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E-BIBLIOTHÈQUE

La Principauté de Liège de sa Renaissance à la Révolution[1]

Bruno Demoulin

LA TOILE DE FOND (1477-1795)

La mort de Charles le Téméraire marque pour la Principauté de Liège le début d'une guerre civile sanglante qui opposera Guillaume de la Marck et Jean de Hornes, après la disparition brutale de Louis de Bourbon. Ce dernier s'était fait le champion de la neutralité liégeoise, mais n'avait pas su rassembler ses sujets autour de sa personne. Il mourut en 1482, sans gloire, à Chênée près de Liège, de la main même, dit-on, du Sanglier des Ardennes, Guillaume de la Marck, qui tombera dans un piège tendu lors d'une course de chevaux près de Saint-Trond. Fait prisonnier, la Marck sera condamné à mort à Maastricht, bastion de Jean de Hornes. Sa mort provoquera à Liège une émotion populaire dont seront victimes des Maastrichtois et des Thiois, indice d'un conflit linguistique. Jean de Hornes, qui ne parlait guère que l'allemand ou le thiois, retissera une alliance avec Maximilien d'Autriche, dont les visées sur la Principauté se situent dans la ligne bourguignonne : s'emparer du temporel en laissant à l'évêque le domaine spirituel. Charles Quint et Marguerite d'Autriche rêveront toujours de faire subir ce sort à Érard de la Marck.

Quoi qu'il en soit, la situation économique se détériorait, la monnaie liégeoise chutait, dévaluant de 114 % de 1477 à 1511, les forces s'épuisaient. Après un vaste ballet diplomatique, la guerre civile se terminera en 1492, moment où la neutralité liégeoise sera officiellement reconnue par le roi de France Charles VIII et Maximilien d'Autriche, au nom de son fils, Philippe le Beau, souverain des Pays-Bas.

La neutralité liégeoise
La neutralité liégeoise, initialement armée, n'autorisait pas le passage des troupes, elle deviendra ensuite désarmée et perméable. Reconnue par les Pays-Bas espagnols (1654), puis les Provinces-Unies (1673), elle permettra d'assurer le maintien de l'indépendance liégeoise et de nouer de fructueuses relations économiques et commerciales avec les puissances européennes en guerre. Soulignons cependant que la Principauté de Liège restait membre de l'Empire et jouira d'une tolérance de fait même si, par exemple, la déclaration de guerre à la France en 1689 montre les limites de l'autonomie liégeoise à l'égard de la Diète. L'« achat » de la neutralité par la conclusion de traités comme lors des Guerres de Succession d'Espagne (1702) ou de Pologne (1733) fut l'une des pistes suivies par les gouvernants liégeois pour assurer la liberté du commerce.



La démographie

À la fin du quinzième siècle, la Principauté aurait été peuplée de plus de 200 000 habitants y compris le comté de Looz, dont 20 000 à Liège, et 6 000 à Dinant et Huy. Trois siècles plus tard, la population aurait doublé pour atteindre près de 400 000 habitants, avec une seule grande ville, Liège, la capitale. L'augmentation liégeoise du dix-huitième siècle provient des faubourgs ouvriers qui contrastent avec le dépeuplement des petites paroisses de la vieille ville (entre 53 et 56 000 habitants). Les villes riveraines de la Meuse (Dinant, Huy, Visé) régressent, à la différence de Verviers en pleine expansion ou de communautés telles Herstal ou Theux.

Le poids de Liège reste essentiel au sein de l'État, avec les répercussions économiques et politiques que l'on devine, mais aussi par rapport aux autres villes wallonnes telles Tournai (26 000 habitants en 1784), Mons (20 000) ou Namur (14 000). Par contre Bruxelles avec laquelle la rivalité ne cessera de s'aiguiser prendra l'avantage dans la seconde moitié du dix-huitième siècle (57 854 habitants en 1755 et 76 901 en 1784).

Sur le plan structurel, l'on constate que les ménages sont de taille modeste dans les campagnes (cinq personnes) et plus encore à Liège. Selon les paroisses et la présence de communautés religieuses, les chiffres varient de 3,49 à 4,46 personnes entre 1728 et 1762. Quant à l'espérance de vie à la naissance, elle serait à Huy à la fin du dix-huitième de 30 ans pour les hommes et 32 pour les femmes, soit une situation plus défavorable que celle du Brabant.


Le développement économique

En raison de la guerre civile, la Principauté de Liège profitera avec retard de l'essor économique européen dû à l'arrivée des métaux précieux d'Amérique. Cependant, l'expansion économique du seizième siècle étudiée par J. Lejeune témoigne de la capacité d'innovation et d'adaptation des entrepreneurs liégeois, dont l'exemple le plus connu est Jean Curtius. La hausse des prix favorisera l'accumulation des capitaux, l'expansion du crédit, la croissance industrielle liée aux inventions techniques. Liège deviendra une métropole régionale commerciale, centre de l'activité des différents bassins, en liaison avec Anvers, à son apogée au seizième siècle. Les points forts de cette économie seront au fil des siècles la houille, le fer, l'armurerie, le verre, l'alun, le cuir, la papeterie ou encore l'imprimerie. Toutefois, il est évident que sous l'Ancien Régime, la richesse première provient toujours de l'agriculture et particulièrement de la Hesbaye, cette terre de Canaan.


L'agriculture toujours dominante

Les blés d'hiver (froment, seigle, épeautre) et de printemps (orge, avoine, pois et vesces) constituent l'essentiel de la production agricole de la principauté. L'épeautre était présente dans le Condroz, en Hesbaye, en Famenne et en Ardenne. Le seigle constituait la moitié de la récolte en Hesbaye, qui était la seule région où se cultivait le froment, donnant le pain blanc des notables. L'avoine et l'orge (25 % de l'exploitation du sol en Hesbaye), elles, servaient l'une à l'alimentation du bétail, l'autre à la fabrication de la bière du peuple.

