Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE CHARLES V (RUE SAINT-PAUL)
IVe arrondissement de Paris

(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1861. La rue Neuve-Saint-Paul n'avait pas reçu encore le nom du fondateur de l'ancien palais de Saint-Paul.

L'Église. — La Prison. — Les Filles de Saint-Paul. — Le Palais. — L'Hôtel de Sens. — La Reine Blanche. — M. de Lignerac et le Mis de Sade. — Les Brioches. — L'Hôtel Saint-Maur. — Les Eaux. — Coiffer. — Les Frères Pâris. — Le Médecin et l'Apothicaire de Charles IX. — La Varenne. — La Mise de Brinvilliers. — Mme du Boccage. — L'Hospice médico-électrique. — Mme de Serrant.

Saint Eloi a fondé dans la Cité, sous l'invocation de saint Martial, un monastère de filles, plus tard abbaye de Saint-Eloi. Nous rapportons ailleurs comment ce monastère est devenu l'église Saint-Barthélemy, dont l'ancien bâtiment fait encore face au Palais-de-Justice. Sainte Aure a été la première abbesse de Saint-Martial, couvent qui, peu d'années après sa fondation comptait 300 religieuses. Le cimetière du monastère était situé hors de la ville ; il attenait à la chapelle Saint-Paul-des-Champs, également bâtie par saint Éloi et que les Normands détruisirent. Rebâtie et flanquée de tours aux mie et XIIIe siècles, c'était déjà l'église d'un quartier ; elle fut agrandie encore par Charles V et dédiée de nouveau, en 1434, par Jacques du Châtelier, évêque de Paris. Henri III y fit ériger à Quélus, Maugiron et Saint-Mégrin de superbes mausolées, que la justice du peuple renversa deux siècles avant la Bastille. D'autres monuments funéraires y protégèrent plus longtemps les cendres de Rabelais, de Huet, évêque d'Avranches, de Saint-Sorlin, d'Adrien Baillet, des deux Mansart.

Près de l'église, un bâtiment, dit originairement la grange Saint-Éloi, se convertit de bonne heure en prison. Aux prisonniers qu'on y a égorgés, le 12 juin 1418, a survécu Villette, abbé de Saint-Denis, échappé tout seul au massacre : il avait eu le temps de revêtir l'habit sacerdotal, en se plaçant, une hostie à la main, sur les marches de l'autel. La grange est devenue postérieurement une prison de femmes, mais qu'on a, vers la fin, restituée à l'autre sexe. II y avait alors, dans un passage contigu à l'église, une communauté de filles de Saint-Paul qui se composait vraisemblablement des soeurs de charité attachées à cette paroisse ; leur ci-devant place a été prise, sous le premier empire, par une communauté de pauvres ouvrières, au nombre de 48 jeunes filles. L'aliénation par l'État de l'ancienne prison de Saint-Éloi est du 25 vendémiaire an V ; celle de l'église est du 6 nivôse, même année. Or le numéro 34 actuel de la rue Saint-Paul appartenait à ladite église et il y touchait d'une part, comme d'autre part à la prison, dont le geôlier en chef a habité un corps de logis du 38. Les filles de Saint-Paul occupaient la première de ces maisons, dans laquelle se retrouvent et des balustres d'escalier tournés au XIVe siècle et un passage Saint-Pierre, qui mène rue Saint-Antoine, mais qui n'a pas toujours été ouvert. L'autre bâtiment que nous signalons porte, comme hôtel-garni, une dénomination rappelant le séjour royal de Saint-Paul, dont il a fait partie.

La prison de Saint-Éloi, ainsi que tout le territoire qui, de ce côté de la rue, n'appartenait pas à l'église, avait dépendu du palais.

Non seulement Charles V, n'étant encore que dauphin, a créé ce royal séjour, sous les auspices de l'église du lieu ; mais encore, étant roi, il a fait élever la Bastille, pour tenir en respect les soldats, du séditieux duc de Bourgogne, et il a pris sur les jardins de l'hôtel l'emplacement donné aux célestins. Ce domaine princier, réuni en 1364 au domaine de la Couronne comme hostel solennel des grants esbatemens, avait été formé, pendant la captivité de Jean-le-Bon en Angleterre et le Dauphin étant régent, par l'acquisition de plusieurs hôtels et au moyen d'une taille particulière établie sur les Parisiens. Il avait fini par s'étendre de l'autre côté de la rue Saint-Paul et au-delà même de l'Ave-Maria, rue des Barrés. L'hôtel de Sens ayant été vendu au Dauphin, en 1363, par Guillaume de Melun, archevêque de Sens, Jean-le-Bon y avait lui-même résidé. Diverses pièces de cet hôtel de Sens ont été spécifiés la chambre où gît le roi,
la chambre des nappes, la grand'chambre du retrait, la chambre de l'estude, les estuves, les chauffedoux ; mais, sous François Ier, a été rétablie la résidence archiépiscopale dont, nous parlons dans l'historique de la rue du Figuier et de la rue des Barrés.

