LA CONSTRUCTION ET LE CULTE
DES STUPA D'APRÈS LES VINAYAPITAKA
par André BAREAU
Tous les Vinayapitaka, y compris ces abrégés (matrkd) que sont le P'i-ni- mou king et le Pi-nai-ye, à la seule exception du Vinaya pâli, contiennent d'intéressantes données concernant la construction et le culte des stupa. Vu leur caractère canonique, elles constituent les plus anciens documents que nous possédions sur cette question, à l'exception de celles, assez peu importantes, qui sont contenues dans les diverses recensions du Mahdparinirvdnasutra.
Le fait qu'elles soient absentes du Vinaya pâli, qui est de beaucoup le plus connu et utilisé en Occident, explique qu'on les ait jusqu'ici négligées et même pratiquement ignorées. L'examen de ces données souvent obscures m'a été facilité grâce à l'aide que m'ont apportée Mme Benisti, qui a confronté longuement les résultats de ses recherches récentes dans le domaine de l'archéologie avec les documents que j'avais tirés des textes, et M. Jacques Gernet, qui m'a fourni des éclaircissements sur certaines phrases chinoises assez énigmatiques. Qu'ils veuillent bien trouver ici l'expression de ma vive gratitude.
Les données en question se présentent sous deux formes : des récits complets consacrés aux stupa et des éléments plus ou moins brefs, généralement réduits à une phrase ou à quelques mots, dispersés dans le texte des Vinayapitaka. Les premiers ont souvent, en eux-mêmes, un intérêt légendaire et même historique que l'on ne saurait négliger, comme on le verra par la suite. Ces récits se trouvent dans le Ksudrakavastu chez les Mahïsàsaka ^, les Dharmaguptaka (2), les Mahà- sânghika ^ (pour autant que l'on puisse établir une répartition par chapitres des Skandhaka de ces derniers). On les rencontre, en partie, dans le Ksudrakavastu1^ et en partie dans la Niddnamdtrkd^ des Mûlasarvàstivâdin. Chez les Sarvàstivàdin(6), ils sont rangés dans les parties complémentaires, probablement rattachées tardivement au Canon : V Ekottaradharma et un chapitre postérieur consacré aux devoirs des moines; un seul récit, très court, appartient au Ksudra-
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kavastu. Les données éparses sont absentes des ouvrages des Mahàsànghika, des Mahîsàsaka et des Dharmaguptaka. Chez les Sarvàstivâdin, elles sont rares et dispersées dans le Ksudrakavastu et le Šayanavastu. Dans le Vinaya des Mûlasarvâs- tivâdin, on les rencontre dans le Ksudrakavastu et dans le résumé en vers nommé Vinayakârikâ. L'abrégé de Vinaya anonyme (Pi-nai-ye) '^ ne contient qu'un seul récit, placé tout à la fin de l'ouvrage. Dans le P'i-ni-mou king (2) enfin, les récits et les éléments séparés sont dispersés à peu près dans tout le livre. Tout ceci, de même que l'absence de toute donnée dans le Vinayapitaka pâli, tend à prouver que ces documents n'ont été incorporés aux divers Canons qu'assez tard, dans les deux derniers siècles avant notre ère et même après dans certains cas. Cependant, certains indices laissent à penser que l'un au moins des récits, celui qui concerne le stupa du Buddha Kâsyapa, peut remonter, dans sa version primitive, à une époque antérieure au règne d'Asoka. Il semble donc qu'une partie au moins de nos documents et des anecdotes qui leur servent de cadre ait subsisté pendant un temps plus ou moins long en tant qu'éléments paracanoniques avant d'être introduite dans les Vinayapitaka. Rien ne s'oppose non plus à ce que des éléments semblables aient existé dans les écoles régies par le Canon pâli et que, n'ayant jamais été admis dans celui-ci, ils aient finalement disparu dans l'oubli. Du reste, l'existence même des stupa, prouvée surabondamment par l'archéologie et l'épigraphie, au moins depuis le règne d'Asoka qui fit agrandir du double celui du Buddha Konâkamana comme l'atteste l'inscription de Nigali Sagar, suppose celle de règles contemporaines concernant la construction de ces édifices et le culte qu'on leur rendait.
Voici donc, classées et confrontées, les données que nous fournissent les Vinaya- рЦака.
A. LES RAISONS SUR LESQUELLES REPOSE L'ÉDIFICATION DES STUPA
II faut distinguer d'abord les stupa construits sur les restes d'un cadavre et ceux que l'on a élevés sur les reliques d'une personne vivante, notamment ses cheveux et ses rognures d'ongles.
Le premier cas semble le plus important et le plus ancien. Selon le Pi-nai-ye : « Quand un homme du commun meurt, on bat la terre pour faire un tumulus (ij|). A plus forte raison, pour le Bienheureux» (T. 1464, p. 897c-898o). Le P'i-ni-mou king explique : « Sur les cadavres, on élève des stupa (Щ) » [T. 1463, p. 815 c] et il ajoute : « Les vêtements (ou : étoffes ^) que l'on suspend au-dessus des stupa ne doivent pas être pris ... Si, à l'intérieur du tertre, le cadavre n'est pas encore détruit, les vêtements qui sont sur le cadavre ne doivent pas être pris ». Ceci montre que, dans deux écoles au moins, on rattachait l'origine des stupa aux tumuli édifiés sur les cadavres des gens ordinaires. Ce passage prouve aussi que, dans l'Inde ancienne, l'inhumation était assez courante i3', bien que les moines aient toujours été incinérés, le rite de l'incinération étant sans doute réservé, parce que plus onéreux, aux personnes particulièrement respectables. Enfin, il est permis de voir dans ces morceaux d'étoffe suspendus au-dessus des tertres funéraires ordinaires, et qui sont peut-être une partie des vêtements des morts abandonnés
A. Les raisons sur lesquelles repose l'édification des stūpa
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comme impurs, l'origine des bannières que l'on suspend au-dessus des stupa et aussi d'autres monuments religieux comme l'arbre de bodhi dans les monastères actuels.
Les stupa renfermant des reliques de cheveux et d'ongles s'expliquent différemment. Dans un récit conservé par les Sarvàstivàdin, le célèbre dévot laïc Anâ- thapindika dit au Buddha : « Ô Bienheureux, quand le Bienheureux voyage parmi les hommes pour les éduquer, j'éprouve toujours le désir de regarder avec respect le Buddha. Puisse le Bienheureux me donner de petits objets auxquels je puisse rendre un culte {puja) ». Le Buddha lui donne aussitôt des cheveux et des rognures d'ongles : « Tu leur rendras un culte ». S'adressant au Buddha, il [Anàthapindika] dit alors : « 0 Bienheureux, me permets-tu d'élever un stupa (Щ) pour ces cheveux et ces ongles? » Le Buddha dit : « Je te permets d'en élever » (T. 1435, p. 351 c). Ainsi donc, ces menus déchets provenant du corps du Buddha participent de sa nature et, en les vénérant, on vénère le Bienheureux lui-même. On trouve la même préoccupation dans un récit du P'i-ni-mou king : « Quand on coupa les cheveux [du Buddha], le fils de roi Gopàla se rendit auprès du Buddha et demanda au Bienheureux ces cheveux pour les emporter et, étant retourné dans son pays, leur rendre un culte. Le Buddha le lui permit aussitôt. Le fils de roi demanda alors des explications au Bienheureux : « Ces cheveux, dans quel récipient faut-il les mettre pour leur rendre un culte? » Le Buddha dit : « II faut les mettre dans un récipient fait des sept joyaux pour leur rendre un culte » (T. 1463, p. 816 c).
La version dharmaguptaka de la même anecdote présente une variante intéressante : « II y avait alors un fils de roi, Gopàli, qui dirigeait un corps d'armée et désirait aller dans la direction de l'Ouest où il y avait des rebelles à soumettre. Il vint pour chercher des cheveux et de la barbe du Bienheureux. Les moines le dirent au Buddha. Le Buddha dit : « Je permets qu'on les lui donne ». Les ayant obtenus, il ne sut pas en quel endroit les placer. Le Buddha dit : « Je permets qu'on les place dans un stupa d'or, ou dans un stupa d'argent . . . Alors, le fils de roi, ayant emporté les cheveux du Bienheureux, alla soumettre les rebelles et obtint la victoire » (T. 1428, p. 957 b). Nous voyons par cet exemple que le stupa- reliquaire, de petites dimensions, servait aussi de talisman et de palladium. Si cet usage, que l'on retrouve dans toutes les religions, ne nous surprend guère, nous sommes cependant assez étonnés de voir un ouvrage canonique bouddhique, non seulement le relater, mais encore le sanctionner.
La suite du récit concernant le reliquaire confié au prince Gopàla ou Gopàli nous montre la liaison qui existait entre le sřupa-reliquaire et le stupa-monument. Les Dharmaguptaka disent à ce propos : « Quand le fils de roi [après avoir remporté la victoire sur les rebelles] fut revenu dans son pays, il éleva un stupa pour les cheveux du Bienheureux. C'est le stupa [qui fut élevé] quand le Bienheureux était en ce monde ». Le siupa-monument est donc une chapelle, dans laquelle on a déposé un siôpa-reliquaire. L'anecdote est un peu plus compliquée dans le P' i-ni-mou king : « Le fils de roi partit comme le Buddha l'avait enseigné et, en route, il apprit que des bandits d'un pays étranger arrivaient. Aussitôt, sur la route, il fit un grand stupa et rendit un culte aux cheveux du Buddha. Ce stupa est nommé stupa des cheveux du Buddha ». Le siiZ/^a-monument sert donc ici à protéger le sčíZ/xz-reliquaire et le trésor qu'il représente, à la fois pour sa richesse et pour sa vertu magique, des atteintes des méchants.
Deux Vinaya, celui des Mahïsâsaka et celui des Mulasarvâstivâdin, nous apprennent que l'on construisait des stupa pour les Buddha Tathàgata, pour les Pratyeka- buddha ou Buddha solitaires, pour les Auditeurs (šrdvaka), c'est-à-dire pour les
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quatre sortes de saints bouddhiques, et pour les Cakravartin, ces monarques universels qui font tourner la Roue de la Loi (dharmacakra) sur le monde entier (T. 1421, p. 173 a; T. 1451, p. 291 c; T. 1459, p. 652 c).
B. LA CONSTRUCTION DU STUPA MONUMENT
Si les données concernant la construction du stupa sont abondantes, elles ne sont pas toujours faciles à interpréter et, de plus, elles sont réparties dans les textes avec une hétérogénéité qui rend souvent difficiles à établir les comparaisons entre les diverses traditions. Ceci est d'autant plus regrettable que nos sources appartiennent à des écoles diverses et probablement aussi à des régions et à des époques différentes.
I. Les matériaux
Les matériaux les plus variés étaient employés à la construction des stupa. Le plus vieux récit, celui du stupa du Buddha Kàsyapa, contenu dans les Vinaya des Mahàsànghika, des Mahïsâsaka et des Dharmaguptaka, ne parle que de boue ($£) et comporte même cette stance : « Cent mille charges d'or pur ne sont pas comparables à une seule boule de boue utilisée pour construire le stupa d'un Buddha » (T. 1421, p. 172 c-173 a; T. 1425, p. 497 c; T. 1428, p. 958 b). Les Dharmaguptaka précisent même de quelles espèces de boue il s'agit : de la boue noire (Щ f/g), de la boue d'herbes desséchées, de la boue de bouse de vache, de la boue blanche (jg $g = argile blanche), de la chaux, de la terre blanche (fg \щ _-£) [T. 1428, p. 956 c]. Les Sarvàstivâdin parlent d'un mur de boue ou de mortier (<Ц ^|) [T. 1435, p. 351c]. Tous ces matériaux semblent bien fragiles, bien inconsistants pour élever ces énormes tumuli que sont les stupa. En admettant même que l'on ait pu en construire un tertre d'un certain volume, les pluies tropicales violentes de l'Inde n'auraient pas tardé à dissoudre et à anéantir ces monuments destinés, au contraire, à durer très longtemps pour perpétuer la mémoire de ceux dont ils abritaient les reliques. Ces matériaux légers pouvaient tout au plus servir à crépir la masse du stupa, construite, elle, en matériaux beaucoup plus résistants.
Les Mahàsànghika, les Mulasarvâstivâdin et les Dharmaguptaka parlent du reste de l'utilisation des briques pour la fabrication des stupa, et les derniers ajoutent à celles-ci la pierre et le bois (T. 1425, p. 497 c, 498 a; T. 1428, p. 956 c; T. 1451, p. 291 c). L'archéologie prouve, en effet, que la brique était le matériau essentiel employé dans la construction des stupa. Les grands stupa d'Anuràdha- pura, à Ceylan, sont des montagnes de briques.
Nos textes parlent aussi de l'utilisation des métaux, surtout des métaux précieux, et des joyaux, dans l'édification des stupa, et ce, non pas comme des éléments décoratifs, mais comme des matériaux de base. Les Mahàsànghika mentionnent un stupa, celui du Buddha Kàsyapa, qui était fait des sept joyaux (T. 1425, p. 497 b). Les Mulasarvâstivâdin et le Pi-nai-ye prescrivent l'emploi des quatre joyaux, or, argent, cristal et lapis-lazuli (T. 1451, p. 249 6 et 261c; T. 1452, p. 429 c; T. 1464, p. 898 a). Selon les Mahïsâsaka, le stupa de Kàsyapa était fait d'or et d'argent (T. 1421, p. 172 c). Enfin, les Mulasarvâstivâdin croyaient pouvoir utiliser le fer et le cuivre pour ce travail (T. 1452, p. 429 c). Il semble que l'imagination des Indiens antiques ait, sur ce point, assimilé les reliquaires aux monuments et rêvé d'énormes stupa entièrement construits avec les matières précieuses
B. La construction du stūpa monument
I. Les matériaux
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qui servaient à la fabrication des urnes à reliques, travail d'orfèvre. Comme le suggèrent les Mahâsânghika, il n'est pas impossible que l'on ait recouvert certains monuments d'une mince couche d'or, comme cela se pratique encore aujourd'hui tant en ce qui concerne certains stupa bouddhiques du Siam que les coupoles des sanctuaires centraux des grands temples hindouistes à Cidambaram, à Srïran- gam, etc. (T. 1425, p. 498 a).
II. La couleur
Nous savons peu de choses au sujet de la couleur de ces monuments, dont la masse de briques était généralement recouverte d'une sorte de stuc lui-même enduit d'une couche de matière colorée. Les Sarvàstivàdin parlent d'un mortier rouge, noir et blanc (T. 1435, p. 351 c), les Mulasarvàstivàdin d'un enduit blanc frais (%$ |=j) et de murs et de colonnes enduits (Щ) de « pierre rouge » (ifp, ^j) et de « minéral pourpre » (^ ,gf) [T. 1452, p. 429 b].
III. Les proportions
Les dimensions données par nos sources sont toutes de l'ordre d'une lieue indienne (yojana), soit environ 10 kilomètres, ce qui est évidemment à rejeter comme purement légendaire. Cependant, ces dimensions extravagantes sont intéressantes en ce qu'elles nous donnent les proportions des monuments.
D'après les Mahàsânghika et les Mahïsàsaka, le stupa idéal avait une demi- lieue de large et une lieue de haut, et était donc deux fois plus haut que large (T. 1421, p. 172 c; T. 1425, p. 497 b). Selon le Pi-nai-ye, il avait une lieue de large comme de long, et une lieue de haut (T. 1464, p. 898 a), c'est-à-dire qu'il était aussi large que haut. Enfin, pour les Mulasarvàstivàdin, le stupa idéal avait les proportions du mont Sumeru, soit une lieue de large et une demi-lieue de haut, ou deux ou trois mesures de large pour une ou deux de haut (T. 1451, p. 222 c, 249 b, 261c, 291c; T. 1459, p. 652 c).
Nous voyons donc que les proportions des stupa variaient beaucoup avec les écoles, peut-être aussi avec les régions. Cela contredit la légende rapportée par Hiuan-tsang selon laquelle les stupa les plus anciens étaient ceux qui étaient le plus enfoncés dans le sol, ce qui laissait supposer que les proportions de ces monuments avaient évolué dans le sens d'une importance de plus en plus grande donnée à la hauteur par rapport à la largeur. En effet, le Vinaya des Mulasarvàstivàdin, qui décrit les stupa les plus aplatis, les plus anciens par conséquent si l'on se réfère aux dires de Hiuan-tsang, est de beaucoup le plus récent de tous les recueils disciplinaires, alors que le récit dans lequel figurent les données des Mahàsânghika et des Mahïsàsaka est probablement le plus ancien, et semble remonter au moins au règne d'Asoka. On pourrait expliquer ces divergences si grandes en supposant que le calcul n'est pas basé sur les mêmes éléments dans les divers cas, par exemple que celui des Mulasarvàstivàdin ne concerne que la masse ronde (anda) qui forme la partie la plus importante du monument, tandis que celui des Mahàsânghika et des Mahïsàsaka est relatif à la hauteur du stupa depuis le sol naturel jusqu'à l'extrémité du mât portant les parasols. En fait, rien n'indique nulle part sur quelles bases reposent ces calculs, et par conséquent, en l'absence de telles précisions, il semble bien que ceux-ci concernent la hauteur totale du stupa, du sol naturel à la pointe du mât, et la largeur du soubassement.
II. La couleur
III. Les proportions
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IV. Le terrain
Certains textes nous donnent quelques renseignements concernant le terrain sur lequel doit être bâti le stupa. Selon les Mûlasarvàstivàdin, il doit se trouver au carrefour de quatre grandes routes (T. 1451, p. 394 c, 400 b-c).
Les Mahïsâsaka énumèrent les stupa en plein air, les stupa construits dans des habitations (Jg) et les stupa dépourvus de murs (ait Ц-) [T. 1421, p. 173 a). Si les deux premières sortes ne font pas de difficulté, la dernière demeure énigma- tique.
Les Sarvàstivàdin nous donnent heureusement plus de détails. On peut, d'après eux, construire un stupa dans une caverne (Щ) aménagée de main d'homme et pourvue d'une porte, et le recouvrir (Ц) [T. 1435, p. 351c-352a]. On peut en édifier dans des jardins (Щ Щ) ou dans des champs de céréales (§£ Щ) [Т. 1435, p. 415 c]. Il faut choisir soigneusement un terrain où l'on puisse aller et venir sans difficulté, qui soit pourvu d'eau et de bouquets d'arbres, qui soit paisible jour et nuit, où il y ait peu de moustiques, de vent, de chaleur et d'insectes venimeux (T. 1435, p. 416 c).
Les Mahâsànghika nous donnent d'autres renseignements. Selon eux, avant de bâtir un monastère, on doit d'abord déterminer un bon terrain pour en faire l'emplacement du stupa. Celui-ci ne doit être situé ni au Sud ni àl'Ouest du monastère, mais à l'Est ou au Nord (T. 1425, p. 498a). L'archéologie révèle qu'en fait, par exemple à Nâgârjunïkonda ou à Anurâdhapura, les stupa sont généralement placés à l'Ouest, direction du soleil couchant, des morts, par rapport aux monastères. La tradition veut du reste qu'au moment du Parinirvâna, le Buddha ait fait face à l'Ouest. Or, le stupa symbolise le Parinirvâna. Les Mahâsànghika nous disent encore que le terrain du Buddha, c'est-à-dire du stupa, ne doit pas empiéter sur le terrain de la communauté (saňgha), c'est-à-dire du monastère et réciproquement. L'eau du terrain du Saňgha ne doit pas entrer sur le terrain du Buddha et réciproquement. Le stupa doit être construit en un lieu élevé et bien visible (T. 1425, p. 498 a).
V. Les éléments architectoniques
Sauf chez les Mahâsànghika et les Mûlasarvàstivàdin, nous ne possédons pas de description complète, même fort sommaire, du stupa. Généralement, les données concernant les éléments architectoniques, dont la liste est presque toujours partielle, sont dispersées sans ordre.
Avant d'examiner séparément chacun de ces éléments, voyons les deux descriptions qui nous sont fournies. Selon les Mahâsànghika : « Le soubassement est entouré, des quatre côtés, par une barrière. Sur la partie ronde s'élèvent deux épaisseurs ( _^ Jj) d'où des dents carrées (Jf ^p) sortent des quatre côtés. Au- dessus, on place les parasols à plateaux (Цх Ц?), un grand mât-signal (J| ^) et les signes de roues (Щ ^g) » [T. 1425, p. 497 c et 498 a]. Voici la description des Mûlasarvàstivàdin : « Vous pouvez utiliser deux épaisseurs de briques pour faire le soubassement. Ensuite, placez le corps du stupa (Щ Ě%) et, au-dessus, placez le bol retourné (Щ §fa). A volonté, réduisez sa hauteur et établissez son sommet horizontal . . . Dressez le mât à roues (ffjjj ^jp), puis placez-y les signes de roues. Le nombre de ces signes de roues est de un, deux, trois, quatre, jusqu'à treize. Puis, placez l'urne de joyaux (f jfa) » [T. 1451, p. 291c].
IV. Le terrain
V. Les éléments architectoniques
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Voyons maintenant les éléments, un par un.
1° Le soubassement. — Les Dharmaguptaka prescrivent de construire le stupa carré, circulaire ou octogonal (T. 1428, p. 956 c), mais il semble bien que cela se rapporte plus précisément au soubassement du monument. Les Mahàsânghika parlent des quatre côtés (Щ ~ýf) du soubassement (T. 1425, p. 497 c et 498 a) et les Mulasarvâstivâdin des quatre bords (Щ fljíj?) [T. 1459, p. 652 c], ce qui laisse supposer que la forme en était carrée. A un autre endroit, les seconds donnent la mesure de la circonférence (Щ Щ) d'un stupa, que l'on doit comprendre du reste comme le diamètre, mais qui suggère une forme circulaire (T. 1451, p. 222 c).