Il est aisément compréhensible que les impôts sur les céréales aient été impopulaires. L'œil du moulin, ou impôt sur la mouture, critiqué dès sa création au quinzièmeiècle, disparaîtra en 1715, après la guerre de Succession d'Espagne. Les augmentations successives de l'impôt sur le « muid de braz », c'est-à-dire sur les grains servant à fabriquer la bière, provoquèrent au dix-septième siècle des réactions qui furent apaisées après la paix de 1714. Comme les États liégeois décidèrent de plus en ce début du dix-huitième siècle de supprimer la taille, l'impôt direct sur la terre, la Principauté apparaîtra incontestablement comme un paradis fiscal au dix-huitième siècle. Précisons enfin qu'à partir de la fin du dix-septième siècle, un impôt sur « la consomption des bêtes » sera perçu régulièrement, signe d'une extension en Hesbaye et dans le Condroz de l'élevage de troupeaux de moutons et de chevaux, et du gros bétail en Fagne et Famenne. Quant aux pommes de terre, leur place ne cessera de croître à partir de la seconde moitié du siècle.

Hausses des prix et crises frumentaires
À la croissance générale du seizième siècle (de 1475 à 1586), qui correspond à un équilibre annonaire précaire et à des risques de disette, succède une période de disettes larvées (de 1590 à 1644), puis une période de famine (de 1644 à 1715), liée aux guerres du Siècle de Louis XIV et à une baisse de la production suivie au dix-huitième siècle d'une nouvelle période de disettes larvées (de 1715 à 1790). Il faudra attendre 1770 pour connaître les niveaux de production du seizième siècle, même si les mauvaises saisons qui se succèdent à partir de 1764 jusqu'à la Révolution entraînent des hausses de prix néfastes pour la population, dont les salaires ne suivent pas la hausse du coût de la vie, ce qui explique aussi les mouvements sociaux en 1789.Soulignons que les hausses de prix n'ont pas des conséquences directes sur la mortalité. Ce seraient plutôt les épidémies qui s'acharnent sur des organismes affaiblis par une alimentation insuffisante, qui provoqueraient les crises démographiques. Il s'agit de la peste, qui touche pour la dernière fois Liège en 1667 et Verviers en 1668, des dysenteries, des fièvres, du typhus (1795).


La houille, la métallurgie, l'armurerie

L'expansion industrielle liégeoise s'appuiera sur la présence dans son sol de la houille et sur la métallurgie. Cette dernière est étroitement liée au bassin hydrographique de la Meuse et de ses affluents : Huy (vallée du Hoyoux), Liège et Franchimont (Ourthe inférieure, Vesdre, Hoegne), et Namur pour l'Entre-Sambre-et-Meuse liégeoise.

BASSINS

1500

1570

1630

1700

1760

1790

Hoegne (Franchimont)

Amblève (Stavelot)

Ourthe supérieure (Durbuy)

Hoyoux (Huy)

Ourthe liégeoise

Vesdre

Meuse

Liège-Stavelot

17

7

12

9

0

4

0

26

14

23(?)

23

9

10

4

20

14

0

17

11

20(19)

0(2)

14

9

0

3

15(12)

31(28)

0

190

207

TOTAL

49

99

82(83)

72(66)

190

207

Évolution du nombre des usines métallurgiques dans la région liégeoise
du seizième au dix-huitième siècle (B. Demoulin et J. L. Kupper, Histoire de la Principauté de Liège, Toulouse, Privat, 2002, p. 93)

Le tableau témoigne de l'expansion remarquable du seizième siècle jusqu'à la crise de 1566. L'abondance de la houille exportée vers la Hollande favorise cette croissance même si le combustible reste le charbon de bois dans la fabrication de la fonte. La crise de 1566 provoque une chute de la vente des houilles et une reconversion de l'industrie métallurgique. Dans l'Entre-Sambre-et-Meuse, fonte et fers en barres sont écoulés dans les Pays-Bas espagnols, particulièrement à Charleroi, fondée en 1666. Les bassins de l'Ourthe et de la Vesdre relancent au xviie siècle la croissance économique, profitant de la houille utilisée dans les clouteries. L'ingéniosité liégeoise se révèlera dans la construction de machines permettant l'évacuation de l'eau submergeant les mines (« Édit de conquête », 1581-1582). Le nom de Rennequin Sualem[2] symbolise au dix-septième siècle cette réussite.

Par ailleurs, c'est tout au début du dix-septième siècle que les manufactures d'armes se développent : fusils, pistolets, pièces détachées. Les grands marchands d'armes et de clous de la capitale négocient avec l'Europe entière et tirent profit du travail des maîtres des petites entreprises métallurgiques (fonderies, platineries, makas, usines à canons de fusils).

L'industrie métallurgique, elle, repose sur l'importation de fers en barres du duché de Luxembourg et l'exportation de clous vers les Provinces-Unies. Quant à l'Entre-Sambre-et-Meuse, elle concentre fourneaux et forges mais peu d'industries de transformation. La concurrence croissante des Pays-Bas autrichiens entraînera des réductions salariales qui provoqueront des grèves dès 1719. À la fin du dix-huitième siècle, cette proto-industrie métallurgique liégeoise avait atteint ses limites.


