La perte des 118 canons L’Orient (1798) et L’Impérial (1806).

Comme je le précise dans mon article consacré aux vaisseaux à trois-ponts du XVIIIe siècle, “seuls” deux vaisseaux de 118 canons français ont été perdu au combat, si l’on excepte le cas particulier de la capture du Commerce de Marseille à Toulon en 1793. Il s’agit de L’Orient et de L’Impérial. Voici un billet consacré à ces deux vaisseaux :

  • L’Orient (1791 – 1798).

En 1790, deux ans après le lancement du Commerce de Marseille et peu de temps avant celui des États de Bourgogne, rigoureusement identique, la Marine décide de débuter la construction, à Toulon, d’un nouveau vaisseau à trois-ponts de type 118 canons de Sané. Lancé le 20 juillet 1791 sous le nom de Dauphin Royal, le navire, tout comme ses deux grands frères cités plus haut, était long de 65,18 mètres, large de 16,24 m, ayant un creux de 8,12 m et un déplacement de 2700 tonneaux. Son armement, conformément au Règlement de 1786, est également identique avec 32 canons de 36 livres, 34 canons de 24 livres, 34 canons de 12 livres, 18 pièces de 8 livres et 6 obusiers de 36 sur la dunette.

Lors du siège de Toulon, pendant lequel s’illustre le général Bonaparte, le trois-ponts échappe de peu à la destruction par incendie, du fait du départ précipité des anglais en décembre 1793. Le Commerce de Marseille n’a cependant pas la même chance puisqu’il est capturé, au cours du siège, par la Royal Navy.

Durant la Révolution, le vaisseau change trois fois de nom, au gré des fluctuations politiques : Le Dauphin Royal jusqu’en septembre 1792, Le Sans-Culottes jusqu’en mai 1795, puis L’Orient, nom définitif et prédestiné.

Le 19 mai 1798, Napoléon Bonaparte s’embarque sur le vaisseau, portant la marque de l’amiral Brueys, commandant de l’escadre chargée d’amener Bonaparte et l’armée d’Orient en Égypte. Près de 1000 hommes dont 5 généraux et 26 officiers supérieurs s’entassent à bord du navire qui est de loin le plus imposant de la rade de Toulon. Plusieurs centaines de bâtiments de toutes tailles, dont 15 vaisseaux de ligne et 15 frégates, transportant 46.000 hommes (36.000 hommes du corps expéditionnaire et 10.000 marins), participent à la traversée de la Méditerranée vers l’Égypte. Lors du départ de l’escadre, L’Orient, dernier navire à appareiller de Toulon, touche le fond du fait de son chargement trop important.

Moins d’un mois après le départ de Toulon, le 10 juin, l’escadre française se présente devant le port de La Valette, capitale de l’île de Malte. Bonaparte envoie le général Desaix auprès du Grand Maître de l’ordre, Ferdinand de Hompesch, afin de lui demander l’autorisation de se ravitailler en eau. Celui-ci refusant, au nom d’un principe selon lequel aucune puissance en état de guerre ne peut faire entrer plus de deux vaisseaux dans le port de La Valette, les hostilités sont inévitables. Au terme de brefs combats, Malte capitule finalement le 12 juin.

Poursuivant sa route, la flotte française, échappant à la surveillance des escadres anglaises avec une incroyable chance, effectue un débarquement le 1er juillet à Alexandrie, conquise le lendemain. Cependant, les vaisseaux de Brueys, n’ayant pu pénétrer dans le port de la ville, décide de jeter l’ancre sous le fort d’Aboukir le 5 juillet.

Le 1er août, l’évènement tant redouté finit par arrivé. La flotte française, alors composée de 14 vaisseaux et 4 frégates, est surprit au mouillage par l’escadre anglaise sous les ordres de l’amiral Nelson.