2° La partie ronde. — C'est la partie essentielle du monument, « l'œuf » (anda). Seuls, les Mahâsânghika et les Mulasarvâstivâdin en parlent. Les premiers la mentionnent d'un seul mot, « la partie ronde » (Щ) [T. 1425, p. 497 c et 498 a], les seconds l'appellent le « bol retourné » (Щ §fo) et le distinguent du « corps du stupa » (Щ Ějf) sur lequel il est placé. Ce dernier élément doit être la partie intérieure qui contient la chambre aux reliques. Le sommet du « bol retourné » est horizontal (ф. Щ) [T. 1451, p. 291c] et désigné ailleurs comme «sommet en terrasse » (j| Tjf) [T. 1452, p. 429 c].
3° Le pavillon sommital. — ■ Ce pavillon (harmika) placé au sommet de la masse ronde du stupa n'est mentionné, et de façon assez énigmatique, que par les Mahâsânghika et les Sarvâstivàdin. Pour les premiers, c'est « une double épaisseur ( ~*. Цг) d'où des dents carrées (Jf ^p) sortent des quatre côtés » (T. 1425, p. 497 с et 498 a). Les seconds parlent d'une « terrasse circulaire (Щ ^)... sur laquelle on peut placer des arbres (7fv) pour y suspendre des bannières » (T. 1435, p. 352 a) et, parmi les objets servant à orner le stupa, « des terrasses élevées (0} 'Jr), des tours élevées (щ Щ), des pavillons à deux étages (]§r Щ) où l'on suspend des clochettes de joyaux, des colliers à l'aspect brillant, des bannières de soie, des parasols fleuris... » (T. 1435, p., 415 c). Notons que le caractère ^, que nous traduisons ici par « terrasse », rend exactement le sanskrit prâsâda et a, comme ce dernier terme, les sens de « terrasse, vaste bâtiment de réunion, hall, temple, palais, tour, etc.». Ce manque de précision est d'autant plus gênant pour nous que les éléments énumérés ci-dessus par les Sarvâstivàdin ne sont nullement localisés par rapport aux autres parties du stupa. Seule, la comparaison avec les documents archéologiques nous permet de les placer au sommet de la masse arrondie du monument.
4° Le mât aux parasols. — II est désigné par les Mahâsânghika sous le nom de « grand mât-signal » ( J| ^|) [T. 1425, p. 497 с et 498 a] et par les Mulasarvâstivâdin sous celui de « mât à roues » (Щ íp) [T. 1451, p. 291 c].
5° Les parasols et les signes de roues. — La plupart des textes mentionnent les parasols sans les localiser, aussi les examinerons-nous plus loin. Certains d'entre eux les placent cependant au sommet du stupa. Ainsi, les Mahâsânghika parlent des plateaux en forme de parasols (^ j|f), du long mât-signal et des signes de roues (Щ ^El) situés au-dessus du pavillon (T. 1425, p. 497 с et 498 a). Les Mahïsàsaka mentionnent les « plateaux pour recevoir la rosée » (j^ Щ .AS:) [T. 1421, p. 173 a] et le Pi-nai-ye également, mais celui-ci donne une translitération tcha-ti-li, du nom sanskrit qui est chattrikâ, c'est-à-dire « parasol », terme
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qui précède ici la traduction : « parasol en forme de plateau pour recevoir la rosée » (T. 1464, p. 898 a). La translittération permet de distinguer ces parasols du vase destiné à recevoir la pluie (varsasthâla) placé tout au sommet du mât.
Les Mahàsànghika et les Mûlasarvàstivâdin sont les seuls à parler des « signes de roues », encore les premiers ne font-ils que les citer. Les seconds, au contraire, nous donnent à leur propos d'utiles renseignements : « On dresse le mât à roues, puis on y place les signes de roues. Le nombre de ces signes de roues est de un, deux, trois, quatre, jusqu'à treize ... Si c'est pour un Arhant, les signes de roue seront au nombre de quatre; pour un Anâgâmin jusqu'à trois; pour un Sakr- dâgâmin, il en faut deux; pour un Srotaâpanna, il en faut un; pour un simple homme de bien (satpurusa) ordinaire (prthagjana), sur le sommet horizontal, il ne peut y avoir de parasol à roue (Щ |ě) » [T. 1451, p. 291 c]. Et plus loin : «... les roues (|^) [sont] au nombre de un, deux, trois ou quatre selon le Fruit (phala), il faut le savoir. Pour les hommes vertueux ordinaires, le sommet est plat (Jl Щ) comme pour un caitya (Щ Щ). Si l'on construit un caitya pour le Buddha, les parasols à roue sont en nombre indéterminé et dépassent mille s'il est très élevé, pour obtenir du mérite jusqu'à l'infini. Pour un Pratyekabuddha, semblable à un rhinocéros, on ne dépasse pas trente plateaux (^) » [T. 1459, p. 652 c]. Ce dernier texte, qui rapporte des nombres exagérés, est probablement plus tardif que le précédent, qui signale encore, à un autre endroit, des miroirs (Щ Ц) attachés aux signes de roue (T. 1451, p. 326 c).
6° L'urne de joyaux. — Les Mûlasarvàstivâdin, et peut-être aussi le Pi-nai-ye, sont seuls à la mentionner. Selon les premiers, elle est placée au sommet du mât à roues, et n'existe que dans les stupa consacrés aux Buddha Tathàgata, non dans ceux qui sont dédiés aux Pratyeka-buddha et aux Srâvaka (T. 1451, p. 291 c). Cette urne de joyaux (Щ jf^) doit être placée sans être jointe (^ ^ Цг) [Т. 1459, p. 652 c].
Le Pi-nai-ye, après avoir mentionné les chattrikâ, comporte une phrase que l'on ne sait trop comment interpréter : -^ ^ Ifê — ^{j| $£, que suit la note explicative suivante : « Un cri [portant à] huit mille pieds et quatre lieues (yojana) » [T. 1464, p. 898 a]. La note se rapporte manifestement aux deux derniers caractères, kiu-chou, qui représenteraient alors une translittération du terme sanskrit krosa, ce qui est assez surprenant dans la description d'un stupa. Si l'on ne tient pas compte de cette note, visiblement interpolée comme le montre clairement l'édition de Taisho Issaikyô, on peut rendre beaucoup mieux kiu-chou par kosa « étui, fourreau, boîte, caisse, magasin, trésor ». Ce kiu-chou = kosa serait notre « urne à joyaux » dont le nom sankrit pourrait être, plus complètement, ratna- kosa. Les quatre premiers caractères, k'iu-ngan-nai-yi, peuvent rendre un terme indien, sanskrit ou plutôt pràkrit, tel que * guhanayl, dérivé de la racine GUH «cacher», et qui compléterait le sens de kosa : il s'agirait d'une urne dans laquelle seraient cachés des joyaux; ou bien faut-il distinguer l'urne (kosa) de la cachette (*guhanayî) qui peut, alors, renfermer les reliques? Tout cela demeure bien conjectural, il faut l'avouer.
7° La barrière. — ■ Cette barrière (Щ \Щ ), balustrade ou palissade, entoure complètement le soubassement du stupa des Mahàsànghika (T. 1425, p. 497 с et 498 a). Les Mahïsâsaka nous disent seulement qu'elle est placée à l'extérieur (jjb %\\) du monument, ce dont nous aurions pu nous douter (T. 1421, p. 173 a). D'après les Dharmaguptaka, elle est placée sur les quatre côtés (T. 1428, p. 956 c). Selon les Sarvâstivàdin, on la place devant les portes (J3 ~щ) du stupa et tout
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autour (jpj [r]T) [T. 1435, p. 351 c], ce qui fait penser aux portes à chicane du grand stupa de Sànchï, par exemple.
La principale fonction de cette barrière est d'empêcher les animaux, vaches, moutons, chevaux, chiens, antilopes, de pénétrer sur le terrain du stupa et de le souiller. Tel est l'avis des Dharmaguptaka, des Sarvâstivàdin et des Mahâsànghika, ces derniers accusant les chiens d'apporter des morceaux de cadavres, objets particulièrement impurs, pris sur un charnier voisin (T. 1425, p. 498 a; T. 1428, p. 956 c et 957 c; T. 1435, p. 351c). Notons que les vaches sont citées comme cause de souillure à la fois par les Dharmaguptaka et les Sarvâstivàdin. Les premiers mentionnent encore un usage de la barrière : on peut déposer des fleurs et des parfums sur le dessus (T. 1428, p. 956 c), ce qui laisse supposer que le dessus était plat, horizontal et assez large.
Les Dharmaguptaka et les Mahàsânghika semblent distinguer de la barrière le mur (Ш tëp» Ш Ш)> 4U^ sert plus particulièrement à empêcher l'intrusion des animaux impurs sur le terrain du stupa (T. 1428, p. 956 c; T. 1425, p. 498 a). On peut supposer que ce mur doublait, dans ce cas, la barrière à l'extérieur.
Les Dharmaguptaka sont les seuls à mentionner les portes pratiquées dans cette clôture, mur ou barrière, mais l'existence de celles-ci est évidente, et amplement attestée par les documents archéologiques. Les Sarvâstivàdin nous parlent, comme nous l'avons vu plus haut, des portes du stupa, qui sont des portes pourvues de battants (Щ) destinés à empêcher l'intrusion des animaux, et dont l'existence précède celle de la barrière. Ce détail laisse supposer que le monument auquel ils se réfèrent était creux, au moins en partie, ce qui semble contredit par les données de l'archéologie. Peut-être s'agissait-il seulement des niches du stupa.
8° La couverture. — Deux textes mentionnent une couverture, celui des Mahàsànghika et celui des Mûlasarvâstivàdin. Le premier déclare : « Alors, il y eut un ministre qui, s'adressant au roi, lui dit : « Dans l'avenir, il y aura des hommes « impies (^ ££, adharma) qui apparaîtront. Ils briseront ce stupa, commettant « une faute grave. Que le roi veuille seulement, avec des briques (Jjj[ \Щ), faire « une couverture (Ц; L) d'or et d'argent. S'ils prennent l'or et l'argent, le stupa « demeurera intact (fê Щ- ^s) ». Conformément aux paroles du ministre, le roi fit aussitôt faire, avec des briques, une mince (Щ.) couverture d'or, haute d'une lieue (yojana), large d'une demi-lieue et fit faire une barrière de cuivre » (T. 1425, p. 497c-498a).
D'après les Mulasarvâstivâdin : « Sur le stupa, les oiseaux s'arrêtaient, et leurs immondices le souillaient. On désira élever au-dessus de lui une habitation pour le couvrir (U 4*). Le Buddha dit : ' Vous pouvez la construire '. Alors, étant sans porte, cette maison ('J?) était désavantagée par l'obscurité. Le Buddha dit : « Selon votre volonté, ouvrez des portes » (T. 1452, p. 429 c).
Bien que la fonction de cette couverture soit la même dans les deux cas, à savoir protéger le stupa, on peut se demander s'il ne s'agit pas de constructions très différentes. Dans le premier cas, celui des Mahâsânghika, l'utilisation de la brique suggère d'une certaine façon un ouvrage plein, sans solution de continuité avec le stupa, et l'on pense au monument du Buddha Konâkamana qu'Asoka agrandit du double. Seul, l'emploi massif de la brique pouvait en effet décourager les efforts des impies à la recherche des trésors contenus dans la chambre aux reliques. Dans le second cas, au contraire, il s'agit d'une mince couverture, suffisante pour épargner au stupa les souillures des oiseaux. C'est exactement cette construction que le professeur Paranavitana a reconstituée d'après certains éléments de plusieurs vieux stupa de Ceylan, notamment ces rangées de colonnes qui entouraient des
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monuments comme le Thupâràma d'Anurâdhapura, l'Ambatthala de Mihintale et le Vata da Ge de Polonnaruwa, et dont une maquette à échelle réduite est présentée au petit musée d'Anurâdhapura. La nécessité d'ouvrir des portes pour combattre l'obscurité régnant à l'intérieur montre que le pourtour était en cloison pleine et non en péristyle, du moins pour le stupa décrit par les Mulasarvâstivâdin. Nous avons dit plus haut (B, I, in fine) ce qu'il faut penser de la couverture mince en or signalée par les Mahàsânghika.
9° Les niches. — Ce sont les Mahàsânghika qui nous donnent le plus de renseignements sur les niches (ff) : « Dans le temps passé, après le Parinirvàna du Buddha Kâsyapa, le roi Krkin fit élever un stupa pour ce Buddha et construire des niches sur les quatre côtés. Au-dessus, il fit exécuter toutes sortes de splendides peintures ( -^ ^) de lions et d'éléphants. Devant, il fit faire une barrière avec des endroits pour déposer des fleurs. A l'intérieur des niches, il fit suspendre des parasols et des bannières de soie » (T. 1425, p. 498 a). Les Mahïsàsaka mentionnent des figures (f||, pratirupa), sans doute des statues, dans des niches situées à l'intérieur du stupa (1jb |Aj), c'est-à-dire incorporées à la masse même du monument (T. 1421, p. 173 a). Quant aux Sarvâstivâdin, ils nomment les niches sans donner le moindre détail à leur sujet (T. 1435, p. 415 c).
10° Les édicules à offrandes. — On peut rapprocher de ces niches certains édicules dont parlent les Dharmaguptaka, les Sarvâstivâdin et les Mulasarvâstivâdin. Voici ce que disent les premiers : « Ils montèrent sur les statues et placèrent dessus les offrandes. Le Buddha dit : « II ne faut pas agir ainsi. Il faut fabriquer d'autres moyens (~Jf ff|, upâya) pour monter (J^) [variante : ^ banc, escabeau, gradin] et les déposer ». Sur le sol en plein air du stupa, les offrandes de fleurs, de parfums, de lampes à huile, de bannières, de parasols, de musique et de chant étaient toutes [exposées] à l'humidité de la pluie, au souffle du vent, aux rayons du soleil, à la poussière du sol et aux immondices des corbeaux. Le Buddha dit : « Je prescris que l'on construise toutes sortes de maisons-abris» (/J; Щ) [T 1428, p. 956 c].
D'après les Sarvâstivâdin : « II y avait des gens qui [désiraient] construire un toit (^g) pour les offrandes, mais il n'y avait pas d'endroit où placer ce toit. Le Buddha dit : « II faut le placer sur des poteaux à chevilles (£Г НО"' T. 1435, p. 351c). Uu peu plus loin, ils mentionnent des objets (ij^j) et des endroits (jjjg) où l'on doit déposer les fleurs et les lampes (T. 1435, p. 351 с et 352 a).
Voici le récit des Mulasarvâstivâdin : «Puisse le Bienheureux ... me permettre en cet endroit, [sur le stupa], de disposer en files des offrandes de lampes allumées ». Le Buddha dit : « Fais entièrement selon ta volonté ». Le maître de maison (grha- patï) plaça les lampes sur les degrés (|$), mais l'huile [coula] par-dessous et salit le stupa. Le Buddha dit : « On peut disposer les files de lampes allumées sous les degrés ». Il y eut des chiens qui burent l'huile tombant des récipients à l'huile. Le maître de maison dit au Buddha : « Je demande à faire un arbre à lampes Ш Ш) ))# Le Buddha dit : « Fais selon ta volonté ». Des vaches vinrent qui le brisèrent avec leurs cornes. Le maître de maison dit au Buddha : « Je demande à faire un support pour les lampes (Ц£ ^)». Le Buddha dit : «II faut le faire». Sur les quatre faces, on plaça des lampes, mais elles n'étaient pas visibles. Le maître de maison dit au Buddha : «Je demande à faire un haut rebord saillant de toit (Щ Ц)»- Le Buddha dit : « Fais selon ta volonté » (T. 1452, p. 429 b).
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Quelques lignes plus loin, on nous reparle de cette maison à rebord saillant de toit (Щ JH) construite en pierre rouge (yfp ^).
Nous avons ici une collection de moyens destinés à mettre les offrandes à l'abri des intempéries et des souillures et déprédations causées par les animaux. Nous avons d'autant plus de raisons de penser que toutes ces solutions furent utilisées qu'on les voit encore appliquées de nos jours dans les temples bouddhiques : toitures édifiées au-dessus des tables d'offrandes; rangées de lampes alignées sur les parties basses des stupa; arbres à lampes, en métal, de la hauteur d'un homme, tendant leurs bras horizontaux terminés par des lampes en forme de feuille de pipai; supports pour les lampes et les fleurs, de diverses sortes, dont la forme la plus courante est la simple table à offrandes. Seul, le haut rebord saillant de toit semble aujourd'hui inutilisé, du moins à ma connaissance.
VI. Les éléments secondaires
Aux éléments précédents, qui font corps avec le stupa et sont généralement présents, il faut en ajouter d'autres, moins fréquents ou plus indépendants du monument.
1° Les poteaux et colonnes. — Seuls, les Mahàsànghika ne nous en parlent pas. Les Mahïsàsaka disent : « Ils désiraient construire devant le stupa des piliers (Й.) de bois, de pierre, de fer et de cuivre et exécuter au-dessus des images (Jfc) d'éléphants, de lions et de toutes sortes de quadrupèdes » (T. 1421, p. 173 a). Les Dharmaguptaka font une simple allusion à des poteaux (^ ^) dont certains sont en « dent de dragon» (f| ;5p), nâgadanta, c'est-à-dire en ivoire (T. 1428, p. 956 c). Les Mulasarvàstivàdin sont aussi brefs : « Le Buddha dit : « II ne faut pas monter sur le stupa et y fixer des chevilles pointues qui le percent. Si l'on commet cette transgression, on obtient une faute, on accomplit un péché. Mais, quand on commence à construire un stupa, il faut faire sortir des pieux latéraux {\Щ Щ, ou : obliques) pour faire des poteaux (|^) en dent d'éléphant » (T. 1452, p. 429 c). Les Sarvàstivâdin mentionnent des pieux courbés ( jjjj Щ) pour mettre des fleurs (T. 1435, p. 351 c) et, plus loin, un pilier qui représente un élément fort important : « Le Buddha me permet-il de construire devant le stupa une cible élevée (fâ — ) et d'y placer un lion? Le juge-t-il bon?». Le Buddha dit : « Je permets qu'on la construise. — Le Buddha permet-il de construire une barrière des quatre côtés du lion? Le juge-t-il bon? » Le Buddha dit : « Je permets qu'on la construise. — Le Buddha permet-il de construire le lion en cuivre? Le juge-t-il bon? ». On rapporta cette affaire au Buddha. Le Buddha dit : « Je permets qu'on le fasse. — • Le Buddha permet-il d'attacher des bannières au-dessus du lion de cuivre? Le juge-t-il bon? » On rapporta cette affaire au Buddha. Le Buddha dit : « Je permets qu'on les attache » (T. 1435, p. 352 a). Nous avons là une description de ces piliers qui avoisinaient les stupa et dont le chapiteau supportait une statue d'animal, souvent de lion. On en a retrouvé divers exemplaires, dont le plus célèbre est le fameux chapiteau aux lions érigé à Sârnàth par l'empereur Asoka. Tels sont également, quoique décrits avec moins de détail, les piliers mentionnés plus haut par les Mahïsâsaka. Quant aux pieux courbés signalés par les Sarvàstivâdin, on les rencontre sur certains bas-reliefs.
Les parasols et les bannières, étant des éléments amovibles, seront examinés avec les objets du culte.
2° Les jardins et bosquets. — Les Mahàsànghika sont seuls à nous parler des jardins (Щ) des stupa : « Après le Parinirvàna du Buddha Kášyapa, le roi édifia
VI. Les éléments secondaires
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un stupa et, sur les quatre faces du stupa, il fit faire toutes sortes de jardins et de bois {Щ)- Dans les jardins et les bois du stupa, il fit planter des arbres âmra (manguiers), des arbres jambu (jambousiers), des arbres vamsa (bambous), des arbres campaka (gingembres), des arbres atimuktaka (liane du manguier), des arbres sumanâ (sorte de jasmin), des arbres «à fleurs de dragon)) (nâgapuspa, plantes diverses), des arbres « sans-chagrin » (ašoka), des fleurs de toutes saisons. Les fleurs qui y poussent, il faut en faire l'offrande au stupa » (T. 1425, p. 498 a-b).
3° Les étangs. — Seuls également, les Mahàsànghika nous donnent quelques renseignements sur les étangs (Ц&) des stupa : «Après le Parinirvâna du Buddha Kàsyapa, le roi Krkin construisit des étangs sur les quatre faces du stupa du Buddha Kàsyapa. Il y fit semer des fleurs ďutpala (lotus bleu), des fleurs de padma (lotus rouge), des kumuda (nénufars blancs), des pundarika (lotus blanc) et toutes sortes de fleurs mélangées. Maintenant, le roi aussi peut construire des étangs. Règles concernant les étangs : on peut construire des étangs sur les quatre faces d'un stupa; les fleurs mélangées de toutes sortes qui sont dans les étangs servent d'offrandes au stupa du Buddha » (T. 1425, p. 498 h).
Ainsi, les jardins, les bois et les étangs qui entourent le stupa sont destinés, non seulement à embellir celui-ci, mais encore et surtout à approvisionner en fleurs diverses et choisies le culte qui lui est rendu.
4° Les caitya. ■ — Nous ne traiterons ici des caitya que dans la mesure où ceux-ci sont en relations directes avec les stupa.
Les Mahàsànghika consacrent tout un paragraphe à ces sanctuaires : « Après le Parinirvâna du Buddha Kàsyapa, le roi Krkin érigea, sur les quatre faces du stupa du Buddha Kàsyapa, des caitya (££ |^) de joyaux. Il fit sculpter (Щ£) des ornements (^) et ciseler (^lj) dans l'acier (-.Ц) toutes sortes de dessins (|£) spleri- dides. Maintenant, le roi aussi peut construire des caitya. S'il y a des reliques (^ Щ , sarïra), on le nomme stupa. S'il n'y a pas de reliques, on le nomme caitya. Comme à l'endroit (i^l ) où le Buddha est né, à l'endroit où il a obtenu la Voie, à l'endroit où il a fait tourner la Roue de la Loi, à l'endroit du Parinirvàna, il y a des figures (ff<> pratirupa, statues?) de Bodhisattva, des cavernes (Щ, guhâ) de Pratyekabud- dha, des empreintes de pied (Щ j]^, padasthdna) de Buddha. Dans ces caitya, on peut déposer, pour le Buddha, des offrandes de fleurs et de parasols » (T. 1425, p. 498 b).