Les industries textiles, verrières, et autres

Verviers, capitale mondiale de la laine! Cette constatation est le fruit de siècles de conquêtes des marchands capitalistes verviétois. Après une phase d'expansion au seizième siècle dans l'ombre de Leyde, Verviers détrône cette métropole hollandaise au dix-septième siècle et, déjouant les barrières protectionnistes du mercantilisme français ou hollandais, puis des Pays-Bas espagnols, se lance à travers l'Empire et l'Europe orientale. De plus, vu l'imbrication des frontières avec le duché de Limbourg, une fraude organisée s'installe avec les Pays-Bas. C'est le triomphe du capitalisme marchand en l'absence de règles corporatistes avec en contrepartie la naissance d'un prolétariat nombreux (30 000 fileurs, fileuses, plusieurs milliers de tisserands) face aux fortunes considérables des Franquinet, Simonis, Biolley, Fyon…

Mettons par ailleurs en lumière l'expansion de la verrerie après les balbutiements du xvie siècle. Elle sera consacrée par l'association Libon-Bonhomme (1627) qui concurrencera les manufactures anversoises dans le verre à façon de Venise. Avec habilité, ils investissent à Bruxelles, Anvers, Namur et constituent un empire au dix-septième siècle. Ils seront confrontés à la concurrence du maître Desandroin de Charleroi qui s'implantera à Amblève (1727). L'enjeu : le marché considérable des bouteilles d'eau de Spa.

Parmi les autres industries nouvelles, épinglons celles de l'alun, de la couperose et du soufre. Exploités dès la fin du seizième siècle, les gisements alunifères auraient donné du travail deux siècles plus tard à 1 300 ouvriers (Flémalle…). Quant à la vieille industrie du cuir, elle est mal connue et subira les contrecoups de l'expansion des fabricants de la Principauté de Stavelot-Malmedy au dix-septième. La papeterie, elle, se développe dès 1570 sur le Hoyoux et favorisera l'extraordinaire succès de l'imprimerie au Siècle des Lumières, succès bâti sur la contrefaçon.


Les voies de communication

Ce survol de l'activité économique montre l'importance croissante des conflits douaniers, particulièrement avec les Pays-Bas dont les frontières s'enchevêtrent avec celles du « pays de Liège ». Ainsi n'est-il pas étonnant que, dès le dix-septième siècle, les gouvernants liégeois aient tenté de nouer des relations directes avec leurs partenaires commerciaux français, hollandais ou allemands. Le recours à la Meuse surchargée de droits de péage sera réservé aux matières pondéreuses.

Vers la France

Dès 1664, après le traité des Pyrénées, la construction d'une route directe entre la Principauté et la France par Saint-Hubert et Sedan sera décidée. Ce Chemin Neuf, inauguré en 1665, au grand dam de Bruxelles, servira de voie militaire pendant les guerres qui jalonneront les décennies suivantes et d'artère commerciale et postale en temps de paix. Les autorités autrichiennes tentèrent de s'y opposer dès 1716 ce qui suscita, en riposte, un nouveau tracé Liège-Sedan, par Givet et Dinant (le chemin de Falmignoul).

Vers la Hollande et l'Allemagne

Simultanément à la politique d'assainissement de la dette publique liégeoise, les gouvernants liégeois voulurent, au sortir de la guerre de Succession d'Espagne, doter leur pays d'un réseau de communication en étoile pour favoriser le développement économique (1712). Après un démarrage rapide, le réseau sera fort lent à se dessiner : la frontière hollandaise vers Bois-le-Duc sera atteinte en 1792, la route Liège-Spa sera achevée en 1736, Verviers-Theux en 1771, et Liège-Herve en 1783.


Balance commerciale et conflits douaniers

Pour conclure, évoquons les statistiques douanières qui reflètent les importations et exportations liégeoises. Elles se basent sur l'impôt du 60e (1,66   du montant déclaré de la valeur des marchandises) levé dès 1582, qui deviendra le « fondement le plus solide » des finances publiques au dix-huitième siècle. Cet impôt suscitera bien des réactions des puissances voisines sans ébranler la volonté liégeoise. Il représentera entre 40 et 60 % des recettes fiscales, son rendement ne cessant de croître après la guerre de Sept Ans, alors que les exemptions en faveur de l'industrie textile ou métallurgique se multiplient (1743-1764). Les autorités de Bruxelles réagirent en augmentant leurs propres tarifs douaniers provoquant une paralysie économique intermittente entre 1740 et 1765, dans l'Entre-Sambre-et-Meuse liégeoise.

Cette guerre commerciale que Velbruck tentera – sans succès – de résoudre témoigne de l'opposition persistante qui existait aux Temps modernes entre Principautés distinctes sur le territoire de l'actuelle Wallonie.


Les institutions

Face à face, l'évêque et prince et le chapitre cathédral de Saint-Lambert, qui prétendra à la cosouveraineté. Le prince nomme ses officiers et conseillers, qui sont passibles du tribunal des XXII. Cette institution connaît son heure de gloire lors des troubles du dix-septième siècle avant d'être muselée suite à la multiplication des recours contre la construction des routes au début du dix-huitième siècle. Deux Conseils assistent le Prince, le Conseil privé et la Chambre des Comptes. Le premier est un véritable conseil de gouvernement présidé par le chancelier, un chanoine, qui en signait tous les actes. Son pouvoir s'étendait à la politique intérieure et extérieure. La Chambre des comptes, elle, gérait le domaine du prince (fermages, droits divers, donatifs…).

Le chapitre cathédral de Saint-Lambert, lui, composé de 60 chanoines nobles et gradués, était l'un des plus prestigieux de l'empire. Il passera progressivement par le système de la coadjutorerie aux mains des grandes familles bourgeoises de la Principauté. Le chapitre représentait de plus l'ensemble du clergé en qualité d'État primaire. Les deux autres États séculiers, noble et tiers, s'opposèrent à lui sur des questions aussi délicates que la mainmorte ou les exemptions fiscales. L'État noble, se fermera progressivement par l'imposition de la règle des quartiers de noblesse (8 en 1691, 16 en 1765). Fort de plus de 100 membres au début du seizième siècle, il n'en comptait plus que 17 à la veille de la Révolution. Cette exclusion engendra au sein des élites liégeoises un sentiment croissant de frustration. L'État tiers était constitué des XXIII bonnes villes qui seront mises au pas à partir de 1649 et surtout 1684, devenant paradoxalement le meilleur soutien du prince. Les trois États qui constituaient avec le prince le « Sens de pays », votaient les impôts et imposeront, dès le début du dix-huitième siècle, le remplacement de la ferme générale trop favorable aux fermiers d'impôts par celui de la collecte.