A 17 heures, L’Orient ordonne à tous les bâtiments de se réunir les uns aux autres par de gros câbles, pour éviter que l’ennemi ne puisse franchir la ligne. Un bref et néanmoins intéressant article consacré à “L’explosion de l’Orient” signé Michèle Battesti, qui est notamment l’auteur d’un ouvrage consacré à “La bataille d’Aboukir”, relate la malheureuse fin du vaisseau à trois-ponts français durant cette bataille :

« Placé au centre du dispositif décidé par Brueys, l’Orient avait commencé par foudroyer le Bellerophon. À 19h30, intervenait le premier drame : la mort de Brueys, presque coupé en deux par un boulet. Une heure plus tard, son capitaine de pavillon, Casabianca, était blessé gravement à la tête. Jusqu’à cinq vaisseaux anglais s’acharnèrent sur l’Orient. À son bord, plusieurs débuts d’incendie avaient été maîtrisés, mais le feu reprenait sans cesse, alimenté par les peintures et l’huile répandues sur le pont. À 21h45, un nouvel incendie se déclara dans les porte-haubans d’artimon à bâbord et se propagea dans la mâture. Mais cette fois, il devint incontrôlable. Selon la loi des séries, tout se conjugua pour enrayer la lutte contre le feu à laquelle les hommes de la batterie de 24 avaient été appelés : pompe à incendie brisée ; haches de combat inaccessibles ; seaux dispersés… Le vaisseau était la proie des flammes de l’avant à l’arrière. Devant l’ampleur et la violence du sinistre, Ganteaume décida de noyer les poudres, mesure ultime pour sauver le bâtiment au prix de son désarmement. Le maître calfat ouvrit les robinets. Mais c’était trop tard, le feu progressait plus vite l’eau. Ganteaume n’eut d’autre alternative que d’ordonner l’évacuation de l’Orient. Dans le sauve-qui-peut général, une centaine d’hommes parvinrent à monter sur une chaloupe ; quelques-uns s’embarquèrent sur un canot à demi-calciné ; d’autres s’accrochèrent aux mâtures et aux débris entourant le vaisseau en flammes ; les blessés restés à bord moururent brûlés vifs. Vers 22h30, le fleuron de la marine française explosa dans un fracas épouvantable, ébranlant les vaisseaux environnants, les couvrant de débris enflammés. Cet événement rarissime alimenta la légende, accréditée par Napoléon, qu’il constitua le tournant de la bataille alors que celui-ci intervint à la tombée de la nuit avec l’arrivée des “renforts” anglais. C’est confondre cause et conséquences. Le dénombrement des victimes de l’Orient est impossible, dans la mesure où l’effectif réglementaire de l’équipage, qui s’élevait à 1 130 hommes, était loin d’être complet au moment du combat. Il manquait notamment la moitié des servants dans la batterie de 12. Les Britanniques ont souvent avancé le chiffre de 70 survivants, qui correspond au nombre d’hommes recueillis à leurs bords. Le contre-amiral Decrès, commandant des frégates, donna un décompte de 760 rescapés. Les deux escadres, frappées de stupeur devant cet événement unique dans une grande bataille, respectèrent une pause quasi-religieuse. Nelson, en dépit de sa blessure au visage, monta sur le pont pour contempler ce spectacle exceptionnel, qui devait inspirer, avec plus ou moins de réalisme, tant de peintres et de graveurs. »

  • L’Impérial (1803 – 1806).

Le 17 octobre 1793 est mis en chantier, à Brest, un nouveau vaisseau de 118 canons type Sané. Ozanne est chargé de sa construction. Nommé dans un premier temps Le Peuple, il est rapidement renommé Le Vengeur en hommage au 74 canons du même nom coulé durant le combat du 13 Prairial an III (1er juin 1794). L’article 3 de la “Loi relative au vaisseau de ligne Le Vengeur, et aux braves républicains composant son équipage” du 11 Messidor an II (21 juin 1794) dispose en effet : « Le vaisseau à trois ponts qui est en construction dans le bassin couvert de Brest, portera le nom du Vengeur. Le commissaire de la marine donnera les ordres les plus prompts pour accélérer la construction de ce vaisseau. »