Les renseignements fournis par les Mûlasarvâstivâdin sont plus brefs et dispersés : « ... le sommet est plat (7L) comme pour un caitya. Si l'on construit un caitya pour le Buddha les parasols à roue sont en nombre indéterminé et dépassent mille s'il est très élevé, pour obtenir du mérite jusqu'à l'infini. Pour un Pratyekabuddha, semblable à un rhinocéros, on ne dépasse pas trente plateaux. Au sommet de ces signes de roues, l'urne de joyaux est placée sans être jointe. Dans le caitya, on place le Buddha et, des deux côtés, deux disciples, le reste des saints à la suite, en file, les profanes devant rester dehors » (T. 1459, p. 652 c). Un autre texte parle des quatre grands caitya situés à l'endroit (Щ) de la naissance, à l'endroit où le Bienheureux est devenu Buddha, à l'endroit où il fit tourner la Roue de la Loi et à l'endroit du Parinirvàna, et où se rend (f£), grâce à sa puissance surnaturelle, le révérend Mahâkàsyapa (T. 1451, p. 408 c). Les phrases qui précèdent et qui suivent ce passage parlent d'un voyage « aux lieux où se trouvent les reliques du corps du Buddha » et « aux lieux des stupa où sont réunies les autres reliques ». Il semble donc que les Mûlasarvâstivâdin distinguent mal les caitya des stupa. En tout cas, pour eux comme pour les Mahàsànghika, ces deux sortes de monu-
LA CONSTRUCTION ET LE CULTE DES STUPA 241
ments ont exactement la même forme et les mêmes dimensions, et de plus les quatre grands caitya sont situés à Lumbinî, à Bodh-Gayâ, à Sàrnàth et à Kusinagara. On aurait pu penser que, chez les Mahàsânghika au moins, il ne s'agissait pas de localisation des grands caitya, mais de représentations en bas-relief des quatre événements majeurs de la vie du Buddha figurés sur les caitya entourant le stupa. Cette interprétation était du reste suggérée par certains, documents archéologiques. Cependant, le texte des Mûlasarvâstivàdin est sans équivoque aucune : il s'agit bien de sanctuaires situés sur l'emplacement de ces quatre événements majeurs et qui sont les principaux centres bouddhiques de pèlerinage. Il n'y a donc aucune raison de douter qu'il en soit de même dans le Vinaya des Mahàsânghika.
Les deux textes, qui appartiennent à des traditions très différentes, se complètent et se confirment mutuellement sur d'autres points encore, secondaires mais intéressants, à savoir les objets qui ornent le caitya. Les Mahàsânghika représentent les Bodhisattva par leur image, sans doute sculptée en bas-relief ou en ronde bosse, mais symbolisent les Pratyekabuddha par la caverne où ces solitaires vivent, retirés du monde, sans prêcher, et les Buddha par les empreintes de leurs pieds. Ceci nous ramène à l'époque lointaine, antérieure à notre ère, où l'on n'osait pas représenter le corps du Buddha. Au contraire, les Mûlasarvâstivàdin, dont le texte est beaucoup plus tardif, figurent le Buddha entre deux disciples principaux, les autres moines un peu plus loin, exactement comme cela se fait encore couramment, dans les temples bouddhiques de Ceylan par exemple.
5° Eléments divers. — La plupart des Vinaya mentionnent des éléments accessoires fort divers. Ainsi, les Mahïsâsaka prescrivent de planter des arbres à droite et à gauche du stupa (T. 1421, p. 173 a), les Dharmaguptaka signalent un pédiluve (Î5fe /Ë. tff' pàdadhàvana), un déambulatoire (j|| ff-, caňkrama) en pierre, des [nattes] à étendre sur le sol (;{ф Ц, bhumyâstarana), des terrasses élevées (Щ <j|, prâsdda) qui peuvent être des tours, des estrades ou des autels car l'expression est ambiguë, et des chars (jp, ratha) [T. 1428, p. 956 c-957 a]. Les Sar- vàstivâdin parlent aussi de chars [ornés] d'or, d'argent et de perles. Ils mentionnent en outre un siège de diamant (^ |ljlj j^, vajrâsana), réplique du trône légendaire du Buddha au moment de l'Eveil, des boîtes à parfums (^ j||) [T. 1435, p. 415 c], des vases pour mettre les fleurs, des cordes suspendues tout autour du stupa pour y accrocher les fleurs (T. 1435, p. 351 c), une cible pour y placer des fleurs (^ Щ — ), c'est-à-dire une colonne surmontée d'un chapiteau, et, sur la terrasse circulaire (Д '^), des arbres (/f- ) pour y suspendre des bannières (T. 1435, p. 352 a). Les Mûlasarvâstivàdin, qui interdisent de percer le stupa avec des chevilles, disent que, « si le stupa est grand et élevé, il faut l'escalader [si c'est nécessaire pour une raison quelconque] au moyen de cordes (Щ) attachées au-dessous des signes de roues » (T. 1452, p. 429 c).
C. LA CONSTRUCTION DU STUPA RELIQUAIRE
Nous possédons beaucoup moins de renseignements sur la construction du stupa reliquaire que sur celle du stupa monument.
Le reliquaire doit être un vase neuf, nous apprennent les Dharmaguptaka (T. 1428, p. 957 b), les Mûlasarvâstivàdin (T. 1451, p. 261 c) et le P'i-ni-mou king (T. 1463, p. 816 c). Les premiers prescrivent un stupa d'or, d'argent ou de joyaux de toute sorte (T. 1428, p. 957 a), les seconds une urne (jfj() d'or et de
C. La construction du stūpa reliquaire
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joyaux (T. 1451, p. 261 с) et le dernier un vase (^jj) ou une urne faits des sept joyaux (T. 1463, p. 816 c). Dans le même passage, les Dharmaguptaka conseillent encore de placer les reliques dans une doublure de ouate de soie (||j Щ jQ, dans une étoffe (^) de pouo-seu-tan-lan-p'ouo (§^ 0. §^ Щ ^, prsthalamba)? ou dans une étoffe de ťeou-ťeou-lo (tiff Щ Щ, dhudhura?). De nos jours encore, les reliques et les reliquaires sont enveloppés dans des étoffes de prix.
On ne nous dit rien de la forme de ces reliquaires, mais leur nom de stupa, l'archéologie et l'observation de ceux qui existent présentement nous montrent que cette forme était identique à celle des grands stupa monumentaux. Notons à ce propos que les reliquaires chrétiens ont souvent la forme de chapelles et que les urnes funéraires de divers pays antiques ressemblaient aux habitations des vivants.
Nous avons davantage de données en ce qui concerne l'emplacement de ces reliquaires. L'anecdote du prince Gopâla ou Gopâli recontée par les Dharmaguptaka et dans le РЧ-ni-mou king nous apprend que les reliquaires étaient souvent placés au centre des stupa monumentaux (T. 1428, p. 957 b; T. 1463, p. 816 c). Les Mulasarvàstivàdin et les Sarvàstivàdin confirment ce fait (T. 1451, p. 222 c, 261 c, 402 a-c; T. 1435, p. 352 a), et l'archéologie également.
Les Sarvàstivàdin sont seuls à nous parler d'un autre emplacement du reliquaire : on fait sortir de la maison la tête d'une poutre ( Щ ^ Щ Щ) ; on y place un chapiteau (^ ^Ц fit); on y dresse une colonne pour faire un stupa (IfÊ ft ffc Щ)> on orne ^a colonne du stupa (Щ fj£) de couleurs diverses, d'ocre rouge et de chaux; on fait des images (||j) sur la colonne du stupa (T. 1435, p. 352 a).
D. LE CULTE RENDU AU STUPA
Le culte rendu au stupa est décrit en détail dans les divers Vinayapitaka et l'on peut même dire, si l'on considère la masse des renseignements qui nous sont fournis à ce sujet, que c'est surtout à ce titre que le stupa intéressait les auteurs des recueils de discipline.
Ces données concernent les diverses sortes d'offrandes faites au stupa, les images et les statues qui ornent le monument ou ses annexes, les actes cultuels, les interdits cultuels, les idées religieuses sous-jacentes à ce culte et les règles relatives aux biens des stupa.
I. Les offrandes
Les offrandes sont de nature très diverse : fleurs, parfums et onguents, lampes, parasols, bannières, nourriture, musique, etc.
1° Les fleurs. — Elles sont signalées dans toutes nos sources et semblent avoir constitué l'offrande la plus courante, sans doute à cause de leur prix généralement modique. Il en est de même de nos jours, aussi bien dans le culte bouddhique que dans le culte hindou avec, semble-t-il, une prédominance dans le premier. Ces offrandes de fleurs se présentent souvent, selon nos textes, sous forme de guirlandes (Mahàsànghika, T. 1425, p. 498 b; Dharmaguptaka, T. 1428, p. 957 a; Sarvàstivàdin, T. 1435, p. 351 с ; Mulasarvàstivâdin, T. 1451, p. 249 6; T. 1452, p. 429 bc; РЧ-ni-mou king, T. 1463, p. 828 b).
Les Mahâsàùghika nous donnent des précisions intéressantes sur l'origine et la nature de ces fleurs (T. 1425, p. 498 b). Les unes proviennent des jardins
D. Le culte rendu au stūpa
I. Les offrandes
LA CONSTRUCTION ET LE CULTE DES STUPA 243
du stupa et sont des fleurs d'arbres : àmra (manguier), jambu (jambousier), vamsa (bambou), campaka (gingembre), atimuktaka (liane du manguier), sumanà (sorte de jasmin), « à fleurs de dragon » (ndgapuspa, plantes diverses), « sans- chagrin » (ašoka), et « des fleurs de toutes saisons ». Les autres proviennent des étangs du stupa et sont des variétés de lotus : utpala (lotus bleu), padma (lotus rouge), kumuda (nénufar blanc), pundarïka (lotus blanc) et « toutes sortes de fleurs mélangées ». Le P'i-ni-mou king nous fournit aussi quelques données sur les fleurs d'offrande : utpala (lotus bleu), vdrsika (variété de jasmin), campaka (gingembre), atimuktaka (liane du manguier) et des fleurs artificielles : en or battu, en argent battu, en étain blanc, en étain et plomb, en bois, en étoffe, en rubans (T. 1463, p. 828 b). Les Mûlasarvàstivàdin signalent, de leur côté, des guirlandes de fleurs d'or et d'argent (T. 1452, p. 429 b-c).
Les Mahàsânghika prescrivent aussi de faire des offrandes, notamment de fleurs, dans les caitya (T. 1425, p. 498 b).
Les Dharmaguptaka, les Sarvàstivàdin et les Mûlasarvàstivâdin donnent des précisions sur les endroits où placer les fleurs. Selon les premiers, celles-ci peuvent être placées dans les abris destinés aux offrandes, sur le soubassement du stupa, sur la barrière, sur le poteau en « dent de dragon » (ndgadanta = ivoire), dans l'espace compris entre les deux perrons (Щ> ф), enfilées sur des cordes et suspendues, devant le bord saillant du toit des bâtiments (Щ Щ Щ) [T. 1428, p. 956 c et 957 a]. D'après les Sarvàstivàdin, on peut placer les fleurs dans des vases, sur des pieux courbés ou enfilées sur des cordes suspendues tout autour du monument (T. 1435, p. 351 c), enfin sur une cible destinée à cet effet (p. 352 a). Les Mûlasarvàstivâdin prescrivent de placer les guirlandes de fleurs sur les poteaux d'ivoire et non pas sur le stupa ou accrochées à des chevilles perçant celui-ci (T. 1452, p. 429 b-c). Les Dharmaguptaka aussi interdisent le dépôt des offrandes sur le stupa ou sur les statues qui l'ornent (T. 1428, p. 956 c).
Enfin, les Mahàsânghika considèrent indispensable d'ôter les fleurs séchées qui salissent le stupa (T. 1452, p. 429 c).
2° Les parfums et les onguents. — Les offrandes de parfums sont signalées également par toutes nos sources, mais ce sont seulement les Dharmaguptaka, les Sarvàstivàdin et surtout les Mûlasarvàstivâdin qui nous donnent quelques détails à leur sujet.
D'après les premiers, s'il y a beaucoup de pâte parfumée (Hf #j?), on peut en faire des images {\%) de mains, des images de roues, des images deMahendra, des images de rotin, des images de vigne, des images de fleurs de lotus. Pour faire d'autres images, il faut utiliser de la terre pâteuse, c'est-à-dire humectée d'eau (T. 1428, p. 957 a).
Les Sarvàstivàdin parlent d'onguents (T. 1435, p. 352 a, 415 c), d'huile parfumée (p. 415 c), des parfums des fleurs, des parfums en branches et des onguents (p. 415 c). Ils prescrivent d'enduire de parfums (^ Щ) des morceaux de murs (Ш Ш. ^H' ^e disposer des boîtes à parfum (/fjj § § ou |i •£), de répandre les parfums des fleurs et d'arroser le sol avec de l'huile parfumée (p. 415 c).
Les Mûlasarvâstivàdin mentionnent aussi l'huile parfumée (T. 1452, p. 429 c), les onguents (T. 1451, p. 249 b, 400 b c), les parfums en branches, terme qui doit désigner l'encens en baguettes (T. 1451, p. 249 b) comme le parfum des branches allumées (T. 1451, p. 400 b-c). Ils parlent également d'un onguent parfumé dont on enduit le stupa avec les mains (T. 1451, p. 208 b) et des trente sortes d'eaux délicieusement parfumées dont le roi К i kin arrosa le stupa du Buddha Kášyapa (T. 1451, p. 261 c). Ces eaux parfumées et ces onguents servent
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aussi à purifier les pieds des personnes chargées de grimper sur le stupa (T. 1452, p. 429 c). L'eau parfumée dont on lave (fjî) le stupa doit contenir du minéral pourpre (^§ Щ), de l'or odorant ( — ^ : Curcuma longa) et du bois de santal rouge (Ш#)'[Т. 1452, p. 429c].
Seuls, les Dharmaguptaka nous donnent une indication sur les endroits où doivent être placés ces parfums : sur le dessus de la barrière ou sous les abris construits à cet effet (T. 1428, p. 956 c).
3° Les lampes. — Celles-ci ne sont mentionnées que par les Mahâsânghika, les Dharmaguptaka, les Sarvàstivàdin et les Mulasarvâstivâdin, mais il y a lieu de croire qu'elles étaient employées comme offrandes par les autres sectes également car elles sont, de nos jours, couramment utilisées dans le culte bouddhique comme dans le culte hindou.
D'après les Mahâsânghika, elles sont achetées avec le surplus des fleurs qui poussent dans les jardins et les étangs des stupa (T. 1425, p. 498 b). Les Dharmaguptaka et les Mulasarvâstivâdin précisent qu'il s'agit de lampes à huile (T. 1428, p. 956 c et 957 a; T. 1452, p. 429 b). Les premiers prescrivent de les poser, sous les abris à offrandes, avec les fleurs, les parfums, etc. (T. 1428, p. 956 c). Les seconds donnent plus de détails : on les dispose en files, sur les degrés du stupa, ou sous les degrés, sur un arbre à lampes, sur un haut rebord saillant de toit (T. 1452, p. 429 b), toutes dispositions qui, malgré les inconvénients signalés par ce texte, sont encore utilisées aujourd'hui. Quant aux Sarvàstivàdin, ils se contentent de prescrire la construction d'un « endroit pour les lampes » (<£§; /J|) [T. 1435, p. 352 a] et la mise en ordre et l'allumage des lampes (p. 415 c).
4° Les parasols. — II faut distinguer les parasols à signes de roue qui, généralement en pierre ou du moins en matériau durable, font partie intégrante de la structure du stupa et ont été examinés plus haut dans ce sens, des véritables parasols donnés en offrande. Il semble du reste bien que les premiers dérivent des seconds et que les premiers stupa n'aient pas comporté de parasols de pierre mais reçu en hommage des objets en matériaux légers que l'on disposait sur la terrasse supérieure du monument. On doit noter à cet égard que seuls les Mahâsânghika, les Mulasarvâstivâdin et le Pi-nai-ye mentionnent les parasols du premier type, ce qui laisse supposer que les autres sectes, Mahïsàsaka — qui parlent pourtant du « plateau pour recevoir la rosée » (varsasthàla) — , Dharmaguptaka et Sarvàstivàdin, et le P'i-ni-mou king, ignoraient encore leur usage à l'époque où furent fixés les passages de leurs Vinayapitaka qui nous intéressent ici.
Les Mahâsânghika plaçaient les parasols à l'intérieur des niches du stupa et en faisaient aussi offrande au caitya sans préciser à quel endroit de ceux-ci ils les disposaient (T. 1425, p. 498 a et c). Les Mahïsâsaka se contentent de mentionner les parasols parmi les offrandes faites au stupa mais n'indiquent nullement leur emplacement (T. 1421, p. 172 c). Il en est de même du Pi-nai-ye (T. 1464, p. 897 c). Selon les Dharmaguptaka, on peut placer les parasols sur le stupa — au sommet? — ou dans les abris destinés à recevoir les offrandes (T. 1428, p. 956 c). Les Sarvàstivàdin mentionnent les parasols fleuris qui ornent, semble-t-il, le pavillon som- mital (harmika) [T. 1435, p. 415 c]. Les Mulasarvâstivâdin parlent de parasols ornés de joyaux (T. 1451, p. 249 b) et de parasols à bannières qui sont suspendus au stupa (T. 1451, p. 261 с et 400 b-c) ou placés dessus (T. 1452, p. 429 c).
Les Mahâsânghika, les Dharmaguptaka, les Mulasarvâstivâdin et le Pi-nai-ye associent si étroitement les termes « parasol » et « bannière » que l'on est tenté de comprendre « parasol à bannières », c'est-à-dire parasol auquel sont suspendues des bannières.
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5° Les bannières. — Le rôle du parasol (chattra) est aisé à interpréter : c'est un symbole royal, et peut-être même solaire, qui nous rappelle la relation étroite existant entre le Buddha et le monarque universel, le roi « qui fait tourner la Roue » (cakravartin), roue dont le parasol peut donner l'image — souvenons-nous que les « signes de roue », symbolisant la Loi, figurent sur les parasols fixes du stupa. Il est plus difficile d'expliquer la présence des bannières ou étendards (dhvaja) parmi les offrandes faites au stupa. En tant qu'emblèmes de la victoire, donc de la royauté, on comprend qu'elles soient souvent étroitement associées aux parasols, comme nous venons de le voir. Cependant, il est permis d'y voir aussi le souvenir des vêtements des cadavres suspendus au-dessus des tumuli funéraires dont dérivent les stupa et dont nous parle justement le P'i-ni-mou king (T. 1463, p. 815 c), vêtements ainsi abandonnés parce qu'impurs et, par là même, sacrés.
Ce que les Mahâsànghika, les Mahïsàsaka, les Dharmaguptaka, les Sarvâsti- vâdin, les Mulasarvâstivâdin et le Pi-nai-ye disent au sujet des parasols s'applique exactement aux bannières, en grande partie en raison de la relation étroite qui lie ces deux éléments dans la plupart de nos sources.
Cependant, celles-ci nous fournissent des renseignements supplémentaires au sujet des bannières. Ainsi, les Mahâsânghika, les Sarvâstivâdin et les Mulasarvâstivâdin précisent qu'il s'agit de bannières de soie. Les Dharmaguptaka indiquent que certaines d'entre elles portaient des images de lions, d'éléphants (littéralement : nàga, terme ambigu que les Chinois traduisent toujours par «dragon») et de zébus (T. 1428, p. 957c). Les Mulasarvâstivâdin représentaient aussi des lions, des bœufs, des éléphants {nàga : ou dragons) et des «oiseaux aux ailes d'or » {suvarnapaksa, surnom de Garuda le milan sacré de Visnu) sur leurs étendards de soie (T. 1452, p. 429 c). Si les Sarvâstivâdin ne nous informent pas de la nature des images ornant leurs bannières, ils nous expliquent que ces dernières étaient tendues (fj|) devant les figures symbolisant le Buddha, suspendues au- dessus du lion de cuivre dressé sur un pilier et accrochées aux arbres qui s'élevaient sur la terrasse circulaire du stupa (T. 1435, p. 352 a). De nos jours, il 1 est tout à fait courant de voir, à Ceylan notamment, des bannières accrochées aux arbres de bodhi des monastères.