Sur le plan judiciaire, deux grandes cours se partageaient l'appel, l'une sur le plan pénal, la Souveraine Justice de Liège, l'autre sur le plan civil, le Conseil ordinaire (créé en 1527-1531).


LES HOMMES ET LE POUVOIR

La Renaissance (1492-1580)

Après la fin de la guerre civile, Jean de Hornes restaurera l'intégrité de la Principauté de Liège. Homme autoritaire, il était féru d'art militaire et se préoccupera des forteresses de Huy, Stockem et Franchimont, garantes de l'indépendance liégeoise. Il parvient à assainir les finances publiques, le tout dans un climat de renouveau religieux. Son successeur Érard de la Marck donnera l'essor décisif à cette renaissance amorcée.

Érard de la Marck (1505-1538) : le prince d'envergure européenne

Né en 1472 à Sedan, allié du roi de France Louis XII, Érard de la Marck[3] sera soutenu par le peuple liégeois aspirant à un prince parlant le français et issu de la nation ; il sera proclamé évêque en 1505. Ambitieux, aimant fastes, honneur et argent, il partira à la chasse aux bénéfices qui lui permettront de jouer ultérieurement à son gré le rôle de banquier des gouvernantes des Pays-Bas. Évêque de Chartres en 1507, il ne pardonnera pas à François Ier sa trahison : le priver de son chapeau de cardinal ! Aussi, il s'unit à Charles Quint, entraînant les Liégeois dans cette alliance. Conclue en 1518 après bien des résistances, elle subsistera jusqu'à la fin du xvie siècle.

Artisan de l'élection de Charles Quint comme roi des Romains en 1519, il deviendra archevêque de Valence (1520), titulaire de multiples prébendes et pensions et enfin cardinal au grand dam de François Ier (1521). Son prestige international ne cessera de croître et si quelques moules mal intentionnées ne l'eussent entraîné dans la mort (1538), il aurait réussi in extremis à convaincre Charles Quint de lui donner comme successeur, son neveu, et non le piètre Corneille de Berghes, délicieusement débile qui lui succédera pour quelques années (1538-1544).

Soucieux de défense nationale, Érard de la Marck, qui récupéra Bouillon, renforcera les places-fortes liégeoises et maintint une neutralité armée, gage de paix. Homme lucide et de mœurs sans taches, l'évêque voulut réformer l'Église de Liège, souffrant des maux communs au clergé européen à cette époque. Face à la Réforme, il montra d'abord prudence et compréhension avant de devenir d'une grande fermeté, dictée par les progrès des anabaptistes et luthériens dans la partie thioise du pays.


Réforme et Contre-Réforme (1538-1580)

Sous la pression de Charles Quint, Georges d'Autriche (1544-1557), son oncle naturel, succéda à l'insignifiant Corneille de Berghes. Il tenta de maintenir la neutralité liégeoise, entre les appétits de son encombrant parent et des Français. Par ailleurs, il trouva sur son chemin chapitre cathédral et clergé secondaire, dans sa volonté de réforme, soutenue par les pères du concile de Trente (1545-1563). La paix d'Augsbourg[4] de 1555 amènera la fin des persécutions à l'égard des luthériens, mais entraînera l'extraordinaire expansion des idées calvinistes (1559-1560) particulièrement dans le pays de Franchimont, à Liège ou à Huy.

L'amoindrissement spectaculaire du diocèse de Liège en 1559 aura des conséquences profondes. Il était dû à la volonté de Philippe II de maintenir ses sujets hors de l'autorité d'un souverain étranger, sous couvert d'efficacité dans la lutte contre la Réforme. L'établissement des 14 nouveaux évêchés dans les Pays-Bas, dont Namur relevant désormais de l'archevêché de Cambrai, prive l'évêque de Liège de moyens importants et rend impopulaire l'alliance avec l'Espagne. Sur le plan intellectuel, l'université de Louvain quitte le diocèse et Robert de Berghes (1557-1564), n'obtient pas la création d'une université liégeoise. Elle eût pourtant été utile pour endiguer, après l'explosion des Iconoclastes (1566), les progrès spectaculaire du calvinisme et de l'anabaptisme. Gérard de Groesbeeck parviendra cependant à maintenir l'orthodoxie de la Principauté avec diplomatie et fermeté, Guillaume le Taciturne échouant dans sa tentative de s'emparer de Liège (1568). Son plus beau succès fut la reprise de Maastricht en 1579.


Le Grand Siècle (1581-1723)

La dynastie des Wittelsbach, parfaitement orthodoxe aux yeux de Rome, cumulera électorat de Cologne et principauté de Liège de 1581 à 1723, si ce n'est le bref intermède de Jean-Louis d'Elderen (1688-1694). Elle témoigne de la place prise par le pays de Liège sur l'échiquier européen moins en raison de son poids intrinsèque que de sa situation stratégique et géographique. Dans le nouvel équilibre européen qui sortira de la guerre de Trente Ans et sera sanctionné par les traités de Westphalie, la Principauté sauvegardera son existence grâce à son statut de neutralité, propice à de fructueuses transactions commerciales. Le prix à payer fut la perméabilité du territoire, traversé par les armées européennes.

