DÉCHIFFRAGE

 Le PS a pris une dérouillée. Mais de quelle ampleur exactement ? Et comment jauger le poids du Front national dans le paysage politique français ? Les triangulaires du second tour ont-elles nui à la droite ?

En collaboration avecl’Observatoire du changement politique fondé par Jean-Yves Dormagen, de l’université de Montpellier, Libération vous propose des analyses chiffrées, une étude détaillée que nous avons entamée dès le lendemain du premier tour. Nous comparons les résultats définitifs d’hier avec les municipales de 2008 et, lorsque cela est pertinent, avec la présidentielle de 2012. Nous nous appuyons (sauf indication contraire) sur un échantillon précis, celui des villes de plus de 10 000 habitants, incluant celles de Réunion, de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane. Soit 946 villes au total.

 

 Une victoire de la droite ? Ou une belle chute de la gauche ?

La gauche chute, le FN progresse, et la droite… stagne. C’est la statistique cachée de ce deuxième tour des municipales : les listes de droite ont recueilli dimanche 45,3% des bulletins exprimés, contre… 45,9% au second tour de 2008. Sa victoire électorale est donc surtout la conséquence du camouflet spectaculaire de la gauche, passée en six ans de 50,9% des voix exprimées à 43,8%. A l’inverse, la progression de l’extrême droite est spectaculaire : quasi absente du second tour en 2008 (0,4%), elle a recueilli 8,7% des suffrages exprimés dimanche.

 

Une déculottée historique pour le Parti socialiste

Un recul spectaculaire. La déroute de la gauche est évidente lorsque l’on compare les résultats de 2008 à ceux de 2014 sur notre échantillon: là où la gauche avait emporté la majorité des communes en 2008 (53,5%), elle se retrouve essorée avec un pauvre 37,3% du total, à l’issue du dernier scrutin. Selon nos premiers calculs, la droite détient aujourd’hui 564 villes de plus de 10000 habitants, soit plus que les 506 pilotées par la gauche après les municipales de 2008.

 

 

La carte des villes perdues par la gauche. Voici la carte des 162 villes (en bleu) de gauche en 2008 qui arborent désormais un pavillon de droite. Le Lamentin (Martinique) n’apparaît pas directement, mais est bien présent sur la carte en vous déplaçant.

 

Même dans les grandes villes... La gauche prend également une correction sévère dans les villes de plus de 100 000 habitants, qu’elle dominait largement depuis 2008 avec 29 maires sur 41, soit 70% du total. Elle perd près d’un tiers de ses bases, laissant à la droite des villes aussi emblématiques que Toulouse, Reims, Angers ou Saint-Etienne.

 

L'électorat de gauche moins mobilisé. Ce n’est pas une surprise : le peuple de gauche s’est davantage abstenu que celui de droite. La tendance est très nette si l’on se réfère aux résultats de l’élection présidentielle de 2012 dans les villes concernées par le deuxième tour des municipales ce dimanche. Là où l’on avait voté François Hollande à plus de 60%, l’abstention est montée à 43,1%. Là où les Français ont majoritairement voté Nicolas Sarkozy il y a deux ans, il y a eu moins d'abstention dimanche : 38,6% seulement. 

 

Rééquilibrage. La mainmise de la gauche sur la Seine-Saint-Denis (93) a pris un coup dans l’aile lors de ce scrutin municipal. Alors que les différentes forces de gauche contrôlaient 25 des 36 municipalités de plus de 10 000 habitants à l’issue des élections de 2008, le rapport de force s’est complètement équilibré cette année : droite et gauche dirigent chacune 18 villes. Des municipalités importantes comme Saint-Ouen, Bobigny, le Blanc-Mesnil ou Aulnay-sous-Bois sont passées à droite.

 

 Le poids du Front national

Une progession qui paye, parfois... Sans surprise, le FN l'a souvent emporté dans les villes où le parti a le plus progressé. Entre le premier et le second tour des municipales, le parti de Marine Le Pen a ainsi réalisé sa meilleur progression à Cogolin, dans le Var (de 39% à 53,1%), une des communes qu’il a emportées. D’autres prises du Front national apparaissent dans ce top 10 : Villers-Cotterêts, Mantes-la-Ville et Le Pontet. En revanche, malgré une forte progression de son score entre les deux tours, le FN a échoué à prendre Frontignan, Perpignan, Carpentras ou Tarascon.

 

Neuf villes de plus de 10 000 habitants sont passées au FN. Quatre étaient sous pavillon de gauche, cinq ont été prises à la droite. Toutes les villes anciennement de gauche sont au Nord: Hayange, Mantes-la-Ville, Villers-Cotterêts et Hénin-Beaumont. Et celles issues de la droite au Sud: Beaucaire, Le Pontet, Béziers, Cogolin et Fréjus.