6° La nourriture et la boisson. — Ces sortes d'offrandes font partie du culte hindou et même du culte bouddhique, de nos jours encore. Cependant, si elles se justifient dans le culte rendu à des divinités considérées comme vivantes et par conséquent obligées de se sustenter, elles semblent étranges dans celui qui s'adresse à des Buddha ou à des saints qui ont disparu dans le Nirvana. Seuls, les Mahâsânghika (T. 1425, p. 498 c), les Dharmaguptaka (T. 1428, p. 956 c, 957 a et c), les Sarvâstivâdin (T. 1435, p. 352 b) et les Mulasarvâstivâdin (T. 1451, p. 249 6) parlent des offrandes de nourriture, encore n'y font-ils qu'une simple allusion, à l'exception des Dharmaguptaka. Ceux-ci mentionnent les offrandes de boisson avec celles de nourriture, de même que les Mahâsânghika. Il semble donc que ce genre d'offrandes ait été assez négligé, sans doute pour les raisons exposées ci-dessus. Du reste, et c'est assez caractéristique, les seuls qui nous donnent des détails à leur sujet, les Dharmaguptaka, commencent par les justifier, ce qui n'est fait nulle part pour aucune autre sorte d'offrandes. Voici le passage qui les concerne et qui mérite d'être cité tout au long : « Alors, à l'égard de Sâriputra et de Maudgalyâyana, ils [les donateurs] eurent cette pensée : « Quand ces deux hommes étaient en vie, nous leur faisions toujours offrande de nourriture et de boisson. Maintenant qu'ils sont dans le Nirvana, si le Bienheureux nous permet de présenter à leurs stupa des offrandes d'aliments et de boissons
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des meilleurs, nous les leur présenterons ». Les moines s'adressèrent au Buddha. Le Buddha dit : « J'autorise ces offrandes ». Comme ils ne savaient pas quels récipients utiliser pour mettre la nourriture, le Buddha dit : « Je permets d'utiliser des bols (pdtra) d'or et d'argent, des vases de joyaux, des vases de joyaux de toute sorte ». Comme ils ne savaient pas comment les apporter, le Buddha dit : « Je permets qu'on les transporte sur des éléphants, des chevaux, des chars (ijï, ratha), des véhicules (^, yând), qu'on les transporte au moyen de deux hommes, ou sur la tête, ou qu'on les porte sur l'épaule» (T. 1428, p. 956c). Plus loin, ils nous expliquent que la nourriture et la boisson offertes au stupa doivent être consommées par les moines, par les novices (šramaném), ou par les fidèles laïcs (upâsaka), ou, de préférence semble-t-il, par ceux qui ont établi les plans et construit le stupa ($g Ц f£ ;g, if fjk %, T. 1428, p. 957 a et. 957c). On peut noter aussi que, selon les Mahâsânghika, si les fleurs des jardins du stupa doivent être offertes au Buddha, c'est-à-dire au stupa, les fruits doivent être donnés à la Communauté (T. 1425, p. 498 b).
7° La musique, le chant et la danse. ■ — ■ Toutes nos sources mentionnent les offrandes de musique aux stupa ou aux reliquaires. Seul, le Pi-nai-ye précise de quelle musique il s'agit : celle des tambours et des conques (T. 1464, p. 897 c). Les Dharmaguptaka aussi font allusion aux conques (T. 1428, p. 956c-957a). Les Mahâsânghika et les Mahïsàsaka parlent également de chant et de danse (Щ %. Щ) [T. 1421, p. 173 a; T. 1425, p. 498c], et le Pi-nai-ye de chant (Щ) [T. 1464, p. 897 c]. Selon les Mahïsàsaka et les Dharmaguptaka, les moines ne devaient pas exécuter eux-mêmes de musique, de chant ni de danse, ce qui, d'après les premiers, aurait scandalisé les laïcs, mais ils pouvaient les faire exécuter par ces derniers (T. 1421, p. 173 a; T. 1428, p. 957 a). En fait, dans les textes des autres écoles, ces offrandes particulières ne sont jamais faites par les moines et, dans les quelques cas où l'on précise la nature de leurs exécutants, il s'agit toujours de laïcs.
8° Offrandes diverses. — Parmi les offrandes d'autre nature que signalent nos sources, il faut noter en premier lieu les pierres précieuses, généralement sous forme de colliers, dont parlent les Sarvâstivàdin, les Mûlasarvâstivâdin et les Dharmaguptaka (T. 1435, p. 415 c; T. 1428, p. 957 a; T. 1451, p. 249 b). Les deux premières sectes mentionnent aussi les clochettes d'or ou de joyaux (T. 1435, p. 415 c; T. 1451, p. 222 c).
Les Mahâsânghika préconisent encore les offrandes de vêtements {Jx. Ш) [T. 1425, p. 498 c], ce qui, d'après le contexte, semble être un don symbolique au Buddha au même titre que celui de nourriture, de boisson, etc.
Les Dharmaguptaka mentionnent également parmi ces dons des estrades élevées (M Ш) 4ui peuvent être des sortes de tables à offrandes (mais cf. ci-dessus B, VI, 5) et des chars (jfí) [T. 1428, p. 957 a]. Les Sarvâstivàdin signalent aussi les chars parmi les ornements des stupa (T. 1435, p. 415 c). L'usage de ces véhicules ne peut guère s'expliquer que dans le transport solennel des reliques, dans des processions comme celle du Perahera de Kandy qui se célèbre encore aujourd'hui. Nous verrons du reste un peu plus loin que le transport des reliques était soumis à des règles précises qui nous sont rapportées justement par les Dharmaguptaka. Devons-nous en déduire que les processions de reliques étaient courantes dans les grands monastères bouddhiques de l'Antiquité et qu'à côté de chaque grand stupa on trouvait, comme de nos jours à la porte des temples hindous, un char
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richement orné servant à ces cérémonies? Ou bien un tel usage était-il limité à certaines régions? Aucun de nos textes ne nous donne malheureusement de précisions à ce sujet.
II. Les images et les statues
Les images et les statues jouent un rôle particulier dans le culte. Seul le P'i- ni-mou king semble faire allusion à l'offrande de ces objets au stupa (T. 1463, p. 828 b). Les cinq Vinayapitaka nous donnent d'intéressantes précisions sur les images et les statues (Щ, ffi, ^|f) qui ornent le stupa et ses dépendances, caitya, etc.
Comme nous l'avons vu plus haut, on trouve ces images, statues ou peintures, dans les niches (Mahàsânghika, Mahïsâsaka), dans les caitya (Mahàsànghika, Mulasarvâstivàdin), sur des piliers (Mahîsàsaka, Sarvàstivâdin) ou sur les bannières (Dharmaguptaka, Mulasarvâstivàdin), ou peintes sur le stupa (Sarvàstivâdin).
Quant à la nature de ces images, seuls les Mulasarvâstivàdin mentionnent le Buddha, qui est représenté dans un caitya, flanqué de deux disciples, les autres saints à la suite, et les profanes au dehors (T. 1459, p. 652 c). Les Sarvàstivâdin précisent qu'on ne peut pas faire d'images du corps du Buddha (#[] ff|; ê% Щ ^ Щ ff:) mais seulement de celui du Bodhisattva (T. 1435, p. 352 a). De même, dans leurs caitya, les Mahàsànghika, s'ils n'hésitaient pas à faire des images des Bodhisattva, représentaient les Buddha et les Pratyekabuddha par des symboles, les premiers par des empreintes de pied, les seconds par des cavernes (T. 1425, p. 498 b). Cependant, un peu plus loin, ils mentionnent les images du Buddha (p. 499 a), mais le paragraphe en question semble plus récent que les précédents. Par conséquent, les passages concernant les stupa dans les Vinayapitaka, à la seule exception de celui des Mulasarvâstivàdin dont le caractère tardif est bien connu, ont été fixés avant le début de notre ère, puisque l'art gréco-bouddhique, caractérisé notamment par les statues du Buddha, fait son apparition au Gandhâra et dans les régions voisines dans le courant du Ier siècle après le Christ.
Un autre sujet dont la représentation était interdite, selon les Sarvàstivâdin, était l'union des hommes et des femmes (Щ iç fy <fe \%) [T. 1435, p. 351 c], et c'était même, s'il faut les en croire, le seul genre d'image que réprouvait formellement le Buddha1-1^. Ceci laisse à penser que les figures erotiques qui, de nos jours encore, ornent tant de temples hindous, servaient déjà, à cette lointaine époque, de décoration à de nombreux sanctuaires et menaçaient de se répandre sur les monuments bouddhiques eux-mêmes. On ne peut y voir qu'un produit du culte de la fécondité qui plonge ses racines dans la préhistoire et est encore bien vivant dans l'Hindouisme moderne.
Les seuls Dharmaguptaka parlent d'images faites de pâte parfumée (fjf $£) et représentant des mains, des roues, du rotin, de la vigne, des fleurs de lotus et aussi Mahendra, le roi des dieux (T. 1428, p. 957 a). Par leur diversité, ces images s'apparentent à celles qui sont conseillées pour la décoration des monastères par les Dharmaguptaka eux-mêmes (T. 1428, p. 937 c, 941 a) et par les Mahàsànghika (T. 1425, p. 496 c-497 a). Ces figures de pâte parfumée font penser à celles qui sont façonnées dans le culte hindou. Les images de mains sont probablement celles que laisse la main enduite de pâte et appuyée sur un mur, selon une coutume
16.
II. Les images et les statues
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qui remonte à la préhistoire et qui, selon certains documents archéologiques, faisait effectivement partie du culte des stupa. L'image de Mahendra surprend un peu ici, mais il ne faut pas oublier que, dès l'origine, le Bouddhisme accueillit les divinités hindoues qu'il convertit en divinités gardiennes du Dharma. De nos jours encore, il est tout à fait courant de les voir, non seulement représentées en matériaux durables, mais honorées dans l'enceinte même des temples bouddhiques, à Ceylan par exemple.
Il est certaines figures sur lesquelles insistent plus particulièrement nos sources : ce sont celles d'animaux ou, plus précisément, de certains animaux. On les trouve peintes au-dessus des niches chez les Mahâsâùghika, sculptées au sommet de piliers chez les Mahïsàsaka et les Sarvàstivàdin, peintes sur des bannières chez les Dharmaguptaka et les Mulasarvàstivàdin (T. 1421, p. 173 a; T. 1425, p. 498 a; T. 1428, p. 957 c; T. 1435, p. 352 a; T. 1452, p. 429 c). Parmi ces animaux vient en tête le lion, qui est cité par tous, puis l'éléphant, appelé parfois « dragon » par suite de l'ambiguïté du mot sanskrit nàga ^l\ et qu'ignorent les seuls Sarvàstivàdin. Le bœuf ou zébu est cité par les Dharmaguptaka et les Mulasarvàstivàdin et figure certainement parmi les « quadrupèdes de toutes sortes » (Щ Щ Щ){) dont parlent les Mahïsàsaka. Enfin, les Mulasarvâstivàdin sont les seuls à mentionner l'oiseau aux ailes d'or (suvarnapaksa) qui est le garuda, le milan sacré, monture de Visnu et symbole solaire. Par contre, et ceci est étonnant, aucun de nos textes ne signale le cheval, qui, avec le lion, l'éléphant et le zébu, forme le quatuor des animaux symboliques dans le Bouddhisme ancien. Ceux-ci sont figurés, bien avant notre ère, sur les monuments comme le fameux chapiteau de Sàrnâth ou le Kanta- kacetiya de Mihintale à Ceylan. Guère plus tard, on les voit représentés avec une constance notable sur les pierres de seuil en demi-lune à Nàgârjunikonda puis, à Ceylan, à Anuràdhapura et jusqu'à Polonnaruwa dont les édifices datent des environs du xne siècle.
Si l'on en croit les Sarvàstivàdin et les Mahâsânghika, certaines de ces images étaient honorées d'un culte. Devant la figure représentant le Bodhisattva, on tendait des bannières comme, disent les premiers, on en tendait devant le futur Buddha alors qu'il résidait encore dans sa maison (fë '^). Dans les caitya, devant les images symbolisant les Bodhisattva, les Pratyekabuddha et les Buddha, on peut déposer des fleurs et des offrandes, nous disent les Mahâsânghika. Si ce culte rendu à des images qui représentent ou symbolisent de saints personnages s'explique fort bien, celui que les Sarvàstivàdin semblent adresser au lion de cuivre érigé sur un pilier est plus surprenant. On peut attacher, selon eux, des bannières au- dessus de lui et, si l'on interprète bien le contexte, on lui fait des offrandes de parfums, de fleurs, de lampes et de musique (T. 1435, p. 352 a). Ce lion, dont la base du pilier est entourée d'une barrière comme le stupa, représentait sans doute le Buddha, « le lion des Sâkya » (sâkyasimha) qui, assis sur « le trône du lion » (simhâsana), « rugit » (nadati) ou pousse le « rugissement du lion » (simhandda) quand il élève la voix pour prêcher le Dharma. Notons du reste qu'à l'encontre des autres sectes, les Sarvàstivàdin ne mentionnent que le lion parmi les animaux dont l'image se rencontre sur le terrain du stupa. Pour eux, donc, cet animal doit être considéré seul, en dehors du quatuor dont nous avons parlé plus haut.
LA CONSTRUCTION ET LE CULTE DES STUPA 249
III. Les actes cultuels
L'acte cultuel par excellence est l'offrande, qui relève de la vertu de don (dána), la meilleure de toutes, celle sur laquelle les légendes et les sermons adressés aux laïcs ont le plus insisté. Aussi les détails concernant les diverses sortes d'offrandes sont-ils nombreux dans nos textes, comme nous venons de le voir. Par contre, les autres actes cultuels sont presque ignorés de nos sources. Voici les éléments que l'on en peut tirer à ce sujet.
1° Les vœux accompagnant les offrandes. — - D'après les Mahàsànghika, les offrandes de fleurs, de parfums, de musique, de vêtements, de boissons et d'aliments sont faites « pour qu'il y ait abondance en ce monde et faire en sorte que tous les êtres, pendant la longue nuit [des transmigrations], obtiennent la paix et le bonheur » (T. 1425, p. 498c). Le voeu (Щ) émis à cette occasion par les Mûla- sarvàstivâdin est différent : « Grâce aux racines de bien (kusalamula) existant dans le champ de mérite (punyaksetra) suprême (anuttara) de ces offrandes, puissé-je, de naissance en naissance, parvenir à la fin des existences, à ce qui est caractérisé par l'absence de vieillesse du corps ». Il est accompagné de louanges répétées prononcées en déposant les offrandes (T. 1451, p. 249 b). Les stances qui, dans le Vinayapitaka des Mahàsànghika, accompagnent l'histoire du stupa du Buddha Kâsyapa insistent sur la bonne pensée (Ц fc, kusala citta) avec laquelle on rend hommage et on fait des offrandes de fleurs et de parfums à un stupa; cette bonne pensée est dite supérieure au don de cent mille pièces d'or ou de cent mille charretées d'or (T. 1425, p. 497 c).
Seuls, donc, les Mahàsànghika et les Mulasarvàstivâdin font allusion à l'aspect et à la valeur spirituels de l'offrande, les premiers mettant l'accent sur la nature altruiste du vœu qui doit accompagner celle-ci. Tous les autres textes passent sous silence la partie mentale du culte. Il est surprenant que nos textes, si minutieux pour tout ce qui concerne le comportement des moines et des fidèles laïcs, se taisent à propos des dispositions mentales des donateurs. Faut-il comprendre que l'acte d'offrande suffisait par lui-même et n'avait nul besoin de s'accompagner de pensées pieuses? Ceci s'accorderait mal avec l'esprit même du Bouddhisme indien qui, presque toujours au cours de sa longue histoire, et a fortiori à cette lointaine époque, est demeuré une religion intérieure dans laquelle les rites ne jouaient qu'un rôle secondaire. Faut-il comprendre au contraire que ces vœux étaient d'usage tellement courant, étaient si bien la norme que les auteurs de nos textes ont cru pouvoir les négliger? Cela semble fort en contraste avec leur esprit si minutieux, mais il est vrai que les Vinayapitaka, au contraire des Sutrapitaka et des Abhidharmapitaka, ne soufflent mot des nombreuses pratiques spirituelles, méditations, recueillements, etc., qui constituaient l'essence même de la « religion » bouddhique. Serait-ce alors que le culte des stupa avait trop peu d'importance pour s'accompagner de vœux et de pensées religieuses? L'abondance et la minutie des détails reproduits ici prouvent le contraire. On ne peut dire non plus que ce culte était l'affaire exclusive des laïcs car, dans presque toutes nos sources, les conseils donnés à son sujet s'adressent aux moines autant et même plus qu'aux laïcs. Pour clore ce paragraphe, disons qu'aujourd'hui, à Ceylan où le Bouddhisme indien ancien s'est conservé, le culte rendu aux stupa par les laïcs comme par les moines s'accompagne normalement de méditation et surtout de la récitation, mentale ou à voix haute, de certaines stances (gâtha).
III. Les actes cultuels
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2° Les modalités de l'offrande. — Nous possédons peu de renseignements sur les modalités de l'offrande, sur la façon dont elle doit être faite.
D'après les Mahàsànghika, les moines sont autorisés à « tenir » (^p, DHR), c'est-à-dire à apporter des offrandes aux stupa et aux caitya le jour de la naissance du Buddha, le jour où il a obtenu la Voie [c'est-à-dire la Bodhi], le jour où il a mis en mouvement la Roue de la Loi et le jour de la grande assemblée quinquennale (paňcavarsika) [T. 1425, p. 498 b]. Un peu plus loin, ils sont autorisés, ces quatre mêmes jours, à recueillir (1[£) des offrandes pour lescaitya, c'est-à-dire à sortir (Щ) les offrandes de parasols et de bannières (Ibid., p. 498c). On notera avec une certaine surprise que parmi ces jours solennels ne figure pas celui du Parinirvâna, qui est remplacé par celui de la grande assemblée quinquennale. Or, il semble qu'on devrait logiquement rendre un culte au stupa surtout le jour anniversaire du Parinirvâna, événement dont le stupa est précisément le symbole comme l'atteste l'art bouddhique le plus ancien. De plus, quelques lignes plus haut, le même texte cite le lieu du Parinirvâna parmi les quatre endroits où sont érigés les principaux caitya ^K
Les mêmes Mahàsânghika précisent que ces offrandes « tenues » par les moines doivent être divisées en deux parts : les offrandes moyennes et supérieures (ф J- ^) devant être adressées au stupa du Buddha, les offrandes inférieures (~f ^) au caitya (Ibid., p. 498 b-c).
A propos de la collecte des offrandes, le même texte déclare que tous les moines doivent récolter ensemble (ith i|^) et eux-mêmes. Quel que soit leur mode de vie ou leur degré dans la hiérarchie, doyen (sthavira), ermite forestier (âranyaka), mendiant (pindapàtika), moine vêtu de haillons (pàmsukulika) ou vénérable {К Ш-1 bhadanta), ils ne doivent pas arguer de ces distinctions personnelles pour se dispenser de prendre part à cette cérémonie. Dès que la pluie et le vent ont cessé, ils doivent quitter leur résidence et rejoindre le monastère le plus proche pour récolter les offrandes avec les autres moines. Le lieu de réunion doit être asséché si la pluie l'a rendu humide et balayé soigneusement (T. 1425, p. 498 c).
Les Dharmaguptaka prescrivent de placer les offrandes de nourriture dans des bols (pâtra) d'or et d'argent et dans des vases de joyaux de toutes sortes, et de les transporter sur des éléphants, des chevaux, des chars, des véhicules, de les faire transporter par deux hommes, de les porter sur la tête ou sur l'épaule (T. 1428, p. 956 c), exactement comme les petits reliquaires, ce qui laisse supposer que ces offrandes de nourriture n'avaient lieu qu'à certains jours solennels.
3° Le transport des reliques. — Selon les Dharmaguptaka, on doit transporter les reliques enfermées dans leurs reliquaires d'or, d'argent, de joyaux et d'étoffes précieuses sur des éléphants, des chevaux, des chars, des véhicules, des voitures traînées par des hommes, des civières, des bêtes de somme, sur l'épaule ou sur la tête (T. 1428, p. 957 a et b). Le P'i-ni-mou king donne des prescriptions semblables : sur des éléphants, des chevaux, des chars, des véhicules, sur l'épaule ou sur la tête (T. 1463, p. 816 c) et il ajoute : « II faut faire toutes sortes de musique dès que l'on part ». C'est la seule indication qui nous soit donnée sur le rôle de la musique dans ces processions.
4° Les marques de respect. — Nous n'examinerons ici que les marques positives de respect, les marques négatives étant étudiées plus loin avec les autres
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interdictions cultuelles. Ces marques positives sont très rarement citées, probablement parce qu'elles étaient courantes et empruntées aux règles de la politesse civile. Il peut sembler étrange que, décrites des milliers de fois dans les Sutrapitaka et ailleurs dans les Vinayapitaka lorsqu'elles s'adressent à des personnages vivants, Buddha, saints ou simplement laïcs respectables, elles soient négligées ici.
Les Sarvâstivâdin, les Dharmaguptaka et le P'i-ni-mou king se contentent de mentionner la circumambulation par la droite (pradaksind) autour des stupa des Buddha et des Auditeurs (srâvaka) [T. 1435, p. 298 c; T." 1428, p. 957 c; T. 1463, p. 825 c]. Les Mulasarvâstivàdin sont plus loquaces à ce sujet car, s'ils ne font que deux ou trois allusions à la pradaksina autour des stupa (T. 1451, p. 249 b et 400 b-c; T. 1459, p. 619 c), ils nous donnent aussi des détails sur les autres signes de respect : « Ils s'avancèrent vers le stupa et y étalèrent leurs offrandes en faisant des éloges abondants. Ils rendirent hommage avec les cinq roues [se prosternèrent avec les deux genoux, les deux coudes et le front sur le sol], et tournèrent autour par la droite. Ils s'agenouillèrent, joignirent les mains et firent ce vœu » (T. 1451, p. 249 b). C'est, en fait, le seul passage de nos textes où soient décrites ces marques de respect que représentent si souvent les bas-reliefs de l'art bouddhique même le plus ancien, et qui sont toujours en usage aujourd'hui.
Une autre marque de respect est signalée par les Dharmaguptaka et le P'i-ni- mou king (T. 1428, p. 957 a; T. 1463, p. 827 c) : pour essuyer le stupa, les premiers préconisaient des feuilles d'arbres tdla [Borassus flabelliformis, c'est-à-dire des palmes], des feuilles d'arbre mdlu [une liane, ou plutôt mâlura, Aegle mar- melos] ou une queue de paon, et les seconds un chasse-mouche.