Le bâtiment est lancé le 1er octobre 1803 et entre en service dans la Marine française le mois suivant. Comme l’ensemble des 118 canons français à cette époque, il est armé, selon le règlement de 1786, de 32 canons de 36 livres dans sa première batterie, de 34 canons de 24 dans sa deuxième batterie, de 34 canons de 12 dans sa troisième batterie, de 18 canons de 8 sur les gaillards, et de 6 obusiers de 36 sur la dunette. Ses dimensions sont elles aussi identiques aux autres 118 canons français : longueur 196 pieds 6 pouces (65,18 m), largeur 50 pieds (16,24 m), creux 25 pieds (8,12 m).

Un an environ après le sacre de l’Empereur des français Napoléon, et deux jours après la fameuse bataille d’Austerlitz, le 118 canons, alors considéré comme le plus beau vaisseau de la Marine française, est renommé L’Impérial, le 4 décembre 1805.

Le 13 décembre 1805, L’Impérial, portant la marque du contre-amiral Corentin de Leissègues, et commandé par le capitaine de vaisseau Bigot, quitte Brest à la tête d’une escadre composée de cinq vaisseaux de ligne (le 118 canons L’Impérial, le 80 canons L’Alexandre, et les 74 canons Le Diomède, Le Jupiter, et Le Brave), deux frégates (La Comète et La Félicité), et une corvette (La Diligente). L’escadre a la mission de porter des renforts au général Ferrand qui tient encore une partie de l’est de Saint Domingue.

Après 40 jours de traversée environ, L’Impérial et l’escadre arrivent devant Santo-Domingo. Leissègues entreprend très vite les réparations des avaries dues à une tempête subie lors de la traversée, le 25 décembre.

Le 6 février au matin, alors que les réparations ne sont pas encore véritablement terminées, une escadre anglaise, composée de 7 vaisseaux de ligne et de 4 frégates, est signalée. Leissègues ne refuse pas le combat.

Le très célèbre “Victoires et Conquêtes”, tome 17 p.267, relate l’action du 118 canons durant la bataille de Santo-Domingo :

« A neuf heures, le combat s’engagea ; l’escadre française se trouvait alors à environ trois lieues dans l’Ouest Sud Ouest de Santo-Domingo. La supériorité numérique des vaisseaux anglais leur donnait un grand avantage sur ceux du contre-amiral Leissègues ; ils en profitèrent. Après quelques manœuvres, que nous ne pouvons détailler, et où l’amiral français échoua dans le dessein qu’il avait de mettre la tête de la ligne ennemie entre deux feux, et de l’écraser avant qu’elle pût être secourue, quatre vaisseaux de l’escadre anglaise s’attachèrent à combattre chacun un des quatre vaisseaux de 74 français [en vérité comme nous l'avons vu l'Impérial était accompagné d'un vaisseau de 80 canons et de trois vaisseaux de 74 canons], et les trois autres vinrent unir leur efforts contre l’Impérial. Ce vaisseau, le plus fort, et le plus beau qui eût jamais été construit dans aucun pays du monde, soutint vigoureusement cette triple attaque ; mais, par le peu de solidité de sa muraille, que les boulets traversaient même dans la batterie basse, il se trouva privé du principal avantage que devait avoir un pareil vaisseau sur les petits vaisseaux anglais, et en peu de temps il eut une partie de son équipage hors de combat, et quantité de canons démontés.