Un autre hôtel se qualifie ancien logis de la reine Blanche, au coin de la rue Saint-Paul et de la rue des Barrés. On y remarque un chiffre merveilleusement sculpté, la décoration d'une alcôve qu'un atelier a le bon goût de respecter, des mansardes du XVIe siècle et une rampe de fer moins ancienne. Les béguines de l'Ave-Maria ont été établies par saint Louis à côté du séjour de la reine mère, que le palais a dû également, englober au siècle suivant. M. Bournet-Verron, notaire, est présentement propriétaire de cette maison, qu'il tient de son beau-père, et que l'État a vendue pendant la République. M. Bournet-Verron, n'ayant entre les mains aucun titre de propriété séculaire, nous permettra de lui apprendre que son immeuble, au XVIIIe siècle, était l'hôtel de Lignerap. Une baronnie audit nom était possédée, dans la Marche limousine, par la maison de Robert de Mure.

Toutefois M. de Lignerac, dont les petits-soupers n'ont pas laissé que de faire quelque bruit, portait le titre de marquis. Ses commensaux étaient principalement le marquis de Gaucourtet M. Dutillet, et il donnait en ce temps-là 25 louis par, mois à Collette, de la Comédie-Italienne, chez laquelle ce chef d'emploi se contenta ensuite de servir de doublure, par mesure d'économie, au trop fameux comte de Sade, plus tard marquis. Ce dernier avait été conduit à Vincennes par ordre du roi, en 1763, puis dans les terres de son beau-père ; on lui avait permis, l'année suivante, de reparaître en ville, mais la police avait défendu à la Brissault et à d'autres appareilleuses de lui confier des filles hors de leur surveillance directe. La comtesse de Lignerac disposa aussi, sous Louis XVI, d'une propriété venant après l'ancien logis de la reine Blanche.

M. de Malermeen avait deux en face ale la rue des Lions-Saint-Paul ; la comtesse de Percuit ou de Péreuil, deux autres vis-à-vis la rue Neuve-Saint-Paul ; la comtesse de Fontelet, trois ou quatre du même côté.

Le 36, avec une autre maison contiguë, appartenait aux De Sève : un conseiller d'État, membre de cette famille d'origine piémontaise, avait épousé une fille de Guénégaud, trésorier de l'épargne. A la fabrique de Saint-Louis étaient deux maisons, situées à l'entrée d'un cul-de-sac, maintenant passage à l'église. Là se trouvaient sans doute les six étaux de la boucherie ouverte dans la rue. Mais l'angle de celle Saint-Antoine avait été incontestablement occupé au XVIIe siècle par Flécheux, pâtissier, dont les brioches avaient de la réputation ; les prisonniers de la Bastille en faisaient prendre de toutes chaudes : ils étaient les premiers servis ;

Des autres pièces du palais Saint-Paul on a distingué, sous le règne de Louis XI, le retrait où dit ses heures monsieur Louis de France ; cette pièce ne dépendait ni de l'ancien hôtel de Sens ; ni de l'hôtel de Puytemuce, mais faisait partie de cette qu'on avait appelé Saint Maur et de la Conciergerie, sis entre la ménagerie, que représente la rue des Lions, et l'église Saint-Paul. Charles V y avait logé ses deux fils ; la reine Isabeau y avait établi quelque temps après, les écuries de sa maison.

La compagnie des Eaux de Seine clarifiées, qui siège n° 4, nous rappelle qu'en la même rue des bains se coulaient chez Godefroi l'Estuvéeur l'an 1292. A vingt-trois années delà, Jacques de Laigny était le particulier notable de la rue Saint-Paul, où le nommé Hancqun, de Rolland, taunier, servait à boire et à manger. Coiffler, commis d'Emery de Particelli, a marqué à son tour sur la ligne de nos numéros pairs ; ce financier en sous-ordre était fils d'un commissaire au Châtelet, mais petit-fils de la Coiffier, pâtissière connue pour avoir été la première à servir des dîners à tant par tête. Ledit 4 émargeait du royal séjour et en retenait encore le nom quand les frères Pâris, ces quatre fils Aymon de la finance, y demeuraient, sous la Régence. Leur hôtel, sis entre une fontaine, qu'on nommait le regard Fieubet, et le quai des Célestins, passa La Vieuville, et c'était vraisemblablement du fait de la fannille de Mme de Parabère, née de la Vieuville ; une enseigne du Dauphin, royale quand même, flottait alors à la porte d'un traiteur du voisinage appelé Florent.