5° Le cortège funèbre. — Bien que celui-ci ne concerne pas exclusivement le culte bouddhique, il peut être intéressant de noter les détails qui s'y rapportent et que nous fournissent les Sarvâstivâdin (T. 1435, p. 352 a-b). Dans ce récit, le célèbre donateur Anâthapindika, ayant vu des hommes et des femmes portant des ornements venir chez lui en apportant des plateaux et des guéridons sur lesquels étaient disposées des guirlandes de fleurs parfumées, eut cette pensée : « Est-ce bien de faire porter ces choses devant soi? ». Il demanda à ce sujet conseil au Buddha, qui le rassura. Il lui demanda ensuite : « Est-ce bien de faire porter devant soi des brûle-parfums? » et le Buddha le lui permit. Alors, un maître non- bouddhiste eut une pensée de jalousie et dit avec irritation : « C'est comme un cortège funèbre (ig 3*E A)"- Anâthapindika demanda aussitôt après la permission, qui lui fut accordée également, de faire exécuter de la musique devant une image, peut-être celle du Buddha, mais on ne sait si ces derniers traits peuvent s'appliquer aussi au cortège funèbre. Disons seulement que les funérailles indiennes actuelles s'accompagnent généralement de musique.
IV. Les interdictions cultuelles
Elles sont très nombreuses et précises, et contrastent par là avec les actes cultuels positifs sur lesquels, comme nous venons de le voir, nous n'avons que de rares et souvent vagues renseignements. On peut les classer selon les idées qui semblent les avoir inspirées, mais cette répartition est rendue parfois malaisée en raison de la complexité possible de ces motifs.
1° Interdictions motivées par le respect. • — Dans l'enceinte du stupa ( {£ Щ |^ ф) on ne peut ni se couvrir la tête, ni se couvrir l'épaule, nous disent les Mahàsàn-
IV. Les interdictions cultuelles
252 ANDRÉ BAREAU
ghika (T. 1425, p. 498 a). Quand on porte un reliquaire, déclarent les Dharma- guptaka, il ne faut pas mettre ses vêtements sens dessus-dessous, les enrouler autour du cou, s'en envelopper la tête ni recouvrir les deux épaules mais les porter décemment et découvrir l'épaule droite (T. 1428, p. 957 b). Dans le même passage, le Buddha interdit de porter le reliquaire sous le bras, comme un paquet vulgaire, mais prescrit de le porter sur la tête ou sur l'épaule. Un peu plus loin, les mêmes Dharmaguptaka défendent de s'asseoir, les jambes étendues {Щ> Щ ^), devant le stupa [Ibid., p. 958 a].
Selon les Sarvâstivàdin, on ne doit pas rendre hommage à un homme devant un stupa non plus que devant le Buddha [T. 1435, p. 300 a].
Les Dharmaguptaka donnent diverses prescriptions complémentaires relatives aux marques de respect dues au reliquaire. On ne doit pas passer la nuit dans une pièce plus belle que celle où est déposée l'urne contenant les reliques mais, au contraire, placer celle-ci dans la plus belle pièce et dormir dans la plus laide. On ne doit pas non plus passer la nuit dans une pièce d'un étage supérieur et laisser le reliquaire dans une pièce d'un étage inférieur, mais faire le contraire. On ne doit pas non plus passer la nuit dans la même pièce que l'urne aux reliques, si ce n'est pour la stabiliser et la garder. Dans ce cas, il faut placer l'urne sur un poteau, sur un poteau d'ivoire ou au sommet ( jff i|») de la pièce et dormir à ses pieds [T. 1428, p. 957 b-c].
Les mêmes Dharmaguptaka interdisent de passer la nuit à l'intérieur du stupa (Щ (^j ), sauf pour le surveiller. On ne doit pas non plus cacher d'objets à l'intérieur du stupa, sauf pour le consolider (|g £^) [T. 1428, p. 957c]. Il ne s'ensuit certainement pas que les stupa aient été creux, ou du moins que la chambre aux reliques ait été accessible du dehors, ce qui irait à l'encontre des données archéologiques. L'expression « à l'intérieur du stupa » peut être comprise comme signifiant : soit à l'intérieur de l'enceinte, c'est-à-dire de la barrière, du stupa, soit à l'intérieur des niches ou des abris destinés aux offrandes.
D'autres marques de respect semblent influencées par une arrière-pensée de pureté rituelle. Ainsi, les Mahâsàùghika interdisent de porter des sandales de cuir dans l'enceinte du stupa [T. 1425, p. 498 a]. Le P'i-ni-mou king interdit également de porter des chaussures ou des bottes ornées quand on entre dans un stupa et quand on fait la circumambulation par la droite {pradaksinà) autour d'un stupa quoique cette dernière puisse être effectuée, semble-t-il, en étant chaussé de bottes ornées [T. 1463, p. 825 c]. Les Dharmaguptaka donnent plus de détails sur les interdictions relatives aux chaussures. Selon eux, quand on porte un reliquaire, on ne doit pas avoir de sandales de cuir aux pieds [T. 1428, p. 957 b]. De même, on ne doit pas mettre de sandales de cuir pour entrer dans un stupa ou faire la circumambulation autour de celui-ci. Il est même interdit de porter ses sandales à la main (|£) quand on entre dans un stupa. Si, par contre, il est interdit d'entrer dans celui-ci en portant aux pieds ou à la main des bottes ornées, on peut faire la pradaksinà en étant chaussé de ces dernières [T. 1428, p. 957 c-958 a]. Ces «bottes ornées» ('g Щ, translittération chinoise abrégée d'un mot indien difficile à identifier) ne devaient pas comporter de parties en cuir comme les sandales, et c'est probablement ce qui leur valait le privilège ci- dessus.
L'image du stupa devant être respectée, on ne doit pas faire un stupa avec sa nourriture, puis le briser et le manger, nous disent les Mulasarvàstivâdin [T. 1459, p. 644 c].
D'autres interdictions semblent motivées par la crainte religieuse au moins autant que par le respect, aussi les examinerons-nous plus loin.
LA CONSTRUCTION ET LE CULTE DES STUPA 253
2° Interdictions motivées par la morale. — Le stupa représente le Buddha et emprunte à celui-ci une personnalité qui rend justement compte des marques de respect qu'on témoigne à ce monument. Comme toute personne, le stupa a le droit de possession, comme nous le verrons plus loin en détail, et ce droit doit être protégé. En fait, seuls les Mahàsanghika interdisent de prendre ou d'utiliser les biens du stupa mais on peut supposer que les autres sectes avaient édicté des règlements semblables qui, pour une raison quelconque, ne nous sont pas parvenus. Il semble que le sentiment religieux, mêlé de respect, de dévotion et de crainte, ait empêché la plupart des gens de porter atteinte aux biens des stupa. Ce furent surtout les envahisseurs barbares, comme les Huns et les Musulmans, qui détruisirent ces monuments et pillèrent leurs biens.
Détruire un stupa est une faute grave (Щ fp), que ne peuvent commettre que des gens sans foi ni loi (^ f^, adharma) [T. 1425, p. 497 c]. C'en est une aussi d'utiliser (Щ) le stupa, à des fins certainement profanes, sous le prétexte que le Bienheureux s'est débarrassé de la convoitise (lobha), de la haine (dvesa) et de l'erreur (moha), autrement dit qu'ayant disparu définitivement dans le Nirvana, il ne saurait avoir l'usage de ce monument [Ibid., p. 498 a]. Ce même argument était présenté par les sectes qui, telles les Mahïsàsaka, les Vetullaka, les Caitika, les Purvasaila et les Aparašaila, soutenaient que le don au Buddha ou le culte rendu à un stupa ne produisent pas de grands fruits. Notons cependant que ces sectes traitaient les monuments religieux avec respect. Utiliser les jardins des stupa, leurs fleurs et leurs fruits en déclarant que le Buddha est dépourvu de concupiscence (kâma), de colère (krodha) et d'erreur (moha) est aussi une faute grave, comme de s'orner, sous le même prétexte, des offrandes déposées dans les niches et d'en éprouver du plaisir, d'utiliser les offrandes du séjour pur (^ ^, monastère) déposées dans les caitya, les offrandes de parasols et de bannières ou les offrandes de musique [Ibid., p. 498 a-c]. Non seulement ce sont là des fautes qui transgressent la discipline monastique (Ц fo /g fp, vinaya-dpatti) mais ce sont des actes (karman) dont la maturation (vipâka) est grave (guru). Le Pi- nai-ye illustre ce fait en racontant l'histoire d'un jeune homme qui, ayant dérobé des fleurs déposées en offrande à un stupa pour les offrir à sa maîtresse, en fut châtié aussitôt par une éruption cutanée si grave que sa vie fut en danger et qu'il ne fut guéri qu'en faisant de riches offrandes au monument [T. 1464, p. 898 a-b].
Selon les Mahàsanghika, on ne peut ni laver, ni teindre, ni sécher des vêtements à l'intérieur de l'enceinte d'un stupa [T. 1425, p. 498 a]. On ne peut ni laver de vêtements, ni se baigner, ni se laver les mains ou le visage, ni laver son bol à aumônes (pdtra) dans les étangs des stupa. Toutefois, on peut utiliser à volonté et sans commettre de faute l'eau qui s'écoule de l'extrémité inférieure ( F Щ Ш ffi Ш) des étangs, c'est-à-dire le trop-plein [Ibid., p. 498 6]. Ici, l'obligation de ne pas employer les biens du stupa à des fins profanes et personnelles se mêle à celle de ne pas souiller ces biens, en l'occurrence l'eau des étangs, par des impuretés corporelles ou autres.
3° Interdictions motivées par la pureté. — On doit respecter la pureté du stupa et ne pas la profaner par des souillures diverses. Celles-ci proviennent surtout du contact avec le corps humain, les animaux et les cadavres.
C'est pour éviter cette souillure due aux corps humains que les Mahàsanghika interdisaient, comme nous venons de le voir, de laver ou teindre des vêtements, de se baigner, de se laver les mains ou le visage ou de laver son bol dans l'enceinte du stupa et surtout dans l'eau de ses étangs. Pour les mêmes raisons, on n'y doit ni cracher, ni pleurer (Mahàsanghika, T. 1425, p. 498 a; Dharmaguptaka,
254 ANDRÉ BAREAU
T. 1428, p. 958 a et P'i-ni-mou king, T. 1463, p. 838 b) ni même bâiller (Dharma guptaka et РЧ-ni-mou king, ibid.), le souffle lui-même étant impur.
Le P'i-ni-mou king interdit de laisser échapper un vent dans l'enceinte d'un stupa [T. 1463, p. 838 a]. Selon les Dharmaguptaka, on ne doit pas faire ses besoins, petits ou gros, devant le stupa ou sur les quatre côtés de celui-ci, car un air malodorant pénétrerait dans le monument [T. 1428, p. 958 a]. De même, on ne doit pas se rendre aux lieux d'aisance en portant un reliquaire. De plus, il faut se laver après y être allé, avant de porter un reliquaire car, dit le Buddha, dans ces deux cas : «II faut être pur pour le porter» [Ibid., p. 957 5]. Les Dharmaguptaka et les Sarvàstivàdin interdisent de mâcher les baguettes de saule servant à nettoyer les dents devant un stupa, sur les quatre côtés ou sous le monument [T. 1428, p. 958 a; T. 1435, p. 299 c]. Si l'on s'asseoit sous le stupa pour manger, prescrivent les Dharmaguptaka, il faut faire en sorte de ne pas salir le monument avec les miettes de nourriture, rassembler celles-ci près de ses jambes et les emporter ensuite [T. 1428, p. 958 a]. Nous avons vu plus haut que, selon les Mûlasar- vâstivàdin, on ne doit pas faire de stupa avec sa nourriture, puis le briser et le manger.
Comme il a été dit plus haut (B, V, 7), c'est pour éviter que les animaux ne souillent le stupa en s'en approchant que les Mahâsânghika, les Dharmaguptaka et les Sarvàstivàdin prescrivent la construction d'une barrière, d'un mur, d'une couverture ou d'abris pour les offrandes [T. 1425, p. 498 a; T. 1428, p. 956 с et 957 c; T. 1435, p. 351c; T. 1452, p. 429 c]. Ces animaux impurs sont surtout la vache, le chien et les oiseaux, cités chacun deux fois, puis le mouton, le cheval, l'antilope et le singe. Si le caractère impur du chien est compréhensible, et expliqué par les Mahâsânghika qui l'accusent d'apporter auprès du stupa des restes humains arrachés à un charnier voisin, celui des vaches et même des singes, animaux considérés comme sacrés par nombre d'Indiens et auxquels la porte des temples hindous est grande ouverte, suffit à montrer que, sur ce point du moins, les anciens Bouddhistes ne partageaient nullement les idées des autres Indiens.
La souillure causée par les cadavres ne fait l'objet d'interdictions que chez les Mahâsânghika et les Dharmaguptaka, encore les premiers se contentent-ils d'y faire allusion en accusant les chiens d'en être les agents, comme nous venons de le voir. Les Dharmaguptaka donnent à ce sujet davantage de détails. D'après eux, le Buddha a interdit de passer sous un stupa (Щ ~p j^) en portant un cadavre humain, d'enterrer un cadavre sous un stupa, d'incinérer un cadavre sous un stupa, devant un stupa ou sur les quatre côtés d'un stupa car un air malodorant pénétrerait dans le monument. On ne doit pas non plus passer sous un stupa en portant les vêtements ou la couche d'un homme mort, à moins qu'ils n'aient été purifiés et nettoyés par la fumée de l'encens [T. 1428, p. 958 a]. heP4-ni-mou king prescrit également, avant de pénétrer dans l'enceinte d'un stupa, de nettoyer ces vêtements en les plongeant longtemps dans l'eau, en les lavant avec des cendres pures (|jg J^) pour les purifier (fy ýp), et en les enduisant de parfum ďhi-me-кЧа (kemuka, Colocasia antiquorum, ou himaka, Elacourtia Sapida?) [T. 1464, p. 828 b].
Il est encore d'autres causes d'impureté, mais dont le caractère est moins net, comme les sandales de cuir et les bottes ornées, ou encore le fait de monter sur un stupa ou d'y déposer des offrandes. Les interdictions concernant les premières sont liées aux marques de respect, et celles qui se rapportent aux secondes sont en relation avec la crainte religieuse.
Si l'on ne trouve, dans les interdictions de cette sorte, aucun cas nettement caractérisé d'impureté rituelle, comme il y en a tant dans le culte hindou, on sent toutefois, à l'arrière-plan, ce souci de pureté religieuse qui est sous-jacent à tous
LA CONSTRUCTION ET LE CULTE DES STUPA 255
les cultes du monde et qui, venu sans doute du fond de la préhistoire, se retrouve même chez l'homme moderne où il se confond avec les préoccupations d'hygiène.
4° Interdictions motivées par la crainte religieuse. — Certaines interdictions sont nettement motivées par la crainte religieuse, bien qu'elles puissent avoir conjointement d'autres raisons. Ce sont surtout les Dharmaguptaka qui font allusion à des sanctions surnaturelles différentes de celles qui découlent normalement de la maturation des actes.
Dans leur Vinayapitaka, le Buddha interdit aux moines de monter sur le stupa ( Jl Щ h) pour y déposer des offrandes et de monter sur la barrière ( f-, Щ _£) « pour les protéger de la colère de l'esprit (yaksa) du stupa » (gj§ Щ j|[{J j^iS). Sans se référer au même motif, il leur interdit de même de monter sur les poteaux, sur les poteaux en ivoire, et sur les statues pour y déposer des offrandes. On ne peut monter sur le stupa, etc., qu'en cas de nécessité et en se servant de moyens de préhension (? Щ Щ Щ) [T. 1428, p. 956 c]. Les Mulasarvàstivàdin interdisent aussi de monter sur le stupa, mais la raison invoquée est différente. Les brahmanes et les bourgeois (grhapati) s'indignent en effet de voir des moines monter sur le stupa pour y déposer des offrandes et les blâment en déclarant : « II est impur de monter dessus et de le fouler aux pieds » ( ^ ^ %£ ]Щ). Le Buddha prescrit alors : «II faut envoyer des hommes ordinaires» (f|£ A)- S'il n'y a pas d'hommes ordinaires, il faut envoyer des gens « qui recherchent la paix » (?J£ ;j^, dévots laïques qui observent les dix commandements bouddhiques). S'il n'y a pas de gens « qui recherchent la paix », les moines doivent d'abord se laver les pieds, les purifier avec de l'eau chaude parfumée ou les enduire d'onguent parfumé puis, après avoir eu cette pensée : « Maintenant, je désire faire des offrandes au Grand Maître », monter sur le stupa... Si la forme du stupa est haute et grande, il faut se servir de cordes attachées au-dessous des signes des roues pour l'escalader [T. 1452, p. 428 c]. Dans le même passage, les brahmanes et les bourgeois s'indignent de ce que les moines accrochent les guirlandes de fleurs à des chevilles fixées sur le stupa et qui percent celui-ci, et le Buddha leur donne raison [Ibid., p. 428 b-c]. Si donc les Mulasarvàstivàdin interdisent de monter sur le stupa pour des raisons d'impureté, leur interdiction relative aux chevilles plantées dans le monument assimile celui-ci à un être vivant qui souffre quand on lui perce la peau, ce qui demande réparation.
Dans le Vinayapitaka des Dharmaguptaka, le Buddha énonce d'autres interdictions « pour protéger [les moines] de la colère de l'esprit du stupa ». Il défend ainsi d'incinérer des cadavres sur les quatre faces du stupa, à cause de l'air malodorant qui pénètre dans celui-ci, de porter les vêtements et la literie des cadavres sous le stupa, de faire ses besoins sur les côtés de ce dernier, à cause de l'air malodorant [T. 1428, p. 958 a].
Comme dans le passage cité plus haut, le Buddha invoque la présence d'un esprit irritable dans le stupa. Cet esprit est évidemment tout à fait distinct de celui du saint dont les reliques sont cachées dans le monument et qui, ayant disparu dans le Parinirvàna, ne peut ressentir aucunement les injures faites à son stupa. Il s'agit de l'un de ces multiples génies de la nature, les yaksa, qui résidaient dans les arbres, les rochers, les collines, etc. Notons qu'ici leur demeure n'est pas un produit de la nature mais une construction humaine. Le yaksa en question en est, non seulement l'habitant, mais le gardien, rôle attribué par le Bouddhisme aux anciennes divinités indiennes. Ce fait apparaît beaucoup mieux dans un Sutra tardif des Mahàsànghika, le Sâriputrapariprcchàsutra. Dans cet ouvrage, le Bodhisattva Maitreya, ému d'une persécution subie par le Bouddhisme, descend
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sur terre et demande au génie gardien du stupa de la dent du Buddha d'intervenir. Le génie, aidé des siens, se met aussitôt en campagne et anéantit l'armée et la famille du roi persécuteur [T. 1465, p. 900 b].
D'autres fois, quoique surnaturelle, la punition frappe le coupable sans qu'il y ait intervention d'un esprit quelconque. Il en est ainsi pour le jeune imprudent qui, dans le Pi-nai-ye, avait osé dérober des fleurs offertes à un stupa pour les offrir à sa belle et qui faillit mourir d'une horrible et soudaine éruption cutanée [T. 1464, p. 898 a-b].
C'est aussi la crainte religieuse mêlée de respect qui empêche les laïcs et les moines de couper les cheveux du Buddha dans le Vinayapitaka des Dharmagup- taka et le РЧ-ni-mou king [T. 1428, p. 957 a; T. 1463, p. 816 c]. Seul, un enfant de Râjagrha, nommé Upâli, décide de couper les cheveux du Buddha « parce qu'il ne savait pas encore ce qu'il y avait à craindre » (fi ^p ^ Щ ffl\ -§|). Cette crainte ne provient du reste pas du Buddha lui-même, qui ne fait aucune difficulté pour accéder au désir de l'enfant Upàli et qui, semble-t-il même, est heureux de trouver enfin quelqu'un qui veuille bien se charger de cette opération nécessaire à sa tenue monastique. Notons en passant que ce récit est évidemment antérieur aux premières représentations du Buddha sous l'aspect humain, dans lesquelles le Bienheureux est toujours pourvu d'une abondante chevelure bouclée. On peut y voir un reflet de cette antique et quasi universelle croyance qui plaçait la force ou le principe vital d'un être, surtout d'un être exceptionnel, dans sa chevelure. On peut y voir aussi, et plus simplement, l'illustration de la crainte de porter atteinte à la personne même du Buddha en retranchant de son corps une parcelle quelconque.
La suite de ce même récit, chez les Dharmaguptaka, nous montre un prince nommé Gopàli qui demande une part des cheveux et de la barbe du Buddha comme talisman. Les ayant obtenus, il les emporte dans une expédition guerrière contre des rebelles et, évidemment, remporte la victoire. Il se confirme donc que les cheveux et la barbe du Buddha, comme toutes les reliques de toutes les religions, possèdent une force magique qui peut être utilisée efficacement, comme cela se fait dans l'Hindouisme, l'Islam, le Christianisme, etc., à des fins tout à fait profanes et même, comme dans le cas de cette expédition militaire, à des fins qui vont nettement à l'encontre des préceptes moraux les plus sacrés du Bouddhisme.
Comme nous le voyons, le culte rendu au stupa emprunte non seulement des éléments formels aux cultes indiens antérieurs et non-bouddhiques, mais encore des idées qui sont souvent difficiles à concilier avec l'esprit de la doctrine prêchée par le Bienheureux.
£. LES BIENS DU STUPA
Les Mahâsànghika et les Sarvàstivâdin sont les seuls à donner des détails sur les biens du stupa.
Nous avons vu plus haut que les premiers interdisaient d'utiliser le stupa, les offrandes et l'eau de ses étangs à des fins personnelles et profanes. Les fleurs qui poussent dans les jardins et les étangs du stupa doivent être utilisées pour faire des guirlandes qui seront ensuite offertes au monument. Le surplus sera échangé contre de l'huile pour les lampes et des parfums qui seront, les uns et les autres, présentés en offrande au Buddha, ou bien placé dans les biens inépuisables (4[t ^ Щ) du Buddha, c'est-à-dire du stupa [T. 1425, p. 498 b]. Les fruits de ces jardins peuvent être donnés à la Communauté, selon le vœu du donateur. Les
E. Les biens du stūpa
LA CONSTRUCTION ET LE CULTE DES STUPA 257
offrandes moyennes et supérieures sont destinées au stupa du Buddha, les offrandes inférieures au caitya [Ibid., p. 498 b-c].
