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Rencontre avec Julia Fischer : "Mon violon est un ami, pas plus"

C'est un phénomène dans le monde musical. Violoniste adulée, elle est aussi... pianiste. Entretien sans langue de bois avec une artiste qui a su rester lucide...

PAR Olivier Bellamy | RENCONTRES | 31 août 2010
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Classica

Quels ont été les violons de votre vie, au sens où l'on parle des hommes de sa vie ?
Je joue sur un violon adulte (4/4) depuis que j'ai dix ans. La qualité de mes instruments s'est améliorée avec le temps : Ventapane, Gagliano puis Testore, jusqu'à un Guarneri del Gesu en 1998. Pourtant, je n'ai guère été heureuse avec ce violon et j'ai changé pour un Stradivarius [le "Booth" de 1716, propriété de la Nippon Music Foundation] sur lequel j'ai joué quatre ans et qui m'a comblée. Mais j'ai toujours eu envie d'avoir mon propre instrument. Donc, il y a six ans, j'ai acheté à Londres, sur le conseil du Konzertmeister de l'Academy of St. Martin-in-the-Fields, l'un de mes meilleurs amis, le Guadagnini de 1742 qui a appartenu à Iona Brown et avec lequel je suis "mariée". C'est effectivement comme avec un homme : on ne trouve pas le violon parfait mais on apprend à aimer ses défauts.

JULIA FISCHER

1983
Naissance à Munich
1995
Remporte le concours Yehudi Menuhin à onze ans
2003
Débuts au Carnegie Hall avec Lorin Maazel
2005
Enregistre pour Pentatone les Sonates et Partitas pour violon seul de Bach
2008
Joue le Concerto de Grieg à Francfort où elle enseigne le violon
2010
Sortie des Caprices de Paganini, son second album chez Decca


LE VETO DE THIBAUDET

Julia Fischer hésitait entre jouer un concerto de Chopin et le Concerto pour piano de Grieg. Elle a donc téléphoné à Jean-Yves Thibaudet, qui est tombé des nues lorsqu'il a appris son projet prévu pour le concert du Nouvel An à l'Opéra de Francfort :
"Je lui ai déconseillé le Chopin : trop difficile", affirme le pianiste. "Il faut être très en doigts. Moi-même, si j'ai quinze jours de vacances, je peux jouer Grieg ou Ravel sans problème, mais certainement pas un concerto de Chopin."
Les deux musiciens ont joué le Concerto pour violon et piano de Mendelssohn en tournée en 2007. "Je l'entendais travailler son Grieg au piano dans la loge d'à côté. C'est une musicienne concentrée et intense. J'ai hâte de voir le DVD."



NOUVEAUTÉS


Viennent de paraître chez Decca : les Caprices de Paganini (chronique dans ce numéro), et en DVD le Concerto pour violon n° 3 de Saint-Saëns et le Concerto pour piano de Grieg (chroniqué ultérieurement).

Julia Fischer
Paganini : 24 Caprices Op. 1
1 album simple DECCA


Écouter et Télécharger
Disponible en Vraie Qualité CD

Écoutez et Téléchargez les albums de Julia Fischer


CONCERT
Julia Fischer jouera le Concerto pour violon n° 1 de Chostakovitch le 13 novembre au Théâtre des Champs-Élysées avec le London Philharmonic Orchestra sous la direction Vladimir Jurowski


Pourquoi ne pas avoir choisi de vivre avec un Stradivarius ?
Pour moi, le plus important, c'est que je décide moi, pas l'instrument - ce qui peut être souvent le cas avec un Stradivarius. Mon violon me donne toutes les possibilités et m'inspire, mais en fin de compte, c'est moi qui décide où l'on va. Récemment, j'ai joué avec l'Academy of St. Martin-in-the-Fields et les musiciens étaient heureux de retrouver l'instrument avec lequel ils ont joué pendant près de vingt ans. C'était très bien, mais pour moi, ce détail instrumental relève de l'anecdotique.

Recherchez-vous une complémentarité avec l'instrument ? Il flatterait vos qualités et compenserait vos "faiblesses".
Non, si j'ai des faiblesses, je les corrige moi-même. Je ne suis pas quelqu'un qui pense que si quelque chose ne va pas, c'est la faute du violon. Je pense que c'est moi le problème. À un moment, j'ai pensé jouer sur un instrument moderne par souci de simplicité, mais on n'obtient pas des résultats aussi satisfaisants. En revanche, mon archet est l'œuvre de Benoît Rolland, un Français qui vit à Boston.

Quelle est votre relation avec votre ou vos luthiers ?
Ma relation avec les luthiers est, disons, compliquée. Je n'ai pas vraiment quelqu'un d'attitré et j'ai presque toujours un peu peur d'y aller : ils veulent toujours changer le violon et finalement je dois m'adapter de nouveau à l'instrument. J'y vais donc rarement.

Vous pouvez leur dire ce que vous souhaitez...
... oui, mais je n'ai pas la patience. Les luthiers ne peuvent pas s'empêcher de vouloir améliorer quelque chose, et moi je trouve que le résultat n'est pas forcément mieux. Je sais qu'il y a de bons luthiers à Paris, mais à Munich, où je vis, aucun ne me satisfait vraiment.

