Mitchiko Ishigami-Iagolnitzer, Ryôkan, moine zen,
CNRS Éditions, 2001,
ISBN 2-271-05872-4
Dans ce très beau livre, il est question de Ryôkan, moine zen mais aussi grand poète japonais. L’ouvrage, très documenté, est divisé en deux grandes parties : la vie de Ryôkan d’une part, l’essence de sa pensée de l’autre.
L’auteur décrit d’abord le cadre historique, géographique, sociologique qui vit naître le « moine fou » : un Japon encore féodal dirigé par les shôguns – une région (la côte Nord-Ouest) froide en hiver, couverte de neige plusieurs mois de l’année – une famille habituée à des rôles dirigeants depuis plusieurs générations, jusqu’à ce qu’Inan, père de Ryôkan, connaisse une disgrâce qui l’entraînera au suicide et poussera son fils, promis plutôt au rôle de percepteur d’impôts, à « quitter sa maison » pour entrer dans un monastère zen.
Sous la direction du maître Kokusen, il étudie la voie du zen soto, vouant une admiration sans bornes au shôbôgenzo de Dogen. Il reçoit de son maître l’appellation de la voie : Taigu (« grand idiot », allusion à sa grande taille et clin d’œil affectueux de Kokusen à son apparente simplicité d’enfant). Son maître meurt bientôt. Il se retrouve en porte-à-faux dans une institution monastique qu’il juge intéressée, voire dépravée. Sa voie (sa vie) sera dorénavant cette d’un solitaire, itinérant d’abord, ermite ensuite. Il deviendra peu à peu une légende vivante, un bodhisattva, un calligraphe, un poète, jouant à la balle avec les enfants, l’ami de tous et même des animaux qui ne le craignent pas, le fou qui, un jour, mettra le feu à une partie de sa maison en tentant de creuser, dans le toit de chaume, un trou pour permettre le passage à un bambou qui avait poussé là, celui qui, ne possédant que le bol et le kesa, se dépouillera de ce dernier pour l’offrir au voleur venu le visiter.
À la fin de sa vie, Ryôkan aura la joie de connaître l’amitié (l’amour ?) d’une nonne « très belle et très sage », de quarante ans sa cadette : Teishin. Avec quelques amis, elle assistera le vieux maître au moment de sa mort, à 73 ans. Le vieux sage qui aura cheminé toute sa vie sur la voie du zen et dont les dernières paroles seront : « Je ne veux pas mourir. »
Dans la deuxième partie du livre, l’auteur décrit les principaux fondements de la pensée de Ryôkan, cette pensée du moine bouddhiste inséparable de sa vie : dénuement, nourriture mendiée, pratique assidue du zazen, amour et compassion universels suivant l’idéal du bodhisattva, jouissance de l’éveil intérieur dans la concentration et le recueillement, abandon au mouvement naturel de la loi…
Ryôkan, poète, moine, bodhisattva, saint fou, n’a pas fondé de dojo, pas formé de successeur, pas transmis le shihô (qu’il n’avait d’ailleurs pas reçu lui-même). Mais son exemple d’abord, ses poèmes ensuite, ont vivement interpellé celles et ceux qui l’ont rencontré, directement ou par les textes qu’il nous a laissés. Le découvrir à travers ce livre qui lui rend hommage, c’est peut-être une occasion de se renforcer dans la croyance fondamentale qui nous rattache à maître Dogen, cette foi dans le zazen qui s’exprime par exemple avec force dans ce poème avec lequel nous conclurons cette brève présentation en donnant la parole à Ryôkan lui-même :
« Une nuit calme, au-dessous de la fenêtre vide,
Je fais le zazen en m’enveloppant dans le kesa.
Le nombril s’oppose aux narines.
Les oreilles pendent sur la tête des épaules.
La fenêtre devient blanche. La lune commence à sortir.
La pluie a cessé, mais les gouttes d’eau tombent encore fréquemment.
Il faut sentir ce que signifie ce moment.
Seul celui qui fait zazen le sait. »
Shin Shu, Pratiquant au dojo de Mons