La nourriture et la boisson offertes au stupa doivent être consommées, selon les Dharmaguptaka, par ceux qui ont établi les plans et construit le monument, et aussi par les moines, les novices, les laïcs, etc. [T. 1428, p. 957 a et 957 c].
Les Sarvâstivàdin parlent aussi des biens inépuisables du stupa, qui sont inaliénables [T. 1435, p. 415 c]. Les biens qui sont donnés en offrande au stupa ne peuvent être utilisés à d'autres fins. On ne doit pas les mélanger avec les biens de la Communauté des quatre directions, ni avec les biens consistant en nourriture, ni avec les biens à partager [Ibid., p. 352 b]. Quand on construit ou répare un monastère, on doit d'abord s'occuper du stupa, ensuite seulement des bâtiments monastiques [Ibid., p. 249 c, 250 c, 251a]. La construction et l'entretien des stupa doivent être confiés à des hommes capables et qui ne négligent pas leur tâche [Ibid., p. 416 c].
F. LES RÉCITS CONCERNANT LE STUPA
Les données relatives à la construction et au culte du stupa sont groupées en un seul récit chez les Mahàsànghika et les Mahïsâsaka, en trois récits qui se suivent chez les Dharmaguptaka. Elles sont également groupées en un seul récit dans le Pi-nai-ye. Par contre, chez les Sarvâstivàdin et les Mûlasarvâstivâdin et dans le P'i-ni-mou king, elles sont soit groupées en plusieurs récits, soit disséminées dans le texte en passages brefs, souvent même réduits à une phrase, à une simple allusion. Ces phrases détachées ne sont généralement reliées au contexte que d'une façon assez lâche, et les récits dans lesquels elles s'insèrent n'ont, le plus souvent, aucun rapport avec le stupa. Au contraire, les récits plus étendus sont manifestement centrés sur ce genre de monument et méritent par conséquent de retenir notre attention. Aussi allons-nous les examiner et les comparer.
I. Le stupa du Buddha Kdsyapa
Cette histoire se présente en trois versions différentes chez les Mahàsànghika, les Mahïsâsaka et les Dharmaguptaka. Chez les deux premiers, elle constitue même l'unique récit consacré au stupa. On la retrouve, simplifiée, dans le Pi- nai-ye, où elle sert également de cadre à la seule légende concernant le stupa. Enfin, les Mûlasarvâstivâdin en donnent à plusieurs reprises une version réduite à ses éléments essentiels.
1° Mahàsànghika. — [T. 1425, p. 497 b.] Le Buddha voyageait au pays de Kosala. Un brahmane qui labourait la terre, ayant vu le Bienheureux qui passait, arrêta ses vaches et rendit hommage au Buddha. Celui-ci fit alors un sourire mystérieux. Les moines, surpris, lui ayant demandé la raison de ce sourire, le Bienheureux leur dit : « Ce brahmane rend présentement hommage à deux Bhaga- vant ». Les moines lui demandèrent : « Quels sont ces deux Buddha?». Il répondit : « II me rend hommage à l'endroit où, sous son bâton, se trouve le stupa du Buddha Kâsyapa ». Les moines désirant voir ce stupa, le Buddha leur conseilla de demander au brahmane les mottes de terre qui composaient le terrain. Lorsque ceci leur eût été accordé, le Buddha fit apparaître (j.^ j]j) le stupa du Buddha
I. Le stupa du Buddha Kāśyapa
258 ANDRÉ BAREAU
Kâsyapa. Description rapide de ce stupa. A cette vue, le brahmane déclara : « J'appartiens au clan (gotra) des Kàsyapa. Ce stupa de Kàsyapa est à moi ». Alors, le Bienheureux construisit en ce lieu un stupa pour le Buddha Kàsyapa. Les moines demandèrent ensuite l'autorisation de donner de la boue [497 c]. Le Bienheureux la leur accorda en prononçant une stance :
« Cent mille fardeaux d'or pur
« Pris, utilisés et transportés comme don,
« Ne sont pas comparables à une seule boule de boue
« Employée, avec une pensée de respect, à préparer le stupa d'un Buddha. »
Le Bienheureux érigea lui-même le stupa du Buddha Kàsyapa. Description de ce stupa. Le Buddha dit : « Pour construire un stupa, il faut faire comme cela ». Le stupa étant achevé, il lui rendit hommage. Les moines lui demandèrent la permission d'en faire autant. Il la leur accorda en prononçant une stance :
« Cent mille pièces d'or
« Prises, utilisées et transportées comme don,
« Ne sont pas comparables à une seule bonne pensée,
« Avec laquelle, respectueusement, on rend hommage au stupa d'un Buddha. »
Alors, les gens, ayant appris que le Buddha avait construit un stupa, prirent des fleurs et des parfums et vinrent les offrir au Bienheureux. Celui-ci les déposa en offrande au stupa de Kâsyapa. Les moines lui demandèrent l'autorisation d'en faire autant. Il la leur accorda en prononçant une stance :
« Cent mille charretées d'or pur,
« Prises, utilisées et transportées comme don,
« Ne sont pas comparables à une seule bonne pensée
« Qui, avec des fleurs et des parfums, constitue l'offrande à un stupa. »
Puis, la Grande Communauté s'assembla comme un nuage Le Buddha dit à Sàriputra : « Expose la Loi (dharma) aux hommes » et prononça cette stance :
« Cent mille Jambudvïpa
« Pleins d'or pur et donnés
« Ne sont pas comparables à un seul don de la Loi
« A la suite duquel il se fait que l'on cultive la conduite [correcte]. »
Parmi ceux qui étaient assis là, il y en eut qui obtinrent la Voie (márga). Le Buddha prononça cette stance :
« Cent mille éléments de monde (lokadhâtu) « Pleins d'or pur et donnés
« Ne sont pas comparables à un seul don de la Loi « A la suite duquel on voit les Vérités (satya). »
Alors, le brahmane obtint une foi indestructible et, devant le stupa, il apporta du riz cuit (pdana) pour le Buddha et pour la Communauté. A ce moment, le roi [du Kosala] Prasenajit, ayant appris que le Bienheureux avait construit un stupa pour le Buddha Kâsyapa, vint trouver le Bhagavant avec sept cents chars remplis de briques. Ayant salué avec respect le Buddha, il lui demanda l'autorisation d'agrandir le stupa. Le Bienheureux la lui accorda en lui racontant l'histoire suivante. Autrefois lorsque le Buddha Kàsyapa entra dans le Parinirvàna, il y eut un roi nommé Ki-li ( ^ Щ, Krkin) qui désira construire un stupa fait des sept joyaux. Il y eut alors un ministre qui, prévoyant que, dans l'avenir, des hommes impies détruiraient le monument, proposa au roi de recouvrir celui-ci d'une couverture
LA CONSTRUCTION ET LE CULTE DES STUPA 259
d'or et d'argent [498 a]. Le roi suivit ce conseil. Lorsque, après sept ans, sept mois et sept jours, les travaux furent achevés, il fit offrande de fleurs et de parfums au stupa. Le roi Prasenajit agrandit alors le monument, ce qui lui pris seulement sept mois et sept jours. Règles concernant la construction du stupa et description de celui-ci. Règles concernant l'emplacement (vastu) du stupa. Règles concernant les niches des stupa : le roi Prasenajit demanda l'autorisation de construire des niches et le Buddha lui décrivit celles qu'édifia le roi Krkin pour le stupa de Kàsyapa. Règles concernant les jardins : même cadre que précédemment [498 b]. Règles concernant les étangs : même cadre que précédemment. Règles concernant les caitya : même cadre que précédemment. Règles concernant les offrandes : à la demande des moines [498 c] . Règles concernant les offrandes de musique : à la demande du roi Prasenajit, même cadre que ci-dessus. Collecte des offrandes : à la demande des moines. Difficultés : Upàli demanda au Buddha quelle conduite tenir lorsque les biens du stupa et ceux du Sarpgha sont menacés par des bandits.
2° Mahïsâsaka. — [T. 1421, p. 172 a.] Le Buddha se trouvait au pays de Kosala où il voyageait avec une troupe de 1.250 moines. Il parvint au village de brahmanes Tou-i (||j$ Щ, «Ville-blessé», Nagaraviddha, ou «Ville de même espèce», Nagara- vidhà?). Il s'assit pour se reposer, sur le bord de la route, sous un arbre sala (Vatica robusta) et fit un mystérieux sourire. Ânanda, surpris, lui en demanda la raison et le Buddha lui raconta alors l'histoire suivante. Autrefois, il y avait un roi nommé Kin-mi (à* ^, Kimmi?). [Ici s'insère l'histoire de la princesse Màlinï et des dix songes prophétiques du roi que seul peut expliquer le Buddha Kàsyapa] [172 c]. Après le Parinirvâna du Buddha Kàsyapa, le roi éleva pour celui-ci un stupa d'or et d'argent, qui maintenant se trouvait dans le sol. Le Buddha fit alors surgir ce stupa qui apparut à la Communauté. Les reliques (sarïra) du corps de Kàsyapa étaient intactes. Le Buddha prit alors une boule de boue et prononça cette stance :
« Bien que l'on puisse [retirer] de la rivière Jambu
« Cent mille gains d'or et de joyaux
[173 a] « Ils ne sont pas comparables à une seule boule de boue
« Avec laquelle on élève un stupa pour un Buddha. »
Le Buddha posa alors quatre boules de boue à l'endroit où le stupa avait disparu et chacun des 1.250 moines en fit autant. Ce fut le premier stupa élevé alors sur le territoire du Jambudvïpa. Suivent les instructions données par le Buddha au smjet de la construction et du culte du stupa.
3° Dharma guptaka. — [T. 1428, p. 958 a.] Le Buddha se trouvait au pays de Kosala, où il voyageait en compagnie de 1.250 moines. Près du village de brahmanes Tou-tseu (^ -^ , Ville-enfant, Nagaraputra?), le Buddha sourit. Ânanda, surpris, lui en demanda la raison [958 b]. Le Bienheureux lui raconta l'histoire suivante. Autrefois, quand le Buddha Kàsyapa eut atteint le Parinirvâna, il y eut un roi du pays de Ch'eu-p'i-k'ia-cheu {Щ 1Щ; \}\\\ J3, Sibikàsi?) qui, en cet endroit, en sept ans, sept mois et sept jours, éleva un grand stupa puis, pendant le même temps, lui offrit de grandes offrandes et donna du riz cuit à la Communauté. Le Buddha se rendit, tout près de là, dans un champ que labourait un cultivateur, y prit une boule de boue et revient la placer en ce lieu. Il prononça alors cette stance :
« Cent mille colliers,
« Tous en or de la rivière Jambu,
« Ne sont pas comparables à une seule boule de boue
« Avec laquelle on élève un stupa à un Buddha. »
260 ANDRÉ BAREAU
La même stance est reprise six fois, la quantité d'or variant seulement, en augmentant : cent mille boules d'or, charges d'or, brassées d'or, murs d'or, rochers d'or, montagnes d'or. Alors, les moines et les nonnes et les laïcs des deux sexes placèrent chacun une boule de boue à cet endroit et construisirent un grand stupa. Le récit s'achève ici, les règles de construction et de culte des stupa étant données dans deux autres récits, l'un concernant le stupa de Sâriputra et de Maudgalyâyana [956 c-957 a] et l'autre le stupa des cheveux du Buddha coupés par l'enfant Upàli [957 a-958 a].
4° Pi-nai-ye. ■ — [T. 1464, p. 897 b.] Le Buddha résidait à Sràvastï, au Jetavana. Le roi Prasenajit vint le voir et engagea une longue conversation avec lui [897 c]. Le Buddha accomplit le fameux miracle de Srâvastï puis raconta au roi l'histoire suivante. Il y a très longtemps, quand les hommes vivaient 20.000 ans, le Buddha Kàsyapa apparut dans le monde. Lorsqu'il entra en Parinirvàna, il y avait un roi nommé Tchou-pi (^ Щ, «Qui tient un fourreau»), en son [sanskrit] P'ou-mi-fan (fifj Ms 5l? Bhûmivant?). Il apporta toutes sortes d'offrandes au bûcher funéraire et décida de construire un stupa pour le Buddha Kàsyapa. Comme il ne savait comment l'édifier, les quatre rois dragons (nâgarâja) qui résidaient aux portes de la ville, prenant l'apparence de brahmanes, vinrent prêter leur concours au roi [898 a]. Ils lui offrirent les trésors de leurs résidences souterraines. Description du stupa ainsi construit. Toutes les fleurs de la ville furent réquisitionnées par le roi pour être offertes au stupa. Suit l'histoire du jeune amoureux qui vola ces fleurs et en fut cruellement puni [898 a-b].
5° Mulasarvâstivâdin — [T. 1451, p. 248 a.] Le Buddha résidait à Kapilavastu. Des nonnes vinrent l'interroger sur divers sujets, dont le Parinirvàna [249 a]. Le Buddha raconta l'histoire suivante. Jadis, quand les hommes vivaient vingt mille ans, le Buddha Kàsyapa [249 b] apparut en ce monde et résida à Vârânasï, au Rsipatana, dans le Mrgavana. Quand il entra dans le Parinirvàna, il y avait un roi nommé Ki-li-tchou (~j^ Щ |и, Krkin) qui fit des offrandes à Kàsyapa et lui éleva un stupa. Description du stupa, des offrandes et de la façon de les déposer.
[261 c] Le Buddha raconta l'histoire suivante. Dans le passé, quand les hommes vivaient vingt mille ans, le Buddha Kâsyapa apparut dans le monde et résida à Vârânasï, au Rsipatana, dans le Mrgavana. Dans cette ville, il y avait un roi nommé Ki-li-tcheu (f£ Jjj| |o, Krkin) qui gouvernait le monde par la Loi (dharma) et était un grand roi de la Loi (^ -/^ 3E> mahâdharmarâjan). Il confia l'éducation de ses trois fils au Buddha Kâsyapa. Quand celui-ci fut entré dans le Parinirvàna, le roi rendit hommage aux restes corporels du Buddha, les brûla sur un bûcher de santal qu'il éteignit avec du lait parfumé et recueillit les reliques dans une urne d'or et de joyaux. Il éleva un grand stupa fait des quatre joyaux. Description du stupa.
Comme on le voit, les trois premières versions sont étroitement apparentées et proviennent manifestement d'un même récit antérieur. Les deux versions des Mulasarvâstivâdin ont utilisé les éléments essentiels de la légende du roi Krkin et du stupa du Buddha Kâsyapa, mais le cadre, le niddna, est tout à fait différent : le roi Prasenajit n'intervient pas et le lieu où le Buddha raconte l'histoire n'est pas Sràvasti. La version du Pi-nai-ye a conservé la partie du nidâna qui contient ces deux derniers éléments, mais la légende de Krkin, appelé du reste ici Bhû- mivant, est fortement altérée par celle des quatre Nàgarâjan.
Comparons les trois premières versions. Celles des Mahïsàsaka et des Dharma- guptaka sont plus proches l'une de l'autre que de celle des Mahàsânghika.
LA CONSTRUCTION ET LE CULTE DES STUPA 261
« Le Buddha voyageait au pays de Kosala. Il était accompagné de 1.250 moines (Mahïsàsaka, Dharmaguptaka) [détail postérieur]. Il passa près d'un brahmane qui labourait la terre et le salua (Mahâsânghika) ; il s'arrêta près d'un village de brahmanes, Nagaraviddha ou Nagaravidhà (Mahïsâsaka), ou Nagaraputra (Dharmaguptaka) [le détail du laboureur revient plus loin chez ces derniers, mais ce n'est pas un brahmane; il est difficile de choisir entre les deux versions sur ce point, bien que le détail « brahmane » leur soit commun; Nagaraviddha, Nagaravidhà et Nagaraputra doivent être identifiés à Nagarabindu/Nagaravinda qui était un village de brahmanes situé entre Sràvastï, capitale du Kosala, et Vârànasï]. Le Buddha sourit. Les moines (Mahâsânghika) ou Ananda (Mahïsàsaka et Dharmaguptaka) [précision postérieure] lui en demandent la raison. Le Buddha explique : en cet endroit se trouve le stupa du Buddha Kâsyapa. Le roi Kimmi (?) ou le roi de Sibikàsï (?) a construit ce stupa (Mahisâsaka et Dharmaguptaka) [cette indication est donnée beaucoup plus loin par les Mahâsânghika, avec le vrai nom du roi : Krkin]. Le Buddha fait surgir du sol le stupa en question [les Dharmaguptaka ignorent ce détail]. Il prend une boule de boue et la pose sur le sol pour fonder un second stupa sur l'emplacement du premier qui, entre temps, a disparu [chez les Mahâsânghika, le brahmane revendique le stupa comme son bien, d'où apparemment la nécessité d'en construire un autre]. Il prononce la stance : « Cent mille parties d'or ne valent pas une seule boule de boue donnée pour élever un stupa à un Buddha ». Les moines l'imitent après en avoir demandé la permission.
Voilà à quoi semble se réduire le récit commun. Notons, cependant, que les Mahâsânghika et le Pi-nai-ye mettent le Buddha en rapport avec le roi de Kosala, Prasenajit, à cette occasion. On peut donc se demander si ce détail faisait partie du récit primitif. Cette légende paraît antérieure à Ašoka. En effet, l'inscription de Nigali Sagar, datée de quatorze ans après le sacre de celui-ci, rapporte que ce roi agrandit du double le stupa du Buddha Konàkamana. Or, ce Buddha Konàkamana était le second prédécesseur de Sàkyamuni, Kàsyapa en étant le prédécesseur immédiat. Il semble que si Ašoka attribua le monument qu'il agrandit à Konàkamana, et non à Kâsyapa comme il aurait dû le faire en bonne logique, c'est qu'une tradition répandue sous son règne plaçait le stupa de ce dernier en un autre endroit, vraisemblablement au Kosala, aux alentours de Nagarabindu, sur la route de Sràvastï à Bénarès, et non pas à Nigali Sagar, en plein Terai népalais, à 20 kilomètres au Nord de Rummindei. Un argument paraît appuyer notre point de vue. En effet, le Vinayapitaka des Mulasarvàstivàdin [T. 1451, p. 222 c] attribue à un roi légendaire nommé Ašoka (Л <J|), et curieusement homonyme du grand souverain indien du uie siècle avant notre ère, la construction du stupa du Buddha Krakucchanda, dont il était contemporain. Or, ce Krakucchanda était le troisième prédécesseur de Sàkyamuni, antérieur ainsi à Konàkamana. Au fur et à mesure que l'on descend le cours du temps, on attribue donc à des Buddha plus anciens les légendes ou les monuments auxquels on se réfère.
Notons toutefois que, même si le récit commun est antérieur à Ašoka, les éléments concernant la construction et le culte rendu au stupa, qui varient d'une version à l'autre, sont très probablement postérieurs à ce règne.
II. Le stupa des cheveux du Buddha coupés par Upal i
Ce récit ne se trouve que dans le Vinayapitaka des Dharmaguptaka et dans le P'i-ni-mou king, ouvrages qui sont, on le sait, étroitement apparentés.
BEPEO, L-2. 17
II. Le stūpa des cheveux du Buddha coupés par Upal i
262 ANDRÉ BAREAU
1° Dharma guptaka. — [T. 1428, p. 957 a.] Le Bienheureux résidait à Ràjagrha. Par révérence, personne n'osait raser les cheveux du Buddha. Seul, un petit enfant (t]\ j^) nommé Upâli, qui ne savait pas encore ce qu'il y avait à craindre, voulut les raser. Ses parents demandèrent au Buddha de bien vouloir autoriser leur fils à procéder à cette opération. Le Bhagavant accepta sans difficulté, conseillant à Upàli de courber son corps. L'enfant commença à opérer. Les parents demandèrent de temps à autre si leur enfant agissait bien. Le Buddha lui reprocha successivement de trop courber son corps, puis de se tenir trop droit, de faire des inspirations trop grossières [957 b], puis des expirations trop grossières. Upàli suspendit alors son souffle et entra en quatrième méditation (dhyâna). Sur l'ordre du Bienheureux, Ananda prit le rasoir dans la main de l'enfant et recueillit les cheveux dans un vieux vase. Le Buddha le reprit : « II faut employer un vase neuf de telle et telle sorte». Le fils de roi Kiu-p'ouo-li (Щ Щ Щ§_, Gopàli), qui dirigeait une armée et se rendait dans l'Ouest pour soumettre des rebelles, demanda des cheveux du Buddha. Celui-ci les lui accorda et expliqua dans quel récipient il devait les déposer et comment il devait les transporter. Gopàli partit avec les cheveux, remporta la victoire et, rentré chez lui, éleva un stupa pour ces reliques. C'est le stupa qui fut construit quand le Bienheureux était encore en ce monde. Les moines demandèrent à emporter eux aussi des cheveux du Buddha. Celui-ci les y autorisa et leur donna les mêmes directives qu'à Gopàli, et bien d'autres encore.
