Le nouvel « Ordo Missae
»
Présentation par le R. P.
Bugnini
Dans
l'Osservatore
Romano du 29
janvier 1965, le R. P. Annibale Bugnini, C. M., secrétaire
du Conseil pour l'application de la Constitution sur la
liturgie (il vient d'être nommé sous-secrétaire de la
congrégation des Rites pour la liturgie), présente ainsi
les éléments nouveaux qui se trouvent dans le
nouvel Ordo
Missae publié en
janvier 1965 par la Polyglotte vaticane
(1):
L'imprimerie de la Polyglotte
vaticane fait paraître ces jours-ci le nouvel
Ordo
Missae, ainsi que
le Ritus
servandus et
le De
defectibus, trois
opuscules qui règlent la partie cérémoniale de la
célébration de la messe. Doit sortir en même temps
l'édition du Kyriale
simplex, recueil
de schèmes très faciles de mélodies grégoriennes pour la
messe chantée, et les Cantus, qui in Missali romano
desiderantur,
petite collection de mélodies requises par l'Instruction du
26 septembre 1964 et par le Ritus
concelebrationis,
pour le canon de la messe, pour le Pater quand il est chanté par tous, pour
l'oratio
fidelium.
Sur le même plan se situe un
volume réservé aux Commissions liturgiques qui ont la
charge, dans chaque nation, de préparer les schèmes de
l'oratio
fidelium. Il ne
s'agit pas d'un recueil de schèmes déjà préparés, ce qui
serait contraire à l'une des lois fondamentales de
l'oratio
fidelium, mais
d'un guide pour la préparation de ces schèmes. C'est
pourquoi les sept ou huit exemples proposés à la suite du «
Directoire pratique » ne sont pas des formulaires « prêts à
servir », mais plutôt des modules sur lesquels doivent être
formulés les schèmes que les conférences épiscopales
nationales devront approuver.
Nous reviendrons
successivement sur chacune de ces publications quand
l'occasion s'en présentera. Faisons cependant remarquer que
celles-ci rentrent dans le programme de travail pour
l'application progressive de la Constitution liturgique, et
qu'elles sont le fruit de la collaboration harmonieuse et
responsable du Conseil pour l'application de la
Constitution de liturgie et de la congrégation des Rites.
Nous nous arrêterons
aujourd'hui sur l'Ordo Missae, fondamental et si attendu, qui paraît
en premier.
Le titre de cet article
dit: Nouvel (Ordo
Missae). Ce n'est
pas exact. On devrait dire rénové, mis à jour, car, malgré les retouches, les
adaptations, les corrections, l'Ordo Missae n'a pas substantiellement changé de
visage. Le latin lui-même est resté le latin simple et
débonnaire des bons cérémoniaires romains qui, depuis le
début du XVIe siècle, ont donné leur style à une glande
partie de ces très sages règles pratiques.
Mais alors, en quoi consiste
ce renouvellement de l'Ordo Missae?
Dans l'adaptation aux
exigences de la Constitution conciliaire et de
l'Instruction, exigences qui, schématiquement,
peuvent se résumer ainsi: Distinction claire et naturelle,
également pour le lieu de la célébration, des deux parties
entre lesquelles se divise idéalement la messe: liturgie de
la parole et liturgie de l'eucharistie. Distinction de
lieu, parce que la première se déroulera de préférence au
siège ou à l'ambon, la seconde à l'autel, lieu du
sacrifice, table du banquet eucharistique; 2° une
participation pieuse, active et consciente des fidèles au
rite sacré, ce qui est le but de toute la reforme
liturgique.
Ces deux principes et les
règles déjà fixées par l'Instruction ont guidé la révision
de l'Ordo
Missae et
du Ritus
servandus. On
sait que les deux exposés ne s'opposent mais se complètent.
L'Ordo
est une synthèse du
Ritus; dans l'Ordo, les cérémonies sont seulement
esquissées; le Ritus, par contre, entre davantage dans les
détails. Souvent trop. Quelques-uns ont été supprimés, car
ils étaient vraiment superflus; par exemple, quelle
nécessité y avait-il de dire que pour revêtir l'aube, le
célébrant doit « baisser la tête et enfiler d'abord le bras
droit et puis le gauche »? D'autres sont restés qui seront
encore utiles: par exemple, la manière d'encenser l'autel.