Bel homme sensuel, aimant goûter aux charmes de la vie, qu'ils soient charnels dans les prés d'Outremeuse ou intellectuels dans son palais, Ernest de Bavière (1581-1612), prince humaniste, reste dans l'imaginaire liégeois le plus aimé des princes de Bavière. Maintenant le catholicisme comme religion d'État, il assortit son édit de mesures transitoires allégeant le sort des calvinistes (1589). Soucieux d'expansion économique, il garantira la neutralité et parviendra à récupérer la forteresse de Huy occupée par un coup de force hollandais (1595), tout en obtenant le départ des Espagnols, encombrants sauveteurs, et en calmant l'irritation d'Henri IV. En effet, ce dernier, après les guerres de Religion, replaçait progressivement la France au premier plan. La Principauté devait jouer le rôle de couloir naturel avec ses alliés hollandais[5].

Cette sagesse, son neveu et successeur, Ferdinand de Bavière (1612-1650) ne saura s'en inspirer, révoquant ce règlement dès son accession au trône. Il provoquera de la sorte un conflit avec la Cité de Liège, forte, riche, orgueilleuse, qui durera tout au long du règne. Profitant de la guerre de Trente Ans qui retenait Ferdinand de Bavière dans son électorat de Cologne, une fraction des Liégeois, les Grignoux — parents des têtes rondes de Cromwell — menés par Sébastien La Ruelle, allié de Richelieu, auraient prétendu à l'indépendance de Liège, future ville impériale. Richelieu aurait-il déjà caressé des rêves de rattachement de la Principauté à la France, le Rhin devenant ensuite la frontière naturelle du Royaume ? Danton s'en chargera… Quoiqu'il en soit, l'assassinat de La Ruelle (1637) et la lutte armée entre les partisans du Prince surnommés Chiroux ou bergeronnettes auxquelles ils faisaient songer par leur habit blanc et noir et Grignoux proches du peuple, ponctueront ces années de feu et de sang qui se clôtureront après les traités de Westphalie. Mazarin, qui prévoit déjà le rapprochement avec les Wittelsbach, laisse les Bavarois reprendre par la force la capitale (1649). Après une répression sévère, l'ordre régnera, symbolisé par la construction d'une citadelle. Une nouvelle réforme du système électoral aboutit à la mainmise du Prince sur le Conseil de la Cité.

Ferdinand de Bavière, champion de la Contre-Réforme, réussira par contre beaucoup mieux dans sa politique religieuse. Homme pieux, il luttera contre le mode de vie si mondain de ses chanoines et surtout contribuera à l'efflorescence extraordinaire des couvents et abbayes dans le diocèse : plus de 70 sous son règne.


L'heure de la France

Maximilien-Henri de Bavière (1650-1688), lui aussi, fut soucieux de poursuivre l'application du Concile de Trente dans l'Église liégeoise. Dévot, grand chasseur, alchimiste, Maximilien-Henri avait ramené la paix interne de manière forte, certes, mais il avait surtout réussi à éliminer les bandes du duc de Lorraine, avec l'aide de Mazarin. Ce dernier trouvera refuge à Bonn au moment de la Fronde et, par l'entremise des frères Fürstenberg, entraînera Maximilien-Henri dans l'alliance avec la France (1666). Elle connaîtra bien des aléas, notamment lors de la guerre de Hollande qui provoquera la destruction de la citadelle de Liège et la flambée de la dette publique. La Hesbaye et le Condroz furent dévastés, Dinant occupée par les troupes de Louis XIV. Celui-ci s'empare de Bouillon, qui ne retournera jamais dans le giron liégeois (1677). Dans la capitale, le combat politique entre « mangeurs de tarte aux pommes » et « mangeurs de boudin » est total. Une commune prérévolutionnaire s'installe et empêche tout compromis politique. Louis XIV qui vient de donner la paix à l'Europe (Ratisbonne 1684) permettra à Maximilien-Henri de réduire Liège. Les exécutions se succèdent, l'opposition est décapitée, la citadelle reconstruite. Un règlement électoral sanctionne l'assujettissement de la Cité au Prince, au chapitre et à l'aristocratie. Sur le plan religieux, Maximilien-Henri accélère également son rythme de réformes, laissant un véritable testament spirituel : il visait à christianiser le peuple liégeois et à discipliner son clergé.

Le peuple liégeois sera ensuite emporté par le plus meurtrier des conflits des Temps modernes : celui de la Ligue d'Augsbourg. Mené par le grand doyen Méan, Jean-Louis d'Elderen (1688-1694) que « l'esprit ne conduit pas à de grands desseins » comme le brocardait Mme de la Fayette, conduira des États liégeois minoritaires à déclarer la guerre à la France (1689). Huy en subira aussitôt les conséquences : 860 maisons furent brûlées (mai 1689). Le Condroz et l'Entre-Sambre-et-Meuse furent traités en pays conquis. Liège sera bombardée par le maréchal de Boufflers (4 au 6 juin 1691) : 1500 maisons sur les 8000 de la capitale furent emportées par les flammes. Les impôts écrasent la population, les emprunts se multiplient, l'armée coûte cher. Aussi, après le traité de Ryswick (1697), les États liégeois licencient ces troupes au grand désespoir du nouvel évêque et prince, le belliqueux Joseph-Clément de Bavière (1694-1723). Quel contraste avec Jean-Louis d'Elderen, qui affectait « une dévotion austère » et avait laissé les jansénistes prendre en main la conduite spirituelle du diocèse ! Le séjour du Grand Arnauld[6] en est le signe le plus spectaculaire.

Joseph-Clément de Bavière, cadet de famille, était ébloui par les succès de son frère, Maximilien-Emmanuel, le vainqueur des Turcs, gouverneur des Pays-Bas espagnols. Quoique fort dévot, il préférait l'odeur de la poudre à celle de l'encens. Il fit revivre le palais liégeois grâce aux fastes d'une cour et suscita un regain du mécénat avant de se retrouver sans un sou la paix signée.