 

Treize maire de gauche qui peuvent remercier le Front national. La présence du FN au deuxième tour des municipales, dimanche, a permis la victoire de plusieurs listes de gauche, dans le cadre de triangulaires ou de quadrangulaires. Treize villes ont ainsi vu la gauche devancer la droite de moins de cinq points en présence d’une liste FN, sans laquelle l’issue de l’élection aurait donc pu être toute autre. Le cas d’Apt est le plus criant : La liste d’union de gauche y a devancé celle de l’UMP de seulement quatorze voix, 433 étant parties dans l’escarcelle du FN… Le Front national a d’ailleurs vu dans cette ville son score quasiment divisé par deux entre les deux tours (de 15,7% à 8,5%), ce qui est une constante : soucieux de départager les listes susceptibles de l’emporter, les électeurs frontistes du premier tour ont souvent changé de vote au second, ce qui fait que dans ces treize villes, le FN est six fois sous la barre des 10% qui lui avait pourtant permis de se maintenir…

 

L’abstention dans le détail

Une petite remobilisation entre les deux tours. Le taux de participation s’élève à 63,7% au second tour, un taux qualifié d'«historiquement bas» par le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls. Ce qui correspond à un taux d’abstention de 36,3%, à peine moins élevé que celui du premier tour (36,45%). A titre de comparaison, au deuxième tour de 2008, l’abstention finale était de 34,80%.

Cependant, si l’on compare le taux de vote dans les 540 villes (de plus de 10 000 habitants) concernées par un second tour, l’abstention a décru. Alors que ce taux était de 43,6% au premier tour, il est redescendu de plus de deux points, à 41,1%, montrant une mobilisation plus importante dans ces villes pour le second tour. Ce taux est même plus faible que celui observé dans les 540 mêmes villes au premier tour de l’élection municipale de 2008.

 

Les îles votantes. Comme au premier tour, c’est dans les îles, à commencer par la Corse, que l’on s’est le moins abstenu : Porto-Vecchio (18% au premier tour) et Bastia (21%) se sont encore plus mobilisés pour ce second tour et affichent des taux très éloignés des standards nationaux. Grosse mobilisation également à la Réunion et à Saint-Gilles, dans le Gard, où le candidat du FN Gilbert Collard a été battu d’extrême justesse.

 

La banlieue francilienne s’abstient. C’est dans les banlieues, et principalement celles de la région parisienne, que l’on s’est le plus abstenu ce dimanche. Des dix villes de plus de 10 000 habitants où l’abstention a été la plus forte, sept sont en Ile-de-France. La palme revient à Villiers-le-Bel, dans le Val-d’Oise, où plus de six électeurs sur dix ne se sont pas déplacés. C’était déjà le cas au premier tour…

 

Une participation en fonction de l’enjeu. Où s’est-on le plus remobilisé entre les deux tours ? Il y a deux tendances. D’abord dans les villes où il existait un risque d’élection du Front national : la mobilisation a suffi à Avignon et dans le 8e secteur de Marseille, mais pas dans le 7e secteur, où Stéphane Ravier a été élu. Ensuite dans les villes où l’élection s’annonçait très serrée, avec trois ou quatre listes en lice. Il y avait ainsi une quadrangulaire à Saint-Louis de la Réunion et à Grenoble, où la gauche était en outre extrêmement divisée. Au Blanc-Mesnil et à Ajaccio, il y a aussi eu un regain de participation lié à l’issue incertaine du scrutin : dans les deux cas, la victoire s’est jouée à une poignée de voix.

 

Paris, Lyon, Marseille, du changement sur les bords

Paris, la digue de gauche. Paris reste à gauche : après treize années sous Bertrand Delanoë, sa première adjointe Anne Hidalgo et devient la première femme maire de la capitale. Même si son adversaire de l’UMP Nathalie Kosciusko-Morizet améliore le score de la droite (71 élus contre 63), la gauche garde sans aucun problème la majorité absolue au Conseil de Paris avec 91 conseillers sur 163. Elue dans le XXe arrondissement, Danièle Simmonet sera la seule représentante du Front de gauche.

 

A Marseille, Gaudin sans souci. Des trois principales villes françaises, c’est le résultat le plus surprenant, par l’ampleur de la victoire de l’UMP Jean-Claude Gaudin. Le maire sortant a été très largement réélu pour un quatrième mandat : ses listes emportent 61 sièges sur les 101 du Conseil municipal de Marseille. A l’inverse, la défaite est massive pour le Parti socialiste, qui obtient exactement le même résultat que le Front national : un seul secteur remporté et vingt conseillers municipaux.

 

Collomb installé à Lyon. Large victoire pour le maire sortant socialiste Gérard Collomb, réélu pour un troisième mandat. Ses listes d’union de la gauche emportent 48 sièges au conseil municipal, sur 73 au total. Son adversaire de droite, Michel Havard, n’obtient que 21 conseillers et ne remporte que deux arrondissements. Grâce à sa victoire dans le premier arrondissement, le Front de gauche obtient trois élus au Conseil municipal. Enfin, le FN fait son retour au conseil municipal, avec un siège.

D’autres analyses à venir (rafraîchissez régulièrement votre page)...

 

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