Quelques
particularités
Voici
quelques détails:
Pour indiquer le
ton de voix du
célébrant (chant
ou partie dialoguée avec l'assemblée), une seule et unique
indication est donnée: congrua voce (avec la voix qui convient), parce que,
selon les cas et ce que lui dictera le bon goût et le bon
sens, le célébrant modère et règle sa diction pour
l'harmoniser avec la voix ou le chant de l'assemblée et de
la schola.
Les côtés de l'autel —
désignés d'abord par l'expression cornua
altaris, et
depuis 1960 par les mots « côté de l'Epître » et « côté de
l'Evangile » — sont maintenant appelés tout
simplement « côté droit » et « côté gauche », parce que,
avec l'usage habituel de l'ambon et de l'autel tourné vers
le peuple, l'ancienne formule serait devenue inexacte ou
engendrerait de la confusion.
A l'autel,
depuis l'offertoire
jusqu'à la fin, le Missel restera toujours à
gauche, même pour
la communion et la postcommunion, que le célébrant lira en
restant au centre, comme pour les oraisons solennelles du
Vendredi saint, Cela présente l'avantage d'éviter un
déplacement du Missel qui n'a pas de raison d'être et de
faciliter l'installation de microphones stables sur l'autel
pour que l'assemblée entende mieux.
Comment se déroulera le
rite de la messe
Parcourons
maintenant la messe en soulignant quelques particularités.
Comme avant, elle commencera
par le verset Introïbo ad altare
Dei. Certains
pensaient que celui-ci aussi aurait dû également
disparaître avec le psaume 42. Une antienne sans le psaume
correspondant est une anomalie, disaient-ils. Mais il n'y a
pas d'anomalie. En restant isolé, il n'a plus le caractère
d'antienne, mais celui d'un verset psalmodique, et les
séries de versets psalmodiques qui précèdent et
introduisent un rite sont loin d'être rares dans la
liturgie; par exemple, le verset Deus tu conversus
et les suivants qui précèdent
l'Aufer a
nobis. Voici un
exemple bien approprié: au temps de la Passion et aux
messes des défunts on ne dit pas le psaume 42, mais on dit
le verset Introïbo. Enfin, il serait vraiment déplaisant
que dans la restauration finale cette petite perle ait
disparu de l'Ordo
Missae. Ces deux
phrases alertes et joyeuses expriment merveilleusement les
« motifs » qui donnaient leur sens au rite, le sens d'un
mouvement matériel et spirituel vers l'autel du sacrifice
(lntroïbo) et les dispositions intérieures qui
l'animent (laetificat
iuventutem). Le
sens reste le même dans la nouvelle version:
Deus laetitiae et
exsultationis.
Enfin, l'Introïbo a tout un parfum pascal et lie
ce
sacrifice, tout sacrifice, à
celui du Christ passus, sepultus,
suscitatus. Dans
la tradition ambrosienne, après le baptême, les néophytes
faisaient leur entrée dans l'Ecclesia fratrum
au chant de
l'Introïbo.
Après avoir baisé l'autel (ou
après l'encensement à la messe chantée), le célébrant se
rend à la banquette. Il pourrait rester à l'autel jusqu'à
la collecte. Des liturgistes hâtifs ont indiqué cette
solution comme normale. Il s'agit, en fait, d'un
expédient: l'endroit propre de la liturgie de la
parole, c'est la banquette et
l'ambon.
Si le peuple ou la schola
chantent ou récitent l'introït, le Kyrie, le Gloria, les chants après les lectures, le
célébrant ne les lit pas pour son propre compte, il les
écoute ou s'associe au chant commun. Mais, naturellement,
il entonne le Gloria, dit ou chante la collecte, en se
tournant vers l'assemblée.
Après le chant ou la lecture
de l'Epître, le graduel est le chant de méditation auquel toute
l'assemblée doit participer, en alternant le refrain propre
avec le chant des versets par la schola.