Aussi n'hésita-t-il pas à s'attacher à Louis XIV lors de la succession d'Espagne (1701). L'or français ne lui évita pas l'exil. Il goûta les charmes de Lille puis de Valenciennes, s'embrasa au contact de Constance Desgroseilliers, délicieuse cabaretière de Lille, avant de se donner à l'Église sous les conseils spirituels de Fénelon lui-même (1707). À Liège, un Conseil impérial faisait face aux velléités d'un parti populaire désireux d'ériger la capitale en ville impériale, indépendante du Wittelsbach, mis au ban de l'Empire (1706). Ce dernier sauva son trône grâce au soutien de Rome, défendant ce pourchasseur des jansénistes dans la publication de la bulle Unigenitus.

Joseph-Clément de Bavière sera pleinement réintégré dans ses États grâce au Grand Roi, fidèle à sa parole (1713-1714). Il rentrera à Liège en 1715, nourri d'absolutisme princier et de rêves de bâtisseur. Les forêts de sa Principauté et ses donatifs serviront à la construction de son palais de Bonn, l'actuelle Université. Ses heurts avec ses sujets liégeois vont se multiplier, particulièrement avec le chapitre « infesté » d'un « esprit républicain », inspiré par les chanoines issus de la bourgeoisie et influencé par les Provinces-Unies. Sous son égide, la Principauté réintégra officiellement le Cercle de Westphalie, moyen de maintenir son indépendance grâce à l'appui de l'Empire (1717).


Le Siècle des Lumières (1724-1789)

Le successeur de Joseph-Clément de Bavière, Georges-Louis de Berghes (1724-1743) un de ses fidèles, personnifie le mieux les idées du Grand Siècle au Siècle des Lumières. Ancien président de la Chambre des Comptes, homme à poigne, il réussira, par une présence constante et une fermeté sans faille, à s'imposer face au chapitre qui avait tenté de le ligoter par une capitulation fort stricte. S'alliant aux États séculiers, Noble et Tiers devenu bien docile par la suppression de l'élection directe du magistrat (Visé, Couvin…), il luttera contre les exemptions du clergé secondaire ou l'officialité. Il saura acheter la neutralité liégeoise lors de la guerre de Succession de Pologne, même s'il ne put éviter des quartiers d'hiver coûteux. Il sut convaincre les États d'ouvrir leur cassette pour reconstruire dans un style néo-classique la façade méridionale du palais, détruite dans un incendie (1734) et fit de sa demeure de Seraing un château agréable. Son plus beau titre de gloire reste assurément le don de sa fortune colossale aux pauvres de la Cité de Liège, ce qui sera source d'émeutes après sa mort avant qu'elle ne soit dilapidée à la Révolution. Quel contraste avec son successeur, Jean-Théodore de Bavière (1744-1763), le dernier des Wittelsbach sur le trône de Saint Lambert !


L'ultime retour des Wittelsbach

Soutenu par son frère l'empereur Charles VII et par Louis XV, qui instaurait sa politique de « protectorat courtois » à l'égard de la Principauté, Jean-Théodore, aimant la chasse, le jeu et la musique mènera une vie de cour brillante à Liège et Seraing. Il sera trop soumis à ses conseillers, notamment le comte Maximilien-Henri de Horion, chef du parti français, qui parrainera les débuts politiques de François-Charles de Velbruck, son beau-frère, auquel s'opposait le baron de Breidbach, à la tête du parti autrichien. Le comportement de ce prince-évêque, si coquin, cardinal depuis 1746, faisait scandale à Rome.

Dès son règne se posera la question de l'exercice du pouvoir de « police » par le Prince et son Conseil, premiers craquements dans l'édifice constitutionnel. De plus, alors que les deux derniers grands conflits continentaux du siècle – Guerres de Succession d'Autriche et de Sept Ans – auront pour terrain de prédilection les Pays-Bas et la Principauté, les ordres privilégiés, clergé et noblesse, ne sauront se mettre d'accord avec la bourgeoisie des villes, hostile à un impôt direct personnel et revendiquant une taxation de la terre. Cette incapacité à adopter une réforme fiscale aboutira à l'explosion de la dette publique et à la paralysie de l'État.

Après la grande victoire de Rocourt (1746), Louis XV viendra assister à la bataille de Lawfeld, remportée par le maréchal de Saxe (1747). Le grand renversement d'alliance (1756) entre Versailles et Vienne s'annonçait et sera néfaste pour la Principauté ; désormais les armées françaises devaient ménager les Pays-Bas ! La guerre de Sept Ans fit sombrer les finances de la capitale.

Aussi n'est-il pas étonnant qu'à la mort prématurée de Jean-Théodore, le parti national liégeois fasse payer à Clément-Wenceslas le soutien que lui accordaient Louis XV et Marie-Thérèse et porte ses suffrages sur Charles-Nicolas d'Oultremont « noss binamé » (1763). Le prix en fut l'isolement diplomatique de la Principauté que le frère d'Oultremont, Jean, comte de Wégimont, aidé du chevalier de Heusy, l'un des rares hommes d'État de son époque, parviendra à briser en renouant le dialogue avec le duc de Choiseul (1767). Subtilement, Versailles négociera avec Bruxelles et Liège le traité des limites, qui retirait Saint-Hubert de la souveraineté liégeoise mais ouvrait la voie à une communication directe entre Dunkerque-Sedan et Liège par Givet. Elle sera coulée dans le traité définitif de commerce que Velbruck aura l'honneur de mener à bonne fin après la mort précoce le 22 octobre 1771 de son adversaire d'Oultremont (le traité, signé en 1772, sera ratifié par l'empereur en 1774).