2° P' i-ni-mou king. — [T. 1463, p. 816 c] Le Buddha résidait à Ràjagrha. Par révérence, personne n'osait couper les cheveux du Buddha, qui étaient longs. L'adolescent (j| :p) Upàli, étant venu rendre visite au Buddha avec ses parents, eut l'idée de couper les cheveux du Bhagavant et il lui en demanda l'autorisation. Celle-ci lui fut aussitôt accordée et Upâli commença à opérer. Ses parents demandèrent de temps à autre s'il agissait bien. Le Buddha lui reprocha successivement de se tenir trop près, puis de lever la tête, enfin de faire des expirations trop grossières. Alors, Upâli suspendit son souffle et entra dans la quatrième méditation. Sur l'ordre du Bhagavant, Ànanda prit le rasoir dans la main de l'adolescent. Celui-ci osa couper les cheveux du Tathàgata pour trois raisons : 1° à cause de son ignorance (Щ* |Ц, moha); 2° parce que la force surnaturelle du Tathàgata voulait qu'il obtienne la quatrième méditation; 3° parce qu'il [le Buddha] désirait que les êtres des générations suivantes sachent que couper les cheveux procure un grand mérite (mahàpunya). Le Buddha prescrivit ensuite de placer ces cheveux dans un vase neuf. Le fils de roi Kiu-pouo-lo (Щ $£ Ш-> Gopàla) ou Kiu-pouo (Gopa) demanda alors au Buddha ses cheveux pour les emporter chez lui et leur rendre un culte. Le Bhagavant l'y autorisa et lui expliqua dans quelles sortes de récipient il fallait les placer et comment on devait les transporter. En chemin, Gopàla apprit que des bandits arrivaient. Sur la route, il construisit alors un grand stupa pour les cheveux du Buddha et lui rendit hommage. C'est le stupa dit des cheveux du Buddha.
Les deux versions ne diffèrent, on le voit, que par des détails secondaires. Cette histoire renferme plusieurs éléments intéressants. D'abord, le personnage principal est Upâli, dans son office de barbier, mais ce n'est pas le célèbre barbier de Kapi- lavastu, qui n'apparaît dans la légende bouddhique que sous l'aspect d'un adulte ayant à peu près. l'âge du Buddha. Ici, Upàli est un enfant, tout au plus un adolescent, et il habite Ràjagrha, l'ancienne capitale du Magadha, à plus de 300 kilomètres au Sud-Est de Kapilavastu. Il semble bien que le détail de l'enfance du personnage, qui justifie son audace due à l'ignorance, soit antérieur à celui de son nom, lequel
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vient manifestement de sa fonction de barbier. Plus important est le fait qu'il s'agisse de raser la tête du Buddha, que l'iconographie représente toujours couverte d'une chevelure bouclée assez abondante. Ceci indique que notre récit n'a pas été influencé par les représentations figurées du Bhagavant et qu'il est donc vraisemblablement antérieur à celles-ci, c'est-à-dire au début de notre ère. Puisqu'il ne se trouve que dans deux ouvrages étroitement apparentés, il doit être tardif et dater du Ier ou, tout au plus, du 11e siècle avant Jésus-Christ. Notons du reste que les deux versions font clairement allusion aux mérites que l'on retire en rasant les cheveux du Buddha. Ainsi, quoique tout jeune, Upâli entre tout de suite dans la quatrième méditation. Il semble bien que l'auteur de cette histoire ait voulu lutter contre une vieille superstition relative aux cheveux des saints personnages.
III. Le stupa des cheveux du buddha construit par Anâthapindika
On ne rencontre ce récit que chez les Sarvàstivàdin et les Mulasarvâstivàdin, où il joue un rôle prédominant, analogue à celui du stupa du Buddha Kàsyapa chez les Mahàsànghika et les Mahïsâsaka. C'est la contrepartie de l'histoire précédente qui concerne, elle aussi, le stupa élevé sur les cheveux du Buddha.
1° Sarvâstivàdin. — [T. 1435, p. 351 c] Le maître de maison Anâthapindika [qui habitait Srâvastï], se rendit auprès du Buddha et, après l'avoir salué avec respect, lui demanda de menus objets auxquels il pourrait rendre un culte lorsque le Bienheureux serait absent car, dit-il, « j'ai toujours envie de regarder avec respect le Buddha ». Celui-ci lui donna alors des cheveux et des rognures d'ongle. Anâthapindika demanda aussitôt la permission — qu'il obtint — d'élever un stupa sur ces reliques. Suit une longue liste de prescriptions concernant la construction, l'ornementation et le culte de ce monument, prescriptions amenées par les demandes du célèbre donateur.
Ce récit est repris, avec des variantes insignifiantes, dans une autre partie de l'ouvrage [T. 1435, p. 415 b-c]. Seules, les prescriptions diffèrent, concernant d'autres détails de la construction, de l'ornementation et du culte des stupa, et se présentant sous un aspect plus didactique.
2° Mulasarvâstivàdin. — [T. 1452, p. 429 6.] Le Buddha résidait à Sràvastï. Le maître de maison Anâthapindika se rendit auprès de lui et lui demanda l'autorisation de construire un stupa pour les cheveux et les ongles du Bienheureux, ce qui lui fut accordé. Suit une longue liste de prescriptions analogue à celle de la version précédente. Chaque paragraphe est précédé d'une stance (gâthâ) qui en résume le contenu.
Les deux versions de ce récit très simple ne diffèrent guère que par deux détails : chez les Sarvâstivàdin, le lieu de l'entrevue est passé sous silence, mais facile à deviner puisque le donateur est bien connu pour habiter Sràvastï; les Mulasarvâstivàdin taisent la raison pour laquelle est construit le stupa. Cette seconde version paraît plus tardive que l'autre, ce qui n'est pas surprenant.
Notons que ce récit suppose, comme le précédent, celui de l'enfant Upâli, que le Buddha se fait couper, et sans doute même raser, les cheveux. On peut donc le dater également d'avant notre ère, probablement du Ier siècle. Beaucoup moins original que celui d'Upâli, il est placé, comme la plupart des histoires de ce genre, à Sràvastï, et met en scène un personnage tout à fait classique, le célèbre et généreux donateur Anâthapindika, sans qu'on puisse deviner lequel de ces deux détails, le lieu ou le personnage, a déterminé l'autre.
17.
III. Le stūpa des cheveux du buddha construit par Anāthapindika
264 ANDRÉ BAREAU
IV. Récits divers
Les autres récits sont moins importants, soit qu'ils représentent des versions isolées, soit qu'ils soient réduits à quelques éléments, soit encore qu'ils n'aient qu'un rapport assez lointain avec la construction et le culte des stupa. Nous les examinerons donc plus rapidement.
1° Le stupa de Sâriputra. — II y a deux versions, l'une dharmaguptaka, l'autre mulasarvâstivâdin.
[T. 1428, p. 956 c] Quand Sâriputra et Maudgalyâyana furent entrés dans le Parinirvâna, il y eut un donateur qui voulut construire un stupa pour eux. Le Buddha le lui permit et lui donna à cette occasion de nombreuses indications sur la façon de construire un stupa et de lui rendre un culte.
[T. 1451, p. 291 a.] Le Buddha vint de Ràjagrha à Sràvastï. Ânanda offrit des fleurs et des parfums aux restes de Sâriputra. Ayant appris que celui-ci était entré en Parinirvàna, Anàthapindika alla demander à Ânanda comment rendre un culte à ses reliques. Ananda et Anâthapindika se rendirent auprès du Buddha et lui demandèrent comment opérer. Celui-ci leur donna des instructions concernant le culte des reliques. [291 6]. D'autres personnes se joignirent à eux et rendirent hommage aux restes de Sâriputra. [291 c] Le donateur [Anâthapindika, ou : les donateurs] demanda la permission de construire un stupa pour ces reliques. Le Buddha l'y autorisa et donna de nombreux détails sur la construction de ce genre de monument.
Comme on le voit, quoique partant d'une base commune, à savoir la mort de l'un des deux principaux disciples avant le Parinirvàna du Bhagavant, ces deux récits sont en fait indépendants.
2° Le stupa de V Arhant anonyme. — II est donné par les seuls Sarvâstivàdin. On peut le considérer comme apparenté au précédent. [T. 1435, p. 284 b.] Le Bud- dha résidait à Sràvastï, quand un Arhant entra en Parinirvàna. Les moines pensèrent que, si on brûlait son corps, on tuerait les 84.000 vers qui s'y trouvaient comme dans tout corps humain. Ne sachant que faire, ils demandèrent conseil au Bhagavant. Celui-ci les rassura, disant que, lorsqu'un homme meurt, tous les vers parasites de son corps meurent aussi. Avec la permission du Buddha, ils brûlèrent alors le corps de l'Arhant, élevèrent un stupa sur ses restes et lui présentèrent des offrandes.
3° Le stupa du Buddha Krakucchanda. — Récit donné par les seuls Mulasarvâstivâdin. Il est copié sur le récit du stupa de Kâsyapa et visiblement influencé par l'agrandissement du stupa du Buddha Konàkamana effectué sur l'ordre de l'empereur Ašoka, comme nous l'avons dit plus haut (F, I, in fine). [T. 1451, p. 222 c] Le Buddha [qui résidait dans la capitale du Kosala, c'est-à-dire Sràvastï] raconta aux moines l'histoire suivante. Jadis, quand les hommes vivaient 40.000 ans, le Buddha Krakucchanda apparut en ce monde. Quand il entra en Parinirvàna, il y avait un roi nommé Asoka qui rendit hommage à ses reliques et construisit pour lui un stupa. Description de ce monument.
4° Le vol des fleurs offertes au stupa. — Cette histoire fait suite, dans le Pi-nai- ye, à celle du stupa du Buddha Kâsyapa. [T. 1464, p. 898 a.] Il y avait alors un jeune bourgeois débauché dont la maîtresse avait donné l'ordre à sa servante de ne lui ouvrir que s'il apportait des fleurs. S'étant présenté sans fleurs, le jeune homme
IV. Récits divers
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ne put obtenir que la domestique le laissât entrer. Or, le roi ayant fait porter toutes les fleurs de la ville au stupa du Buddha Kàsyapa, le jeune débauché ne put en trouver aucune à acheter. Il alla donc en prendre, en abondance, sur les tables d'offrande du stupa et, lorsqu'il se présenta, la nuit venue, à la porte de sa maîtresse, la servante le fit entrer. Dans la nuit, alors qu'il était couché à côté de sa belle, des abcès apparurent sur tout son corps. D'abord minuscules, ils grossirent rapidement jusqu'à devenir énormes. De son corps pourrissant s'écoulait un sang noir. Dégoûtée, la femme ordonna à sa servante de jeter le malade dans le canal. La domestique préféra aller chercher le père du jeune débauché. Celui-ci vint aussitôt avec quatre hommes et, ayant fait ramener son fils à la maison, appela d'habiles médecins. [898 b.] Ceux-ci ordonnèrent d'apporter neuf paires de santal tête de bœuf (gosïrsa), trois paires devant servir à oindre le corps, trois à [oindre?] les vêtements (1Щ) et trois à enfumer les vêtements (Ji ^). Le père, effrayé du prix de ce traitement, fit appel pour l'aider à ses parents et à ses amis. Bientôt, tout le santal fut rassemblé. Le jeune homme déclara alors que cette cure serait inefficace, car sa maladie était le châtiment d'une faute grave. Il confessa le vol des fleurs et demanda à être transporté aussitôt auprès du stupa avec tout le santal afin que celui- ci fût offert en partie en réparation et en partie en hommage. Arrivé près du monument, il fit le vœu de ne plus renaître que parmi les dieux et les hommes, puis de devenir un Pratyekabuddha et d'obtenir le Parinirvàna. Aussitôt, ses abcès commencèrent à se résorber, et bientôt il put marcher et revenir chez ses parents par ses propres moyens. Il renaquit chez les dieux Trayastrirpsa, puis chez les hommes et, dans ces deux destinées, chaque pore de sa peau exhalait le parfum du santal. Il devint enfin Pratyekabuddha et entra dans le Parinirvàna. Cinq cents ans après ce dernier événement, ses os n'étaient pas encore pourris, à cause du parfum surnaturel (3)^ Щ) qu'ils contenaient.
5° Màlinï et les songes du roi Krkin {^\ — Cette histoire s'insère dans le récit concernant le stupa du Buddha Kàsyapa qui est contenu dans le Vinayapitaka des Mahïsâsaka. [T. 1421, p. 172 a]. Dans le passé il y avait un roi nommé Kin-mi (Kimmi? en fait, Krkin; voir plus haut). Il y avait une femme qui, au moment de sa naissance, était couverte naturellement de guirlandes de fleurs d'or. Les brahmanes maîtres en l'art d'interpréter les signes (f-g fjïji), convoqués, lui donnèrent le nom de Mâlinï (ф_ ^ /g, de màlà, guirlande). Le roi en devint très épris et en fit sa favorite. Il fit rechercher les femmes nées dans son royaume le même jour qu'elle et les lui donna comme suivantes, au nombre de cinq cents. Sur le conseil de Kin-mi, Mâlinï offrait chaque jour à cinq cents brahmanes des marmites de bouillon. Accompagnée de ses femmes, elle montait ensuite sur un char attelé de quatre chevaux et allait se promener dans les parcs voisins de la capitale. Dans l'un de ceux-ci vivait alors le Buddha Kâsyapa. Màlinï, malgré l'avis de son cocher, pénétra dans ce parc et se rendit auprès du Buddha. Celui-ci lui prêcha la Loi et la convertit sans peine. Désormais, elle résolut de faire des offrandes de nourriture à Kàsyapa plutôt qu'aux cinq cents brahmanes [172 b]. Ceux-ci, l'ayant appris, résolurent de se venger. A ce moment, le roi Kin-mi eut onze songes. Le matin suivant, il consulta ses ministres à ce sujet et, sur leur conseil, convoqua les brahmanes maîtres en l'art d'interpréter les signes. Ceux-ci prétendirent que les songes étaient de mauvais augure et que, pour
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conjurer le sort menaçant, il fallait, sept jours plus tard, à un carrefour, sacrifier tel éléphant, tel cheval, tel grand ministre, tel grand brahmane, cinq cents taureaux, cinq cents buffles, cinq cents génisses, cinq cents veaux, cinq cents béliers, cinq cents brebis, enfin Màlinï et ses cinq cents parents. Le roi ajouta foi à leurs dires et donna des ordres pour préparer le sacrifice. Mise au courant de celui-ci, Mâlinï reçut comme suprême faveur la satisfaction de tous ses désirs pendant les six jours qu'il lui restait à vivre. Le premier jour, accompagnée de tout le peuple de la ville, elle se rendit auprès du Buddha Kâsyapa qui prêcha si bien que la foule entière se convertit. Le lendemain, elle revint, avec tous les ministres du roi, le troisième jour avec tous les fils du roi, le quatrième avec toutes les épouses du roi, le cinquième avec toutes les concubines du roi. Enfin, le sixième et dernier jour, elle se rendit auprès de Kàsyapa accompagnée du roi [172 c]. Comme tous ses sujets, Kin-mi fut converti au Bouddhisme. Il demanda alors au Buddha de lui expliquer ses onze songes. Kàsyapa lui répondit : « Ces onze sortes de songes concernent le futur, mais non le présent. Tu as vu en songe un petit arbre qui produisait des fleurs : dans l'avenir, un Buddha paraîtra en ce monde quand les hommes vivront cent ans, et il sera nommé Sàkyamuni; à ce moment, dans leur trentième année, les hommes auront la tête blanche. Tu as vu en songe des fleurs qui devenaient des fruits : à ce moment, les hommes âgés de vingt ans engendreront des enfants. Tu as vu en songe des veaux qui labouraient et de grands bœufs qui demeuraient à les regarder : à ce moment, les enfants dirigeront les affaires de leur famille et leurs pères et mères n'auront plus d'autorité. Tu as vu en songe trois marmites dans lesquelles cuisait une bouillie de riz, le riz de chacune des marmites des deux côtés jaillissant séparément et entrant dans l'autre mutuellement, sans tomber dans la marmite du milieu : à ce moment, les riches se feront mutuellement des dons mais les pauvres n'obtiendront rien. Tu as vu en songe un chameau à deux têtes qui mangeait de l'herbe : à ce moment, le roi aura des ministres qui, lorsqu'ils auront mangé les revenus du roi, prendront encore les biens du peuple. Tu as vu en songe une jument qui, contrairement [à la nature], buvait le lait de son poulain : à ce moment, les mères, ayant marié leurs filles, contrairement [à la nature], chercheront auprès d'elles leur subsistance. Tu as vu en songe un bol d'or qui se mouvait dans l'espace : à ce moment, il pleuvra hors de saison et de plus il [ne pleuvra] pas partout. Tu as vu en songe un renard sauvage qui urinait dans un bol d'or : à ce moment, les seules richesses du peuple seront ses épouses, qu'il ne choisira plus dans son clan d'origine (tJv $£, mûlagotra). Tu as vu en songe un grand singe qui était assis sur un lit d'or : à ce moment, le roi du pays emploiera un mode de gouvernement illégal (^ j^, adharma, ou : impie), l'oppression et l'absence de la Voie [de la vertu]. Tu as vu en songe du santal tête de vache (gosïrsa) qui était vendu au même prix que de l'herbe pourrie : à ce moment, les religieux (šramaná) de la semence (bïja) de Sàkya, parce qu'ils désireront vivement accroître leur gain, prêcheront la Loi aux [laïcs] en vêtements blancs. Tu as vu en songe de l'eau, trouble en son milieu et pure sur ses quatre côtés : à ce moment, la Loi du Buddha sera déjà détruite dans le Pays du Milieu (madhyadeša, bassin supérieur du Gange), mais, dans les pays frontières, elle sera au contraire prospère. Ô roi, il en est ainsi de tes onze songes. En ce qui concerne ta personne, ils ne comportent pas de présages ». Le roi ordonna alors qu'on laissât la vie aux victimes désignées pour le sacrifice et fit le vœu de perdre sa propre vie plutôt que de causer le meurtre d'un être vivant.
Ce récit est intéressant à plus d'un titre. A la légende bien connue qui met en rapport Mâlinï et le roi Krkin avec le Buddha Kàsyapa, il a ajouté en effet
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un épisode dont les détails doivent retenir l'attention. Le sacrifice préconisé par les brahmanes est, certes, assez fantaisiste mais il se rapproche cependant de certains sacrifices védiques. Les Bouddhistes auteurs de ce récit voulaient surtout insister sur la haine de leurs rivaux brahmaniques et sur l'horreur de leurs rites sanglants, auxquels la conversion du roi met fin. Les songes de Kin-mi, comme beaucoup de prophéties contenues dans les textes bouddhiques, concernent évidemment la région et surtout l'époque précise où cette histoire fut composée et, à ce titre, ils sont intéressants. Les deux premiers servent d'introduction et ne nous apprennent rien. Les sept suivants reflètent un état social anormal et corrompu, présenté sous un aspect paradoxal et choquant. Les enfants dirigent les affaires de la famille au lieu des parents : le respect familial disparaît. Les riches s'engraissent mutuellement au détriment des pauvres : la générosité, vertu bouddhique insigne, disparaît aussi. Les ministres ruinent le roi et pillent le peuple : l'autorité royale est bafouée par des serviteurs avides et sans scrupules. Les mères recherchent auprès de leurs filles mariées leur subsistance : il y a là une question de sociologie économique, et peut-être de droit, assez difficile à interpréter. Il pleut hors saison et en certaines régions seulement : les perturbations de l'ordre social entraînent évidemment des perturbations de l'ordre naturel. Les gens du peuple, appauvris, choisissent leurs épouses en dehors de leur clan d'origine : la vieille règle de l'endogamie n'est plus respectée, amenant une grave confusion ethnique dans ce pays où, à notre époque encore, cette règle est appliquée partout avec rigueur. Le roi gouverne par des moyens illégaux et immoraux, opprimant ses sujets : c'est l'opposé du souverain bouddhique idéal qu'avait voulu illustrer Ašoka; l'auteur pensait sans doute à l'un des rois obscurs des deux derniers siècles avant notre ère. Les deux derniers songes concernent la Communauté. Les moines ne prêchent la Loi que pour accroître leurs gains : bien souvent dans l'histoire du Bouddhisme, cette décadence de la Communauté sera dénoncée par des religieux austères. Disparue dans le Madhyadeša où elle a vu le jour, sans doute à cause de la décadence du Saňgha, la Loi du Buddha est au contraire prospère dans les pays frontières : le récit fait évidemment allusion à une situation postérieure à l'essor du Bouddhisme favorisé par Asoka; d'autre part, l'auteur, qui avait conscience d'être bon Bouddhiste, devait résider en dehors du Madhyadesa, sans doute dans le Nord-Ouest de l'Inde, comme le suggère l'allusion au chameau.
6° La réparation des stupa démolis. — Récit donné par les seuls Sarvâstivà- din [T. 1435, p. 416 c]. Règles concernant l'entretien des stupa et des monastères. Dans le pays d'A-lo-p'i (Щ Щ ffljfj, Alavï), les stupa et les monastères étaient démolis. Le Buddha, l'ayant appris, demanda à Ananda la raison de ce fait. Son disciple lui répondit que, les moines du groupe des six (sadvargiya) voulant les réparer, les autres moines n'osaient le faire. Le Buddha prescrivit de charger d'autres moines de cette tâche par un acte (karman) régulier de la communauté. Les religieux ainsi désignés travaillèrent avec négligence et abandonnèrent leur tâche avant qu'elle ne fût terminée. Le Buddha conseilla alors de choisir des hommes plus zélés pour réparer les bâtiments religieux.
Bien qu'incorporées assez tard dans les divers Vinayapitaka, il semble bien que la plupart des données que nous venons d'examiner — la presque totalité, sans doute, si l'on met de côté le Vinaya des Mûlasarvàstivâdin, très tardif —
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soient antérieures à notre ère et reflètent un état de choses datant des deux ou trois derniers siècles avant Jésus-Christ, c'est-à-dire de l'époque des stupa de Bhârhut et de Sânchï. Elles constituent donc les plus anciens renseignements philologiques qui nous soient parvenus au sujet des stupa.
