtres et ils les entretiendront. Ils conserveront la moitié du pouvoir politique du DIF et la moitié du pouvoir religieux.
Mais nous assistons en même temps à un début de division du travail et d’exploitation des travailleurs. Voici comment la tradition de Loul Sessen rapporte ce fait :
Un jour, Sunkaré apporta devant le peuple une magnifique peau de chevreuil, avec un tronc d’arbre creusé. Il fabriqua un tam-tam et en frappa devant eux. « Lorsque je serai dans la forêt à tuer les lions et les éléphants, frappez-le si vous avez besoin de moi. Si je ne suis pas revenu au bout de quelques heures, c’est qu’une bête sauvage m’aura tué ». Au delà de cette déclaration mélodramatique, l’homme du Gabou laissait entendre qu’il était prêt à donner sa vie, mais que les paysans devaient l’entretenir, lui et son groupe.
Cependant, la dualité devenait la clef du système sérèer moderne, dualité domaniale, dualité administrative, dualité religieuse. Cette remarque est au cœur des préoccupations de ce Colloque. Il ne suffit pas d’analyser les influences du Gabou sur les pays voisins. Il faut voir également si leur impact n’a pas perturbé ces pays. Or nous voyons qu’après une période de perturbation, les princes du Gabou ont eu la sagesse de créer l’harmonie par la dualité. Le secret de la réussite guelwaar aura été de réaliser toujours l’harmonie entre les deux termes, quitte à faire d’importantes concessions.
La religion traditionnelle nous fournit un exemple d’harmonie. Tenons-nous-en au test de Loul Sessen. Il y a actuellement deux lieux de culte. Le plus ancien est celui de la sœur de Lul Jom, la fameuse Cirol Jom, qui demanda avant de mourir qu’on verse sur sa tombe, chaque année, à la vendange, cette eau-de-vie de Mbitc, qu’elle appréciait tant. Dans son bois sacré, chaque année, un rituel orgiaque dure une semaine. Après les libations sur la tombe, les fidèles s’offrent une semaine de libation. Il faut bien avouer que ce culte est très populaire. Le deuxième lieu de culte honore la sœur de Sunkaré, qui s’appelait Samba Mandé. Son culte, qui est le culte officiel guelwaar, est plus compassé. Cependant, lors des cérémonies du couronnement du Buur Sine, le prétendant déjà investi vient à Loul Sessen dans le bois sacré de Samba pour offrir un bœuf en sacrifice.
Après Mayssa Valy, la conquête va se poursuivre en extension territoriale, avec d’autres méthodes. Elle sera alternativement pacifique et militaire. Pacifique, sous forme de nouvelles installations des Guelwaar jusque dans le cœur du Sine : Ndiol, Diongolor, Sanghaye, Mbimor, Diakhao. Pacifiques, également, les nominations de chefs de village ou de Dyaraf, comme celle du Buur Patar faite par Vagan Massa. Elles sont un moyen de tester le pouvoir réel et grandissant des Guelwaar.
Mais la conquête deviendra plus souvent militaire avec le second successeur de Mayssa Valy, le jeune et dynamique fils de Boukar FAYE, Vagan Faye, installé près de Diongolor, à Massa.
Vagan Massa voulut obliger les Lamanes à se soumettre. Mais ils lui résistèrent, car il était plus proche d’eux que Mayssa Valy. Ils lui résistèrent parfois les armes à la main. Vagan dut les vaincre et souvent les tuer, l’un après l’autre. La tradition orale sérèer en a gardé le souvenir. Voici la transcription d’un véritable communiqué qui a plus de six siècles, car ces événements se sont déroulés entre 1365 et 1375.
Ngor a Ngedeman,
Vagan a varin !
Diogo Sanan Diakanem
Vagan a varin !
Gawlo busnax
Vagan a varin !
Latiugan o Diakher
Vagan a varin !
Ndig a Parar
Vagan a varin !
Djiban o Pul Podom
Vagan a varin !
Alayé. :
« O pul vaager jeg nak, dèt a mof ! »
Fop, yal xalal a ndédu. A jaba
xalal den.


Ngor de Ngedeman,
Vagan l’a tué !
Diogo Sanan de Diakanem
Vagan l’a tué !