Velbruck, le prince philosophe

François-Charles de Velbruck (1772-1784), le prince francophile, est manifestement une figure emblématique des Lumières. Il n'avait pas de vocation religieuse et était un homme de son temps. Issu de noblesse westphalienne, il souhaitait se faire un grand établissement. Homme habile et doué pour la conciliation, il réussit à faire oublier ses charmants rejetons, notamment le jeune Charles-François de Graillet et se fit élire à l'unanimité. Protégé de la France, il sut défendre les intérêts de son pays auprès de Versailles. Il réussit à se constituer une remarquable fortune alimentée par les Français et les Hollandais, qui voulaient éviter un coadjuteur issu de la maison d'Autriche. Par contre, ses tentatives de rapprochement avec Bruxelles échoueront devant l'opposition de l'État noble, contestant des prétentions de Marie-Thérèse sur le lit de la Meuse.

Réformateur audacieux, Velbruck aurait voulu instaurer l'égalité de tous devant l'impôt et se heurtera à l'hostilité des ordres privilégiés. Plus spécifiquement, le combat à propos de la taxe noble perçue sur les fiefs et alimentant les caisses de l'État noble, est symbolique de la contestation croissante de l'autorité princière. Elle est due ici à une noblesse anticléricale, frustrée de hauts faits militaires, jalouse de la montée en puissance de la bourgeoisie liégeoise et inquiète des attaques princières sur ses prérogatives. Cette contestation croissante est étroitement liée aux progrès des idées des Lumières dans la Principauté. Le lancement en 1756 du Journal encyclopédique par Pierre Rousseau, protégé des frères Horion, témoigne de la place privilégiée de Liège. Si la polémique fut virulente après la révocation de son privilège en 1759, le mouvement est lancé, et les intérêts économiques devront faire bon ménage avec les impératifs de la censure. Dès 1765, le nombre d'imprimeurs aurait été de 13 ou 14 et celui de libraires de 18. En 1791, ils employaient plusieurs milliers d'ouvriers.

François-Charles de Velbruck aurait été franc-maçon comme en témoignent bien des éléments de son superbe château d'Hex. Il sera un prince philosophe qui saura ménager, lui évêque, les impératifs de sa charge avec ses convictions. Fondateur de la Société d'Émulation et de la Société littéraire (1779), lieux de débats et de convivialité, Velbruck s'attellera à la modernisation de l'enseignement après la disparition du collège des jésuites, qu'il n'aimait pas, mais respectait. Son Plan d'éducation pour la jeunesse du pays de Liège, avec la création d'écoles gratuites ouvertes aux filles, qui s'accompagnait de la création de l'Académie de peinture, de sculpture et de gravure (1774) était novateur. À sa mort, Velbruck fut pleuré par son peuple, lui que son mausolée honorera comme « Auguste » et « Mécène ».


LA RÉVOLUTION LIÉGEOISE

La succession de Velbruck prenait un relief particulier en raison du refroidissement des relations entre Versailles et Vienne, soupçonnée de vouloir placer un Habsbourg sur le trône de Liège. Aussi le représentant français s'emploiera à faire élire le comte de Hoensbroeck, uni secrètement à la France. Homme pieux, bon connaisseur de l'Empire et de ses institutions, Hoensbroeck eût fait un digne successeur à Georges-Louis de Berghes. Mais son absence de charisme et de diplomatie lui sera fatale. Il n'était pas l'homme de la situation au moment où l'Europe allait s'embraser.

L'affaire des Jeux de Spa, le Monaco de l'époque, est révélatrice d'un processus révolutionnaire en marche. Source de revenus considérables, les maisons de jeux étaient l'objet de convoitises qui déboucheront sur une remise en cause du pouvoir du Prince d'édicter sans l'accord des trois États. S'il avait réussi à se faire rembourser partiellement par la France d'anciennes dettes, Hoensbroeck échouera dans la levée du Régiment Royal-Liégeois pour le compte de Louis XVI. La noblesse liégeoise prendra la tête de l'opposition légale, tandis que des rumeurs de coup d'État se multiplient après la découverte de caches d'armes. Certains patriotes liégeois pensèrent à un rapprochement avec les Pays-Bas autrichiens pour se défaire de Hoensbroeck.

Quant à la situation économique, elle se dégrade sous l'effet d'une série de mauvaises récoltes qui provoquent des émeutes.


De la Révolution à la première restauration princière (août 1789-janvier 1791)

La situation explosive en France focalise les passions. Prise de la Bastille, nuit du 4 août suscitent des émules par la convocation le 15 août du Congrès de la nation franchimontoise à Polleur. Le 18 août, la Révolution éclate, l'hôtel de ville de Liège est pris pacifiquement. Coiffé de la cocarde, Hoensbroeck, que le peuple a été chercher à Seraing, ratifie les décisions à caractère municipal prises par Fabry, Chestret et leurs partisans. Elles s'étendront aux autres bonnes villes qui procéderont à l'élection libre des magistrats. Les campagnes, elles, maintiennent leurs revendications soutenues par une fraction radicale de la bourgeoisie liégeoise. Effrayé, Hoensbroeck s'enfuit à Trèves, ce qui entraîne un durcissement de l'État Tiers réclamant une authentique Assemblée nationale. Alarmée par la situation qui eût pu faire tache d'huile, la Chambre de Wetzlaer ordonne le rétablissement de l'ordre à Liège où l'émeute va se déchaîner (6-8 octobre 1789). La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de Polleur (16 septembre), qui supprimait le droit de propriété comme droit naturel, avait contribué à monter les esprits. Ceux-ci ne seront pas apaisés par la distribution improvisée de la succession de Georges-Louis de Berghes et se verront au contraire renforcés par la révolution brabançonne, qui conduit les insurgés à Bruxelles le 12 décembre. La Prusse, qui a soutenu discrètement les Liégeois, envoie un corps expéditionnaire dans la Principauté, au nom du Cercle de Westphalie. Les bonnes villes romanes, à la différence des thioises, ne changèrent pas alors leur régime politique.