L'Evangile est réservé au célébrant, ou au diacre
aux messes chantées. Ce dernier encense le livre des
Evangiles, mais, désormais, il omettra l'encensement du
célébrant, cérémonie assez récente et déplacée. L'attention
et la vénération seront ainsi davantage concentrées sur le
livre sacré qui contient la parole de Dieu.
Suit l'homélie. A
l'Incarnatus du Credo, on ne fait plus la génuflexion, mais on
s'incline seulement, sauf à Noël et à l'Annonciation. Vient
ensuite l'oratio
fidelium.
Le célébrant se rend alors à
l'autel qu'il baise. L'offertoire se conclut par
la prière sur les
offrandes (secrète), dite à haute voix ou chantée
jusqu'à la conclusion amen, répondue par l'assemblée.
Puis vient la préface, dont
le Sanctus est le couronnement inséparable
(dicentes:
Sanctus), lequel
est chanté ou récité par toute l'assemblée. Le célébrant,
seul, commence ensuite le canon à voix basse. Les rubriques et les
formules de la prière eucharistique restent inchangées.
Cependant, à la doxologie finale, le célébrant prend
l'hostie et le calice avec ses deux mains, les élève
ensemble et chante ou dit à haute voix Per ipsum jusqu'à per omnia saecula
saeculorum,
auquel toute l'assemblée répond unanimement et avec
force: amen. C'est la « ratification » par tout le
saint peuple de Dieu de ce que le célébrant vient
d'accomplir en se retirant dans le mystérieux silence de la
grande prière consécratoire.
Après le Pater chanté ou récité par le célébrant et les
fidèles, d'un seul coeur, le célébrant module à haute voix
l'embolisme (d'emballo, j'interpose), c'est-à-dire une prière
qui développe et reprend une formule précédente: en effet,
le Libera développe la dernière demande du
Pater
(sed libera nos a malo. — Libera
nos). Pendant
l'embolisme, le célébrant ne se signe plus avec la patène
et ne la baise plus.
Suivent les rites de la
communion. Dans le texte de l'Ordo, on a également inséré les rubriques de
la communion des fidèles: c'est un fait... rédactionnel, il
est vrai, mais qui ne manque pas de signification: une
messe sans communion des fidèles est un anneau sans perle.
Enfin, le congédiement de
l'assemblée.
Donner un style aux
célébrations liturgiques
Celui qui
est quelque peu familiarisé avec le Missel verra tout de
suite que, substantiellement, rien n'est changé. Le ton est
changé, mais la mélodie reste celle d'hier, celle de
toujours. Même dans les retouches, tout a été examiné
délicatement et attentivement, avec le coeur plus qu'avec
l'esprit, pour harmoniser le rite avec les règles, sages et
précises, tracées par les documents conciliaires.
Evidemnment, le nouvel
Ordo Missae
reste dans les limites
assignées: il décrit un rite, il ne s'intéresse pas à ses
formes, même si celles-ci, aujourd'hui plus que jamais,
posent des quantités de problèmes dont ne peut se
désintéresser celui qui doit peser les conséquences des
dispositions positives.
Avant tout, on doit penser à
ce que l'Ordo
Missae représente
pour nos réunions liturgiques. Certes, la manière
d'accomplir un rite n'est pas l'essentiel, mais ce n'est
pas non plus un élément secondaire. Ce n'est, pas le
trésor, certes, mais c'est l'écrin précieux qui le
contient. Autrefois, on a eu un excessif attachement pour
la partie extérieure de la liturgie. Aujourd'hui, peut-être
pèche-t-on par défaut. D'avoir retrouvé la perle ne nous
fait-il pas souvent oublier de lui donner un chaton qui
soit digne d'elle? Cette application de I'Eglise à ciseler
le rite de la messe avec une exactitude si scrupuleuse
n'est-elle pas une invitation pour chaque prêtre à donner
un « style », à « célébrer » et non seulement à « dire » la
messe?