Venez vivre à Paris !
Je suis née à Munich, j'y ai ma famille et mon mari travaille à Munich ! Je me rends chez le luthier une fois par an, c'est suffisant... C'est une question de tempérament ou de philosophie de la vie. Je joue souvent avec le violoncelliste Daniel Müller-Schott - un musicien extraordinaire - qui est constamment chez son luthier. Presque chaque jour ! Quand je mets de nouvelles cordes à mon violon, il l'entend ! Alors que lui, s'il change quelque chose à son violoncelle, je ne me rends compte de rien. On est très différents sur ce point. Comment vous dire ? J'aime bien mon violon, c'est un ami, je le soigne, mais au bout du compte, ce n'est qu'un instrument. Je ne lui parle pas, je ne lui donne pas de nom, il me sert à faire de la musique, pas plus. Pour moi, la chose importante, c'est la musique. D'ailleurs, je ne préfère pas le violon au piano.

Avez-vous un piano chez vous ?
Pour l'instant non. Mais bientôt, je déménage dans une maison et j'en aurai de nouveau un, probablement un petit piano à queue Yamaha. J'essaye toujours de jouer du piano régulièrement, sans travailler la technique. Je joue rarement des études (sauf Chopin, évidemment), mais plutôt la grande littérature. C'est fantastique à quel point le répertoire soliste du piano est immense ! Alors qu'au violon, on n'a en principe que Bach, Paganini et Ysaÿe. Mais ma relation avec l'instrument est bien plus intense au violon. Et la communication avec les autres musiciens est plus directe et plus intense aussi, tant dans la musique de chambre qu'avec orchestre.

Pourquoi êtes-vous devenue violoniste ?
C'est un hasard. Ma mère est pianiste et chacun de ses enfants devait naturellement apprendre le piano, mais on m'a également collé un violon dans les mains à trois ou quatre ans et j'ai mené les deux instruments de front. À huit ans, un chef d'orchestre m'a entendue jouer du violon et il m'a invitée avec son orchestre. C'est pour cela que je suis devenue violoniste, mais ce n'est pas une volonté de ma part. Je ne l'ai pas décidé et j'ai toujours continué à jouer du piano.

En 2008, vous avez joué le Concerto pour piano de Grieg et le Concerto pour violon n° 3 de Saint-Saëns au cours de la même soirée à Francfort. Pourquoi avoir voulu faire vos "débuts" comme pianiste professionnelle à vingt-cinq ans ?
Pour dire un dernier au revoir au piano avant de me résoudre à seulement être une violoniste. Ce n'est pas un adieu parce que je continuerai à jouer pour moi à la maison ou en musique de chambre en public. Mais j'ai une famille maintenant, une petite fille de neuf mois, et c'est trop compliqué de mener de front plusieurs activités. Donc, j'ai voulu me faire plaisir avec un beau concerto pour piano avant que ce ne soit plus possible.

Les pianistes estiment que le violon est beaucoup plus difficile que le piano...
Oui, mais on a plus de notes à jouer au piano. Il faut organiser la polyphonie alors qu'on ne s'occupe que de la mélodie au violon. Donc, ça se vaut. Ce qui est difficile, c'est la musique. Dans les deux cas.

Vous venez d'enregistrer les Caprices de Paganini qui sont l'Everest de la virtuosité au violon. Pourquoi selon vous Paganini a-t-il autant fasciné les compositeurs de son temps ?
Les Caprices, et peut-être même Paganini comme compositeur, représentent pour moi une révolution dans la musique. Dans un certain sens, il est le premier romantique, la première "star" de la musique classique. Il gagnait un argent fou et transcendait le public autant par sa personne que par sa musique. Je n'approuve ni ne désapprouve cela, mais c'est un fait établi. Je crois qu'il a surtout fasciné les autres compositeurs à cause de son originalité incroyable, car il a compris son instrument d'une façon totalement nouvelle. Il inventait de nouveaux mondes sonores, des couleurs, des techniques, etc. Ainsi il a forcé des compositeurs comme Liszt ou Schumann à découvrir le piano d'une autre manière et à opérer à leur tour la révolution de leur instrument. On oublie trop souvent l'importance historique de Paganini pour toute la musique romantique, pas seulement pour le violon, même si on ne peut évidemment pas comparer son œuvre à celle d'un Mozart ou d'un Beethoven.

En quoi ce répertoire est-il difficile ?
Dans le fait d'oublier les difficultés. Enfant, on travaille les Caprices pour apprendre la technique, mais quand on les joue en concert ou qu'on les enregistre, il faut dépasser tout cela. Il est raisonnable de jouer ces pièces pour des raisons musicales ou artistiques, pas pour la technique, même si la virtuosité peut certainement être un moyen d'expression et peut même devenir un art dans certains cas.

Avez-vous pris du plaisir en les jouant ?
Oui, surtout ceux que j'ai travaillés jeune, vers l'âge de douze ans. Je me souviens de les avoir entendus à huit ans joués par Thomas Zehetmair dans une église. À la fin, je m'étais dit : si j'arrive moi aussi à les jouer tous un jour, je serai devenue une vraie violoniste.

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