L'objectif du roi Frédéric Guillaume II aurait été de constituer un état indépendant réunissant Pays-Bas autrichiens et principauté de Liège, sous son influence. Il échouera dans ce dessein, se retirant dès avril 1790, après avoir tenté une réconciliation vouée à l'échec entre Hoensbroeck et ses sujets. Le climat se radicalise à Liège où une armée de volontaires est levée dans l'enthousiasme. Elle réussira à vaincre trois fois les coalisés du Cercle de Westphalie. Par contre, l'aide espérée de Paris ne viendra pas, malgré les plaidoyers de Camille Desmoulins, invoquant les Thermopyles. Le 9 janvier 1791, les armes sont déposées, les révolutionnaires quittent Liège par le Condroz tandis que les Autrichiens occupent le pays.


De la première restauration française au rattachement à la France (janvier 1791-octobre 1795)

La restauration de l'Ancien Régime commence avec son lot de représailles, de poursuites, au milieu du rétablissement des anciennes institutions. L'Édit fondamental (10 août 1791) restitue au prince son pouvoir d'édicter en matière de « police » et ne se soucie pas des autres revendications nées à la fin de l'Ancien Régime. Les États sont toujours incapables de lancer une réforme fiscale équitable. Pendant ce temps, à Paris, les réfugiés s'excitent à l'Assemblée nationale. Le 10 août 1792, la royauté tombe. Hoensbroeck, décédé le 3 juin, sera remplacé par son neveu François-Antoine de Méan, qui dut son élection aux Hollandais, prenant ainsi pied dans la Principauté à la veille de sa disparition ! Il n'aura guère le temps de jouir de son élection puisque le 20 septembre 1792, Dumouriez sauve la République à Valmy et passe à l'offensive. Il arrive à Liège le 28 novembre 1792 dans la liesse, accueilli, écrit-il, par un « peuple spirituel, sensible et fier », véritable « seconde nation française ». L'enjeu est désormais le rattachement souhaité par la Convention. Soutenu par les Franchimontois, le vœu du rattachement sera voté par une majorité des localités du pays (22 février 1793). Simultanément, une poignée de révolutionnaires décrètent la démolition de la cathédrale Saint-Lambert, l'une des plus superbes d'Europe, conséquences de frustrations et d'intentions lucratives. Sa disparition, qui s'étalera sur plus de trente ans, créera un « trou de mémoire » à Liège.

La conquête de Tongres par les Autrichiens après Aldenhoven (1er mars 1793), provoque la fuite de 250 chefs révolutionnaires vers la France. Liège qui a été la proie de pillages et de massacres, est reprise par Méan : il se livrera à une répression excessive marquée par l'exécution de Bouquette et du verviétois Chapuis (1er février 1794). À Paris, les Liégeois se déchirent en factions rivales et Bassenge connaîtra même les prisons de la Terreur. La victoire de Fleurus (26 juin 1794) ouvre la voie de Liège et du Rhin. Les armées françaises se conduisent en pays conquis. Les villes sont affamées, l'industrie paralysée, le chômage flambe.

Le décret du 16 novembre 1794 démembre l'État liégeois. Le Franchimont est lié à Aix-la-Chapelle, le Condroz et l'Entre-Sambre-et-Meuse aux arrondissements de Namur et Saint-Hubert ; Liège dépend de Bruxelles ! Aussi les appels au secours se multiplient à la Convention. Ils seront finalement exaucés par le décret du 1er octobre 1795 annexant la ci-devant principauté de Liège à la France. Une page se tournait : désormais les Liégeois qu'ils fussent du Hainaut, du Namurois ou de Liège allaient se retrouver dans le même ensemble politique que leurs voisins, alliés ou ennemis depuis plus de mille ans.


[1] Ce texte constitue le Chapitre XI de l'Histoire de la Wallonie. De la préhistoire au XXIe siècle, sous la direction de Bruno Demoulin et Jean-Louis Kupper, Toulouse, Privat, 2004. [Retour]
[2] Rennequin Sualem (1645-1708) se serait d'abord illustré comme auteur de la machine du château de Modave élevant l'eau de 40 mètres jusqu'aux fontaines des jardins. Introduit par Arnold de Ville à la cour de Versailles, il sera le génial maître d'œuvres de la machine de Marly où il appliquera le savoir-faire et la technique hydraulique wallonne de son temps (R. Halleux). [Retour]
[3] Prince de la Renaissance, Érard de la Marck reste indissolublement lié à la reconstruction du Palais, inspirée peut-être par Léonard de Vinci et qui fit l'admiration de Victor Hugo. Le reliquaire de Saint Lambert dû à l'orfèvre Hans de Rentlingen témoigne d'une autre facette de son mécénat. [Retour]
[4] La paix de religion d'Augsbourg (1555) entre les catholiques et les luthériens dans l'Empire fut bâtie sur le principe cujus regio, hujus religio : la religion du prince sera celle de ses sujets. [Retour]
[5] Sur le plan de la politique intérieure, Ernest de Bavière, confronté à une éternelle réforme fiscale toujours reportée, saura arbitrer les tensions populaires croissantes au sein de la Cité de Liège. Celle-ci était minée par un clientélisme exacerbé et la mainmise d'une oligarchie sur la gestion financière – déplorable – des deniers publics. Il réformera radicalement l'ancien système électoral datant de 1424 en instaurant le suffrage universel obligatoire pour tous les hommes majeurs de la cité. Le système combinait choix, sagesse et tirage au sort à l'instar de la démocratie athénienne (1603). [Retour]
[6] Antoine Arnauld dit le Grand Arnauld (1612-1694), confesseur de Port-Royal des Champs, figure dominante du jansénisme ; ses polémiques avec les jésuites seront célèbres. Son arrivée à Liège en mai 1690 où il rencontra les principales personnalités jansénistes du pays, suscita une vive réaction et entraîna son départ vers Bruxelles. [Retour]