La langue du
peuple
Dans
l'Ordo, pas d'allusion à la langue du peuple
qui, le 7 mars, constituera la plus grande nouveauté dans
la célébration communautaire de la liturgie. Dans tous les
pays, au cours de ces six derniers mois, on s'est efforcé
de préparer les textes en langue du peuple, au moins pour
les messes des dimanches et fêtes.
Rendre dans une langue
vivante un texte liturgique en lui conservant sa vigueur
originelle est, je crois, un travail littéraire des plus
ardus. Le manque de temps et, parfois, le manque de moyens
techniques et de personnel ont accru les difficultés. Quoi
qu'il en soit, même si elles ne sont pas parfaites, les
traductions sont entrées ou entreront en vigueur.
L'expérience, le temps, l'usage permettront, dans les
années qui suivront, de limer et de perfectionner les
textes, afin qu'ils réunissent le plus large assentiment et
expriment dignement la prière de l'Eglise.
Le chant
sacré
Le problème
du chant présente des difficultés encore plus grandes. Une
messe sans chant est comme un jour sans soleil. Une
paroisse qui ne chante pas, disait souvent le Saint-Père
quand il était archevêque de Milan, ne chante en aucune
manière. Si pour la messe solennelle le chant est partie
intégrante du rite, pour les messes avec peuple, il est
l'élément indispensable de participation et de vie. C'est
pourquoi l'effort fait par la pastorale liturgique depuis
quelques années pour faire chanter toutes nos assemblées,
depuis la plus humble paroisse de montagne jusqu'aux plus
majestueuses célébrations des illustres et spacieuses
cathédrales, est digne d'admiration et d'encouragement.
Mais avec l'introduction de
la langue du peuple, ne va-t-on pas perdre le patrimoine
grégorien, polyphonique, artistique de la musique sacrée?
Les scholae ne perdent-elles pas leur raison d'être?
Ce serait une grave erreur et un dommage encore plus grand.
Pour cela, la Constitution liturgique dit « que la musique
sacrée soit conservée et favorisée avec le plus grand soin
» (art. 114). Conserver et favoriser sont ici synonymes de
défendre, diffuser, augmenter, soutenir. Il sera donc
toujours possible — dans le cadre des dispositions
conciliaires et des décisions des conférences épiscopales
— d'exécuter une messe grégorienne, polyphonique ou
en musique moderne, avec le texte des chants en latin,
pourvu que soit assurée la participation des fidèles dans
les parties qui leur sont propres et que, au moins les
lectures et l'oratio communis
(art. 54), soient dites en
langue du peuple, en vue de la catéchèse.
De cette manière, l'Eglise
peut et doit continuer à louer le Seigneur dans tous les
genres musicaux, la vitalité des scholae est assurée ainsi que la « conservation
du trésor inestimable » de la musique sacrée.
S'il faut encourager l'effort
pour redonner intérêt et vitalité aux assemblées
liturgiques, les compositeurs, maîtres de chapelle et
artistes méritent une grande gratitude, eux qui ont servi
et servent encore la liturgie avec tant d'abnégation et de
sacrifice, et dont les créations à travers les siècles sont
une des gloires les plus pures de l'Eglise.
Aussi, les désirs, les
aspirations et les voeux exprimés dans un récent Congrès ne
peuvent que rencontrer l'approbation de tous ceux qui
aiment la sainte liturgie. Tous unis, una voce, pour un culte du Seigneur joyeux et
élevant. C'est un motif de réconfort et d'espérance de voir
que ceux qui, par leur formation et leur tempérament, sont
doués d'une particulière sensibilité artistique, sont
résolus à entrer généreusement dans le sillon lumineux
tracé par la Constitution conciliaire. On peut donc
regarder l'avenir avec plus de confiance, également en ce
qui concerne la formation d'un chant religieux populaire
digne des plus pures traditions du génie de notre peuple et
des nouvelles nécessités du culte divin.
A. BUGNINI.
(1) Traduction
de la
DC d'après le
texte italien. Nous rappelons les nouvelles prescriptions
concernant l'Ordo
Missae contenues
dans l'instruction du Consilium et qui sont applicables à partir du 7
mars 1965. (DC 1964, n° 1435, col. 1367.)