Le griot de Busnax
Vagan l’a tué !
Latjugan de Diakher
Vagan l’a tué !
Ndig a Parar
Vagan l’a tué !
Djiban, l’aveugle de Podom
Vagan l’a tué !

en disant :
« Un aveugle ne peut pas avoir un troupeau, s’asseoir et le contempler ! »
Tous furent des hommes de grande richesse.
Vagan les confisqua toutes !
Vagan Massa, surnommé aussi Vagan Sinig, car il est le véritable fondateur du royaume du Sine, disparut mystérieusement. Les princes du Gabou ont toujours aimé entourer leur origine et leur disparition de mystère. Il disparut dans le bois sacré où on lui rend un culte officiel chaque année, à l’occasion de la chasse sacrée de Diobay.
Après Vagan Massa, il y eut une dernière tentative de résistance des anciens nobles contre les nouveaux venus du Gabou. Cette tentative échoua et se termina par le ralliement de Panga Yay Sarr. Pendant six siècles, les 60 rois de la dynastie guelwaar règneront en harmonie avec leur peuple et seront leurs défenseurs aux temps de la colonisation et de la résistance.

Les institutions socio-politiques inspirées du Gabou

La société sérèer a été profondément transformée du XIXe au XVe siècle par le gouvernement des Guelwaar. Les princes venus du Gabou ont modelé le visage de la société sérèer à l’image du royaume du Gabou. Parmi les lieux où le modèle Gabou a le plus marqué la nouvelle société sérèer, nous pouvons relever les cinq suivants : la nouvelle hiérarchie sociale, le dualisme institutionnel, la stratification sociologique, la symbolique d’Etat, la pensée religieuse. Le Gabou a laissé sa marque en ces lieux.

La hiérarchie sociale

Au lieu de la société égalitaire préférée par les Sérèer et maintenue chez les Hiréna, une société hiérarchisée vient de naître. Non pas monarchique, mais oligarchique. Le roi n’aura pas de pouvoir absolu, sauf à partir du règne de Vagna Kumba Sandiane Faye, le « Grand règne », mais ce sera le début de la dégradation du système. La société est clivée en couches supérieures et inférieures. Dans les premières, la nouvelle et l’Ancienne aristocratie, les Lamanes, les élites étrangères. Dans les secondes, les paysans libres, les Cedo. Au bas de la pyramide, les classes serviles.

Une société dualiste

Il y a partage du pouvoir entre les nouveaux maîtres et les anciens, selon le test de Loul Sessen. Au début, il n’en fut pas ainsi. Les Guelwaar, les Cedo et les captifs de la Couronne cherchèrent à accaparer pour eux seuls le pouvoir qui fut alors bipartite : Roi et Captifs. Après la résistance des Lamanes, le pouvoir devint tripartite : « Roi Grand Dyaraf, représentant des Lamanes ; Farba, chef des captifs » constituèrent le Conseil de la Couronne. Ainsi toutes les forces vives participèrent au gouvernement. Y participait également la Linguer, qui gouvernait les femmes. Il y avait donc deux administrations, deux justices, deux armées, les premières comprenant les nobles et les captifs, les secondes, les Lamanes et les hommes libres. Le Roi gouvernait le premier ensemble, le Grand Dyaraf gouvernait le second.
Ainsi, le dualisme était institutionnalisé. Le système aristocratique du Gabou avait été amendé sur ce point par la résistance des Lamanes sérèer. Il en restera au Sénégal une préférence pour le pluralisme politique la participation responsable et le rôle symbolique du chef, qui coordonne collégialement l’action.


Une stratification sociologique nouvelle

Le système des castes est étranger au monde sérèer. Là où l’influence du Gabou s’est moins fait sentir, il n’a pas pu s’établir. Les responsables des castes n’ont jamais eu accès au Conseil de la Couronne. Artisans de l’or, du fer, du cuir, du bois, Sagnit palfreniers, Cedo, griots, représentent des catégories socio-professionnelles, endogames, manipulant des techniques et des pouvoirs spirituels.
La société leur imposait, ou au contraire leur défendait, certains actes sociaux, tels que l’habitation avec les paysans. Les griots ne pouvaient pas posséder de terre, ni de troupeau et ne pouvaient être enterrés dans un champ. Ils étaient enfouis en un baobab. Il faudrait analyser ces interdits pour déceler ce qui est d’origine Gabou et ce qui était défense sérèer devant ces corps étrangers au système, comme un phénomène de rejet.

