Narcisse ou l'Amant de lui-même © INCOPROM SA Genève
|
Quand la pièce Narcisse doit
être publiée en 1753, vingt ans après avoir
été écrite, Rousseau ajoute une préface.
Celle-ci a un lien lâche avec la pièce. Après le
Discours sur les
sciences et les arts, Rousseau s'est attiré de
nombreux adversaires, qui lui reprochent, outre ses positions, la
contradiction entre celles-ci et sa conduite : s'il fustige
les sciences et les arts pourquoi écrit-il des pièces de
théâtre comme Narcisse ?
Rousseau précise d'abord sa
thèse réelle, caricaturée par ses censeurs. Il ne
critique pas les sciences et les arts absolument, mais leurs effets
sur les moeurs. Leur développement dans une société
est le symptôme de sentiments néfastes à
l'Etat chez les
citoyens.
L'oisiveté et le désir de se distinguer remplacent
bientôt les principes pratiques : amour de sa patrie, de ses
proches. Or, l'homme est né pour agir et non pour
s'amollir dans la spéculation. L'altération
des moeurs que produisent nécessairement les sciences et les
arts est toujours synonyme de corruption. Le mal fait est
irrémédiable, et les peuples ne retrouvent jamais leur
vertu perdue. Il faut donc limiter le mal par le mal : la
littérature sert alors à détourner les hommes
d'une corruption plus grande. C'est le malheur de ce
siècle qui réduit Rousseau à écrire des
pièces.
Dans ce texte, Rousseau endosse le rôle
de l'incompris, mais il pratique parfois à
l'égard de ses adversaires ce qu'il leur reproche
: il préjuge de leur intention en prétendant que les
philosophes n'écrivent que par désir de se
distinguer. L'accumulation d'arguments
hétérogènes finit en outre par affaiblir
l'ensemble, et la vision finale d'un peuple qui,
s'il n'allait pas au théâtre,
s'occuperait plus mal encore, n'est pas la meilleure
justification de la pratique littéraire de Rousseau.
Néanmoins, l'importance des
moeurs est introduite dans ce texte qui annonce les
préoccupations du
Projet de Constitution
pour la Corse, et des
Considérations
sur le Gouvernement de Pologne.
Première édition : Paris, 1753.
|