La rue Neuve-Saint-Paul, dont une moitié a porté jusqu'en 1841 le nom de rue des Trois-Pistolets, s'est ouverte a milieu du XVIe siècle sur le terrain des écuries d'lsabeau, mais sans jeter bas, tout ce qui s'y élevait. La preuve, c'est que Léonard Botal médecin, de Charles IX et de Henri III, a habité l'ancien hôtel Saint-Maur. D'ailleurs, cette tourelle que nous voyons encore au coin de la rue des Lions y est-elle tombée des nues ? Si ses dimensions étaient celles des tours qui gardaient autrefois la résidence royale dont nous parlons, la voie publique serait interceptée. Ce Botal qui n'était pas fâché de s'y retrancher dans un reste de fortifications, inaugurait, comme médecin, l'ère de la saignée, il avait sous ses ordres l'apothicaire du roi, qui pouvait bien être un Séguier, et qui tenait pour les purgatifs ce médecin et cet apothicaire valaient donc, à eux deux, le docteur Sangrado, création de Lesage, dans laquelle Rabelais aurait sans doute retrouvé deux anciennes connaissances, bien qu'il fût enterré au cimetière de Saint-Paul depuis 1533.

L'entre-deux de l'église et de l'ancienne ménagerie a été habité aussi par La Varenne, qu'un chroniqueur nous donne pour ancien fouille-au-pot et cuisinier, devenu porte-manteau de Henri IV et mercure de ses plaisirs. Ce parvenu eut assez de crédit pour favoriser le rétablissement en France des jésuites, qui lui durent le collège de la Flèche, auprès duquel il se retira très riche. N'est-ce pas de la jolie tourelle que l'intrigant avait vu venir son monde ?

Mais on y cherche plutôt l'empreinte des pas d'une femme dont les passions donnaient la mort.

Le bruit court que Mme de Brinvilliers y aurait caché son amant, puis le premier fourneau de sa criminelle officine, sous le même prie-Dieu. Mais nous considérons comme plus certain que la célèbre empoisonneuse a demeuré au n° 12, rue Neuve-Saint-Paul, avant de passer au quartier de la Tournelle. Il est vrai qu'elle pouvait avoir simultanément grand et petit hôtels près Saint-Paul sans qu'ils attinssent tout à fait l'un l'autre. On revoit dans celui de la rue Neuve, en haut d'un escalier, un bas-relief où figurent des cornues. Quelles armes parlantes ! Un avocat de notre temps en profiterait pour plaider la monomanie, pour obtenir des circonstances atténuantes, et la Brinvilliers n'aurait plus de peine capitale à subir. Le 10, même rue, n'est qu'un démembrement de ladite propriété, où demeurait un Pâris de la chambre des Comptes dès 1692, postérieurement hôtel de l'Aigle, puis logis et bureau de rivière, arpenteur de la maîtrise des eaux et forêts, actuellement en la possession des soeurs hospitalières de Bon-Secours.

Aux chiffres impairs de la rue Neuve-Saint-Paul nous ne réclamerions en vain : ni un appartement qu'a occupé Mme du Boccage, née Lepage, prônée par Fontenelle et Voltaire, mais auteur de poèmes obscurs, morte nonagénaire pendant le Consulat ; ni les anciens hôtels Gourgues et Delaunay, qui pouvaient n'être que deux phases de la même planète ; ni une maison hospitalière, desservie par des soeurs de Saint-Thomas de Villeneuve. Les célestins étaient propriétaires de cette dernière maison, où se forma en 1783, sous les auspices du roi et de M. de Vergennes ; un hospice médico-électrique. Ledru père, surnommé Cornus, y traitait encore les affections nerveuses sous l'Empire, mais sans le concours des soeurs de Saint-Thomas ; il était aidé par son fils, et les malades n'avaient rien à payer pour profiter de ses expériences.

L'autre rue par exemple avait pour habitante la plus jolie femme du quartier, sous Louis XV, Mme de Serrant. Son mari, gouverneur des pages du duc d'Orléans, ne lui souffrait pour galant protecteur le fermier général Bouret qu'à la condition pour, celui-ci d'afficher également comme sa maîtresse Mme Filleul, femme d'un intéressé dans les affaires du roi. Les deux rivales, loin de s'arracher, les yeux, prenaient leur mal en patience, et elles faisaient souvent de compagnie des parties de campagne a Croix-Fontaine, avec le financier. Mme de Serrant était la locataire de M. de la Vieuville.

Plus tard, le citoyen Cardon a installé au ci-devant hôtel La Vieuville une manufacture de tabac, remplacée, vers 1808 par l'établissement des Eaux. L'hôtel ainsi transformé en usine s'était lui-même détaché lu palais de Saint-Paul, sous le règne de Henri II. Les prédécesseurs de ce roi avaient fixé leur résidence au château des Tournelles et, dès l'année 1516, Jacques de Genouillac, dit Galliot, grand-maître de l'artillerie, avait acquis de François Ier une portion du séjour abandonné.


 

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