La symbolique d’Etat

La culture du Gabou a enrichi la culture sérèer, déjà prédisposée à la symbolique de nouveaux symboles concernant le « Maat » ou l’Etat. Grâce à eux, l’Etat est devenu porteur d’une charge nouvelle de sacré. Le Dif et l’arbre à palabre existaient dans la civilisation paléo - sénégalaise. On voyait toute la journée des vieillards infirmes et en guenille, mais très respectés, parce qu’ils siégeraient au Dif. Entendre son mari crier devant le Dif était pour une femme une preuve de la virilité de son homme et un motif de fierté. Mais les mœurs nouvelles, venues du Gabou, vont amplifier les valeurs du Maat.
Des Dif nouveaux sont construits, comme celui de Loul-Sessen par les Guelwaar, en collaboration avec les Sérèer. C’est un monument qui ressemble à un petit temple grec, avec ses colonnes en bois torsadé. On se déchausse. Un étranger ne peut s’y asseoir.
Le jour du jeudi devient un jour propice aux décisions d’Etat. Parmi les symboles du pouvoir, il faut citer le Ndip ou couronne, bonnet réservé au roi et aux grands de l’Etat. Il faut citer surtout les Jung Jung ou tambours du roi.
Les premiers Jung Jung furent préparés par Vagan Faye. Le principe venait probablement du Gabou. Il en eut d’abord quatre, qui annonçaient la présence royale dans la paix et dans la guerre. Un opposant, se faisant appeler Mad 0 Demba, « Le roi Demba », et ayant fabriqué quatre Jung Jung, Vagan le tua et s’empara des Jung Jung. Il en eut alors huit.
Lorsque Mbégan Ndour eut vaincu Eli Bana et devint Buur Saloum, il demanda à son cousin, le prince guelwaar de Koular, de lui envoyer ses Jung Jung à Kahone. L’autre rechigna, ne voulant pas perdre ces insignes du pouvoir sur le Djonik. Mbégan Ndour fut diplomate : « Si tu me les envoies pacifiquement, tu seras mon héritier et tu les retrouveras avec la royauté du Saloum ». Le prince fut heureux de ce marché avantageux et les envoya. Il fit un marché de dupe, car il mourut un an avant Mbégan Ndour. A la mort du Buur, le nouveau roi crevait les peaux des Jung Jung et en plaçait des neuves, chargées de sa symbolique propre. Lors des coups d’Etat, la prise des Jung Jung était le symbole de la légalité, comme le sceau de l’Etat.
Le cérémonial du couronnement était également chargé de symbolisme. Le prince investi devait visiter les hauts lieux de l’histoire sérèer et guelwaar, depuis Sagne Folo jusqu’à Mbissel, sur la tombe de Mayssa Valy. Il devait offrir partout des sacrifices. Beaucoup d’aspects de cette symbolique d’Etat sont d’inspiration mandingue.

La pensée religieuse

Après avoir traité de l’importance des apports de populations malinké venues du Gabou en vagues successives, au Sénégal et particulièrement en pays sérèer, et après avoir souligné plusieurs apports culturels et sociaux qui ont marqué la civilisation sérèer, nous voudrions terminer par les apports religieux qui semblent importants.
La genèse de la pensée religieuse sérèer révèle deux sources d’humanisme et de spiritualité : le fonds religieux paléo-africain et le fonds mandé.
Le fonds religieux paléo-africain remonte à des millénaires. Nous avons vu qu’il était celui des premiers peuplements sérèer et des premiers hommes venus du Gabou. Il a élaboré une civilisation agraire où les deux expressions de la divinité sont le Ciel, qui verse l’eau fécondante et la Terre-mère qui donne la vie et les nourritures terrestres. La divinité est plus immanente que transcendante. Le culte des ancêtres, les libations sur les tombes, l’invocation des Esprits intermédiaires, la croyance à la magie et à la divination sont quelques aspects de cette religion la plus ancienne de l’Afrique de l’Ouest.
Le fonds religieux mandé-bambara, ou néo-soudanais, décrit par Germaine Dieterlen, est plus récent. Sa théologie est plus élaborée. Il est né et il s’est développé dans l’espace mandé-tékrourien, au fur et à mesure de la dispersion des tribus du Mandé, au premier millénaire de notre ère, mais surtout à partir du VIIIe siècle, après la grande sécheresse du Ouagadou. Cette dispersion dans tout l’ouest africain a répandu dans les différentes ethnies les cosmogonies mandé-bambara et certaines techniques religieuses. Le Balanza bambara correspond au Sas des cosmogonies sérèer sur l’arbre de vie. Les dieux d’eau se retrouvent dans tout l’espace ouest-africain, avec le culte du python mythique, des Pangol sous différentes représentations. J’ai personnellement relevé des prières et des dénominations concernant les puissances spirituelles, qui marquent un apparentement entre la religion bambara et la religion sérèer. Les hommes du Mali ont-ils véhiculé ces données théologiques ? Ce n’est pas impossible.
Il ne faut pas non plus majorer l’influence du Gabou manding dans la genèse de la pensée religieuse sérèer. Elle n’a pas été la seule. La vie religieuse peul, surtout en matière de divination et de magie, a marqué également la religion sérèer. Ce que l’on peut affirmer, c’est que, dans la mosaïque des religions traditionnelles de l’ouest-africain, la trame mandé, remodelée au Gabou, demeure une source toujours vivante d’humanisme et de spiritualité.


[1] Les joncs servent à tresser des nattes pour les morts et le grand voyage dans l’au-delà.




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