Tandis que, au lieu d’écraser et de couler à fond les vaisseaux qui l’entouraient, l’Impérial éprouvait des pertes rapides, dans les autres parties de la ligne, la fortune se montrait encore moins favorable aux français, le Brave et le Jupiter succombèrent les premiers après une résistance peu prolongée. Le malheur qu’eurent, dès les premières volées, le capitaine Coudé et plusieurs officiers du premier de ces vaisseaux, d’être mis hors de combat, hâta sans doute sa prise. Les causes de la prompte reddition du Jupiter ne sont pas aussi bien connues, et nous ne trouvons pas à même de les indiquer. L’Alexandre tint longtemps ferme à son poste en avant de l’Impérial ; mais enfin, étant démâté de tous ses mâts, il tomba sous le vent de la ligne, et aucune frégate ne se trouvant là pour lui donner la remorque, il devint la proie de l’ennemi. Le capitaine du Diomède, matelot d’arrière de l’amiral, s’acquit le plus grand honneur par la manière dont il défendit son vaisseau, contre lequel vinrent se réunir plusieurs vaisseaux ennemis, après que le Brave, le Jupiter et l’Alexandre eurent amené. Dès dix heures et demi, la batterie de 18 de l’Impérial se trouva entièrement désemparée ; une heure après, celle de 24 le fut également. Réduit à sa batterie de 36, ce vaisseau répondit encore vigoureusement au feu des vaisseaux ennemis qui l’entouraient alors au nombre de quatre. A onze heures et demie, le grand mât et le mât d’artimon de l’Impérial tombèrent ; par là il perdit le moyen de manœuvrer pour présenter successivement le travers aux vaisseaux ennemis qui le combattaient, et ceux-ci purent prendre et conserver les positions les plus avantageuses pour le réduire.

Déjà cinq cents hommes de l’équipage de l’Impérial étaient hors de combat, le capitaine commandant et le capitaine en second, ainsi que cinq officiers, grièvement blessés ; les deux adjudants de l’amiral avaient été tués à ses cotés, et il ne restait plus auprès de lui qu’un seul enseigne. Dans une aussi terrible situation, cet officier général continuait à se promener tranquillement sur le gaillard d’arrière de l’Impérial, encourageant l’équipage à se défendre jusqu’à la dernière extrémité. La perte de trois de ses vaisseaux, l’état déplorable de celui qu’il montait, rien n’avait ébranlé son courage. Résolu de couler à fond, plutôt que d’amener son pavillon, il faisait faire le feu le plus vif de toutes les pièces que les boulets de l’ennemi n’avaient point démontées. Cependant l’humanité lui ordonnait d’épargner les restes du brave équipage qui combattait si vaillamment sous ses yeux, et il se décida à une manœuvre qui lui parut pouvoir remplir ce but, et empêcher son vaisseau de tomber au pouvoir de l’ennemi : il ordonna de diriger l’Impérial vers la côte et de l’y embosser ; mais tous les câbles avaient été coupés par les boulets de l’ennemi, il ne restait plus d’autre ressource que d’échouer le vaisseau ; l’amiral en donna l’ordre, et, à midi un quart, l’Impérial prit terre, présentant le travers au large. Le Diomède imita la manœuvre de l’amiral, et vint s’échouer à une encâblure (cent toises) en arrière de l’Impérial. Les vaisseaux de l’escadre anglaise, craignant de se perdre en poursuivant ces deux vaisseaux, les abandonnèrent et s’éloignèrent de la côte, emmenant avec eux le Brave, le Jupiter et l’Alexandre. La côte sur laquelle l’Impérial et le Diomède s’échouèrent, étaient hérissée de roches ; ces deux vaisseaux furent promptement défonces. Tout espoir de les sauver étant perdu par là, il ne restait d’autre parti à prendre que de les brûler aussitôt qu’on aurait pu les évacuer. L’état de la côte, le mauvais temps et les précautions que nécessitait le transport des blessés qu’on débarqua les premiers, retardèrent cette évacuation. Le 9 février, trois jours après le combat, elle n’était pas encore achevée, et cette circonstance priva l’amiral Leissègues du triste avantage de brûler lui-même ses deux vaisseaux. Dans la soirée, plusieurs vaisseaux ennemis s’approchèrent de la côte, et tirèrent quelques bordées sur l’Impérial et sur le Diomède ; ils mirent ensuite leurs canots à la mer. Ces embarcations abordèrent les deux vaisseaux français et les incendièrent sous les yeux mêmes de l’amiral Leissègues, après avoir fait prisonniers l’état-major et une centaine d’hommes de l’équipage du Diomède, qui se trouvaient encore à bord de ce vaisseau. »

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