En ce qui concerne le monument lui-même, il semble que l'on puisse en retracer l'évolution à l'aide de ces données. D'abord simple tumulus funéraire en « boue », c'est-à-dire vraisemblablement en terre reposant sur un sol battu, de forme sensiblement hémisphérique, on le construit, vers l'époque d'Asoka ou peu après, en briques, matériau plus durable. Il se charge alors peu à peu de nouveaux éléments : des niches ou des tables abritées pour déposer les offrandes; une barrière pour empêcher les animaux de souiller ses abords; des parasols plantés au sommet et remplacés plus tard par des parasols de pierre, durables et inamovibles, disposés les uns au-dessus des autres, enfilés sur un même mât central; des poteaux et des piliers supportant des statues d'animaux et des fleurs; un soubassement, peut-être en terrasse, permettant d'accomplir plus aisément la pradaksind; une construction sommitale mal définie dans sa fonction et dans sa forme; enfin, une couverture, des sanctuaires, des bois, des étangs, etc., plus tardifs et plus rares. La plupart de ces éléments sont expliqués par des considérations tout à fait pratiques et rationnelles, les autres ne reçoivent aucune justification mais aucun motif basé sur le symbolisme n'est jamais invoqué en ce qui les concerne. Cependant, dès cette lointaine époque, on tend nettement à personnaliser le stupa, comme nous le verrons plus loin.
Le culte rendu au stupa est imprégné d'idées religieuses étrangères à l'esprit de la doctrine bouddhique telle qu'elle apparaît dans les Sutrapitaka et les Abhi- dharmapitaka. Le respect dû à la personne du Buddha ou du saint est transféré à ses reliques et, de là, au monument qui les contient. Notons tout de suite que ces reliques peuvent être aussi bien des cheveux ou des rognures d'ongles coupés sur la personne vivante que des fragments d'os ramassés sur le lieu de la crémation. Nous saisissons là un phénomène de participation qui est très courant dans l'histoire des religions et qui se base sur de très anciennes croyances magiques. Etrangères à l'esprit du Bouddhisme, celles-ci, provenant des milieux laïcs, se sont mêlées peu à peu au culte bouddhique des reliques. Celui-ci s'inspire en effet d'abord des marques de vénération que l'on adresse aux personnes vivantes : circumambulation par la droite, épaule droite et tête découvertes, salut des mains jointes, prosternation. Les offrandes sont les cadeaux que l'on présente aux grands personnages vivants, notamment aux rois, avec lesquels le Buddha est souvent identifié puisqu'il aurait pu devenir aussi bien un Roi à la Roue (cakravartin râjan) qu'un Tathâgata, et qui sont susceptibles de leur plaire et de leur faire honneur : fleurs, parfums, onguents, parasols, bannières, lampes, nourriture, boisson, musique, joyaux. Mais ces offrandes et ces marques de respect sont ambiguës car elles s'adressent non seulement aux rois humains et aux personnes qui, comme les Buddha, leur sont assimilées, mais aussi aux rois divins, c'est-à- dire aux dieux comme Sakra, Brahma, et aux génies comme les Yaksa et les Nâga- râjan. Cela contribue à identifier, dans l'esprit des fidèles, les Buddha et les saints bouddhiques à ces dieux et à ces génies, et cela surtout lorsque la mort, le Pari- nirvàna, a conféré aux premiers l'invisibilité et le mystère des seconds. Dès lors, s'insèrent dans le culte des impératifs de pureté inspirés non seulement par la décence, les convenances et le respect, mais aussi par des raisons religieuses : le stupa, comme les reliques, comme les saints personnages auxquels celles-ci ont appartenu, sont sacrés. Il n'est pas jusqu'aux interdictions motivées par la crainte religieuse qui, dès cette lointaine époque, ne s'introduisent dans le culte
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bouddhique. Comme on ne peut placer le foyer de cette crainte dans la personne des saints bouddhiques, qui ont renoncé, dès leur vivant, à toute colère et à toute haine et sont par conséquent incapables de se venger des impies — ils sont du reste suffisamment protégés par l'implacable loi de la rétribution des actes — on place ce foyer dans le génie qui réside dans le stupa et est chargé de le garder, génie venu tout droit de la vieille religion populaire indienne.
D'autre part, la participation du stupa au caractère sacré des reliques et de la personne du Buddha ou du saint tend à personnaliser le monument. Ce phénomène se manifeste non seulement sur le plan du culte, mais sur celui du droit, pourtant beaucoup moins suspect de subir des influences sentimentales. Comme la Communauté des moines, le stupa a ses biens propres, son terrain nettement délimité, ses offrandes, son capital ou « biens inépuisables ». Cet ensemble est désigné tantôt sous le nom de « biens du stupa » et tantôt sous celui de « biens du Buddha », ce qui montre nettement le sens de cette identification personnalisante. Dès avant notre ère, donc, le stupa est plus que le symbole du Buddha, c'est le Buddha lui-même, c'est la partie de celui-ci qui demeure en ce monde après le Parinirvâna. Certes, aucun penseur du Bouddhisme ancien ne laissera même supposer qu'aucune parcelle de l'esprit du Bienheureux puisse demeurer dans ces reliques. Au contraire même, à chaque fois que le grave problème de la justification du culte fut posé sur le plan doctrinal, toutes les écoles furent d'accord pour proclamer sans ambiguïté que, le Tathâgata ayant définitivement et complètement disparu dans le Parinirvâna, le culte adressé à ses reliques et à ses stupa n'était qu'un pur hommage sans objet réel et dont l'efficacité ne pouvait donc résider que dans la pensée pure et bonne qui l'accompagnait. Cependant, dans l'esprit des gens simples, il en était autrement et, comme ils éprouvaient le besoin naïf mais universel de reporter leur dévotion sur un objet concret, le stupa était tout désigné pour devenir cet objet et cristalliser cette dévotion. A cette époque lointaine où l'on n'osait pas encore représenter le Buddha sous des traits humains — et ce fait a un arrière-goût de tabou religieux, analogue à celui qui empêchait les gens de Ràjagrha de couper les cheveux du Bhagavant — mais seulement par des images symboliques, empreintes de pied, trône, figuier pipai ou stupa, tout le culte bouddhique se concentra sur les reliquaires monumentaux.
Ce culte né et développé dans le milieu laïc était devenu assez puissant, peu avant notre ère, pour toucher le milieu monastique lui-même, ou du moins une partie de celui-ci, et pour s'exprimer dans le Canon bouddhique de la plupart des écoles. Certes, nous voyons bien que cette intrusion rencontra une opposition assez forte, quoique variable, chez les moines puisque les Theravâdin n'admirent jamais que les règles de ce culte figurassent dans le Canon pâli et que les Sarvâs- tivâdin et, dans une certaine mesure, les Mulasarvâstivàdin les placèrent dans les parties les plus tardives de leurs Vinayapitaka. Il n'empêche que les moines, tout comme les laïcs — avec de rares restrictions, comme celle qui concerne les offrandes de musique — participent à ce culte et adoptent toutes les idées qui lui sont sous-jacentes. Nous sommes loin ici et des docteurs de l'Abhidharma qui niaient la valeur des offrandes présentées aux stupa et des moines de la première génération à qui, si l'on en croit la légende, le Buddha mourant aurait ordonné de ne pas s'occuper du corps du Tathâgata, ses funérailles ne concernant que les laïcs. La mentalité que reflète ce culte semble proche, au contraire, de celle du Mahàyàna, de cette dévotion débordante, envahissante, qui multiplia ses objets de vénération, les Buddha et les Bodhisattva, et acheva la divinisation des sages, des saints et des héros du Bouddhisme antique.
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L'intérêt des données fournies par les Vinayapitaka et examinées ci-dessus réside donc surtout en ce qu'elles nous montrent le culte bouddhique à une phase décisive de son développement, phase qui doit se placer dans les deux derniers siècles avant notre ère et dans laquelle aux anciens éléments du culte, réduits à des marques de respect symboliques, se mêlent nombre d'éléments nouveaux, étrangers à la doctrine bouddhique et même condamnés par elle, venus de la religion populaire antérieure au Bouddhisme. Le sévère et rigide monument du Dharma se lézarde sous l'effort lent mais continu de ces plantes vivaces nées du vieux terroir indien et que les antiques docteurs croyaient avoir déracinées à jamais. Dans quelques siècles, la forêt vierge aura recouvert et rongé les pierres disloquées.
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NOTE ADDITIONNELLE SUR LES RÈGLES CONCERNANT LES STUPA DANS LES VINAYAPITAKA Mis à part les Theravàdin et les Mulasarvàstivâdin qui interdisent de faire un stupa avec la nourriture puis de le démolir et de le manger, les Dharmaguptaka sont les seuls à faire figurer les règles concernant les stupa dans leurs Prâtimoksa et leurs Vibhaňga des moines et des nonnes. Toutes ces règles sont des siksâ- kâranîya, ce qui signifie qu'elles relèvent du simple savoir-vivre et que leur transgression n'entraîne qu'une peine légère. Elles sont groupées et forment les sik- sdkdranïya 60 à 85 ^Ч Voici ces règles, qui figurent toutes, sauf une, dans le passage du Ksudrakavastu qui concerne les stupa ^ : 1° Ne pas s'arrêter pour passer la nuit dans le stupa d'un Buddha, sauf pour le garder ; 2° Ne pas cacher d'objets de valeur dans le stupa d'un Buddha sauf pour le consolider; 3° Ne pas porter de sandales de cuir quand on entre dans le stupa d'un Buddha; 4° Ne pas tenir à la main des sandales de cuir quand on entre dans le stupa d'un Buddha; 5° Ne pas porter de sandales de cuir quand on tourne autour du stupa d'un Buddha; 6° Ne pas porter de bottes ornées quand on entre dans le stupa d'un Buddha; 7° Ne pas tenir à la main de bottes ornées quand on entre dans le stupa d'un Buddha ; 8° Ne pas s'asseoir pour manger sous le stupa d'un Buddha en laissant des herbes et de la nourriture qui souillent le sol; 9° Ne pas faire passer un cadavre sous le stupa d'un Buddha en le portant sur l'épaule; 10° Ne pas enterrer de cadavre sous le stupa d'un Buddha; 11° Ne pas incinérer de cadavre sous le stupa d'un Buddha; 12° Ne pas incinérer de cadavre devant le stupa d'un Buddha; 13° Ne pas incinérer de cadavre sur les quatre côtés du stupa d'un Buddha de sorte qu'un air malodorant y pénètre; 14° Ne pas passer sous le stupa d'un Buddha en portant les vêtements et la literie d'un homme mort s'ils n'ont été lavés et purifiés par des parfums; 15° Ne pas faire ses besoins sous le stupa d'un Buddha; 16° Ne pas faire ses besoins devant le stupa d'un Buddha; 17° Ne pas faire ses besoins sur les quatre côtés du stupa d'un Buddha de sorte qu'un air malodorant y pénètre;
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18° Ne pas se rendre aux latrines en portant l'image d'un Buddha; 19° Ne pas mâcher de baguettes de saule [utilisées pour se nettoyer les dents] sous le stupa d'un Buddha; 20° Ne pas mâcher de baguettes de saule devant le stupa d'un Buddha; 21° Ne pas mâcher de baguettes de saule sur les quatre côtés du stupa d'un Buddha; 22° Ne pas se moucher et cracher sous le stupa d'un Buddha; 23° Ne pas se moucher et cracher devant le stupa d'un Buddha; 24° Ne pas se moucher et cracher sur les quatre côtés du stupa d'un Buddha; 25° Ne pas étendre les jambes devant le stupa d'un Buddha; 26° Ne pas placer le stupa d'un Buddha dans une pièce inférieure quand on demeure soi-même dans une pièce supérieure ^K Les récits qui introduisent ces règles sont tous, sauf le dernier, identiques et conformes au modèle le plus classique du genre. Le Buddha réside à Srâvastî, au Jetavana, dans le parc d'Anâthapindika. Les moines du groupe des six (sadvar- giya) accomplissent telle action reprehensible. Des moines vertueux, l'ayant appris, les en blâment et rapportent le fait au Buddha. Celui-ci réunit la communauté, interroge les coupables, les blâme publiquement et énonce la règle nouvelle qui, désormais, interdit d'agir comme les mauvais moines l'on fait. Il énumère les cas dans lesquels on est déclaré innocent : maladie, cas de force majeure, ignorance, folie, etc. Dans le dernier récit, celui qui introduit la règle 26, le Buddha voyage au pays de Kosala. Près du village de brahmanes Tou-tseu (%j$ :p, Ville-fils, Nagara- putra?), les moines du groupe des six, ayant placé le stupa du Buddha dans une pièce inférieure, résident dans une pièce supérieure. Des moines vertueux, l'ayant appris, les en blâment, etc. Le cadre est ici emprunté au récit de la découverte du stupa du Buddha Kâsyapa, sans doute parce que le cas examiné ne pouvait se produire que pendant un voyage, en passant la nuit dans une maison à étages, d'un modèle beaucoup plus fréquent chez les laïcs que chez les religieux. Les récits étant tous identiques, sauf le dernier, la plupart des règles (4, 5, 6, 7, 10, 11, 12, 13, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23) en sont dépourvues, ce qui souligne le caractère artificiel de ces histoires. Même la règle 18, qui se distingue des autres par le fait qu'elle concerne l'image d'un Buddha, est donnée sans aucun commentaire. Les seules règles formulées par les Theravâdin et les Mulasarvâstivâdin au sujet du stupa sont accompagnées du récit type donné plus haut et qui met en cause les moines du groupe des six résidant à Sràvastï(2^. Celui des Mulasarvâstivâdin est le seul de tous à ajouter quelques éléments — en fait bien pauvres et de peu d'intérêt — qui seraient susceptibles d'éclairer le sens de la règle énoncée. Toutes les autres anecdotes sont désespérément vides d'explications ou ne font tout au plus que reprendre celles, bien minces, qui figurent déjà dans le Ksudrakavastu. Un certain nombre de ces règles sont manifestement inspirées par d'autres qui figurent dans tous les Prâtimoksa ou, du moins, dans la plupart d'entre eux. Ainsi, les règles 3 à 7 sont apparentées à celles qui interdisent de prêcher la Loi à un homme qui porte des sandales de cuir ou des socques de bois, les règles 15
LA CONSTRUCTION ET LE CULTE DES STUPA 273 à 18 à celles qui interdisent de faire ses besoins sur l'herbe naissante ou sur l'eau pure, les règles 22 à 24 à celles qui interdisent de cracher sur l'herbe naissante ou sur l'eau. D'autres rappellent des règles moins fréquentes ou les rappellent de plus loin. Par contre, les règles 1 et 2, 9 à 14, 19 à 21 et 26 ne s'apparentent à aucune autre. Certaines d'entre elles se retrouvent dans d'autres écoles, qui les ont consignées dans des parties différentes de leurs Vinayapitaka. Ainsi, la règle 3 était adoptée aussi par les Mahâsânghika et les auteurs du P'i-ni-mou king, les règles 6 et 14 par ces derniers, les règles 19 à 21 par les Sarvâstivâdin, les règles 22 à 24 par les Mahâsânghika et les auteurs du РЧ-ni-mou king. Par contre, on trouve dans le Ksudrakavastu des Dharmaguptaka quelques interdictions qui auraient pu et même dû, semble-t-il, figurer dans leurs Prdti- moksa : ne pas garder la tête et l'épaule couvertes auprès d'un stupa, ce qui rappelle les règles bien connues de toutes les écoles qui interdisent d'entrer ou de s'asseoir dans la maison d'un laïc avec la tête couverte; ne pas monter sur le stupa; ne rien mettre sur le stupa. Enfin, ils ignorent la seule règle connue des Theravâdin et des Mulasarvâstivâdin : ne pas disposer sa nourriture en forme de stupa, puis briser et manger celle-ci. Étant donné que, à l'exception des Mahâsânghika qui n'en comptent que 66 et des Theravâdin qui n'en ont que 75, la plupart des sectes énumèrent environ 100 siksàkàranïya, on pouvait se demander quelles sont les 26 règles qui, chez les Mahïsâsaka, les Sarvâstivâdin, les Mulasarvâstivâdin et les Kàsyapïya, remplacent celles qui, chez les Dharmaguptaka, concernent le stupa et l'image du Buddha. L'étude comparative des siksàkàranïya prouve malheureusement qu'il est impossible de répondre avec précision à cette question tant la liste de ces règles est complexe et variable d'une secte à l'autre. A part une trentaine de règles qui sont communes à toutes les listes, les autres diffèrent de l'une à l'autre. Certes, un nombre appréciable de celles-ci ont été adoptées par plusieurs écoles mais ces similitudes d'opinion sont très capricieuses et parfois même inattendues, comme celles qui relient exclusivement, sur quatre points, les Theravâdin et les Mulasarvâstivâdin. On peut noter, cependant, que les listes des Mahïsâsaka et des Sarvâstivâdin sont presque identiques et que, dans de nombreux cas, ces deux sectes sont d'accord également avec les Mahâsânghika et les Dharmaguptaka. Par contre, les listes des Theravâdin, des Mulasarvâstivâdin et des Kâsyapiya sont très aberrantes bien que montrant, dans quelques cas, des similitudes qui leur sont propres, ce qui est assez étrange étant donné leur séparation géographique. La liste des Mahâsânghika, la plus courte, paraît être aussi la plus archaïque puisque presque toutes les règles qui y figurent étaient adoptées aussi par la plupart des autres sectes ou s'apparentent étroitement à des règles de ce genre. Pour répondre à la question posée ci-dessus, il semble que les siksàkàranïya par lesquels les Mahïsâsaka et les Sarvâstivâdin remplacent ceux que les Dharmaguptaka ont consacrés au stupa soient surtout le produit de la multiplication, pour des raisons de précision, de règles qui figuraient déjà sur les listes des Dharmaguptaka et des Mahâsânghika. Ainsi, la prescription de porter ses vêtements disposés de façon convenable devient : ne pas les porter trop en haut, ni trop en bas, ni de hauteur inégale, ni en forme de palme, ni en forme de trompe d'éléphant, ni en forme de mangue, ni en petits plis, ni en forme de tête de hache, etc. Il en est de même des règles à observer quand on entre et quand on s'assied dans la maison d'un laïc, qui se multiplient chez ces deux sectes et même dans les trois autres sans rien apporter, semble-t-il, d'essentiel dans ces nouveautés. Comme il est invraisemblable que les Dharmaguptaka aient abandonné 26 règles antérieurement
274 ANDRÉ BAREAU admises pour les remplacer par celles qui concernent le stupa, on peut penser que celles-ci furent consignées dans leurs Prâtimoksa à l'époque où les autres sectes du Nord complétèrent aussi leurs listes des siksàkaraniya, quoique de façon différente, pour que chacune de celles-ci renferme environ cent articles. La liste des Dharmaguptaka est la seule qui contienne exactement ce nombre, les autres le dépassant généralement de quelques unités. La présence de la règle 18, qui concerne l'image du Buddha, permet de dater du début de notre ère la fixation à cent du nombre des siksàkaraniya chez les Dharmaguptaka et vraisemblablement, comme nous venons de le voir, dans les autres sectes du Nord de l'Inde également. Remarquons que cette règle 18 est la seule qui ne figure pas aussi dans le passage du Ksudrakavastu des Dharmaguptaka consacré au stupa où elle n'aurait cependant pas été plus déplacée que parmi les siksàkaraniya de cette catégorie. Ceci semble prouver que le passage en question est antérieur à notre ère, probablement de quelques années seulement, sous la forme que nous lui connaissons et que les siksàkaraniya concernant le stupa en ont été tirés un peu plus tard. On peut classer les sectes dont nous possédons les Vinayapitaka selon l'intérêt canonique qu'elles portaient au stupa et au culte qui lui était rendu. Il y a tout d'abord les Theravàdin, qui ne parlent guère du stupa dans leur Vinayapitaka, à la seule exception de la double règle concernant la nourriture disposée en forme de stupa et dont l'interprétation n'est pas claire (nourriture formant un dôme au-dessus du bol, donc en excès?). Pour eux, la construction et le culte du stupa sont l'affaire des laïcs et non des moines. Viennent ensuite les Sarvàstivàdin, qui n'accordent qu'une très légère attention au stupa dans leur Sayanavastu et leur Ksudrakavastu et placent les règles de la construction et du culte de ce monument dans les parties les plus récentes et les moins canoniques de leur recueil, V Ekottaradharma et la Récitation des moines. Ils n'ont donc commencé à leur accorder un certain intérêt que fort tard, très peu avant le début de notre ère semble-t-il. Les Mûlasarvâstivàdin ont sans doute opéré d'abord comme les Sarvàstivàdin car, dans leur Ksudrakavastu, les règles en question sont dispersées sous forme de quelques très brefs passages, réduits souvent même à quelques mots, et ne sont groupées de façon systématique et complète que dans leur Nidânamâtrkâ qui est tardive. Les Mahâsânghika, les Mahïsàsaka et les Dharmaguptaka ont accordé de bonne heure, vers le IIe siècle avant notre ère, une grande attention à la construction et au culte du stupa, groupant les règles relatives à celui-ci dans leur Ksudrakavastu, autour d'un récit ancien racontant la découverte par le Bhagavant du stupa du Buddha Kàsyapa et l'érection d'un autre monument du même type sur l'emplacement de celui-ci. Bien entendu, pendant deux ou trois siècles, ce long passage fut remanié et reçut des additions diverses. Enfin, les Dharmaguptaka ont cru bon d'ajouter à leurs Prâtimoksa et, par contre-coup, à leur Bhiksuvihhaňga, 26 règles mineures relatives au culte du stupa vers le début de notre ère, donc à l'époque où les Sarvàstivàdin et les Mûlasarvâstivàdin commençaient seulement à attribuer de l'intérêt à cette question. Pour eux donc, le culte du stupa était devenu un élément fort important de la vie des moines eux-mêmes. Notons que l'on retrouve, sur ce point particulier, des affinités entre les Mahà- sànghika, les Mahïsàsaka et les Dharmaguptaka analogues à celles qui existent entre ces trois sectes sur le plan doctrinal ^K